M I S E A U P O I N T Le traitement médical des occlusions intestinales inopérables en cancérologie : place des analogues de la somatostatine Medical treatment of inoperable bowel obstruction: place of somatostatin analogs L. Zelek* ien que son incidence précise soit difficile à chiffrer, l’occlusion intestinale liée à une carcinose péritonéale est un phénomène fréquent, puisqu’elle concerne près d’une patiente sur deux atteinte de cancer ovarien évolutif et jusqu’à un patient sur quatre atteint de cancer colorectal. Elle peut par ailleurs survenir de façon moins fréquente dans d’autres tumeurs, digestives (pancréas, voies biliaires) ou non (sein). Il s’agit le plus souvent d’une carcinose péritonéale, inopérable dans environ la moitié des cas, l’intervention étant, lorsqu’elle est possible, grevée d’une mortalité postopératoire de 30 à 40 % et d’une morbidité postopératoire dans 30 à 90 % des cas. L’occlusion est responsable de douleurs abdominales, de nausées et de vomissements (1). B TRAITEMENTS SYMPTOMATIQUES Divers traitements symptomatiques sont proposés, le plus souvent en association : Sonde nasogastrique. Lorsque la chimiothérapie n’est plus efficace, la pose d’une sonde nasogastrique (SNG) est le plus souvent proposée. Elle permet l’aspiration rapide de grandes quantités de sécrétions, mais elle est rapidement mal tolérée et contraignante pour les patients en prolongeant leur hospitalisation. Actuellement, la tendance est de ne poser la SNG qu’en fonction de la demande du patient et de la laisser en place pour des durées les plus courtes possible, n’excédant pas quelques jours. Le recours aux traitements médicamenteux s’est par ailleurs développé, afin de soulager les symptômes de l’occlusion en évitant ou en limitant l’utilisation de la SNG : – Le contrôle de la douleur dans un contexte d’occlusion peut nécessiter l’utilisation de la morphine à des posologies adaptées, mais, le plus souvent, l’association à un antispasmodique comme le butylbromure de scopolamine est nécessaire (le butylbromure est actuellement préféré par de nombreuses équipes en raison de * AERO (Association européenne de recherche en oncologie), CHU Henri-Mondor, Créteil. 184 son profil de tolérance plus satisfaisant, notamment en termes d’effets centraux) (2). Rappelons que le risque théorique de ralentissement du transit ne doit pas contre-indiquer la morphine dans ce contexte ; d’autres opiacés ont été utilisés dans le passé, comme la péthidine, qui avait un effet moindre sur le péristaltisme, mais était responsables d’autres effets indésirables (convulsions). – Contrôle des nausées et vomissements. L’objectif est de supprimer les nausées et de réduire les vomissements à un épisode par jour au maximum (en pratique, le seuil de tolérance est variable d’un patient à l’autre). En dehors des conseils diététiques et du traitement d’éventuels facteurs favorisants (hypercalcémie, ascite, insuffisance rénale, anxiété…), un traitement antiémétique comme l’halopéridol, un neuroleptique, est prescrit ; il est recommandé d’éviter les antiémétiques ayant un effet prokinétique comme le métoclopramide. Les sétrons ont été proposés par certains, mais il n’existe pratiquement pas de données publiées. Les antisécrétoires comme le butylbromure de scopolamine ont aussi un effet antiémétique. L’utilisation des corticoïdes est largement répandue : ils sont en général utilisés à titre de test thérapeutique de courte durée (5 jours) à la dose de 6 à 16 mg/j de dexaméthasone, sans être délétères. Un essai randomisé récent incluant 58 patients montre un effet significatif de la corticothérapie sans effet dose (3) ; deux méta-analyses donnent des résultats contradictoires, puisque l’une est en faveur de la corticothérapie (4), alors que l’autre ne retrouve pas d’effet significatif évident (5), mais la méthodologie de ces deux travaux laisse à désirer. La corticothérapie demeure donc un sujet de polémique ; pour de nombreux auteurs, la référence qui s’impose empiriquement est l’association morphine + halopéridol + scopolamine (butylbromure). Gastrostomie et jéjunostomie de décharge. Il s’agit d’un geste de dernier recours qui permet d’éviter l’inconfort de la sonde nasogastrique et autorise le retour à domicile avec alimentation parentérale plus ou moins reprise d’une alimentation semi-liquide, plus agréable pour le patient. La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n° 4 - juillet-août 2004 TRAITEMENTS MÉDICAUX L’octréotide est un octapeptide de synthèse aux propriétés apparentées à celles de la somatostatine naturelle. Il diffère de celle-ci par une action beaucoup plus prolongée et plus intense permettant une administration en deux ou trois injections par jour, une plus grande sélectivité vis-à-vis de la sécrétion de GH et de glucagon, et par son absence d’effet rebond à l’arrêt du traitement. L’octréotide inhibe les sécrétions peptidergiques gastro-intestinales (gastrine, sécrétine, cholécystokinine, entéroglucagon, VIP, motiline), endocrines pancréatiques (insuline, glucagon et polypeptide pancréatique), les sécrétions exocrines de l’estomac, de l’intestin, du pancréas et les sécrétions biliaires, ralentit la motilité intestinale, diminue le flux sanguin splanchnique et augmente l’absorption hydrique et électrolytique intestinale. Grâce à cette activité antisécrétoire, l’octréotide a un effet non seulement antiémétique et antispasmodique, mais aussi antalgique (1). Bien que peu d’études cliniques aient été publiées à ce jour, la majorité des séries non randomisées (dont certaines rétrospectives, la plus importante comportant 25 patients) (6-9) retrouve une amélioration des symptômes dans approximativement un cas sur deux, pouvant notamment permettre l’ablation de la sonde nasogastrique. Il existe par ailleurs deux essais randomisés, dont l’un n’a inclus que 18 patients (3 sorties d’étude précoces) (10). L’essai le plus important (68 patients) compare la scopolamine à l’octréotide (600 à 800 µg/j) ; il retrouve une amélioration significative des nausées et vomissements à J3 et J6 (11) pour les patients traités par l’octréotide et un meilleur contrôle de la douleur. Les recommandations de l’AFSSAPS (12) légitiment la prescription de l’octréotide dans les cas d’occlusion non contrôlée par le traitement symptomatique. Son intérêt dans ces situations fréquentes mérite d’être mieux évalué, ce qui suppose la réalisation d’un essai prospectif randomisé. La réalisation pratique d’un tel essai se heurte à de nombreux écueils tels que le choix des critères d’inclusion et d’évaluation ainsi que le choix du bras de référence, qui n’est lui-même pas consensuel. L’intérêt d’un tel essai serait cependant majeur, et il autoriserait par ailleurs une évaluation médico-économique de l’utilisation de l’octréotide, qui fait à ce jour défaut. Notons enfin que nous n’avons pas de données disponibles sur l’intérêt de la forme retard, et ce point mérite également d’être étudié. La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - n° 4 - juillet-août 2004 D’un point de vue plus général, les soins de support, dont l’importance en oncohématologie est de mieux en mieux prise en compte, doivent, comme l’ensemble des autres traitements proposés, faire l’objet d’une évaluation méthodologiquement rigoureuse. Encore faut-il s’en donner les moyens en encourageant la recherche clinique dans ce domaine et en acceptant de proposer la participation à des essais prospectifs randomisés à des patients en situation palliative. R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Copel L. Place des analogues de la somatostatine en soins palliatifs. Oncologie 2002;4:419-22. 2. Baines MJ. The pathophysiology and management of malignant intestinal obstruction. In: Oxford textbook of palliative medicine. 2nd Edn. DoyleD, Hanks G, Mac Donald N editors. Oxford. Oxford University Press 1998:526-33. 3. Laval G, Girardier J, Lassaunière JM et al. The use of steroids in the management of inoperable intestinal obstruction in terminal cancer patients: do they remove the obstruction? Palliat Med 2000;14,1:3-10. 4. Ripamonti C, Twycross R. Clinical practice recommendation for the management of bowel obstruction in patient with end stage cancer. Support Care Cancer 2001;9:223-33. 5. Feuer DJ, Broadley KE. Systematic review and meta-analysis of corticosteroids for the resolution of malignant bowel obstruction in advanced gynaecological and gastrointestinal cancers. Systematic Review Steering Committee. Ann Oncol 1999;10,9:1035-41. 6. Campagnutta E, Cannizzaro R, Gallo A et al. Palliative treatment of upper intestinal obstruction by gynecological malignancy: the usefulness of percutaneous endoscopic gastrostomy. Gynecol Oncol 1996;62,1:103-5. 7. Mangili G, Franchi M, Mariani A et al. Octreotide in the management o f bowel obstruc tion in terminal ovari an cancer. Gyne col Oncol 1996;61,3:345-8. 8. Mercadante S. Bowel obstruction in home-care cancer patients: 4 years experience. Support Care Cancer 1995;3,3:190-3. 9. Khoo D, Hall E, Moston R et al. Palliation of malignant intestinal obstruction using octreotide. Eur J Cancer 1994;30A,1:28-30. 10. Mercadante S, Ripamonti C, Casuccio A et al. Comparison of octreotide and hyoscine butylbromide in controlling gastrointestinal symptoms due to malignant inoperable bowel obstruction. Support Care Cancer 2000;8,3:188-91. 11. Mystakidou K, Tilika E, Klaidopoulou O et al. Comparison of octreotide administration versus conservative treatment in the management of inoperable bowel obstruction in patients with far advanced cancer: a randomized, doubleblind, controlled clinical trial. Anticancer Res 2002;22(2B):1187-92. 12. Recommandations AFSSAPS, soins palliatifs : spécificité d’utilisation des médicaments courants hors antalgiques ; 25 octobre 2002:20. 185