l'économie et, particulièrement, sur la part des salaires dans la production de valeur économique - si un
plan B était trouvé pour remplacer le poisseux liquide comme source d'énergie, nous aurons simplement
perdu un peu de temps en conjectures, par contre, si le scénario de la fin du pétrole devait se vérifier, il
serait bon d'anticiper les choses du point de vue qui nous préoccupe: la pérennité de la production
économique (et donc, comme nous l'avons prouvé, l'importance relative des salaires dans la valeur
ajoutée).
Le pétrole concentre l'énergie à très haute dose. Il est utilisé dans l'agriculture, la (pétro)chimie ou les
transports. Du point de vue de l'économie productive, il a pris une place de choix dans les transports, la
production d'énergie électrique, le chauffage, l'agriculture.
Agriculture
La fin du pétrole signifie la fin de l'agriculture industrielle. Sans pétrole, plus de gros tracteurs, plus de
grosses moissonneuses-batteuses, plus d'engrais ou d'insecticide non plus puisque ces produits sont issus
du pétrole.
Les rendements agricoles, la production agricole risquent de s'effondrer en cas de disparition du pétrole.
Cet effondrement ne sera pas accompagné d'un effondrement de la demande, des besoins alimentaires.
Pour accompagner la fin du pétrole sans dégât, les exploitations agricoles devront nécessairement
diminuer de taille, elles devront se multiplier et devront recourir à des techniques agricoles sans pétrole
(genre permaculture) à rendement élevés. Ces techniques existent. Faute de cette adaptation, les
populations sont condamnées à la disette à côté de terres géantes en friche comme les Anglais au XVIIIe4
ou les Brésiliens d'aujourd'hui. Ce problème est fondamentalement politique, ce n'est pas un problème
d'argent ni de possibilités techniques.
Au niveau de l'emploi, il est clair que ces politiques de transition agricole, si elles sont adoptées - et il faut
espérer qu'elles le soient pour qu'on puisse continuer à manger - comme après les grandes épidémies au
moyen-âge, l'augmentation de la demande de main d’œuvre changera le rapport de force sur le marché de
l'emploi. Les employés seront rares, recherchés, demandés alors que les employeurs auront un besoin
impératif d'investir dans l'emploi. Par ailleurs, le prix, la valeur ajoutée produite par le secteur va exploser
(les prix agricoles augmenteront). L'augmentation des prix agricoles imposera une répartition des
richesses produites faute de quoi, la disette menacera la majorité de la population. Dans une situation de
famine presque générale, la productivité s'effondre et, avec elle, la société telle que nous la connaissons.
On ne voit pas alors ce qui garantirait quelque propriété que ce soit.
Par contre, si l'augmentation des prix agricoles est accompagnée d'une distribution de la richesse, elle
peut être indolore pour les producteurs et synonyme de demande d'emplois patronale.
Le devenir de l'agriculture est donc un enjeu éminemment politique du point de vue des producteurs. De
la lutte, du rapport de force que les producteurs seront capables d'induire ou non, sur lequel ils surferont
ou non, dépend la prospérité commune générale, dépend la forme de civilisation, de société qui peut
émerger de la fin du pétrole.
Les transports et l'industrie
Le secteur va complètement changer. Sans pétrole, sans énergie de substitution (c'est-à-dire dans le cas de
figure que nous examinons ici), le secteur s'anémie. Plus de flux tendu, plus de cargo, plus de trente-nuit
tonnes, plus de délocalisation, du coup, plus de division extrême du travail.
La relocalisation de l'économie offre une opportunité a priori, celle de limiter drastiquement le cadre de
la concurrence. Or, on pourrait croire que moins il y a de la concurrence, plus les producteurs peuvent
4 En Angleterre, au XVIIIe, les forêts domaniales sont brutalement devenues l'apanage de leurs propriétaires. Le
Black Act de 1723 criminalise le glanage, la récolte de bois mort et la chasse dans les bois des nobles. Cette loi
approfondit la notion de propriété, ce qui ira jusqu'à prononcer la peine de mort pour les braconniers.
Cette acception, cette sacralisation de la propriété privée n'allait pas du tout de soi, elle privait les manants de
ressources, de moyens de survie disponibles et les condamnait à la misère dans un pays de forêts giboyeuses (voir
E.P. Thompson, La Guerre des forêts, La Découverte, 2014).