DOSSIER THÉMATIQUE
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. VI - septembre-octobre 2003 179
L
Apathogénie de l’HAI regroupe des mécanismes
généraux responsables d’une rupture de tolérance et
des mécanismes spécifiques du tropisme hépatique
de la réponse auto-immune.
RUPTURE DE TOLÉRANCE
La tolérance immune se définit par la capacité d’éliminer ou de
neutraliser les cellules T autoréactives avec deux niveaux de
contrôles : un central et un périphérique
(figure 1)
(1, 2).
Au niveau central
La tolérance centrale résulte de l’apoptose, au sein du thymus,
de cellules T autoréactives issues de cellules T immatures pro-
venant de la moelle osseuse. La capacité des récepteurs de cer-
tains clones de cellules T à interagir avec des peptides dérivés
de protéines du soi présentés dans une molécule du complexe
majeur d’histocompatibilité (CMH) à la surface d’une cellule
épithéliale thymique, conduit à l’apoptose du lymphocyte T
autoréactif. Cependant, des cellules T autoréactives s’échap-
pent du thymus et des mécanismes de tolérance périphérique
sont donc nécessaires.
Au niveau périphérique
L’action des cellules T autoréactives est prévenue selon quatre
modalités :
– L’ignorance : les lymphocytes auto-immuns sont gardés en
“ignorance” par la séquestration d’auto-antigènes non présentés ;
– L’anergie : le ligand CD80/86 de la cellule présentatrice
interagit avec CTLA-4, homologue de CD28, et inhibe l’activa-
tion de la cellule T en bloquant l’interaction CD80/CD86 avec
CD28
(figure 2)
;
– L’apoptose du lymphocyte activé par l’interaction Fas/FasL.
Dans le foie, l’interféron synthétisé par les lymphocytes T acti-
vés augmente l’expression de FasL à la surface des cellules de
Kupffer.
– La régulation négative de lymphocytes T par l’action de cyto-
kines (en particulier l’IL-10 et le TGF β).
* Département des maladies du foie, centre hépato-biliaire,
hôpital Paul-Brousse, Villejuif.
** Laboratoire d’immunologie, hôpital Saint-Antoine, Paris.
La pathogénie de l’hépatite auto-immune (HAI) regroupe
des mécanismes généraux responsables d’une rupture de
tolérance et des mécanismes spécifiques du tropisme hépa-
tique de la réponse auto-immune.
La tolérance centrale résulte de l’apoptose, au sein du
thymus, de cellules T autoréactives. La tolérance périphé-
rique regroupe quatre modalités : l’ignorance ; l’anergie ;
l’apoptose ; la régulation par l’action de cytokines.
La prédisposition génétique de l’HAI est en partie
expliquée par certains haplotypes HLA et peut-être par
d’autres polymorphismes génétiques.
Les cellules cytotoxiques T et NK ont un rôle prépondé-
rant dans la nécrose.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
Physiopathologie des hépatites auto-immunes (HAI):
données récentes
Pathogenesis of autoimmune hepatitis : new concepts
J.C. Duclos-Vallée*, É. Ballot**, C. Johanet**
Lymphocytes autoréactifs détruits par apoptose
(sélection négative)
Fuite de lymphocytes autoréactifs vers la périphérie
contrôlés par
Rupture de tolérance
Répertoire immun
la tolérance périphérique
Maladie auto-immune
Tolérance centrale
Moelle
Thymus
Facteurs
environnementaux
Facteurs
génétiques
Figure 1. Établissement et rupture de la tolérance.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue -n° 5 - vol. VI - septembre-octobre 2003
180
PATHOGÉNIE DE L’HAI
L’HAI est la conséquence d’une rupture de la tolérance centrale et
périphérique du fait de facteurs génétiques et environnementaux.
Aspects génétiques
Le CMH
(figure 3)
:
la prédisposition génétique de l’HAI est
en partie expliquée par certains haplotypes HLA. La respon-
sabilité du CMH de classe II est essentielle, en particulier du
fait de son rôle dans la présentation de déterminants auto-
antigéniques aux cellules T CD4+
(figure 2)
. Les allèles
DRB1*0301 et DRB1*0401 sont associés à une susceptibilité
accrue d’HAI
(tableau)
. L’influence de l’allèle DRB1*1501
serait controversée
(3-5)
et l’allèle DRB1*1301 pourrait être
un gène de susceptibilité chez des enfants. L’identification de
ces allèles de susceptibilité a permis la construction de
modèles moléculaires reposant :
– pour le premier, sur la présence d’un acide aminé basique en
position 13 du polypeptide DRβ;
– pour le deuxième, sur les allèles DRB3*0101 et DRB1*0401
codant pour une séquence linéaire essentielle pour la présenta-
tion antigénique ;
– pour le troisième, sur un dimorphisme en position 86
(6)
. Les
allélotypes B8 et DRB1*0301 sont associés à une maladie plus
sévère et à la présence d’anticorps anti-SLA
(7, 8)
.
L’allèle C4Q0 correspondant à la délétion du gène
C4
, observé
chez 50 % des HAI de type 1, en diminuant l’activité du com-
plément, favoriserait une infection virale et ainsi déclencherait
une pathologie auto-immune
(9)
. Quatre polymorphismes du
promoteur et un au niveau du premier exon ont été décrits dans
le gène
TNF-α
. À la position -308 du promoteur, l’allèle
variant le TNF-308A (TNF2), déjà impliqué dans des maladies
auto-immunes (polyarthrite rhumatoïde et lupus érythémateux),
serait associé à l’HAI de type 1
(10).
Les gènes de costimulation et de régulation :
les associations
entre HAI et les polymorphismes des gènes du CTLA-4 et du
récepteur de la 1,25-dihydroxyvitamine D3 (inhibant la prolifé-
ration lymphocytaire), ont été décrites
(11-12)
.
Les patients avec mutations homozygotes de l’AIRE, facteur
de transcription localisé dans les cellules dendritiques et
médullaires thymiques, développent un syndrome polyendocri-
nien de type 1 (APS-1) associant une candi-
dose et des pathologies auto-immunes
(13)
.
Dix pour cent des APS-1 ont une HAI avec
auto-anticorps contre les isoformes 2A6 et
1A2 du cytochrome P450
(14).
Facteurs environnementaux –
phénomènes de mimétisme moléculaire
Les facteurs environnementaux (xénobio-
tiques et virus) pourraient induire des phéno-
mènes d’auto-immunité par un mécanisme
de mimétisme moléculaire, c’est-à-dire le
partage de déterminants antigéniques entre
des micro-organismes et des antigènes du
soi. Le foie, site privilégié de détoxification,
directement en contact avec des agents
pathogènes d’origine digestive, représente un
organe cible de phénomènes auto-immuns.
Dans l’HAI de type 1, la non-spécificité de
l’auto-antigène en cause (filament fin d’actine)
Allèle Patients Contrôles Odds-radio
n = 297 (%) n = 236 (%)
1501 43 (15) 58 (25) 0,52
0301 149 (50) 54 (23) 3,39
04 127 (43) 88 (37) NS
0401 88 (30) 47 (20) 1,69
1301 40 (13) 33 (14) NS
0301/0301 42 (14) 5 (2) 7,61
04/04 14 (5) 13 (6) NS
1501/1501 0 (0) 5 (2) NS
0301/04 23 (8) 12 (5) NS
0301/0401 15 (5) 6 (3) NS
1501/0301 10 (3) 4 (2) NS
0301 ou 04 256 (86) 130 (55) 5,09
Lysine 71 267 (90) 155 (66) 4,65
Tableau. Fréquence allélique DRB1 chez les patients atteints d’hépati-
te auto-immune (d’après P.T. Donaldson. Semin Liver Dis 2002 ; 22 :
353-64).
Figure 2. Intervenants dans la réponse (auto)immune.
DOSSIER THÉMATIQUE
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. VI - septembre-octobre 2003 181
rend peu probable le phénomène de mimétisme moléculaire.
En revanche, dans l’HAI de type II, la caractérisation des sites
antigéniques de la protéine CYP2D6, auto-antigène reconnu
par les anticorps anti-LKM1, a été très étudiée. Des homolo-
gies de séquence entre le site antigénique reconnu par les anti-
LKM1 et des protéines d’agents infectieux (HSV1, VHC,
CMV) existent
(15)
. Deux séquences d’isoformes de cyto-
chrome P450 (épitopes de la cellule T) sont homologues avec
une région de 10 aa de la protéine du core HCV.
Mécanismes pathogéniques et effecteurs
Les autoanticorps n’exercent d’action cytotoxique que si leur cible
est exposée à la surface cellulaire et ce par trois mécanismes :
– l’activation du complément ;
– l’intervention du fragment Fc ;
– la fixation à la surface des cellules NK.
Ils permettent un contact entre NK et cellules cibles, déclen-
chant l’apoptose de ces dernières. Cependant, l’expression
membranaire des auto-Ag dans les HAI reste discutée. Claire-
ment établie pour le récepteur à l’asialoglycoprotéine, elle est
controversée pour le CYP2D6. De plus, de nombreuses cibles
antigéniques ne sont toujours pas identifiées (antigènes
nucléaires, ANCA, etc.).
Les autoanticorps auraient un rôle marginal dans la nécrose. À
l’inverse, les cellules cytotoxiques T y contribuent largement,
comme en témoigne la prédominance de T CD4+ et l’identifica-
tion de plusieurs clones T spécifiques d’auto-antigènes, tels que
le récepteur à l’asialoglycoprotéine et le CYP2D6
(16)
. Enfin,
les cellules NKT auraient un rôle important et sont en propor-
tion élevée dans le foie (30 à 50 % versus 2 % dans le sang).
Ces cellules servent de première ligne de défense face aux
pathogènes présentés par les molécules CD1
(17)
.
Dans un futur proche, les nouveaux axes thérapeutiques pour-
raient être : le blocage de signaux de costimulation, les vaccins
récepteurs T, la reconstitution du système immunitaire de cel-
lules souches autologues ou allogéniques, et le rétablissement
d’une homéostasie immunitaire par la transplantation de cel-
lules régulatrices.
Mots clés. Autoantigènes - Autoanticorps - Tolérance -
Mimétisme moléculaire - Maladie polygénique.
Autoantigen and antibodies - Tolerance - Molecular mimicry -
Differential genetic predisposition.
Remerciements – Les auteurs remercient le Pr Fernando Alva-
rez de ses suggestions et critiques.
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DOSSIER THÉMATIQUE
DQ DR A B 9 8 7 6 5 4 3 2
G1
LT βLT α1
MICB
B
C
HLA
BATTNFαB144BAT70BATA
HL C4 BF C2 HSP LST1
Classe IClasse IIIClasse II
TNF α et β
- 308
- 244
- 238
TNF δ
CEN
750 1 000 1 500 2 000 2 200 4 000 Kb
TEL
Figure 3. Région centrale du CMH.
La lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 5 - vol. VI - septembre-octobre 2003
182
DOSSIER THÉMATIQUE
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17. Jaeckel E. Animal models of autoimmune hepatitis. Semin Liver Dis. 2002 ;
22 : 325-37.
Lors de la remise des prix, le 6 octobre dernier, notre groupe de presse
a été primé dans plusieurs catégories de prix.
La Lettre de l’Hépato-gastroentérologue a remporté le 2eprix
dans la catégorie “initiative éditoriale” pour la qualité et l’originalité
de la présentation du numéro consacré aux “Données factuelles en Hépato-gastroentérologie”
coordonné par Yves Panis.
Un grand bravo et merci aux auteurs pour cette distinction.
* Syndicat National de la Presse Médicale et des professions de santé
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