En regardant récemment un reportage d'Al Jezira sur l'esclavage en Angleterre1, une réalité s'est
imposée à l'esprit. Indépendamment des choix éditoriaux de la chaîne qatarie peu portés à interroger
les pratiques en la matière dans les pays du Golfe, des calculs politiques plus ou moins tordus qui
peuvent présider au choix du cadre, il m'apparaissait comme une évidence que tous les esclaves
dont il était question dans ce reportage étaient des employés forcés, non rémunérés, c'est-à-dire des
esclaves qui travaillaient pour produire des marchandises à prix, des biens ou des services – en
l'occurrence, dans le reportage, du cannabis et du nettoyage de voiture – pour des patrons, c'est-à-
dire des propriétaires lucratifs. L'esclavagisme en Angleterre – qui concerne 30.000 personnes,
donc, toujours selon le reportage – frappe donc des secteurs de l'économie capitaliste. Il ne s'agit
pas de relations féodales, de liens liges ou de traces de l'ancien régime. Il s'agit d'entreprises avec
des profits, des investisseurs, des chiffres d'affaire, etc. Comme les esclaves des plantations qui
produisaient des marchandises à prix vendues selon des règles et des pratiques capitalistes, les
esclaves anglais actuels ne s'inscrivent que dans l'économie capitaliste.
Malheureusement, c'est, au fond, le programme, l'ambition de nos dirigeants actuels. Il faut réduire
les coûts salariaux, c'est-à-dire, en poussant peu à peu les choses à l'extrême, rétablir l'esclavage
sous des formes plus ou moins assumées. Nous y sommes déjà, en fait. Les entreprises avec des
esclaves sont en concurrence avec des entreprises avec des employés. Si les coûts de production
sont moindres avec des esclaves, le monde politique nous explique, au nom de la concurrence et de
la compétitivité, qu'il faut une modération salariale et un assouplissement du droit du travail. Peu à
peu, de réforme en réforme, sous la pression de la concurrence, c'est bien l'esclavage capitaliste qui
finit par s'imposer si l'on prolonge la tendance.
C'est que, depuis près de quarante ans maintenant en Europe, les politiques entendent préserver ou
restaurer le taux de profit des entreprises, le retour sur investissement des investisseurs en réduisant
peu à peu les droits sociaux du monde de l'emploi. Sous la pression d'un chômage de masse qui
ménage les intérêts des actionnaires, le temps de travail augmente, les heures supplémentaires ne
sont plus payées, les salaires stagnent ou diminuent et les statuts se précarisent. Là où une famille
de classe moyenne pouvait se contenter d'un salaire dans les années soixante, il lui en faut deux
aujourd'hui pour une qualité de vie comparable. Là où les conventions collectives et l'extension des
prestations sociales apportaient de solides garanties sur l'avenir, il faut compter aujourd'hui sur des
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