Amistad - frereolivier.fr

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Amistad
Spielberg
Dossier
pédagogique
un film de Steven
Centre culturel
Les Grignoux
■ Amistad de Steven Spielberg évoque un
épisode peu connu de l’histoire dramatique
de la traite des Noirs vers l’Amérique : en
1839, les captifs d’un bateau négrier se sont
révoltés contre leurs geôliers avant d’errer
plusieurs semaines en mer et d’échouer sur
les côtes américaines. Pour les autorités des
États-Unis se posa alors un véritable cassetête juridique : des esclaves avaient-ils le droit
de briser leurs chaînes et de massacrer leurs
oppresseurs ? Il s’ensuivra un étrange procès
avec des accusés qui ne parlaient évidemment pas l’anglais mais qui refusaient d’être
traités, comme le voulaient les esclavagistes,
comme des marchandises ou des animaux. Si
ce procès est pour Steven Spielberg l’occasion
d’un vigoureux plaidoyer pour les droits de
l’homme, le film montre également à travers
une série de séquences chocs quelle fut l’horrible réalité de la traite des esclaves.
Ce dossier consacré à Amistad propose
plusieurs animations autour du film, de ses
principaux thèmes et de son actualité.
■ Sommaire :
10 questions à propos d’Amistad
Esclavage et histoire
Donner son impression sur le film
Amistad ou le choc des cultures
Le Centre Culturel les Grignoux
et le C.T.L. - Liège
Michel Condé
Amistad
un film de Steven Spielberg
avec le soutien de la Ville de Liège
de la Région Wallonne
de la Communauté française de Belgique
et avec l’appui de l’Administration générale de l’Enseignement et de la Recherche
scientifique. Service général des Affaires générales, de la recherche en Éducation et du Pilotage interréseaux
Écran large sur tableau noir
« Écran large sur tableau noir » est une collection de dossiers pédagogiques, mais c’est aussi une programmation de films à destination du public des élèves et des enseignants.
Chaque année, les cinémas participant à « Écran large sur tableau noir » proposent, en matinées scolaires,
un vaste programme de films de qualité que les élèves, du maternel au supérieur, peuvent découvrir
pour un prix modique avec leurs professeurs. Ces films sont retenus à la fois pour leur caractère accessible à un large public d’enfants et d’adolescents et pour la richesse de leur mise en scène ou l’intérêt des
thèmes qu’ils abordent.
Les enseignants qui participent à ces matinées avec leurs élèves se voient remettre gratuitement un dossier
pédagogique « Écran large sur tableau noir » sur le film choisi.
Pour la saison 1998-99, les cinémas participant à « Écran large sur tableau noir » sont les suivants :
À Liège, les projections ont lieu au cinéma Le Parc, 22, rue Carpay, 4020 Liège-Droixhe ou au cinéma
Churchill, 20, rue du Mouton Blanc, 4000 Liège. Réservation et renseignements au 04 / 222 27 78.
À Amay, les projections ont lieu au cinéma Les Variétés, 2, rue Entre deux Tours, 4540 Amay. Réservation
et renseignements au Centre Culturel d’Amay au 085 / 31 24 46.
À Bruxelles, les projections ont lieu à l’Arenberg-Galeries, Galerie de la Reine, 26, 1000 Bruxelles. Réservation et renseignements au 02 / 511 65 15.
À Charleroi, les projections ont lieu au cinéma Paradiso, 4, place E. Buisset, 6000 Charleroi. Réservation
et renseignements au 071 / 31 44 80.
À Huy, les projections ont lieu au Centre Culturel de Huy, avenue Delchambre 7a, 4500 Huy. Réservation
et renseignements au 085 / 23 53 18.
À La Louvière, les projections ont lieu au cinéma Stuart, 16, rue Sylvain Guyaux, 7100 La Louvière.
Réservation et renseignements au Centre Culturel régional du Centre au 064 / 21 51 21.
À Namur, les projections ont lieu au cinéma Forum, rue du Belvédère, 41, 5000 Namur. Réservation et
renseignements au 081 / 73 64 69.
À Mons, les projections ont lieu au cinéma Plaza Art, 12, rue de Nimy, 7000 Mons. Réservation et renseignements au 065 / 35 15 44.
À Tournai, les projections ont lieu au Multiscope Palace, rue Hôpital Notre-Dame, 7500 Tournai. Réservation et renseignements à la Maison de la Culture (Bruno Delmotte : primaire; Jean-Marie Lefebvre :
secondaire) au 069 / 22 13 21.
« Écran large sur tableau noir » est une manifestation organisée par le centre culturel Les Grignoux
(Liège).
© Les Grignoux, 1999
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tout pays.
D / 1999 / 6039 / 01
Écran large sur tableau noir
Présentation
© Les Grignoux, 1999
Ce dossier consacré à Amistad de Steven Spielberg propose plusieurs animations
autour du film lui-même et de son thème principal, l’esclavage.
Les premières animations porteront sur la compréhension du film qui met en
scène une situation historique révolue dont il n’est pas sûr que les jeunes spectateurs
saisissent avec exactitude toutes les composantes. Plusieurs questionnaires devraient
permettre de vérifier la bonne compréhension des participants tout en leur apportant quelques informations complémentaires. On leur donnera en outre l’occasion
d’exprimer leur avis sur le film en se basant sur une liste d’arguments plus ou moins
élaborés avec lesquels chacun marquera son accord ou son désaccord.
Les autres animations porteront sur le grand thème du film, à savoir l’esclavage.
Les élèves seront invités à mener une recherche historique et sociologique sur les
différentes formes d’esclavage hier et aujourd’hui, afin notamment de mettre en évidence la spécificité de la traite négrière vers l’Amérique dont parle le film de Spielberg
et dont les traces sont encore présentes aux États-Unis aujourd’hui.
Écran large sur tableau noir
Comprendre le film
Avant la projection
Steven Spielberg a conçu son film, Amistad 1, de manière volontairement pédagogique, et celui-ci ne demande donc pas de préparation particulière. Le seul élément
qui mérite peut-être un éclaircissement est la différence entre la traite et l’esclavage.
Bien que les deux aillent souvent de pair, il faut rappeler que la traite désigne la mise
en esclavage forcée et le transport de ces esclaves en un autre lieu (un autre continent
dans le cas des Noirs d’Afrique), tandis que l’esclavage désigne bien évidemment la
condition de ces individus devenus légalement la propriété d’autres individus. Cette
distinction joue, on le verra, un rôle essentiel dans le film.
1. Conformément à
l’usage, on écrira Amistad
en italiques pour désigner
le film de Steven Spielberg, tandis qu’Amistad en
caractères droits désignera
le bateau négrier mis en
scène dans le film.
Après la projection
© Les Grignoux, 1999
Le film de Steven Spielberg, Amistad, se déroule dans un contexte historique très
particulier, à un moment où la traite est interdite mais où l’esclavage est toujours légal
aux États-Unis. Il faut également savoir qu’à cette époque, Cuba était une colonie de
l’Espagne, ce qui explique l’intervention de la reine Isabelle II. Par ailleurs, plusieurs
intervenants dans cette histoire — notamment les propriétaires des esclaves — ont
intérêt à mentir et à cacher en particulier l’origine de ces esclaves. Enfin, certains événements du film, racontés a posteriori, ne trouvent leur explication que tardivement
dans les propos d’un personnage secondaire.
Tout cela est sans doute expliqué ou montré dans le film mais parfois de manière
allusive, et l’enseignant aura intérêt à vérifier la bonne compréhension des jeunes
spectateurs en leur soumettant le questionnaire de la page suivante qui passe en revue
les principaux points pouvant poser problème. Pour que ce questionnaire ne soit pas
perçu simplement comme une interrogation à sens unique (« Avez-vous bien tout
compris ? »), on pourra leur remettre pour finir les réponses qui apportent plusieurs
compléments d’information historique.
Écran large sur tableau noir
© Les Grignoux, 1999
Dix questions à propos d’Amistad de Steven Spielberg
1. Les mutins de l’Amistad ont abordé finalement :
❏ dans le nord des États-Unis;
❏ dans le sud des États-Unis;
❏ dans une région des États-Unis sous domination britannique.
2. Aux États-Unis au moment de l’affaire de l’Amistad,
❏ la traite et l’esclavage étaient autorisés;
❏ la traite était interdite, et l’esclavage aboli dans un certain nombre d’États seulement;
❏ la traite était interdite mais l’esclavage autorisé dans tous les États.
3. Pourquoi la reine Isabelle II d’Espagne intervient-elle dans le procès de l’Amistad ?
❏ Elle est la propriétaire des esclaves.
❏ Cuba étant un pays indépendant, l’Amistad est bien un bateau cubain et non pas espagnol, mais Don
Pedro Montez et Don José Ruiz, propriétaires des esclaves étaient espagnols (le capitaine cubain du
navire ayant lui été assassiné par les mutins).
❏ L’Amistad est un bateau espagnol, Cuba étant alors une colonie espagnole.
4. Cinque et ses compagnons ont été transportés d’Afrique vers l’Amérique sur :
❏ l’Amistad;
❏ le Tecora;
❏ un autre bateau.
5. Pourquoi les marins du bateau esclavagiste ont-ils précipité des Noirs à la mer ?
❏ Par cruauté, par sadisme, pour terroriser les Noirs et empêcher toute révolte.
❏ Ils étaient poursuivis par un navire britannique.
❏ Ils avaient prévu trop peu de nourriture pour la longueur du voyage.
6. Quelle est la base de la défense des Noirs révoltés de l’Amistad lors des deux premiers procès ?
❏ La traite des Noirs étant interdite, on ne pouvait enlever de force Cinque et ses compagnons.
❏ L’esclavage est contraire aux droits de l’Homme, et donc Cinque et ses compagnons sont des hommes
libres.
❏ L’esclavage ayant été aboli dans le nord des États-Unis, Cinque et ses compagnons doivent retrouver
la liberté.
7. Pourquoi John Quincy Adams n’accepte-t-il pas immédiatement de défendre les Noirs de l’Amistad ?
❏ Il considère que l’affaire n’est pas assez importante pour qu’il s’en occupe.
❏ Il pense qu’une argumentation purement commerciale est à ce moment plus judicieuse.
❏ Il est trop vieux pour s’occuper de cette affaire.
8. Pourquoi le président Van Buren nomme-t-il un nouveau juge et fait-il recommencer le procès ?
❏ Il est partisan de l’esclavage et ne supporte pas que des esclaves révoltés puissent être libérés.
❏ Il craint la réaction négative des États du Sud.
❏ Il redoute la réaction négative de l’Espagne qui était alors la troisième puissance mondiale (après
l’Angleterre et la France).
9. Que prouve le cahier saisi sur l’Amistad ?
❏ Les esclaves de l’Amistad n’ont jamais séjourné à Cuba.
❏ L’Amistad a saisi des esclaves sur la côte africaine.
❏ Les esclaves de l’Amistad ne sont pas nés à Cuba mais en Afrique.
❏ L’Amistad est en fait le Tecora maquillé.
10. Quelle est l’argumentation du sénateur sudiste John Calhoun lors de la réception donnée par le président ?
❏ Les Noirs sont des êtres inférieurs qu’il est légitime de maintenir en esclavage.
❏ Moins riches que les États du Sud, les États du Nord veulent, par jalousie, l’abolition de l’esclavage.
❏ Plus riches que les États du Sud, ceux du Nord considèrent les gens du Sud comme immoraux et
inférieurs et sont prêts à les ruiner en abolissant l’esclavage.
Écran large sur tableau noir
Quelques éléments de réponse
1. L’Amistad a abordé dans le nord des États-Unis à l’extrémité est de Long Island, une île voisine (par
l’ouest) de Manhattan. Mais Gedney, le capitaine du bateau américain qui arraisonna l’Amistad, préféra
le remorquer vers New Haven dans le Connecticut, légèrement au nord, parce que l’esclavage n’était pas
encore aboli dans cet État (même si les esclaves y étaient peu nombreux), ce qui était le cas en revanche à
New York. Il espérait ainsi que les Noirs seraient plus facilement reconnus comme esclaves et qu’il pourrait
en retirer une prime pour son « sauvetage ».
Le voyage de l’Amistad est reproduit (approximativement) sur la carte ci-dessous.
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2. À cette époque, la traite était interdite aux États-Unis, mais l’esclavage encore pratiqué dans de
nombreux États du sud du pays. Cela signifiait que les nouveaux esclaves étaient supposés être des enfants
d’esclaves. Dans les faits, la demande était telle que la reproduction naturelle des esclaves (qui fut parfois
pratiquée dans de véritables « haras ») était insuffisante et que la traite continuait illégalement. L’interdiction de la traite a eu cependant pour effet que les propriétaires d’esclaves dans le Sud des États-Unis ont
généralement mieux pris soin d’eux pour éviter qu’une mortalité trop élevée ne les prive définitivement de
cette main-d’œuvre servile.
3. Cuba était à cette époque une colonie espagnole, et l’Amistad et ses passagers étaient considérés
comme espagnols.
© Les Grignoux, 1999
4. Le Tecora était en fait un navire battant pavillon portugais, car l’Espagne avait signé en 1817 un
traité avec la Grande-Bretagne interdisant l’importation d’esclaves en provenance d’Afrique. Mais l’Espagne
n’avait pas réellement l’intention de respecter ce traité (qui lui avait été imposé par la Grande-Bretagne) et
ne faisait rien pour empêcher la traite. Les négriers utilisaient alors des pavillons de complaisance comme
celui du Portugal. L’Amistad était, quant à lui, un bateau beaucoup plus petit qui n’était pas fait pour traverser l’Atlantique : il devait seulement servir à transporter les esclaves de La Havane (à Cuba) à un autre
point de l’île (voir la carte ci-dessous).
5. Comme l’explique l’officier britannique chargé de réprimer la traite, ce n’est pas par cruauté (même
s’il fallait une bonne dose de cruauté pour agir de cette façon) que les négriers du Tecora ont jeté une
partie des esclaves à la mer mais parce qu’ils avaient mal calculé la quantité de nourriture nécessaire à leur
cargaison humaine (ou bien la durée de la traversée qui durait à cette époque environ deux mois mais que
le manque de vent pouvait considérablement allonger). Mais il est également arrivé que des négriers jettent
leurs captifs à la mer lorsqu’ils étaient poursuivis par la marine britannique chargée de réprimer la traite des
esclaves. Il faut savoir que la Grande-Bretagne fut à la pointe du combat antiesclavagiste, même si, comme,
beaucoup d’autres pays européens, il y avait des esclaves dans ses colonies : c’est en 1807 que la Grande
Écran large sur tableau noir
Bretagne abolit la traite, mais ce n’est qu’en 1833 que le Parlement vota une loi d’émancipation qui devait
permettre de libérer les esclaves (dans les colonies britanniques) dans un délai de cinq ans. Par ailleurs, la
Grande-Bretagne incita d’autres pays comme l’Espagne à signer des traités interdisant la traite.
6. Pour plaider en justice, il faut nécessairement faire appel à des principes, à des lois qui sont déjà
établies : les défenseurs de Cinque et de ses compagnons ne pouvaient donc pas faire appel aux principes
des droits de l’Homme dont aucune convention n’avait été signée par les États-Unis à cette époque (la
Déclaration universelle des droits de l’Homme date de 1948). Par ailleurs, si les esclaves fuyant le sud des
États-Unis trouvaient la liberté en arrivant dans le Nord (on a signalé cependant au point 1 que le Connecticut était encore à l’époque un État esclavagiste), l’accusation portait sur des actes de « mutinerie », de
« piraterie » et d’assassinat qui étaient punissables quel que soit le statut des accusés au moment des faits
(un esclave pouvait fuir mais non assassiner ses maîtres). La défense des révoltés de l’Amistad a donc porté
sur l’infraction commise à l’égard de Cinque et de ses compagnons, à savoir la traite, la mise en esclavage
forcée qui alors était seule interdite (même si ce n’est pas évoqué dans le film, on signalera que l’accusation
a essayé de démontrer que Cinque et ses compagnons avaient été mis en esclavage en Afrique même par
des Africains, et qu’ils étaient donc esclaves lorsqu’ils ont été embarqués sur le Tecora puis l’Amistad, ce
qui aurait permis de lever l’objection de la traite forcée). Enfin, si devant la Cour Suprême, John Quincy
Adams évoque les grands principes de la Déclaration d’Indépendance (qui affirmait notamment que« tous
les hommes sont créés égaux » et qu’ils sont « dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la vie,
la liberté et la recherche du bonheur »), cette Déclaration n’a pas empêché que l’esclavage ne subsiste aux
États-Unis jusqu’à la guerre de Sécession. Il faudra d’ailleurs ajouter un amendement à la Constitution pour
que l’esclavage puisse être aboli d’un point de vue juridique.
7. Dans le film, John Quincy Adams répond à ses solliciteurs (dans le jardinet aux abords du Capitole)
qu’ils doivent « viser plus bas ». Ces paroles sont sans doute à double sens : soit ils doivent s’adresser à
un défenseur moins prestigieux que lui (ce qu’ils feront à la scène suivante), soit ils doivent recourir à une
argumentation basée non pas sur des grands principes généraux (hostiles à l’esclavage) mais sur des lois
plus précises mais clairement établies. Ce que fera l’avocat commercial Roger Baldwin lorsqu’il cherchera
à prouver que Cinque et ses compagnons ne sont pas des esclaves au sens juridique du terme puisqu’ils ont
été victimes de la traite illégale, ce qui revient tout de même à accepter — au moins temporairement — que
l’esclavage soit une chose légale. On peut donc supposer que, dans le film, John Quincy Adams pense qu’à
ce stade de la procédure, une argumentation « commerciale », purement juridique, sans recours aux grands
principes est la plus judicieuse. Dans les faits, il semblerait qu’il fut néanmoins associé très tôt à la défense
des mutins de l’Amistad, même s’il fut tenu en réserve jusqu’à l’appel devant la Cour Suprême.
© Les Grignoux, 1999
8. Rien n’est dit dans le film des opinions esclavagistes ou antiesclavagistes du président Van Buren : en
revanche, on évoque à plusieurs reprises les pressions exercées par les politiciens du Sud qui redoutaient
qu’une décision favorable aux mutins de l’Amistad constitue une nouvelle étape vers l’abolition de l’esclavage.
Van Buren, en pleine campagne pour sa réélection, craignait donc de mécontenter les électeurs sudistes
alors que, dans l’ensemble de l’opinion publique américaine (Nord et Sud confondus), les antiesclavagistes
restaient minoritaires. Le président se moque en revanche des demandes de la reine d’Espagne qu’il traite
notamment de « gamine prépubescente ». Dans les faits cependant, il semble que les pressions exercées
par ce pays (qui était alors une puissance mondiale) aient joué un rôle non négligeable (bien qu’en fin de
compte inefficace) dans cette affaire.
9. Dans le film, ce cahier est un morceau du carnet de bord du Tecora sur lequel on a inscrit le nom
africain des captifs auquel on a grossièrement ajouté ensuite (à Cuba) un nom espagnol. Ce carnet a ensuite
été utilisé pour l’embarquement de l’Amistad. Comme document, il montre indirectement que les esclaves
de l’Amistad ont été embarqués de force sur les côtes africaines puis transférés sur l’Amistad à Cuba.
10. À aucun moment, John Calhoun ne parle des droits des Noirs ni de leur situation, comme si c’était
une chose qui ne se discute même pas. Il compare seulement la situation des Blancs du Sud à celle de ceux
du Nord : riche, prospère (c’est le début de la révolution industrielle), le Nord n’a pas besoin d’esclaves; en
revanche, le Sud agricole a besoin d’une main-d’œuvre servile essentiellement pour ses plantations et craint
donc de s’appauvrir si l’on abolit l’esclavage.
Écran large sur tableau noir
L’affaire de l’Amistad
dans son contexte historique
L’histoire de l’Amistad ne peut évidemment pas se comprendre en dehors de
son contexte historique particulier et a d’ailleurs été retenue par Steven Spielberg
et ses scénaristes parce qu’elle constitue une étape importante dans le mouvement
général d’émancipation des Noirs américains. Même si le film peut susciter certaines
critiques — en 1839, dans le Connecticut, État encore esclavagiste, jamais un Noir
comme Theodore Joadson (interprété par Morgan Freeman) n’aurait pu s’asseoir
dans un restaurant avec deux Blancs, l’avocat Roger Baldwin et l’abolitionniste Lewis
Tappan 1 — et s’il est parfois caricatural (par exemple dans le portrait d’Isabelle II),
il montre bien la complexité d’une situation où interviennent de nombreux acteurs
historiques confrontés à des exigences multiples : le président Van Buren par exemple,
dont on ne connaîtra jamais les opinions sur l’esclavage, est ainsi prêt à renvoyer les
mutins de l’Amistad à Cuba (où ils seront certainement mis à mort), juste pour ne
pas déplaire à ses électeurs sudistes. Ainsi, tous les événements montrés dans Amistad
ne doivent pas être compris comme des faits isolés mais comme étant liés entre eux
par des relations « logiques » qui peuvent être plus ou moins facilement mises en
évidence : si Van Buren n’avait pas été en campagne électorale au moment de cette
affaire, il aurait peut-être agi d’une tout autre manière.
C’est à un tel exercice de reconstruction logique d’une chronologie que nous
souhaiterions inviter à présent les spectateurs d’Amistad. Pour qui a vu le film, il est
évident par exemple que la guerre de Sécession, qui a mis fin à l’esclavage aux ÉtatsUnis, a dû se dérouler après l’affaire de l’Amistad puisqu’à ce moment, l’esclavage
était encore légal dans certains états américains. Dans l’exercice qui suit, il faudra
situer sur un axe temporel huit événements évoqués plus ou moins directement dans
le film sans recourir à des informations extérieures mais en se basant uniquement
sur le raisonnement. Pour chaque événement, une seule des dates proposées est en
effet logiquement possible.
À la fin de l’exercice, on pourra donner le corrigé qui se trouve aux pages 10 et 11
et qui apporte quelques informations historiques complémentaires.
© Les Grignoux, 1999
1. La remarque a été faite
par David Pesci, auteur de
Amistad. A Novel. Marlowe & Co., 1997.
Écran large sur tableau noir
Un exercice de chronologie
L’arraisonnement de l’Amistad par la marine américaine eut lieu en 1839 et le procès devant la Cour
Suprême des États-Unis se termina en 1841.
Voici huit épisodes historiques, liés directement ou indirectement à l’histoire de l’Amistad : pour chacun
d’entre eux, trois dates sont proposées. En vous basant sur les informations fournies par le film de Steven
Spielberg, essayez de déterminer quelle est la date correcte de chacun de ces épisodes. Pour faciliter ce
travail, vous pouvez situer les différents épisodes sur une ligne du temps. (Remarquez que ces épisodes ne
sont pas nécessairement donnés dans l’ordre chronologique).
A. L’esclavage est aboli à Cuba en :
1796
1836
1886
B. Van Buren, 8e président des États-Unis de :
1827 à 1831
1837 à 1841
1837 à 1845
C. John Quincy Adams, 6e président des États-Unis de :
1797 à 1801
1825 à 1829
1833 à 1837
D. John Adams, (père du précédent), 2e président des États-Unis de :
1771 à 1775
1797 à 1801
1825 à 1829
E. La guerre d’Indépendance (qui permit aux États-Unis de devenir indépendants par rapport à la GrandeBretagne) dura de :
1775 à 1782
1795 à 1802
1811 à 1815
F. Le Congrès américain interdit la traite des esclaves en :
1808
1840
1848
G. La guerre de Sécession entre le Nord et le Sud des États-Unis (qui mit fin à l’esclavage) dura de : 1831-1835
1841-1845
1861-1865
H. Cuba resta une colonie de l’Espagne jusqu’en :
1798
1838
© Les Grignoux, 1999
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1898
1770
1780
1790
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1850
1860
1870
1880
1890
1900
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© Les Grignoux, 1999
Réponses et commentaires
A. 1886.
Pour décider de cette date, il faut reconstituer l’histoire de Cinque telle qu’elle est racontée, sous forme
de retours en arrière (flashes back en anglais), dans Amistad. Faits prisonniers en Afrique, Cinque et ses
compagnons sont emmenés à bord d’un navire négrier, la Tecora, qui traverse l’Atlantique et qui les dépose à
Cuba où ils sont vendus sur un marché d’esclaves. Ils seront ensuite emmenés sur un autre bateau, beaucoup
plus petit, l’Amistad, où ils vont se révolter et dont ils prendront temporairement le commandement.
À cette époque, Cuba est donc clairement désigné comme un pays esclavagiste, tolérant la traite des
Noirs. La seule date possible pour l’abolition de l’esclavage à Cuba est donc postérieure à l’histoire de
l’Amistad, c’est-à-dire en 1886.
On remarquera le caractère tardif de cette abolition. Cuba, colonie espagnole, fut un des derniers pays
d’Amérique avec le Brésil (en 1888) à abolir l’esclavage. (Cette abolition intervint dès 1829 au Mexique,
en 1848 dans les colonies françaises, 1851 en Colombie, 1854 au Venezuela, 1862 aux États-Unis).
B. 1837 à 1841.
Van Buren était président au moment de l’affaire de l’Amistad. Comme le raconte le film, il ne fut pas
réélu et sa présidence ne dura donc que quatre ans.
C. 1825 à 1829.
John Quincy Adams, 6e président, n’a pas pu précéder immédiatement Van Buren, 8e président dont nous
savons qu’il exerça ce poste de 1837 à 1841 (voir point précédent). La date vraisemblable de sa présidence
est donc de 1825 à 1829, même si on ne peut pas totalement exclure la date de 1797 à 1801.
D. 1797 à 1801.
Ce personnage n’apparaît pas dans le film (sauf sous forme d’une statue !) mais est évoqué à plusieurs
reprises par différents personnages dont son fils, John Quincy Adams, lors de sa plaidoirie devant la Cour
suprême. Il faut donc déduire les dates de sa présidence de celles de son fils. Il n’a pas pu être président en
même temps que celui-ci : on peut donc rejeter la date de 1825 à 1829. Il ne peut pas non plus avoir été
président les années 1771 à 1775 qui sont antérieures aux premières dates proposées pour l’Indépendance
américaine (point E).
E. 1775 à 1782.
Cette guerre n’a pu avoir lieu qu’avant la présidence de John Adams (le père!), deuxième président des
États-Unis. Donc avant 1787.
F. 1808.
Toute l’argumentation de l’avocat dans Amistad repose sur l’interdiction de la traite (ce qui ne signifiait
pas la fin de l’esclavage) : cette interdiction a donc été décrétée avant 1839.
G. 1861 à 1865.
La guerre de Sécession eut pour cause (même si cette cause ne fut pas unique) la volonté des États du
Nord de mettre fin à l’esclavage. Or celui-ci était encore pleinement d’actualité dans le sud des États-Unis
lors de l’affaire de l’Amistad. Cette guerre, brièvement évoquée en images dans le film, se situe donc après
1841. Mais elle ne fut pas une conséquence immédiate de l’affaire de l’Amistad : les dates les plus vraisemblables sont donc les dates tardives.
H. 1898.
La reine d’Espagne Isabelle II n’intervient dans l’affaire de l’Amistad que parce que Cuba est une colonie
espagnole et que les deux armateurs du bateau sont de ce fait des Espagnols. La seule date possible pour
l’indépendance de Cuba est donc postérieure à 1839.
Une première insurrection eut lieu en 1868 mais fut réprimée. Une deuxième guerre d’indépendance
commença en 1895 mais fut interrompue par la guerre entre l’Espagne et les États-Unis. À l’issue de celleci, l’île de Cuba fut déclarée indépendante mais devint pratiquement un protectorat des États-Unis jusqu’à
la révolution menée par Fidel Castro en 1959.
Tout ceci est synthétisé sur le schéma à la page suivante.
10
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© Les Grignoux, 1999
1770
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Donner son avis sur le film
© Les Grignoux, 1999
Après la vision d’un film, chaque spectateur a sans doute une opinion, positive
ou négative, à donner. Mais ces appréciations restent habituellement très générales,
et il est souvent difficile, notamment pour de jeunes spectateurs, de développer leur
opinion, de l’argumenter et de la justifier de manière approfondie.
Pour faciliter une telle expression et permettre un échange plus fructueux entre
spectateurs, l’enseignant pourrait alors leur soumettre une série d’arguments plus ou
moins élaborés auxquels ils n’auraient sans doute pas pensé par eux-mêmes mais qu’ils
sont néanmoins capables de comprendre et de juger. On trouvera ci-dessous une telle
liste, comprenant cinq opinions positives et cinq opinions négatives accompagnées
d’autant d’échelles d’évaluation, l’ensemble du questionnaire devant convenir à des
adolescents à partir de quatorze ans environ. Les élèves pourraient alors y répondre
individuellement avant de confronter, de préférence en petits groupes, leurs diverses
réponses.
Si la classe dispose d’un ordinateur, les réponses pourraient être encodées (grâce
à une application de base de données ou à un tableur), ce qui permettra de calculer
la moyenne de chaque réponse (et donc l’adhésion plus ou moins forte du groupe à
chaque item) ainsi que l’écart-type, c’est-à-dire la dispersion des opinions par rapport
à chaque item (plus cet écart est grand, plus l’opinion du groupe est divergente : on
repère ainsi les items autour desquels la classe se divise).
On peut ainsi espérer obtenir une discussion entre les membres qui soit plus argumentée et plus fructueuse. Cette démarche proposée autour du film de Spielberg
peut bien sûr être utilisée à propos d’autres films ou d’autres œuvres artistiques. L’enseignant ou l’animateur aura cependant toujours avantage à construire sa propre liste
d’arguments adaptés au niveau de sa classe ou de son groupe plutôt que de recourir
à des textes critiques professionnels, reposant le plus souvent sur des partis pris, des
réflexions implicites, des jugements de valeur sous-entendus qui échappent à de jeunes
spectateurs (même si ces textes peuvent bien sûr inspirer cette liste).
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Écran large sur tableau noir
Mon opinion à propos d’Amistad
Voici différentes opinions concernant Amistad de Steven Spielberg. Lisez-les attentivement puis marquez sur l’échelle graduée (de 1 à 5) en dessous de chaque opinion si vous êtes tout à fait d’accord avec cette
opinion, plutôt d’accord, ni en accord ni en désaccord, plutôt en désaccord ou totalement en désaccord.
Essayez également de trouver d’autres exemples qui justifient votre propre avis.
A. Amistad est un film important car il évoque une page d’histoire souvent méconnue et nous rappelle
les souffrances de tous les Africains qui ont été réduits malgré eux en esclavage.
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
B. Amistad n’apporte rien de neuf sur un sujet — l’esclavage — dont on connaît déjà l’essentiel. En traitant d’un sujet dépassé, il évite en fait d’aborder des problèmes actuels beaucoup plus brûlants et beaucoup
plus controversés (par exemple la situation des Noirs aujourd’hui aux États-Unis).
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
C. Le film est ennuyeux à cause de ces procès à répétition qui répètent toujours la même chose.
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
D. Le film est bien construit car chaque procès aborde un thème nouveau. Le premier permet à l’avocat de prouver, grâce au livre de bord, que les captifs ont été saisis sur les côtes africaines. Le deuxième
est dominé par le récit dramatique de Cinque qui raconte la traversée du Tecora et qui convaincra ainsi
certainement le juge de sa bonne foi. Le troisième enfin n’évoque plus les faits mais les grands principes de
liberté et d’égalité qui justifient la révolte de Cinque et de ses compagnons.
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
E. Le film est réaliste et bien documenté : il nous permet de découvrir une époque révolue, différente de
la nôtre, avec des personnages ayant chacun leur personnalité et leur intérêts propres. Il montre par exemple
très bien l’ambivalence d’un personnage comme le président Van Buren qui, sans être esclavagiste, craint
cependant de perdre les voix de ses électeurs sudistes.
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
F. C’est un film sans surprise et sans grand intérêt dramatique : on ne peut être que du côté des accusés
et on attend seulement que leur innocence soit reconnue. Il n’y a pas d’enjeu, pas de véritable question
— dès le début, on sait qu’ils viennent d’Afrique et qu’ils avaient le droit de se révolter —, pas d’incertitude
qui provoquerait de fortes attentes.
© Les Grignoux, 1999
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
G. Alors que, dans beaucoup de films, les problèmes de communication sont résolus de manière artificielle — il y a toujours un indigène qui parle anglais ou français —, ces problèmes sont montrés de manière
crédible dans Amistad : l’avocat ne comprend rien à ce que lui disent les Noirs dans la cour de la prison, et
le linguiste qui l’accompagne prétendument compétent n’en sait pas plus que lui… Il faudra aux défenseurs
de longues recherches pour trouver un traducteur réellement compétent.
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
H. L’image chez Spielberg n’est pas réaliste, elle est trop léchée, esthétisée, même dans les moments les
13
Écran large sur tableau noir
plus dramatiques : dans la première séquence du film par exemple, la lumière bleutée, le gros plan sur les
yeux de Cinque, les gouttes de sueur brillant comme des perles, le souffle rauque dramatiquement accentué
laissent deviner un important travail de mise en scène (une lumière élaborée, une photographie recherchée,
un découpage minutieux… ) qui nuit finalement à la crédibilité de l’histoire. Ainsi encore, quand on voit
les captifs en haillons dans les rues de New Haven, l’on n’a ni froid ni peur et l’on n’oublie à aucun moment
que ce sont des acteurs qui défilent à l’écran.
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
I. Spielberg accentue l’aspect manichéen de son histoire jusqu’à la caricature : les accusés soudainement
tout de blanc vêtus apparaissent comme des enfants de chœur, le compagnon de Cinque qui déchiffre tout
seul les images de la Bible et qui reconstitue ainsi l’histoire du Christ est totalement invraisemblable, les
dialogues entre Cinque et John Quincy Adams dans la dernière partie du film, pleins de grandes paroles
et de bons sentiments, sonnent de manière artificielle.
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
J. Sur un sujet en fait aride — un procès long et complexe —, Spielberg réussit a faire un film vivant et
dynamique en alternant de manière inattendue moments forts et moments faibles, émotions et réflexions,
séquences informatives et séquences spectaculaires, rire et larmes, ironie et grands sentiments. Par exemple, la séquence dramatique où les captifs de l’Amistad sont enfermés dans la prison de New Haven est
immédiatement suivie de celle où l’on découvre pour la première fois la reine d’Espagne en train de jouer
à la poupée; le récit terrifiant par Cinque de la traversée du Tecora (récit mis en images) est suivi par l’intervention apparemment froide et distanciée de l’officier de marine britannique d’un flegme absolu qui,
par contraste, renforce le caractère dramatique de ses propos : au même moment, la caméra nous révèle le
malaise de Cinque qui soudain se lève et crie qu’on lui rende la liberté. C’est toute l’habileté de Spielberg de
montrer plusieurs choses en même temps, de passer en une seconde d’un sujet à l’autre, de faire progresser
plusieurs histoires en même temps (les abolitionnistes et John Quincy Adams, le groupe d’esclaves, Baldwin
l’avocat et Cinque, le président Van Buren, le reine d’Espagne… )
tout à fait d’accord
1
2
3
4
5
pas du tout d’accord
© Les Grignoux, 1999
Avez-vous une autre opinion à exprimer sur le film de Steven Spielberg, Amistad :
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Écran large sur tableau noir
Analyser une séquence d’Amistad
Il est clair que la mise en scène de Steven Spielberg produit une série d’effets ou
d’impressions chez le spectateur que d’autres choix de réalisation ou que l’utilisation
d’un autre moyen d’expression (le récit littéraire par exemple) ne susciteraient sans
doute pas. Comment cependant peut-on objectiver ces impressions ? Comment
peut-on analyser cette composante subjective qui résulte de la mise en scène cinématographique ?
Nous proposons ici un petit exercice de réflexion imaginaire qui consiste à envisager
par l’esprit d’autres choix de mise en scène que ceux de Spielberg et à essayer de déterminer par cette comparaison l’effet propre dû à cette mise en scène. Cette démarche
est en son principe similaire à celle du cinéaste qui expérimente, en particulier au
stade du montage 1, différents choix de réalisation, raccourcissant ou allongeant tel
plan, inversant l’ordre des plans ou des séquences, coupant un plan ou une séquence
par un plan ou une séquence supplémentaire. Seule cette expérimentation permet
le plus souvent au réalisateur de juger de l’effet réellement produit, de l’impression
qu’il veut susciter chez le spectateur.
Dans cet exercice, on s’attachera à une seule scène, sans doute la plus dramatique,
du film de Spielberg, mais, si ce questionnaire rencontre l’intérêt des jeunes spectateurs, on peut en transposer le principe de variation imaginaire à d’autres séquences
ou à d’autres films.
1. Le montage consiste à
assembler, à mettre bout
à bout les différents plans
qui ont tournés lors de la
prise de vues. Le monteur
aidé du réalisateur choisit
les meilleures prises, coupe
les images jugées inutiles,
ordonne les différents
plans, modifie parfois
l’ordre initialement prévu.
Le montage son consiste
à ajouter à la bande-image
paroles, bruits et musique.
Une séquence particulièrement dramatique
© Les Grignoux, 1999
Dans Amistad, une séquence vous a sans doute particulièrement frappé(e), celle où un groupe de captifs
embarqués sur le Tecora sont brutalement jetés à la mer par les marins et entraînés vers le fond par
le lest auquel on les a accrochés. Essayez d’imaginer cette séquence mise en scène d’une autre manière :
aurait-elle produit le même effet ? Voici quelques suggestions d’autres mises en scène possibles : à votre avis,
l’impression que vous avez ressentie à la vision de cette séquence d’Amistad aurait-elle été la même ?
Est-ce que cette séquence aurait produit le même effet si elle avait seulement été racontée par Cinque
sans être mise en images ?
❏ Oui, car le récit de Cinque est en lui-même suffisamment terrifiant.
❏ Non parce que le récit aurait sans doute été plus bref tandis que, dans la séquence telle qu’elle est filmée,
on sent la tension qui monte lorsque que les marins refusent de donner à manger à certains captifs puis
lorsqu’on les voit préparer le filet rempli de pierres et de boulets : on devine qu’il va se passer quelque
chose mais on ne sait pas quoi.
❏ Non parce que les images donnent toute une série de détails qu’un récit aurait nécessairement négligés :
quand on voit la scène, on comprend intuitivement qu’il n’y a rien à faire, que les esclaves ne peuvent
rien faire pour s’échapper, qu’ils ont été piégés de la plus horrible des façons. Et nous-mêmes, nous nous
sentons piégés par les images sans pouvoir intervenir dans ce qui est montré. Dans un récit raconté en
paroles, on se serait demandé pourquoi ils ne sont pas révoltés, comment ils ne se sont doutés de rien,
comment on a pu les pousser à l’eau, etc.
❏ Autre réponse :
15
Écran large sur tableau noir
Est-ce que cette séquence aurait eu le même impact si elle avait été placée au début du film ?
❏ Oui sans doute.
❏ Non, parce qu’à ce moment, on connaît mieux Cinque et ses compagnons, et on est beaucoup plus
affecté par ce qui leur arrive.
❏ Non, parce qu’elle survient à un moment où il ne se passe plus rien de spectaculaire dans le film. On est
en plein procès, on ne s’attend qu’à des débats ou à des interrogatoires, et cette séquence surgit, horrible
et terrifiante.
❏ Autre réponse :
Cette séquence a été inventée par les scénaristes du film (car on n’a aucun document sur la traversée),
même si elle est basée sur des faits avérés mais qui se sont passés sur d’autres navires que le Tecora. Est-ce
que cette séquence aurait produit un effet différent si les captifs noyés avaient été par exemple dévorés par
les requins (comme cela est également arrivé lors de certains voyages négriers) ?
❏ Non, ça aurait été aussi horrible.
❏ Oui, ça aurait provoqué une autre impression, plus proche de celle des films d’horreur. Ici, on est confronté
à une violence pure, à la mort brute sans effet spectaculaire (du sang, des corps déchiquetés… ). C’est
une séquence qui nous glace d’effroi, sans nous horrifier.
❏ Ce serait devenu complètement insoutenable.
❏ Autre réponse :
© Les Grignoux, 1999
L’ensemble de cette séquence est extrêmement découpée, c’est-à-dire qu’elle se fait succéder des plans
très brefs, gros plans (sur le filet rempli de pierres, sur la chaîne entassée qui commence à se dérouler, sur
les pieds glissant sur le pont savonné, sur un corps tombant dans l’eau…), plans d’ensemble montrant tous
les personnages sur le pont, plans moyens sur l’un ou l’autre personnage (une femme captive qui essaie
de se raccrocher à un marin qui la rejette à la mer)… Àvotre avis, est-ce que l’effet aurait été différent si la
séquence avait été montrée d’un seul point de vue, par exemple de l’extérieur du bateau sans multiplier les
plans, rapprochés, éloignés, de l’intérieur, de l’extérieur, de gauche, de droite, d’en haut etc. ?
❏ Non, en gros l’effet aurait été le même.
❏ Oui, car l’effet aurait été moins fort. Ici, chaque plan est dramatique, ajoute un élément d’information
qui concourt à l’émotion produite par la scène. En découvrant la chaîne qui se déroule, on pressent
que des captifs sont attachés à l’autre bout; en voyant les pieds qui glissent sur le pont, on comprend
que le pont a été rendu artificiellement glissant; en montrant cette femme qui essaie de se raccrocher
à un marin qui la repousse, le réalisateur accentue encore la dureté de ces hommes, leur cruauté et, en
contrecoup, l’effroi que nous ressentons devant l’ensemble de la scène.
❏ La scène aurait été aussi horrible mais beaucoup plus glaciale. Le spectateur s’identifierait moins aux
captifs (dont on verrait à peine les visages) et s’interrogerait beaucoup plus sur le comportement monstrueux des marins : comment ont-ils pu agir ainsi ? comment des êtres humains ont-ils pu se comporter
de façon aussi horrible ? Dans la mise en scène de Spielberg, on est totalement du côté des captifs, et
on n’a pas le temps de considérer le point de vue des marins : ce sont juste des ombres, des monstres qui
disparaissent : ce dont on se souvient, c’est du visage de la femme qui supplie, et des corps des captifs
qui s’enfoncent inéluctablement dans l’eau.
❏ Autre réponse :
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Écran large sur tableau noir
Amistad,
la rencontre de deux cultures
Dans Amistad, Steven Spielberg aborde de multiples thèmes, le problème juridique posé par l’esclavage puisque cette affaire fit l’objet de trois procès successifs, mais
également la réalité humaine terrifiante de la traite qui est évoquée notamment à
travers un retour en arrière (flash-back) particulièrement dramatique, ou encore les
divisions de l’opinion publique américaine qui constituent en particulier une menace pour la réélection du président Van Buren bien décidé à se débarrasser de cette
encombrante affaire. Un autre thème moins apparent mais peut-être plus important
parcourt cependant tout le film, celui de la rencontre, difficile, tâtonnante, maladroite
mais finalement réussie (du moins dans le film) entre des individus appartenant à
des cultures très éloignées l’une de l’autre, d’une part les Noirs de l’Amistad arrachés
d’Afrique et d’autre part leurs défenseurs américains qui ne parlent pas leur langue et
ne connaissent pratiquement rien du monde d’où ils viennent. Pourtant malgré tous
les obstacles de la communication, les uns et les autres réussiront à se faire comprendre
et parviendront, malgré certains heurts, à un respect mutuel.
Dans les faits, les choses ont certainement dû se passer de manière sensiblement
différente : les Noirs étaient à l’époque, aux yeux des Blancs même abolitionnistes, des
« sauvages » plus ou moins bons, proches de l’état de nature et au plus haut point
éloignés de la « civilisation » (au sens le plus « noble » du terme) incarnée par les
sociétés occidentales. Le courant abolitionniste était ainsi constitué notamment de
membres de sectes protestantes, profondément religieux (notamment des Quakers),
dont le but était d’évangéliser les captifs de l’Amistad. Mais, si les abolitionnistes ont
cru au début avoir affaire à des « païens », il s’est révélé peu après que nombre d’entre
eux étaient en fait musulmans ! Ce qui n’a pas empêché que l’on s’efforce rapidement
de les christianiser. L’attitude des abolitionnistes (ou au moins d’une partie d’entre
eux) a certainement été beaucoup plus paternaliste que ce n’est montré dans le film :
les rapports pratiquement égalitaires qui s’établissent à la fin du film entre Cinque
et John Quincy Adams sont sans aucun doute une invention des scénaristes du film,
soucieux aujourd’hui d’éviter de tels reproches de paternalisme.
© Les Grignoux, 1999
L’animation qui suit souhaite inviter les jeunes spectateurs à se souvenir de la
manière dont ce thème est traité dans le film. Elle comprendra deux étapes :
—Il s’agira d’abord de se rappeler toutes les difficultés de communication, les incompréhensions qui se dressent entre les captifs de l’Amistad et leurs défenseurs
et plus largement les contrastes, les chocs culturels que fait surgir la présence
de ces Africains brutalement transplantés en Amérique du Nord. On peut par
ailleurs ordonner ces éléments en deux grandes colonnes qu’on pourrait intituler
l’une « les Africains confrontés à la société américaine » et l’autre « les Américains
confrontés aux captifs de l’Amistad ».
— On essaiera ensuite de se souvenir de tous les éléments qui ont permis que s’établissent petit à petit des bribes de communication, puis des relations, des rapprochements et enfin un véritable échange entre les principaux protagonistes.
Pour répondre à ces questions, les participants se baseront d’abord sur leurs
souvenirs. Lorsque ceux-ci seront épuisés, l’on pourra leur fournir le résumé du
film publié ci-dessous (pages 19 et suivantes) qu’il leur suffira de parcourir et de
souligner au marqueur fluorescent. La recherche sera sans doute plus fructueuse
si les élèves travaillent par petits groupes où les échanges multiples vivifieront plus
17
Écran large sur tableau noir
© Les Grignoux, 1999
facilement les souvenirs. Par la suite, l’on invitera tous les participants à partager le
fruit de leurs réflexions.
Enfin, l’on trouvera publié en annexe de ce dossier un corrigé de l’exercice qui
pourra leur être soumis pour qu’ils le confrontent à leurs propres impressions.
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Écran large sur tableau noir
Amistad : résumé
1. Un Noir (on apprendra plus tard qu’il s’agit de Cinque)
arrache un clou enfoncé dans le bois. Il s’en sert ensuite
pour ouvrir le cadenas des chaînes qui les lient, lui et ses
compagnons. Les captifs de l’Amistad vont alors saisir des
machettes dans des caisses, monter sur le pont, massacrer
plusieurs membres de l’équipage dont le capitaine que
Cinque transperce avec son propre sabre à deux reprises.
2. Deux Blancs survivants sont obligés de manœuvrer le
bateau qu’ils dirigent vers le soleil levant, c’est-à-dire vers
l’Afrique.
3. La nuit cependant, Cinque ne peut contrôler la direction
prise par le navire : un plan de la caméra révèle aux spectateurs
qu’il ne se dirige pas vers l’est. Au petit matin, le Blanc à la
barre rassure les Noirs en leur montrant la direction du soleil
levant.
4. Au milieu de la nuit, on entend de la musique, et l’Amistad
croise un navire sur lequel joue un orchestre : les passagers
de l’un et l’autre bateaux se croisent interloqués, sans mot
dire. Lors de cet épisode, l’un des deux Blancs de l’Amistad
s’empresse de cacher un cahier dans une fente du bateau.
5. Six semaines plus tard, l’Amistad est à la dérive. L’eau manque
et, une terre apparaissant, un groupe de Noirs descend avec
une barque pour remplir des barriques. À terre, il rencontrent
un Blanc à vélo qui, dès qu’il les voit, s’éclipse à grandes
enjambées.
6. Lorsque le groupe de Noirs s’apprête à rembarquer, surgit un
bateau américain à qui les deux Blancs de l’Amistad demandent de l’aide en hurlant. Un officier américain ordonne de
tirer au-dessus des têtes de mutins pour les effrayer. Cinque
refuse de se rendre et plonge à la mer : il nage dans la direction
du soleil mais épuisé s’enfonce dans l’eau. Quand il remonte
à la surface, un marin américain le saisit.
7. Les Noirs sont débarqués dans un port américain et emmenés
dans une prison noire et humide. Les enfants sont séparés des
adultes et mis dans une cellule à part. Un captif qui refuse
d’entrer dans la cellule a la main écrasée par les gardiens.
8. Pendant ce temps, la reine d’Espagne Isabelle II joue à la
poupée.
9. Le président Van Buren est en pleine campagne pour sa
réélection et ne veut pas se préoccuper des « nègres » de
l’Amistad.
10.À New Haven, deux antiesclavagistes évoquent le sort
des mutins de l’Amistad : ils paraissent venir directement
d’Afrique car certains d’entre eux portent des scarifications,
mais l’Amistad n’est pourtant pas un navire transatlantique
(parce que trop petit pour affronter la haute mer).
© Les Grignoux, 1999
11.Les Noirs sont sortis de la prison, couverts de haillons et
traversent la ville en direction du tribunal. Sur le chemin,
ils croisent un fiacre conduit par un cocher noir : ils l’interpellent « Chef ! Chef ! », mais celui-ci ne répond pas.
12.Au tribunal présidé par le juge Andrew Judson, surgissent
les différents plaignants : le procureur Holabird qui, au
nom des États-Unis, accuse les révoltés de l’Amistad de
mutinerie et de piraterie, puis John Forsyth, ministre des
affaires étrangères qui exige que les Noirs soient rendus à
l’Espagne au nom du traité mutuel de 1817, ensuite les deux
officiers de la marine américaine qui, ayant sauvé le navire
de la perdition, ont droit à un pourcentage sur la prise, et
19
enfin un avocat représentant Pedro Montez et José Ruiz,
propriétaires des esclaves. Les Noirs sont défendus par Lewis
Tappan qui exige à ce moment déjà leur libération.
13.À la sortie du tribunal, Tappan accompagné de Theodore
Joadson est apostrophé par un jeune avocat d’affaires, Roger
Baldwin, mais Tappan refuse son offre. Ce n’est pas une
question de propriété mais de principes : il compte s’adresser
à John Quincy Adams ancien président des États-Unis.
14.Au Congrès, John Quincy Adams fait semblant de dormir
alors qu’il est interpellé par un autre représentant dont il
se moque ensuite. À la sortie de la séance, il est abordé par
Tappan et Joadson qui l’accompagnent dans le jardinet
qui jouxte le Capitole, mais il refusera de les aider dans la
défense des esclaves de l’Amistad. « Visez plus bas » leur
conseille-t-il.
15.Tappan et Joadson se retrouvent dans une taverne avec
Roger Baldwin qui remarque que les accusations multiples
de mutinerie, piraterie, assassinats… ne sont recevables que
si les Noirs de l’Amistad sont bien des esclaves, c’est-à-dire
s’ils sont enfants d’esclaves, nés dans une plantation. À cette
époque, la traite est interdite, et il est donc interdit de mettre
un homme libre en esclavage : si c’est le cas pour les Noirs
de l’Amistad, toutes les accusations à leur égard tombent
immédiatement… Ce raisonnement purement juridique
choque Tappan qui évoque le sort de Jésus-Christ monté
en croix sans recourir à des arguties…
16.Devant la prison, un groupe religieux se met à chanter sans
doute pour le salut des Noirs captifs. Ceux-ci se demandent
cependant pourquoi ils ont l’air si malheureux, puis se disent
que ce sont des artistes.
17.L’avocat arrive avec un linguiste et Joadson à la prison, mais
un Noir s’insurge violemment lorsque Baldwin dépose sa
table dans son « territoire ». Il s’en empare et va la mettre
dans un endroit reculé. L’avocat ne comprend rien, pas plus
que le linguiste, et les prisonniers, qui trouvent que Baldwin
ressemble à un personnage méprisé surnommé « racleur
d’excréments », concluent finalement qu’ils sont tous les
trois idiots.
18.Les prisonniers sont emmenés au tribunal. En arrivant, un
Noir fait face à un membre d’une secte religieuse qui veut
le bénir avec sa Bible et lui lance « Je n’ai pas peur de votre
magie ! ».
19.Dans sa plaidoirie, Baldwin, « racleur d’excréments », explique que les Noirs de l’Amistad sont des victimes de la traite :
ils ne comprennent pas un mot d’espagnol (mais quand il se
lève en leur faisant signe, ils en font autant), et l’un d’entre
eux, qu’il a fait rire par imitation, a les dents limées selon
une coutume africaine. Mais l’avocat des parties adverses
exhibe un document officiel cubain qui authentifie la vente
des Noirs de l’Amistad comme celle d’esclaves cubains. Le
juge rejette donc l’argumentation de Baldwin. À la sortie du
tribunal, Cinque essaie de parler à Baldwin mais est emmené
par les gardes.
20.À la prison (le soir ou la nuit), Baldwin rencontre Cinque
qui lui saisit la main et la serre contre sa poitrine. Il essaie
ensuite de faire comprendre l’objet de sa visite : « J’ai besoin
de prouver d’où vous venez », dit-il tandis que Cinque pense
à voix haute (et en mendé) « Il faut te montrer d’où je viens ».
Baldwin dessine alors sur le sol une carte représentant les
Écran large sur tableau noir
États-unis, Cuba et l’Afrique, mais Cinque ne répond pas
et s’en va même vers le fond de la cour. Revenant à petits
pas à travers toute la cour, il signifie alors à Baldwin qu’il a
dû faire un très long voyage.
pas seulement une question de chance car c’est également
Cinque qui a conduit la révolte sur l’Amistad. « Il faut que
je sache comment vous êtes arrivés ici ». Cinque évoque
alors ses souvenirs.
21.Le jour, les deux Espagnols Pedro Montez et José Ruiz
veulent monter à bord de l’Amistad, mais le garde leur en
refuse l’accès. Baldwin et Joadson munis d’un laisser-passer
peuvent en revanche explorer tout le navire. À la vue des
chaînes, des cheveux arrachés, du sang, Joadson (qui est
noir) se sent mal. Il est secouru par Baldwin qui, à cette
occasion, découvre un carnet caché dans un recoin.
31.Cinque, qui observe sa femme (?) de loin, est attrapé dans un
filet par un groupe de Noirs qui le frappent et l’emmènent
sur une plage où il est attaché avec d’autres captifs. Tous
sont emmenés dans un fort négrier à Lamboko où ils sont
échangés par leurs geôliers contre des armes. Puis ils sont
emmenés en barque jusqu’à un navire, le Tecora. Ils sont
déshabillés, arrosés d’eau, reçoivent des coups de fouets,
certains sont même brutalement abattus lorsqu’ils font mine
de se révolter. Tous sont enfermés à fond de cale, entassés,
nus dans un espace réduit, et bientôt enchaînés.
En haute mer, pendant la nuit, beaucoup sont malades à
cause de la tempête. Un bébé nu passe de main en main
alors que sa mère agonise. Le lendemain son cadavre sera
jeté à la mer.
Sur le pont, des femmes captives sont obligées de danser
avec certains marins. Des captifs sont fouettés cruellement
devant leurs compagnons d’infortune. Cinque remarque
une femme avec son bébé, accoudée au bastingage, qui se
jette à la mer. Le sang d’un des esclaves fouettés gicle à ce
moment sur le visage de Cinque.
Dans la cale, les marins ne distribuent de la nourriture qu’à
certains captifs et la refusent notamment à ceux ou celles
qui paraissent malades.
Sur le pont rendu artificiellement glissant, un groupe de
captifs enchaînés les uns aux autres et lestés d’un filet rempli
de pierres ou de boulets sont précipités à la mer.
Le navire arrive à La Havane à Cuba où les captifs sont lavés
avant d’être vendus aux enchères. Pedro Montez et José Ruiz
assistent à cette vente du haut d’une terrasse.
Cinque et un groupe de captifs sont embarqués à bord de
l’Amistad où l’on ajoute un nom espagnol dans le manifeste
de bord du Tecora.
Cinque arrache le clou qui va servir à sa libération.
22.Au tribunal, l’avocat révèle que ce cahier est le manifeste de
bord non pas de l’Amistad mais du Tecora, un navire négrier
qui opère illégalement au large des côtes de la Sierra Leone,
colonie britannique où l’esclavage est interdit. Sur ce carnet
apparaissent les noms africains des captifs de l’Amistad,
auxquels on a simplement ajouté un surnom espagnol dans
la marge.
23.À la sortie du tribunal, Tappan et Joadson félicitent Baldwin
mais un inconnu en profite pour frapper l’avocat avant de
s’enfuir.
24.Isabelle II lit une lettre qu’elle va faire parvenir au président
des États-Unis.
25.Van Buren, en campagne électorale, se moque des exigences
de cette reine « prépubescente » mais s’inquiète des menaces
formulées par un représentant du Sud, John Calhoun, qui
voit dans cette affaire une menace de guerre civile (si les
captifs étaient libérés). Sous l’influence de ses conseillers,
Van Buren (qui pose à ce moment pour une photo officielle)
décide de destituer le juge et d’en nommer un plus jeune et
plus malléable.
26.Apprenant cette nouvelle, l’avocat Baldwin renverse sa table
de fureur.
27.Joadson se rend chez l’ancien président John Quincy Adams
en train de s’occuper des plantes de sa serre. Mais John
Adams se contente de donner un conseil énigmatique : celui
qui gagne un procès, dit-il, c’est celui qui est « le meilleur
conteur ». Dépité, Joadson veut s’en aller, mais Adams le
rappelle en lui demandant : « Quelle est leur histoire ? »,
et Joadson se rend compte qu’ils ne savent finalement rien
des captifs de l’Amistad.
28.Joadson et Baldwin apprennent à compter en mendé puis
se rendent sur le port où ils s’adressent en mendé à tous les
Noirs qu’ils rencontrent. Leur quête semble infructueuse
jusqu’à ce que sorte d’un groupe de marins un jeune Noir
qui a compris les paroles de Baldwin.
© Les Grignoux, 1999
29.À la prison, les captifs portent à bout de bras en criant l’un
des leurs, mort pendant la nuit. James Covey, le traducteur, explique à Baldwin qu’ils veulent l’enterrer selon le
rite « poro ». L’avocat conseille au directeur de la prison
d’accepter leur exigence.
30.Dans une cellule, James Covey s’entretient avec Cinque.
Celui-ci commence par s’étonner de ses vêtements occidentaux. Covey lui répond puis explique que le juge a été
remplacé. Cinque s’étonne : un chef ne peut pas être remplacé.
Baldwin explique à Cinque qu’il doit parler devant le juge.
Il a confiance en lui car il sait que c’est un grand homme,
un grand chasseur capable de tuer un lion. Mais Cinque
répond qu’il l’a tué avec une pierre par réflexe sans savoir
comment, et qu’il a obtenu la reconnaissance du village de
manière imméritée. Baldwin insiste et affirme que ce n’est
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32.Cette histoire, Cinque vient de la raconter au tribunal où les
Noirs sont à présent tout habillés de blanc. Mais le procureur
Holabird contre-attaque en demandant à Cinque si, en
Afrique, les Mendé eux-mêmes ne possèdent pas d’esclaves.
James Covey, le traducteur, essaie d’expliquer qu’en mendé,
un seul mot désigne à la fois les esclaves et les travailleurs.
Le procureur souligne alors le paradoxe du récit de Cinque :
pourquoi tuer des esclaves qui valent beaucoup d’argent ?
« Votre récit est absurde » conclut-il.
Un capitaine de vaisseau britannique, appelé comme témoin,
explique que de nombreux esclaves sont enlevés illégalement
de Sierra Leone, un protectorat britannique. La description
que Cinque a faite de la forteresse clandestine des esclaves
lui paraît vraisemblable. Il ajoute que les négriers n’hésitent
pas à jeter leur cargaison humaine à la mer lorsqu’ils sont
pourchassés par la marine britannique chargée de réprimer
la traite illégale. Il explique ensuite le paradoxe apparent
du récit de Cinque : l’équipage du Tecora a sous-estimé la
quantité de nourriture nécessaire à la traversée et a décidé
en conséquence de jeter cinquante des captifs à la mer, fait
qu’ils ont consigné, de manière voilée mais indéniable, dans
le manifeste de bord.
Cinque, qui transpire de plus en plus et dont l’attention se
fixe de façon maladive sur certains détails de l’assistance, se
lève soudain et hurle en mauvais anglais : « Rendez-nous la
liberté ».
33.À la prison, Cinque interpelle un de ses compagnons qui
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feuillette obstinément la Bible dont il s’est emparé précédemment. Celui-ci explique alors à Cinque le sens qu’il
donne aux images de Jésus, un homme bon qui guérissait et
protégeait les faibles, à qui l’on amenait des enfants, capable
de marcher sur la mer et qui, innocent comme les Africains,
fut pourtant arrêté et mis en croix. Au même moment, le juge,
catholique dans un pays majoritairement protestant, s’en va
prier dans un église. Le compagnon de Cinque termine son
interprétation en parlant de la résurrection et de la montée
au ciel de Jésus : « C’est là, dit-il, que nous irons quand ils
nous tueront ».
34.Alors que les captifs sont emmenés au tribunal, Cinque
ordonne à l’un de ses compagnons de relever la tête. En
arrière-plan, derrière les maisons, les mâts des navires se
dressent comme autant de croix.
35.Au tribunal, le juge rend son verdict : « Ces hommes sont-ils
nés en Afrique ? demande-t-il à deux reprises. Je crois que
oui ! ». Et il ordonne leur libération ainsi que leur retour
en Afrique et l’arrestation immédiate des deux Espagnols
Pedro Montez et José Ruiz.
36.À la Maison Blanche, le président Van Buren s’entretient,
lors d’un dîner officiel, avec l’ambassadeur d’Espagne qui
se scandalise de l’indépendance des tribunaux américains.
Survient le représentant sudiste John Calhoun qui s’en prend
aux abolitionnistes du Nord qui considèrent les sudistes
comme immoraux et inférieurs. Et il évoque la menace d’une
guerre civile…
37.Tappan et Joadson se rendent à la prison où ils doivent
annoncer que le cas de l’Amistad devra être rejugé devant la
Cour suprême. Tappan, très sombre, en vient finalement à dire
qu’il vaudrait peut-être mieux que les Noirs soient déclarés
coupables (et donc exécutés) : pour la cause abolitionniste,
ils seraient plus précieux morts et martyrs que vivants. Ces
propos scandalisent Joadson.
38.À la prison, l’avocat Baldwin essaie d’expliquer ce dernier
revirement juridique. Mais James Covey refuse de traduire
ses propos car, dit-il, il n’y a pas de conditionnel en mendé.
Baldwin utilise alors l’adverbe presque, mais Cinque s’emporte en criant « Quel est donc ce pays où la loi est presque
appliquée ? » Il arrache ensuite ses vêtements européens et
se met à hurler devant le feu au milieu de la cour.
39.Une lettre est envoyée à John Quincy Adams pour qu’il
prenne la défense des captifs de l’Amistad devant la Cour
suprême dont sept des juges sont des sudistes possédant
des esclaves. Mais Adams froisse la lettre et la laisse tomber
à terre.
Adams demande d’abord à Cinque s’il sait qui il est. « Un
chef, répond-il — Un ancien chef, corrige Adams, — Mais
un chef ne cesse jamais d’être un chef » affirme Cinque.
Adams lui explique alors qu’il va leur falloir combattre à
nouveau le lion, c’est-à-dire l’esclavage. Cinque répond qu’il
aura l’aide de ses ancêtres car, dit-il « en cet instant, je suis
la seule raison pour laquelle ils ont existé ».
43.Devant la Cour suprême, John Adams intervient après la
plaidoirie de Baldwin (qu’on ne voit pas). Il condamne
d’abord l’intervention de l’Espagne puis les manquements
à la séparation des pouvoirs exécutif et judiciaire. Il souligne
ensuite que cette affaire n’est pas seulement une question
de propriété mais concerne la nature même de l’homme. Et
l’état naturel de l’homme est la liberté, ce qui fait que Cinque
est le seul véritable héros dans cette affaire car il a tout fait
pour reconquérir sa liberté. John Quincy Adams en appelle
ensuite aux principes de la Déclaration d’Indépendance des
États-Unis et aux pères fondateurs de la nation américaine,
George Washington, Benjamin Franklin… John Adams
(son propre père) : « Nous comprenons maintenant que
notre individualité ne nous appartient pas et que ce que
nous sommes, c’est ce que nous avons été… Donnez-nous le
courage de faire ce qui est juste malgré la guerre civile dont
on nous menace et accomplissez la dernière bataille de la
révolution américaine. »
44.La Cour suprême déclare que les mutins de l’Amistad ne
sont pas des esclaves mais des individus libres qui avaient le
droit de se révolter.
« Avec quels mots les avez-vous persuadés ? » demande Cinque à Adams. « Avec les vôtres, bien sûr ». Tous se saluent.
Cinque donne la dent du lion à Joadson, puis Baldwin serre
la main de Cinque — qu’il appelle à présent de son nom
africain Singhbe — en la serrant sur sa poitrine à la mode
africaine.
45.L’officier de marine britannique, à bord de son navire, ordonne de canonner la forteresse des esclaves de Lamboko.
46.Van Buren, musicien amateur de harpe, ne sera pas réélu.
Cinque, quant à lui, retournera en Sierra Leone avec ses
compagnons. Isabelle II restera encore de longues années
reine d’Espagne. La guerre de Sécession verra la défaite des
Confédérés à Atlanta.
50.Le film s’achève sur l’image du navire qui ramène Cinque et
ses compagnons en Afrique, la proue dirigée vers l’est, vers
le soleil qui se lève.
40.À la prison, Baldwin essaie de parler à Cinque, obstinément
muet. Cinque est désormais son seul client, car tous les autres
ont fui, l’avocat ayant même reçu des menaces de mort,
notamment sous la forme d’une poupée percée d’aiguilles.
Sur ces entrefaites arrive John Quincy Adams…
© Les Grignoux, 1999
41.À la Maison blanche, l’on s’inquiète modérément de l’intervention de cet ancien président fils d’un autre président
beaucoup plus illustre…
42.De sa prison, Cinque pose plusieurs questions juridiques à
Baldwin et à Adams, quant aux limites de juridiction, aux
différents traités entre nations européennes et américaines,
au droit de propriété… Adams finalement s’énerve mais
fait amener Cinque dans son bureau. Dans la serre, Cinque
remarque une fleur, une violette d’Afrique qu’Adams a eu
beaucoup de peine à obtenir.
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Qu’est-ce que l’esclavage ?
© Les Grignoux, 1999
Dans Amistad, le procureur Holabird interpelle à un moment Cinque en lui
demandant si lui-même ne possédait pas des esclaves en Afrique, mis en servitude à
cause de dettes ou suite à des guerres, ce à quoi James Covey essaie d’expliquer qu’en
mendé, il n’y a qu’un seul terme pour désigner à la fois les esclaves et les travailleurs.
Si la mauvaise foi du procureur est évidente, sa question soulève cependant un
véritable problème historique : sous le terme très général d’esclavage, l’on regroupe
en effet des réalités extrêmement différentes — on parle même par métaphore d’un
travail d’esclave pour désigner un travail très pénible —, réalités que seule une étude
historique (ou ethnologique ou sociologique) permet de décrire et de comprendre
de manière adéquate. L’esclavage en Afrique chez les Mendé n’avait manifestement
pas le même sens, ne recouvrait pas la même réalité que l’esclavage dans le Nouveau
Monde.
Il est donc intéressant à cette occasion de montrer à de jeunes élèves qu’il faut
se méfier de dénominations très générales qui peuvent masquer des réalités extrêmement différentes. Dans cette perspective, l’on peut leur proposer de mener une
recherche historique sur l’esclavage tel qu’il s’est pratiqué à des époques et en des
lieux éloignés les uns des autres comme l’antiquité gréco-romaine, le monde arabe,
l’Afrique précoloniale et bien sûr l’Amérique. Ce travail, qui implique une recherche
en bibliothèque, pourrait être mené en divisant la classe en différents groupes, chacun
d’entre eux étant chargé de recueillir un maximum d’informations fiables sur une
situation historique particulière. Il s’agirait essentiellement de répondre aux questions
suivantes : pourquoi pratiquait-on l’esclavage ? dans quelles conditions, dans quelles
circonstances ? quelle était la place des esclaves dans la société esclavagiste ?
Lorsque ce travail sera achevé, les groupes mettront le fruit de leurs recherches
en commun en mettant en évidence ce qui unit les différentes situations historiques
étudiées mais également ce qui les différencie.
Si les élèves ne sont pas préparés à un tel travail de recherche historique, l’on
peut soumettre aux différents groupes les textes publiés dans les pages suivantes qui
évoquent en résumé quatre de ces situations historiques. La réflexion devrait alors
essentiellement porter sur ce qui différencie l’esclavage tel qu’il a été pratiqué en
Amérique du Nord d’autres situations historiques.
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La traite des Noirs et l’esclavage en Amérique du Nord
L’esclavage est indissolublement lié, à partir du XVIe siècle, à la conquête puis à la colonisation du Nouveau
Monde par les puissances européennes (Espagne, Portugal, France, Grande-Bretagne) et ne sera aboli dans
les différents pays d’Amérique que tardivement au cours du XIXe siècle : ce n’est en particulier qu’en 1865,
à l’issue de la guerre de Sécession, qu’un amendement à la Constitution y mettra fin aux États-Unis.
Pourquoi ?
Les colons qui arrivaient progressivement en Amérique étaient relativement peu nombreux par rapport
aux vastes territoires qui s’ouvraient devant eux. Les cultures possibles dans le Nouveau Monde — café,
coton, sucre, indigo essentiellement — exigeaient en particulier une main-d’œuvre abondante. S’il était
théoriquement possible de faire venir une telle main-d’œuvre salariée d’Europe, il s’est rapidement révélé
moins coûteux pour les planteurs d’utiliser des esclaves venus d’Afrique (la mise au travail forcé des Indiens
s’étant révélée, semble-t-il, impraticable parce que ceux-ci connaissant le pays pouvaient trop facilement
s’enfuir).
C’est ainsi que la traite négrière s’est développée entre l’Afrique et l’Amérique à partir du XVIIe siècle et
surtout au XVIIIe siècle avant d’être progressivement interdite au XIXe. Destinée à fournir une main-d’œuvre servile à bon marché, elle a touché majoritairement des hommes jeunes et en bonne santé, promis aux
travaux agricoles les plus pénibles (femmes, enfants et surtout vieillards étant donc moins nombreux).
Les pays européens étaient cependant concernés au premier chef par la traite, car c’est de là que provenaient les bateaux négriers pratiquant ce qu’on appelait le commerce triangulaire. Ces navires partaient de
France, d’Angleterre, du Portugal ou d’Espagne chargés de produits divers (fusils, armes blanches, boissons
alcoolisées, étoffes, ustensiles multiples, petits coquillages servant de monnaie locale et appelés cauris)
destinés à acheter des captifs sur les côtes africaines. Chargés de leur cargaison humaine, ils traversaient
alors l’Atlantique vers les colonies américaines où les captifs étaient vendus avec un premier bénéfice. Puis
les cloisons et barrières en bois destinées à enfermer les captifs sur ces navires étaient démontées pour qu’ils
puissent revenir vers l’Europe avec une pleine cargaison de denrées coloniales (sucre, café, cacao, indigo,
coton, tabac… ), revendues ensuite avec un nouveau bénéfice. C’est ainsi que la prospérité de nombreux
ports européens s’est bâtie sur le commerce des esclaves.
© Les Grignoux, 1999
Comment ?
Il n’est pas possible actuellement de connaître avec précision le nombre d’Africains touchés par la traite,
l’estimation la plus basse étant de 11 millions d’individus en quatre siècles dont 9 millions parvenus vivants
en Amérique, les pertes en cours de route étant estimées (de façon toujours minimale) aux environs de
16%. D’autres estimations (les unes et les autres sont largement hypothétiques) parlent cependant de 21
millions d’individus capturés dont 15 millions parvenus en Amérique. Au plus fort de la traite à la fin du
XVIIIe siècle, c’est entre 50 000 et 100 000 personnes par an qui furent ainsi réduites en esclavage. Même
s’il paraît exagéré, comme certains l’affirment, de voir dans cette ponction d’hommes une cause essentielle
du sous-développement actuel de l’Afrique, ces estimations sommaires montrent l’importance de ce commerce monstrueux.
Comment un phénomène d’une telle ampleur fut-il possible ? Certaines formes d’esclavage existaient
certainement en Afrique (ou dans certaines régions) avant que n’y débarquent les premiers explorateurs
européens et concernaient notamment des prisonniers de guerre, sans doute en nombre limité. Les Européens
achetèrent donc, d’abord à très bas prix, un certain nombre de ces prisonniers pour les envoyer au Nouveau
Monde , et ils continuèrent ainsi à s’adresser aux peuples ou aux États africains plus ou moins proches des
côtes pour se fournir en esclaves sans jamais pénétrer eux-mêmes en profondeur dans le continent. Mais à
cause de leur demande sans cesse croissante au fil des siècles, ils poussèrent ces peuples à multiplier guerres
et razzias dans les régions voisines ou plus lointaines afin de s’assurer des réserves d’esclaves qu’ils pouvaient
revendre avec de plus en plus de profit aux commandants des bateaux négriers.
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Sur les bateaux
Capturés à l’intérieur des terres, les captifs étaient amenés à marche forcée vers les côtes, un certain
nombre d’entre eux mourant déjà en cours de route. Vendus aux capitaines européens (qui travaillaient
pour le compte d’armateurs restés en Europe), ils étaient marqués au fer rouge, enchaînés puis embarqués
sur le navire. Celui-ci ne se dirigeait cependant pas immédiatement vers la haute mer car il devait souvent
naviguer plusieurs semaines le long des côtes avant que sa cargaison d’esclaves ne soit complète.
La traversée durait ordinairement de deux à trois mois, parfois plus en cas de calme plat. L’entassement,
la promiscuité, les maladies, les épidémies, les brutalités, le désespoir, les craintes multiples (beaucoup de
captifs ne savaient pas quel avenir leur était réservé et redoutaient que les Blancs ne soient en fait cannibales !), les suicides semble-t-il très fréquents entraînaient une mortalité importante bien qu’encore une fois
difficilement mesurable. Le nombre de révoltes fut également considérable, le plus souvent aux abords des
côtes africaines car les captifs savaient qu’ils ne pouvaient manœuvrer seuls les navires en haute mer. Ces
révoltes étaient généralement réprimées de manière sanglante par un équipage beaucoup moins nombreux
que les esclaves.
Les négriers avaient cependant avantage à épargner la vie de leurs captifs qui représentaient chacun une
somme importante. Ils procédaient d’ailleurs souvent à une remise en forme, notamment dans les îles des
Petites Antilles, avant de procéder à la vente sur les marchés d’esclaves.
© Les Grignoux, 1999
L’esclavage aux États-Unis
L’esclavage proprement dit ne commençait qu’en Amérique où les Noirs devenaient la propriété de leurs
acheteurs blancs. Comme on l’a vu, la plupart de ces esclaves étaient destinés au travail agricole, notamment dans les plantations de coton du sud des États-Unis : grâce à la découverte de nouveaux procédés de
filature et de tissage, le coton fut l’objet d’une demande croissante aux XVIIIe et XIXe siècles mais exigeait
pour sa culture et sa cueillette une main-d’œuvre importante. Il est difficile de brosser un portrait général
des conditions de vie des esclaves aux États-Unis * parce qu’elles ont sans doute évolué au cours du temps
(l’interdiction de la traite en 1808 a sans doute conduit les propriétaires à mieux garantir la survie et la
reproduction de leurs esclaves), qu’elles ont pu varier en fonction des maîtres (de meilleures conditions
assuraient souvent une meilleure productivité) et qu’un certain nombre d’esclaves n’étaient pas occupés
aux lourdes tâches agricoles mais étaient artisans, contremaîtres parfois, serviteurs ou servantes souvent
en grand nombre. (Beaucoup d’exploitations aux États-Unis étaient en outre de petite taille, et les esclaves
vivaient alors dans une proximité beaucoup plus grande avec leurs maîtres, ce qui était de nature à limiter
l’arbitraire et la violence de ces derniers.)
Mais la violence était au cœur du système, et la menace du fouet par exemple, même s’il n’était sans doute
pas appliqué aussi souvent que décrit dans les campagnes abolitionnistes, était bien réelle. Semblablement,
l’esclave était toujours considéré comme une propriété pouvant être revendue à tout moment, en brisant
ainsi tous les liens conjugaux ou familiaux, même si, dans les faits, il semble que les Noirs soient parvenus
au cours du temps à constituer des cellules familiales relativement stables. Ainsi encore, si les peines les
plus cruelles comme les oreilles coupées ou les mutilations ont disparu au cours du XIXe siècle (mais furent remplacées par l’usage du fouet), s’il est également difficile d’évaluer la proportion de femmes esclaves
violées par leur maîtres, toutes ces violences, qu’elles fussent réellement subies ou seulement redoutées **,
marquèrent à jamais la conscience des esclaves et de leurs descendants. Elles expliquent également que des
esclaves se soient révoltés à plusieurs reprises et que beaucoup d’autres aient choisi de fuir dans les États du
nord des États-Unis ou au Canada où l’esclavage était interdit (une organisation secrète, l’« underground
railway », le « chemin de fer clandestin », composée de Noirs et de Blancs abolitionnistes favorisa même
dans la première moitié du XIXe siècle la fuite longue et périlleuse des esclaves).
Enfin et surtout, la société esclavagiste aux États-Unis, contrairement à ce qui s’est passé en Amérique
Ce sont essentiellement les États du sud des Éta ts-Unis qui furent concernés par l’esclavage même s’il exista également dans
le Nord où il fut aboli progressivement dans la première moitié du XIXe siècle.
** Si les campagnes abolitionnistes ont sans doute exagéré la cruauté du système esclavagiste, nombre d’historiens contemporains tombent à présent dans l’excès inverse sans plus apercevoir l’arbitraire fondamental du système.
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du Sud notamment, fut une société fermée, étanche, qui ne permettait pas aux esclaves d’échapper à leur
condition. Les esclaves naissaient, vivaient et mouraient esclaves après avoir donné le jour à de nouveaux
esclaves. Plus important encore, l’esclavage se développa de pair avec un racisme de plus en plus intransigeant : les esclaves étaient des Noirs, et, pour les Blancs, les Noirs étaient donc par nature condamnés à être
des esclaves. Plus l’esclavage se développa, plus l’image des Noirs devint négative : ils furent ainsi réputés
naturellement inférieurs, paresseux, passifs, inertes, fourbes, inéducables, criminels, porteurs d’une sexualité débridée et sans limites (une des grandes craintes fantasmatiques des Sudistes étant alors le viol d’une
femme blanche par un homme de couleur)… C’est ainsi que, lorsque la guerre de Sécession mit fin à l’esclavage, le racisme subsista dans toute sa
virulence (augmenté encore du ressentiment de la défaite) et que les Blancs mirent sur pied dans le Sud
une ségrégation raciale implacable (bus séparés, quartiers séparés, écoles séparées, magasins séparés… ) qui
devait durer jusque dans les années 1960.
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© Les Grignoux, 1999
le principe du commerce triangulaire
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L’esclavage dans l’Afrique précoloniale
Le texte ci-dessous est un résumé de l’article de Jean Bazin, « Guerre et servitude à Ségou » dans Claude
Meillassoux (études présentées par), L’Esclavage en Afrique précoloniale. Paris, François Maspero, 1975, p. 135181.
Contrairement à l’image qu’en ont donnée généralement les premiers Européens pour qui les peuplades
d’Afrique noire étaient composées de sauvages plus ou moins proches de l’état de nature, les sociétés africaines présentaient une grandes diversité, certaines étant sans doute peu hiérarchisées mais d’autres étant
constituées en vastes royaumes organisés de manière complexe. Il est donc difficile de donner une image
générale de l’esclavage en Afrique noire, même s’il est certain que des formes d’esclavage y ont existé en de
nombreuses régions avant que ne commence la traite négrière dirigée par les Européens : ainsi, si la guerre
entre peuples fut une des occasions essentielles de mettre les vaincus en esclavage, certaines peuplades
préféraient néanmoins soit tuer leurs captifs soit les échanger contre rançons (sans donc pratiquer une
forme quelconque d’esclavage).
Comme il n’est pas possible de généraliser les faits observés à l’échelle de tout un continent, l’on prendra
seulement ici un exemple, celui de l’État de Ségou, un royaume bambara (les Bambaras sont un peuple
d’Afrique) fondé au Mali au XVIIe siècle et qui subsista jusqu’au milieu du XIXe.
Le royaume de Ségou
Royaume guerrier, Ségou se procurait des esclaves essentiellement par la guerre, le rapt et la capture dans
les régions avoisinantes, mais, si le statut d’esclave se transmettait par la génération (les enfants d’esclaves
devenant à leur tour esclaves), il s’effaçait cependant petit à petit et, de ce fait, la société était obligée de
saisir de nouveaux captifs.
Cette capture était nécessairement violente, les esclaves étant ensuite marqués de diverses manières (on
leur rasait par exemple les cheveux et la barbe) pour qu’ils soient immédiatement repérés en cas de fuite. Ils
étaient également éloignés au maximum du lieu de leur capture pour rendre toute évasion plus difficile. On
leur donnait un nouveau nom et, de manière générale, leur statut était considéré comme vil et indigne, le
plus bas dans la pyramide sociale. Il faut cependant remarquer que le royaume de Ségou, comme appareil
militaire, imposait des rapports de stricte obéissance et de subordination complexe (à plusieurs étages) qui
faisaient que, si chaque individu était un maître par rapport à ses subordonnés, lui-même se tenait dans
une position de dépendance par rapport à son propre maître : le même terme « jòn » s’appliquait ainsi à la
relation de subordination entre un maître et son esclave mais aussi entre le roi et ses subordonnés, comme
si ceux-ci étaient, du point de vue du souverain, assimilables à des esclaves.
© Les Grignoux, 1999
Guerriers et marchands
Parmi les esclaves eux-mêmes, les captifs retenus par Ségou étaient moins dévalorisés que ceux qui avaient
été vendus (au moins une fois) et qui étaient considérés avec le plus grand mépris. Les Bambaras en tant
que guerriers prédateurs, ne conservaient en effet qu’un petit nombre de captifs, les femmes de préférence
utilisées en particulier dans le travail aux champs (une fois épousées et mères, elles perdaient d’ailleurs leur
statut servile). Les autres captifs étaient alors vendus (par les guerriers et surtout par le souverain qui prélevait la plus grande partie du butin dans les expéditions) aux « Marka », terme qui désignait des groupes
divers installés parmi les Bambaras mais s’en distinguant par l’ethnie, le type d’activités (les Marka étaient
souvent commerçants ou artisans) ou l’origine géographique.
Les Marka servaient eux-mêmes d’intermédiaires avec des groupes extérieurs (Maures, Européens… ) à
qui ils revendaient les esclaves achetés aux Bambaras. Ils en conservaient cependant eux-mêmes un grand
nombre qui était affecté à différentes activités artisanales (culture, filage et tissage du coton notamment),
agricoles (culture du mil) et commerciales (comme porteurs dans le trafic à longues distances). C’est ainsi
que dans les cités marchandes du royaume de Ségou, les esclaves étaient sans doute aussi nombreux que les
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maîtres. Il existait également des villages de culture peuplés d’esclaves généralement placés sous l’autorité
d’un contremaître lui aussi esclave, et dépendants des Marka.
Ces esclaves (dépendants des Marka) gagnaient cependant une autonomie progressive, d’abord par
le mariage, puis par l’attribution d’un lopin de terre, qu’ils pouvaient cultiver pour eux-mêmes, enfin par
l’autorisation de commercer et d’accumuler ainsi des petits profits… jusqu’à pouvoir pour certains d’entre
eux acheter leurs propres esclaves. Cette autonomie n’était cependant jamais totale (le maître continuant
à ponctionner la production de ses dépendants), mais la servitude imposée par la violence laissait peu à
peu la place à une fidélité consentie au maître et à son lignage.
La caste des guerriers captifs
Parmi les captifs des Bambaras, il faut encore considérer un groupe particulier, ceux conservés par
la royauté de Ségou car destinés à devenir des guerriers. Comment une telle transformation était-elle
possible ? Appartenir au groupe des guerriers était considéré comme un honneur chez les Bambaras mais
également chez la plupart des peuplades qu’ils attaquaient pour les asservir, et, pour le captif, remettre sa
vie en jeu même en étant asservi à un autre royaume (ou directement à ses guerriers) était une manière de
reconquérir cet honneur perdu. Les Bambaras ou leur souverain conservaient ainsi comme guerriers ceux
de leurs adversaires qui, par leur bravoure, leur fierté, leur courage, prouvaient qu’ils partageaient le même
code d’honneur qu’eux (on rasait ces guerriers captifs comme les autres esclaves mais en leur laissant une
ou deux touffes sur le dessus de la tête). En revanche, ceux qui paraissaient ne pas posséder de telles vertus
notamment parce qu’ils étaient déjà esclaves entièrement occupés à des tâches serviles (car beaucoup des
peuples razziés par les Bambaras possédaient également des esclaves) étaient vendus, comme on l’a vu aux
« Marka ». Ceux-ci n’achetaient d’ailleurs pas volontiers d’éventuels guerriers captifs car il était probable
qu’ils cherchent, plus que d’autres, à s’enfuir.
D’un point de vue social, l’intégration des captifs au monde des Bambaras se déroulait donc très différemment de celle chez les « Marka ». Pour ceux-ci, la distinction entre les esclaves et les hommes libres
(eux-mêmes) restait très marquée, même si elle s’adoucissait avec le temps, et impliquait notamment une
nette division du travail : aux esclaves étaient réservées les tâches les plus pénibles (notamment agricoles) ou
jugées déshonorantes (comme le tissage). En revanche, les Bambaras, dont l’activité n’était pas uniquement
guerrière, travaillaient aux champs avec leurs captifs et partageaient fréquemment leurs repas avec eux. À la
guerre également, le sort du guerrier et de son captif étaient liés, ce dernier pouvant par exemple conserver
une partie du butin qu’il avait conquis. En outre, comme les guerriers dans leur ensemble étaient placés
sous la forte autorité du souverain (à qui tout le butin était théoriquement dû, même s’il le redistribuait)
et qu’ils étaient l’instrument de la domination exercée par cette royauté sur tous les groupes dépendants
(notamment de très nombreux villages asservis sans que les habitants soient individuellement esclaves),
l’ensemble de ces guerriers comme caste pouvait se considérer comme « jòn » (esclave) du pouvoir central,
tout en s’estimant plus honorable que les « Marka » qui ne combattaient pas.
© Les Grignoux, 1999
L’on voit ainsi sur cet exemple (exposé ici de manière simplifiée) comment l’esclavage pouvait recouvrir
une variété de situations différentes et était étroitement dépendant de l’organisation sociale dans laquelle il
s’insérait, ce qui ne doit cependant pas masquer la violence originelle qui seule permettait de transformer
des individus libres en esclaves.
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L’esclavage dans le monde arabe et l’empire ottoman
Le texte ci-dessous est un résumé de Murray Gordon, L’Esclavage dans le mode arabe. Paris, Robert Laffont,
1987.
L’esclavage a existé pendant de longs siècles dans les pays arabes, notamment dans le golfe persique et
dans l’empire ottoman, et ce sont certainement des millions d’Africains qui ont été victimes de la traite
négrière à destination du monde musulman, même si l’on estime généralement que ce trafic fut moins
intense et moins important que la traite atlantique pratiquée par les Européens.
La loi islamique et la réalité de l’esclavage
L’esclavage existait en Arabie avant la prédication de Mahomet qui l’accepta comme une institution
normale même s’il recommanda aux maîtres de traiter leurs esclaves avec humanité. Mais la loi islamique
interdit la mise en esclavage de croyants (musulmans), les païens de quelque race qu’ils soient devenant ainsi
les seules victimes de la traite. Si, à certaines époques, des Blancs furent ainsi mis en esclavage, le principal
réservoir d’esclaves fut néanmoins constitué par l’Afrique noire.
Dans le monde arabe, les esclaves n’étaient cependant pas traités uniquement comme une main d’œuvre servile et ils étaient également considérés d’un point de vue personnel : il était ainsi déconseillé de
séparer les familles des esclaves, de les accabler de travail, de les maltraiter de manière injuste… En outre,
on distinguait généralement les esclaves achetés, dont le sort était très incertain, des esclaves nés dans la
maison, qui étaient mieux traités et dont il était malvenu de se défaire. Enfin, il était bien vu moralement
d’affranchir en certaines occasions des esclaves, même si cette mesure ne touchait dans les faits qu’un nombre
très limité de personnes, et, dans certaines circonstances, l’esclave pouvait lui-même acheter sa liberté, ce
qui constituait ainsi deux « sorties » possibles bien que rares de ce statut servile. Mais, comme l’esclavage
était légitimé par l’Islam, il n’apparaissait comme nullement immoral et était accepté comme allant de soi
sans poser de problème dans l’ensemble du monde musulman. Ce n’est que très tardivement au cours du
XIXe siècle, à cause notamment des interventions des pays occidentaux, que ce statut fut progressivement
mis en question et finalement aboli (mais il faudra attendre 1962 pour que ce soit officiellement le cas en
Arabie Saoudite et 1981 en Mauritanie).
© Les Grignoux, 1999
Domestiques et concubines
Les esclaves n’étaient pas affectés prioritairement à la grande production agricole comme celle du coton aux États-Unis : beaucoup étaient occupés à des tâches ménagères ou servaient comme domestiques,
jardiniers, gardiens, hommes à tout faire; d’autres étaient incorporés aux armées (ce fut le cas notamment
en Égypte, au Maroc et en Turquie) ou travaillaient dans la bureaucratie ottomane tandis que les femmes
peuplaient les harems, ce qui ne les empêchait pas de servir aussi de couturières, nourrices, domestiques,
cuisinières ou femmes de chambre. Toutes les basses besognes notamment domestiques étaient jugées
peu dignes des hommes et des femmes arabes et étaient alors accomplies, dans les familles suffisamment
fortunées, par des esclaves. Un certain nombre d’entre eux parvenait néanmoins avec le temps à occuper
des fonctions importantes par exemple dans l’administration ou l’armée. De manière générale, les esclaves
étaient fortement intégrés dans la société musulmane dont ils devaient d’ailleurs adopter la religion : ceux
qui appartenaient à des paysans pauvres partageaient par exemple pratiquement les mêmes conditions
de vie (évidemment médiocres) que leurs maîtres. Si la condition d’esclave dans le monde arabe est ainsi
apparue aux observateurs extérieurs (comme les voyageurs) comme beaucoup moins pénible que dans les
colonies américaines, il ne faut néanmoins pas en conclure que cette condition était enviable : preuve en
est que de nombreux esclaves étaient en fuite.
En outre, la raison principale de l’esclavage dans le monde arabe était l’exploitation sexuelle des femmes.
La loi islamique autorisait en effet les hommes à avoir quatre épouses au maximum et autant de concu Cette conversion forcée ne supprimait pas la condition d’esclave : il fallait pouvoir prouver sa foi musulmane avant l’éventuelle mise en esclavage pour pouvoir l’éviter. Dans les faits, certains trafiquants n’hésitaient pas à asservir les membres de
certaines peuplades africaines dont ils jugeaient fort judicieusement l’islamisation imparfaite…
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bines que leur fortune le leur permettait (c’est-à-dire des esclaves car une femme libre ne pouvait jamais
être concubine). Comme le mariage avec une femme libre imposait de multiples contraintes et dépenses
(notamment la dot) et que les épouses se montraient en général moins dociles ** que les concubines, la
tentation était grande pour les hommes d’acheter dès qu’ils en avaient les moyens une esclave. Cette demande masculine explique ainsi que les jeunes femmes aient été beaucoup plus fréquemment victimes de
la traite à destination du monde arabe et qu’elles aient eu beaucoup plus de valeur sur ce marché que les
hommes (à l’inverse de la situation en Amérique où les esclaves mâles victimes de la traite et destinés aux
lourds travaux agricoles étaient en surnombre par rapport aux femmes et valaient plus cher qu’elles). Dans
le même esprit d’exploitation sexuelle, les Blanches (venues principalement des régions caucasiennes) et les
Africaines à peau claire (comme les Abyssiniennes aux traits fins) étaient d’ailleurs plus recherchées par les
acheteurs. Ces concubines s’intégraient largement dans le monde domestique et bénéficiaient rapidement
de certains privilèges (dépendant néanmoins de l’état de fortune de leur maître), nombre d’entre elles
pouvant d’ailleurs être épousées par leur maître.
Enfin, la sévère séparation des sexes dans le monde arabe (le harem était la partie de la maisonnée réservée
aux femmes) explique le recours à ces esclaves particuliers qu’étaient les eunuques. Ceux-ci étaient en fait
des objets de luxe, réservés aux plus fortunés, et leur prix pouvait être dix fois supérieur à celui d’un autre
garçon esclave. La castration (que, d’après la loi islamique, les musulmans ne pouvaient pas opérer eux-mêmes
et qui était donc pratiquée par les trafiquants) était en effet fréquemment mortelle, car elle consistait en
général à couper pénis et testicules dans des conditions d’hygiène médiocres. Recherchés par les maîtres
les plus fortunés, les eunuques (du moins ceux qui survivaient à l’opération) jouissaient souvent d’un statut
privilégié et pouvaient dans certains cas accéder à de hautes fonctions (dues surtout à la puissance de leur
maître). Sans doute minoritaire, le phénomène des eunuques ne fut certainement pas exceptionnel et dut
concerner un nombre important de garçons bien que difficile à estimer.
Les chemins de la traite
© Les Grignoux, 1999
Deux voies principales servirent à la traite vers les pays arabes du XVe (mais peut-être bien avant) jusqu’au
début du XXe siècle. La première empruntait les multiples pistes qui, venant d’Afrique noire, traversaient
le Sahara vers les pays du Maghreb. Malgré les difficultés d’une telle traversée du désert, les caravanes de
dromadaires sillonnaient ces pistes, chargées d’or, de sel, d’ivoire et d’esclaves. Ces « matières premières »
étaient obtenues en échange de produits artisanaux ou manufacturés que le faible développement économique et technologique en Afrique noire ne permettait pas de produire. La traversée du Sahara n’était
cependant pas sans risque et il est certain que de nombreux captifs, notamment des femmes et des enfants,
moururent d’épuisement, succombant à la soif, à la faim, à l’alternance brutale de la chaleur du jour et du
froid de la nuit.
L’autre voie était maritime et longeait les côtes de l’est africain. Les bateaux partaient du golfe persique
(mais aussi de l’Inde) pour aboutir dans les régions du Mozambique et de la Tanzanie actuelle autour de
ports comme Zanzibar ou Mombasa. La mousson d’hiver orientée du nord au sud-ouest poussait en effet
facilement les navires arabes vers l’Afrique équatoriale, tandis que la mousson d’été en sens inverse les ramenait vers leurs ports d’attache quelques mois plus tard.
Bien qu’il soit extrêmement difficile de faire des estimations, ce sont sans doute des milliers d’esclaves
qui transitaient chaque année par ces deux voies (on cite le chiffre d’une dizaine de milliers par an dans la
première moitié du XIXe siècle au moment de l’apogée de la traite, mais, encore une fois, ces chiffres sont
largement hypothétiques).
** On connaît la sévère séparation des sexes dans le monde musulman, qui faisait que les futurs époux avaient très peu l’occasion de se fréquenter et de se connaître avant leur mariage. Dans ces conditions, l’entente sexuelle était loin d’être assurée, et
les hommes satisfaisaient alors plus facilement leurs désirs avec des esclaves soumises. Bien entendu, il n’était pas question
qu’une épouse cherche une pareille satisfaction avec un esclave mâle (une telle infraction étant théoriquement punie de
mort).
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L’esclavage dans la Grèce antique
Les renseignements suivants sont tirés des ouvrages d’Yvon Garlan, Les Esclaves en Grèce ancienne. Paris,
François Maspero, 1982 et de Moses I. Finley, Esclavage antique et idéologie moderne. Paris, Minuit, 1981.
L’Athènes du Ve siècle avant Jésus-Christ est présentée comme le berceau de la démocratie — ce qui
est sans doute vrai —, mais l’on omet souvent de signaler que cette singulière démocratie comprenait sans
doute plus d’esclaves que de citoyens libres. Semblablement, si l’on signale que les Barbares désignaient chez
les Grecs l’ensemble des étrangers, l’on oublie ou l’on ne sait pas que le mépris attaché à ce terme même
de Barbares est étroitement lié au fait que c’est principalement parmi eux que les Grecs trouvaient leurs
esclaves : il est clair qu’on ne met pas facilement quelqu’un qu’on estime en esclavage et qu’il faut d’abord
mépriser l’autre, l’étranger, avant de le réduire à cette condition servile.
Le statut des esclaves
Dans l’Iliade d’Homère (qui date sans doute du IXe siècle avant Jésus-Christ) qui traite d’un état de
civilisation antérieur à celui de la Grèce classique, on voit que les combattants vaincus étaient massacrés,
mais que les femmes étaient considérées comme une part de butin, destinées à être mises en esclavage et à
devenir les concubines obligées des vainqueurs.
À l’époque classique (Ve siècle avant Jésus-Christ), le sort des vaincus était sans doute moins cruel, les
prisonniers étant considérés comme une propriété, revendue d’ailleurs immédiatement par les guerriers
vainqueurs aux marchands d’esclaves qui suivaient l’armée. Mais la guerre n’était certainement pas la seule
source d’approvisionnement, et beaucoup d’esclaves étaient sans doute capturés lors d’expéditions de brigandage ou de piratage menées par les Grecs eux-mêmes ou par des peuplades barbares alliées.
Alors que la démocratie athénienne assurait aux hommes libres (mais pas aux femmes !) le droit essentiel
de participer à l’assemblée qui décidait de la vie de la cité (la « polis »), l’esclave se caractérisait d’abord
comme celui qui était privé de ce droit fondamental qui commandait tous les autres : c’était l’étranger absolu
qui ne figurait en particulier sur aucun registre officiel.
Considéré à l’égal d’un animal domestique, il était entièrement soumis à l’autorité de son maître, même
si la coutume (notamment religieuse) limitait l’arbitraire de ce dernier et proscrivait l’outrance dans la
violence, tels que la castration ou des coups mortels. Semblablement, si l’esclave avait l’autorisation de se
marier, ce mariage n’avait aucune valeur juridique et la famille pouvait être dispersée à tout moment. Quant
aux enfants, ils héritaient nécessairement du statut de leurs parents.
La violence physique était d’ailleurs inscrite au cœur de la domination esclavagiste qui commençait par
marquer les esclaves au fer rouge et qui réservait à eux seuls les châtiments corporels et l’usage de la torture.
Les peines énoncées à l’encontre d’un esclave fautif visaient explicitement à le marquer dans sa chair, que
ce soit par le fouet ou les chaînes.
Par manque de témoignage, le nombre d’esclaves à cette époque est impossible à estimer. Ils étaient en tout
cas très nombreux, sans doute dans la proportion d’environ trois ou quatre par famille d’homme libre.
© Les Grignoux, 1999
Les fonctions occupées par les esclaves
Les esclaves devaient s’acquitter de toutes sortes de tâches, des plus lourdes aux plus qualifiées, et
occupaient toutes sortes de postes, subalternes mais aussi de commandement. Il n’y avait en fait aucune
occupation réservée spécifiquement aux hommes libres sauf la justice, la politique et l’armée (encore qu’on
trouve des esclaves dans la marine et dans l’administration de l’État)
Les esclaves apparaissent, dans les témoignages notamment littéraires de cette époque, omniprésents
dans la vie quotidienne. Il y a une foule de domestiques qui sont chargés des travaux de la maison et qui
se consacrent à une grande variété d’occupations : valets, portiers, cuisiniers, danseurs, « courtisanes »
(c’est-à-dire prostituées), intendants…
Mais beaucoup d’esclaves doivent sans doute également travailler la terre, même si ce n’est pas là leur
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unique fonction. La société athénienne était d’abord une société agricole, composée d’une majorité de petits
propriétaires terriens qui exploitaient eux-mêmes leur domaine avec sans doute l’aide d’un ou de plusieurs
esclaves domestiques. Dans les grands domaines (appartenant aux citoyens les plus riches), apparaissent
également de nombreux esclaves qui étaient exclusivement chargés du labeur agricole sous la direction
d’un contremaître lui-même esclave.
Mais il semble néanmoins que l’on trouvait le plus grand nombre d’esclaves dans l’artisanat des villes
(cordonnerie, fabrique d’ustensiles, travail du bois, du métal…) ainsi que dans toutes sortes d’activités
commerciales et bancaires. Dès que le nombre de travailleurs dépendants dans une entreprise dépassait les
quelques unités (c’est-à-dire le maître et ses enfants éventuels), il s’agissait en fait d’esclaves. Il faut également
citer le travail dans les mines (notamment les mines de plomb argentifères), particulièrement pénible et
dangereux, qui était accompli en très grande majorité par des esclaves : mêmes les postes de contremaîtres
y étaient généralement occupés par des esclaves.
Enfin, il y avait des esclaves publics (c’est-à-dire directement soumis à l’autorité de l’État, de la « polis »)
occupés par exemple à l’entretien des routes ou même à des fonctions de simple police.
L’affranchissement
Si leur statut était fondamentalement subordonné et inférieur, la vie des esclaves pouvait néanmoins
être extrêmement diverse, parfois extrêmement pénible comme pour les travailleurs des mines, parfois
beaucoup plus aisée pour ceux qui occupaient des fonctions commerciales ou bancaires importantes chez
un maître particulièrement riche.
Enfin, le portait de l’esclavage dans la Grèce classique ne serait pas complet si l’on omettait la pratique
de l’affranchissement : généralement décidé par le maître, l’affranchissement impliquait très généralement
un prix de rachat (ce qui implique que nombre d’esclaves pouvaient en fait travailler en partie pour leur
compte personnel jusqu’à, pour certains d’entre eux, pouvoir payer le prix de leur liberté). Souvent certaines
limites étaient cependant mises à la liberté de l’affranchi qui devait rester par exemple auprès de son ancien
maître ou continuer à lui rendre certains services.
Par ailleurs, les affranchis n’accédaient jamais à la citoyenneté grecque et restaient assimilés juridiquement à des étrangers, à des Métèques, ce qui les excluait de la vie politique, de la participation à l’assemblée
du peuple et de l’accès aux magistratures. Plus important encore, ils ne pouvaient posséder de terres en
Attique, la propriété étant réservée aux seuls Athéniens.
Les raisons de l’esclavage
© Les Grignoux, 1999
De manière générale, il semble que les Athéniens, dans leur majorité petits propriétaires terriens exploitant eux-mêmes leur domaine, répugnaient à travailler régulièrement pour autrui (même comme salariés) et
que c’est donc les esclaves qui furent obliger d’effectuer ce travail « pour autrui », c’est-à-dire pour tous les
Athéniens des classes supérieures, capables d’acheter ces esclaves et d’exploiter ensuite financièrement leur
travail (que ce soit dans l’artisanat, les mines, les affaires ou les grandes exploitations agricoles). La liberté des
citoyens athéniens et leur participation à l’assemblée démocratique ont ainsi eu pour contrepartie indirecte
la mise en esclavage de milliers de métèques dont le travail était nécessaire à la prospérité de la cité.
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Commentaires
Comme toute situation historique, la traite négrière vers l’Amérique et les ÉtatsUnis en particulier est sans doute unique, incomparable à d’autres situations d’esclavage
dans l’Antiquité ou en Afrique précoloniale. Cette spécificité ne résulte cependant pas
d’un seul trait ou d’une seule caractéristique (par exemple, le nombre de personnes
victimes des pratiques esclavagistes) mais plutôt d’un ensemble de caractéristiques
qu’on peut retrouver isolées en d’autres lieux ou à d’autres époques mais dont la
combinaison est elle historiquement singulière. En outre, si cette combinaison est
unique, cela n’empêche pas qu’on puisse trouver à l’ensemble des situations d’esclavage
un ou plusieurs traits communs. Ainsi, comprendre une situation historique signifie
qu’on mette en évidence, par la comparaison, à la fois ce qui différencie telle ou telle
situation historique (ce qui constitue sa spécificité) mais aussi ce qui est commun à
plusieurs situations pourtant éloignées les unes des autres.
Trois traits semblent ainsi communs à toutes les situations d’esclavage. Le premier est l’aliénation totale d’un individu à un autre, sa transformation en propriété
semblable à un objet ou un animal, qui permet notamment de le vendre à un autre
propriétaire.
Le deuxième est la violence qui est toujours à l’origine de l’esclavage : seule cette
violence permet de contraindre l’individu, de le soumettre ainsi totalement à la
volonté d’autrui, d’obtenir son consentement forcé à ce qu’on exige de lui (le travail,
la complaisance sexuelle…. ). Et cette violence, qui est essentielle dans la transformation d’un individu libre en esclave (en particulier lors du rapt et de l’éloignement de
l’individu de son lieu d’origine), est renouvelée à différentes étapes essentielles du
processus (et peut donc affecter ceux qui n’ont pas été marqués directement par la
violence originelle du rapt comme les esclaves nés de parents esclaves) : les esclaves
sont fréquemment marqués au fer rouge, ils sont souvent enchaînés (notamment
pour empêcher leur fuite), et les punitions qui leur sont infligées lorsqu’ils ne se
conforment pas à la volonté du maître sont d’abord et essentiellement des punitions
corporelles. S’il existe, dans certaines sociétés, des formes d’esclavage volontaire ou
même d’esclavage pour dettes, cette servitude est alors toujours accompagnée de
garanties données à celui qui s’y soumet (comme celle de ne pas être vendu à un
autre maître ou celle de ne pas être soumis à des châtiments corporels) et s’éloigne
donc de l’esclavage au sens strict.
Le troisième trait peut paraître moins nécessaire mais on constate pratiquement
toujours que l’esclave est extérieur à la société qui le contraint à l’esclavage. La violence de la mise en esclavage est telle que les esclavagistes choisissent presque obligatoirement leurs victimes dans des sociétés extérieures à la leur (ou dans des groupes
socialement si différenciés qu’une barrière psychologique les sépare déjà nettement
de leurs maîtres). Ainsi, si, dans certaines sociétés africaines, des individus pouvaient
être condamnés à l’esclavage pour des crimes ou des délits qu’ils avaient commis, ces
tribus s’empressaient de vendre le coupable à une autre peuplade et n’exerçaient donc
pas elles-mêmes la violence nécessaire au maintien de l’individu en esclavage. Cette
distance sociale entre les esclaves et leurs maîtres se traduit d’ailleurs souvent par
l’éloignement souvent maximum de ces esclaves par rapport à leur société d’origine
notamment pour décourager toute tentative de fuite.
© Les Grignoux, 1999
Si l’on retrouve ces différents traits dans la situation des Noirs africains mis en
esclavage aux États-Unis, celle-ci présente néanmoins une série de caractéristiques
propres.
La première est l’importance de la traite négrière vers l’Amérique (les États-Unis
n’absorbant qu’une partie des victimes de cette traite). Jamais sans doute en aucun
lieu ni à aucune époque, autant d’individus n’ont été mis en esclavage sur une période
aussi courte (pendant un siècle et demi environ). Même si les pays européens n’étaient
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pas encore entrés dans la révolution industrielle, ce commerce triangulaire fut un
négoce massif, régulier, aussi parfaitement organisé que possible (selon les conditions
du moment) en obéissant à une logique de commerce de gros et non de détail (si
l’on peut s’exprimer ainsi) : on ne vend pas simplement des esclaves de particulier à
particulier, mais on organise le trafic de cargaisons entières d’hommes apparaissant
alors dans les livres de comptes des armateurs européens qui n’ont jamais mis les
pieds eux-mêmes en Afrique. On commerce avec des esclaves comme on commerce
avec des tonnes de canne à sucre ou de cacao, sans jamais être soi-même en contact
avec ces cargaisons, en les considérant uniquement comme des placements plus ou
moins rentables.
Une deuxième caractéristique importante de l’esclavage aux États-Unis est la fermeture totale de la société esclavagiste aux esclaves. Ceux-ci sont destinés à rester
définitivement des esclaves (aucune mesure d’affranchissement n’est pratiquement
possible), et ces esclaves sont destinés uniquement aux travaux les plus durs (essentiellement dans les plantations de coton) ou, à la rigueur, aux tâches domestiques
les plus ingrates. Jamais on ne verra un esclave cultiver un lopin pour son propre
compte, devenir petit commerçant ou encore soldat. Ce qui frappe dans la situation
des esclaves nord-américains comparés aux esclaves dans l’Antiquité ou dans les
pays Arabes (ou même en Amérique du Sud), c’est donc d’une part l’uniformité des
conditions médiocres au plus bas de l’échelle sociale et d’autre part l’impossibilité
pratiquement totale (sinon par la fuite) de sortir de cette condition.
Une troisième caractéristique propre aux États-Unis est le racisme qui s’est développé parallèlement à celui de l’esclavage, et c’est ce racisme qui explique sans doute
la fermeture totale de la société esclavagiste aux esclaves qu’elle possédait pourtant
en son sein. Au nom de la race, les Noirs étaient accusés de tous les vices possibles
(paresse, luxure, stupidité, fourberie, infériorité congénitale… ), ce qui interdisait
toute idée de mélange avec les maîtres : même les métis (car les Blancs ne se privaient
pas toujours des plaisirs que pouvaient leur procurer leurs esclaves) ne sont pas
considérés comme des Blancs (au moins pour une moitié… ) et sont exclus de leur
monde 1. Ce trait distingue nettement l’Amérique du Nord de l’Amérique du Sud
où le mélange interracial a été beaucoup plus profond et a produit une multitude de
métis, effaçant toute coupure franche entre le monde des Blancs et celui des Noirs (ce
qui n’empêche pas que certaines distinctions sociales se fondent encore de manière
subtile sur la couleur plus ou moins foncée de la peau). C’est ce racisme enfin qui
laisse sans doute aujourd’hui encore les marques les plus durables sur la situation
des Noirs aux États-Unis.
© Les Grignoux, 1999
1. Lors de la célèbre affaire
O. J. Simpson, accusé du
meurtre de sa femme
(blanche) aux États-Unis,
tout le monde — aussi
bien ses défenseurs que ses
accusateurs — a considéré
que Simpson était noir (ce
qui a cristallisé les tensions
raciales entre les communautés, les Blancs considérant plutôt l’accusé comme
coupable tandis que les
Noirs estimaient généralement qu’il était innocent).
Or, du point de vue des
caractéristiques physiques
(couleur plus ou moins
claire de la peau, forme du
nez, aspect plus ou moins
allongé du visage… ), on
aurait tout aussi bien pu
penser que Simpson appartenait au groupe blanc.
Mais comme métis, il était
spontanément « classifié »
par l’ensemble des Américains comme Noir. Sans
idéaliser la situation en
Europe, il est certain que
les caractéristiques purement raciales (c’est-à-dire
physiques) de l’individu y
auraient été à peine remarquées.
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L’esclavage après l’abolition
Comme Steven Spielberg le rappelle dans son film, l’affaire de l’Amistad ne fut
qu’une étape dans le long processus qui devait conduire à l’abolition de l’esclavage
aux États-Unis. Doit-on alors conclure que l’esclavage appartient à un passé définitivement révolu et que l’on n’évoque cette terrible histoire que par devoir de
mémoire ? Les choses ne sont malheureusement pas aussi simples, et il faut bien
constater d’une part que les séquelles de l’esclavage ne sont pas partout effacées et
d’autre part que de nouvelles formes d’esclavage peuvent apparaître aujourd’hui
encore dans nos sociétés.
L’abolition de l’esclavage aux États-Unis a sans doute mis fin d’un point de vue
juridique à une institution moralement condamnable mais a également fait surgir
de nouvelles formes de discrimination parfois aussi graves que l’esclavage. On sait
que les États du sud ont mis légalement en place, après la guerre de Sécession et leur
défaite militaire, un système de ségrégation raciale particulièrement odieux que
seul un nouveau combat de plus d’un demi-siècle a finalement mis à bas 1. En outre,
aujourd’hui encore, la situation des Noirs américains pose de nombreux problèmes,
notamment d’un point de vue économique, et, aux yeux de beaucoup, la lutte pour
l’égalité raciale n’est pas encore terminée dans ce pays 2. L’on voit que, sur toute cette
histoire récente, il est possible de mener avec les élèves des recherches stimulantes
qui prolongeront naturellement les questions posées par la vision d’Amistad.
Par ailleurs et de manière plus générale, on peut se demander si l’esclavage a réellement disparu partout dans le monde après son abolition officielle. À l’esclavage légal
ont sans doute succédé différentes formes d’esclavage contre lesquelles il convient de
lutter aujourd’hui. Différents organismes internationaux ainsi que des organisations
non gouvernementales combattent ainsi actuellement le travail des enfants ainsi que
la prostitution, tous deux assimilés à des formes modernes d’esclavage : le travail des
enfants, qu’on pourrait croire marginal et limité à certains pays sous-développés, est,
semble-t-il, en augmentation dans le monde à cause d’une demande croissante d’une
main-d’œuvre extrêmement flexible, saisonnière et bon marché (par exemple dans tous
les domaines de l’habillement soumis à des phénomènes de mode imposant des pics
brutaux de production); quant à la prostitution, si elle est parfois volontaire, l’on sait
bien que l’entrée y est le plus souvent provoquée par un mélange de ruse, de violence
et de contrainte sur des personnes démunies ou vulnérables (ce qui justifie que l’on
parle d’esclavage). Si les élèves sont intéressés par ces thèmes, ils pourront facilement
trouver une première information en s’adressant à l’un ou l’autre organisme chargé
de ces questions, en consultant en bibliothèque ou en médiathèque des journaux,
des magazines (parmi lesquels il est facile de trouver des numéros spéciaux consacrés
à ce type de sujets) ou des émissions d’actualité, ou bien en opérant une recherche
sur le réseau Internet (de nombreux sites sont consacrés à l’esclavage aujourd’hui).
Dans cette démarche, le rôle de l’enseignant sera sans doute moins d’apporter de
l’information (qui abonde dans ces réseaux) que d’apporter un éclairage critique sur
la documentation recueillie qui peut être de qualité très inégale.
1 L’on trouvera un rappel
de l’histoire des Noirs
américains dans le premier
chapitre du dossier pédagogique réalisé par les
Grignoux et consacré au
film de Spike Lee, Do the
Right Thing.
© Les Grignoux, 1999
2. L’on trouvera une évocation des problèmes soulevés par la condition sociale
des Noirs aux États-Unis
aujourd’hui dans le deuxième chapitre du dossier cité
à la note précédente.
Enfin, pour terminer ce dossier, l’on proposera un résumé de l’ouvrage récent
d’Adam Hochschild, Les Fantômes du roi Léopold (Paris, Belfond, 1998), qui
retrace la colonisation forcée du Congo sous l’égide du roi Léopold II. Même si cet
ouvrage écrit par un journaliste n’a pas la rigueur d’un travail historique scientifique,
même s’il est sans doute relativement unilatéral (en défaveur de l’action du roi), il est
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indéniable que l’ampleur des faits rapportés est suffisamment grave pour imposer
un réexamen sévère de la manière dont la colonisation (au moins jusqu’à ce que l’administration du Congo soit cédée à l’État belge et ne soit plus exercée directement
par le souverain et ses hommes liges) est habituellement présentée dans les manuels
d’histoire en Belgique. On verra en tout cas que l’esclavage en cette fin du XIXe siècle,
théoriquement interdit, était encore pratiqué dans les faits.
Les Fantômes du roi Léopold d’Adam Hochschild : résumé
Jusqu’à la fin du XIXe siècle, les Européens ne s’étaient pratiquement pas aventurés à l’intérieur du
continent africain, se contentant de négocier avec les peuplades côtières notamment l’achat d’esclaves à
destination de l’Amérique. Vers les années 1870, des explorateurs dont le célèbre Stanley vont se lancer à
la conquête de ce continent inconnu pour la gloire (Stanley est journaliste et ses articles sont richement
rétribués) ainsi que pour les richesses que ces régions sont supposées receler (l’ivoire des éléphants vaut à
l’époque très cher). Cette exploration n’avait rien de pacifique, les expéditions (composées de centaines de
personnes) étant obligées à partir d’un certain moment de vivre sur les réserves du pays exploré, et Stanley
n’hésitant pas à obtenir par la force ce dont il avait besoin. On lit ainsi avec stupeur dans son journal des
phrases comme : « nous avons attaqué et détruit vingt-huit villes importantes et trois ou quatre dizaines
de villages » sans doute jugés hostiles ! Sur le lac Tanganyika où il s’est aventuré, il ne supporte pas les
moqueries (?) des indigènes dont certains sont armés de lances. Cela l’ulcère à un tel point qu’il ouvre le
feu sur les pirogues avec sa carabine à répétition Winchester : « six coups et quatre morts suffirent à faire
cesser ces moqueries » !
© Les Grignoux, 1999
Un empire colonial, propriété privée
Le roi Léopold II (1835-1909) va très rapidement patronner Stanley et l’utiliser pour se tailler un
immense empire colonial sous le couvert d’une Association internationale du Congo dont le souverain
était le véritable dirigeant (cette couverture faisait du Congo sa propriété privée, échappant de ce fait au
contrôle du parlement et du gouvernement belges !). Agissant au nom de cette association, Stanley fera
signer, en échange de divers articles de troc, à un maximum de chefs africains rencontrés au cours de ses
nouvelles explorations, des accords selon lesquels ils abandonnaient « à ladite Association la souveraineté
et tous les droits de gouvernement » ainsi que tous les droits de chasse, de pêche et d’exploitation minière !
Plus grave encore, ces traités, qui étaient évidemment incompris par des chefs africains qui les signaient
en y apposant une simple croix, imposaient aux populations « d’aider, par des ouvriers ou autrement, tous
ouvrages, améliorations ou expéditions que ladite Association entreprendra à n’importe quel moment ».
C’était évidemment ouvrir toute grande la porte au travail forcé !
Car l’ère des explorateurs était à présent terminée (1889), et ce sont des ingénieurs, des planteurs, des
prospecteurs, des constructeurs de bateaux et de voies ferrées qui allaient leur succéder, ainsi que des soldats.
Ces premiers colons étaient en fait des aventuriers qui espéraient faire fortune rapidement et pour qui tous
les moyens étaient sans doute bons pour y parvenir. Nombre d’entre eux se sont en effet rapidement révélés
être des individus cupides, brutaux et sans scrupule. Mais tous ces hommes auront besoin de main-d’œuvre
pour exploiter les richesses de la colonie, à savoir dans un premier temps essentiellement l’ivoire qu’il faut
recueillir dans tout le pays, qui est immense, puis transporter jusqu’aux ports côtiers.
Il n’est évidemment pas question de faire venir une main-d’œuvre européenne trop coûteuse, et des milliers d’Africains seront bientôt mis au travail forcé pour porter les tonnes d’ivoire récoltées, pour construire
les maisons dont les Blancs ont besoin et pour leur servir de valets, tandis que d’autres seront enrôlés dans
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l’armée qui se constitue rapidement sous l’appellation de Force publique. Enfin, un grand nombre de femmes africaines deviendront contraintes et forcées les concubines de ces colons qui vivaient d’abord isolés
dans des postes souvent reculés où ils étaient laissés à leur propre initiative.
Les travaux forcés
Un grand obstacle naturel empêchait la pénétration des Européens dans le pays : le fleuve Congo, qui
s’était révélé à beaucoup d’endroits navigable, est néanmoins barré en aval par des chutes et des rapides
impossibles à traverser par bateau entre le port de Matadi, non loin de l’embouchure, et les villes actuelles de
Kinshasa et Brazzaville : il fallut donc d’abord démonter les navires qui allaient servir à envahir le pays et les
faire porter au-delà des chutes à dos d’homme à travers des pistes difficilement praticables et particulièrement
accidentées. Des porteurs nombreux furent enrôlés de force, et l’on commença à recourir à un instrument
de punition qui allait rester tristement célèbre au Congo : la chicotte était un fouet en peau d’hippopotame
qui laissait des cicatrices permanentes et qui était utilisé pour la moindre vétille sur des adultes mais aussi
des enfants employés par exemple comme domestiques. Les Européens préférèrent cependant rapidement
faire administrer la chicotte par d’autres Africains, transformés en garde-chiourmes.
De manière générale, seule la force pouvait contraindre les indigènes à travailler pour les Blancs, et
les administrateurs coloniaux n’hésitèrent pas à recourir de manière systématique à la prise de femmes en
otage pour obliger les hommes à se soumettre. Plus brutalement encore, les villages isolés pouvaient être
envahis par la Force publique (l’armée coloniale) avant d’être détruits, brûlés, et les habitants enchaînés et
déportés pour travailler au service des Blancs.
Aucune limite ne fut mise pendant longtemps à l’action des colons, et, dans les postes éloignés, ceux-ci
se comportaient souvent en despotes sadiques et incontrôlés. Pour asseoir leur autorité, certains n’hésitaient
pas à tuer, à pendre, à terroriser de multiples manières la population : c’est ainsi qu’un de ces colons fit planter
sur des piquets autour de son jardin des dizaines de têtes coupées d’hommes accusés de s’être rebellés !
La terreur était si grande que les quelques rares observateurs extérieurs qui parcoururent le pays à cette
époque constatèrent que nombre de villages étaient abandonnés, soit que les habitants aient été enlevés,
soit qu’ils se soient enfuis.
© Les Grignoux, 1999
Le règne du caoutchouc
Une nouvelle étape dans l’exploitation du travail forcé fut accomplie avec le boom du caoutchouc qui
se produisit dans les années 1890 quand Charles Goodyear puis John Dunlop découvrirent comment
utiliser cette substance pour la fabrication de pneus et de bien d’autres objets de consommation courante.
Durant toute cette décennie, la demande de caoutchouc ne cessa de croître, et, au Congo, il devint une
matière première aussi recherchée que l’ivoire. Mais, pour récolter le caoutchouc, il fallait inciser des lianes
poussant dans la forêt vierge et y suspendre un baquet où coulait alors une sève épaisse. Plus la demande
augmentera, plus il faudra s’enfoncer loin dans la forêt, monter haut dans les arbres afin de trouver toujours
de nouvelles lianes productrices de caoutchouc. Encore une fois, on contraindra les villageois, en prenant
par exemple leurs femmes en otage, à s’enfoncer dans une jungle humide, hostile, transformée en bourbier
pendant la saison des pluies, à y vivre des semaines durant dans des huttes sommairement aménagées sous
la menace d’animaux sauvages comme les léopards, avec le risque d’une chute du haut des arbres dans des
lieux isolés et sans secours possible, tout cela pour récolter le caoutchouc dont les colons fixaient des quotas
toujours en hausse.
Des dizaines de milliers d’Africains furent ainsi transformés en forçats pour récolter le caoutchouc, devant pour cela laisser leurs cultures traditionnelles à l’abandon. Les Blancs et leurs soldats ponctionnaient
en outre leurs maigres ressources — manioc, viande, poisson, bananes —, la désorganisation générale de
l’agriculture entraînant bientôt des famines locales. D’autres indigènes devaient encore servir de porteurs
pour amener tout le caoutchouc récolté jusqu’aux postes ou aux ports sur le fleuve. Le portage, de façon
plus générale, fut une véritable calamité pour les indigènes car, en l’absence de voies de communication,
tout devait être porté à dos d’hommes, des Noirs évidemment, et seule la force encore une fois pouvait les
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y contraindre. Beaucoup étaient enchaînés, et, lorsque l’un tombait, il entraînait bien sûr les autres dans
sa chute.
Le pays des mains coupées
Comme la demande de caoutchouc ne faiblissait pas, le travail touchait toujours de nouvelles régions.
Et, si un village refusait de récolter du caoutchouc, la force publique pouvait alors massacrer la population
entière afin de terroriser les villages avoisinants. Mais, comme les autorités coloniales n’avaient pas grande
confiance en leurs soldats noirs, elles exigèrent que ceux-ci rapportent, pour chaque cartouche tirée, la main
coupée de la victime : toutes ces mains qui, sous ce climat chaud et humide, risquaient de se décomposer
rapidement, devaient alors être fumées lorsque la campagne militaire durait quelque temps. Cette pratique
ignoble, lorsqu’elle fut connue, valut bientôt au Congo le surnom de pays aux mains coupées. Tous les
moyens étaient donc bons pour ces colonisateurs sans scrupules pour obtenir la soumission des indigènes,
et un témoin de cette époque rapporte avoir vu un soldat « prendre un grand filet, y mettre dix indigènes
qui avaient été arrêtés, attacher de grosses pierres au filet et le faire basculer dans le fleuve ».
Un nouveau projet vit bientôt le jour, celui de contourner les rapides infranchissables entre Matadi et
Stanley Pool (où se trouve la ville actuelle de Kinshasa) grâce à une voie de chemin de fer. Ce projet nécessita
jusqu’à soixante mille ouvriers pour construire trois cent quatre-vingts kilomètres de voies à travers un terrain particulièrement accidenté, ainsi qu’une centaine de ponts nécessaires au franchissement des obstacles
naturels. Ce fut un chantier particulièrement meurtrier à cause des maladies, des mauvais traitements, des
accidents, du travail forcé, des coups de fouet des contremaîtres. Les chiffres officiels, certainement sousestimés, donnent le chiffre de mille huit cents Africains morts sur ce chantier.
© Les Grignoux, 1999
Une campagne de presse
Alors que le Congo exportait de plus en plus d’ivoire et de caoutchouc, les cargaisons à destination de
la colonie étaient essentiellement composées d’armes, de munitions et de chaînes, c’est ce qu’observa, dans
le courant des années 1890, Edmund Morel, un jeune employé britannique d’une compagnie maritime
installée à Anvers. Alors, écrivit-il, « comment ce caoutchouc et cet ivoire étaient-ils acquis ? Certainement
pas par transaction commerciale. Rien ne rentrait en paiement de ce qui sortait. […] Seul le travail forcé d’un
genre terrible et continu pouvait expliquer de tels bénéfices cachés. » Les plantureux bénéfices réalisés au
Congo étaient en effet masqués dans des budgets trafiqués, tandis que le roi Léopold (qui ne s’était jamais
rendu dans sa colonie) avait toujours démenti les quelques accusations que différents témoins scandalisés
avaient pu porter contre son administration au Congo.
Choqué par ce qu’il appelait « une société secrète d’assassins chapeautée par un roi », Morel lança en
Angleterre une véritable campagne de presse qui révéla peu à peu au monde que la colonisation du Congo
était basée systématiquement sur l’utilisation de la main d’œuvre forcée des indigènes, c’est-à-dire de l’esclavage. Il publia par exemple des directives coloniales, théoriquement secrètes, qui révélaient que des femmes
étaient bien prises en otage pour contraindre leurs maris à récolter le caoutchouc ou que des primes étaient
offertes aux fonctionnaires pour les hommes enrôlés (nécessairement de force) dans la Force publique. Il
montra des photographies de villages détruits, de mains coupées et séchées, d’enfants ou d’adolescents sauvagement amputés. Il rapporta de nombreux témoignages qui prouvaient que dans les enclos sommaires où
étaient enfermés les indigènes pris en otage régnait une mortalité terrible due aux mauvais traitements et
aux conditions de vie misérables. Il fit enfin apparaître que le taux de natalité avait chuté dramatiquement
entre 1896 et 1903 dans les régions où la campagne de caoutchouc battait son plein, ce qui témoignait de
l’incroyable dégradation des conditions de vie des habitants de ces districts.
Cette véritable campagne de presse menée par Morel, puis relayée par de nombreuses autres personnes, finit par convaincre l’opinion publique britannique puis internationale, et des pressions multiples
s’exercèrent sur Léopold II pour qu’il mette fin à la gestion désastreuse de sa colonie. Le roi prit quelques
timides mesures, mais l’ensemble du système resta en place jusqu’à ce que le Congo soit cédé à l’État belge
en 1908 par le souverain un an avant sa mort (pour une somme estimée à plusieurs centaines de millions
de francs !). L’État belge mit certainement fin aux excès les plus terribles de la période précédente, mais
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on ne peut nier que la colonisation, même adoucie, reste une forme plus ou moins brutale d’exploitation
d’un pays par un autre…
© Les Grignoux, 1999
Si, les Africains parlent aujourd’hui couramment d’une dizaine de millions de victimes pendant cette
période noire de l’histoire congolaise (de 1885 à 1908), ce qui équivaudrait à la moitié de la population
congolaise d’alors (chiffre repris par Adam Hochschild dans son livre), des historiens belges interrogés à
ce propos comme Jean Stengers ou Jean-Luc Vellut préfèrent se réfugier derrière la difficulté de faire de
pareilles estimations en dehors de tout document chiffré (il n’y a évidemment pas eu de recensement de la
population indigène), soulignant que les pertes peuvent aussi bien être de 50%… que de 10%. On remarquera néanmoins que, si l’on divise le chiffre de dix millions de victimes même par dix, l’on obtient encore
un chiffre pour le moins conséquent…
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Table de matières
Présentation..................................................................................................................... 3
Comprendre le film....................................................................................................... 4
Avant la projection.......................................................................................................... 4
Après la projection.......................................................................................................... 4
Dix questions à propos d’Amistad de Steven Spielberg.............. 5
Quelques éléments de réponse......................................................... 6
L’affaire de l’Amistad dans son contexte historique.............................. 8
Un exercice de chronologie.............................................................. 8
Réponses et commentaires..............................................................10
Donner son avis sur le film....................................................................................12
Mon opinion à propos d’Amistad.................................................12
Analyser une séquence d’Amistad.......................................................................15
Amistad, la rencontre de deux cultures........................................................17
Amistad : résumé...............................................................................19
Qu’est-ce que l’esclavage ?......................................................................................22
La traite des Noirs et l’esclavage
en Amérique du Nord................................................................23
L’esclavage dans l’Afrique précoloniale.........................................26
L’esclavage dans le monde arabe et l’empire ottoman................28
L’esclavage dans la Grèce antique..................................................30
Commentaires................................................................................................................32
© Les Grignoux, 1999
L’esclavage après l’abolition.................................................................................34
Les Fantômes du roi Léopold d’Adam Hochschild : résumé......35
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© Les Grignoux, 1999
Au nom du père
Aux bons soins du docteur Kellogg
Babe
Le Ballon d’or
Bashu
Beaucoup de bruit pour rien
Beaumarchais l’insolent
Le Bonhomme de neige
Le Bossu
Boyz’n The Hood
C’est pour la bonne cause
La Championne
Cheb
Le Cheval venu de la mer
Cœur de dragon
The Commitments
Contre l’oubli
Cyrano de Bergerac
Daens
Danger pleine lune
Danny, le champion du monde
Danse avec les loups
Le Destin
L’Enfant au grelot
L’Enfant lion
Les Évadés
La Ferme des animaux
La Flèche bleue
La Gloire de mon père
& Le Château de ma mère
Le Gone du Chaâba
Good Will Hunting
La Haine
Henry V
Hors la vie
Le Huitième Jour
Il Postino
Jeanne la Pucelle
The Kid & Les Temps modernes
Linnea dans le jardin de Monet
La Liste de Schindler
Little Nemo
Looking for Richard
Le Maître des éléphants
Marion
Matilda
Ma vie en rose
Michael Collins
Microcosmos
Mondo
Mon Oncle
Munk, Lemmy et Cie
La Nuit des Rois
Les Nuits fauves
Othello
Les Palmes de M. Schutz
Le Petit Grille-Pain courageux
Pinocchio et l’Empereur de la Nuit
La Promesse Raining Stones
Roméo et Juliette
Salut cousin !
Smoke
Toto le Héros
La Vie est belle
Vincent et moi
Les Virtuoses
Voyage à Mélonia
Les Voyages de Gulliver
Voyage vers l’espoir
de Jim Sheridan
d’Alan Parker
de Chris Noonan
de Cheik Doukouré
de Bahram Beyzaie
de Kenneth Branagh
d’Edouard Molinaro
de Dianne Jackson
de Philippe de Broca
de John Singleton
de Jacques Fansten
d’Elisabeta Bostan
de Rachid Bouchareb
de Mike Newell
de Rob Cohen
d’Alan Parker
d’Amnesty International
de Jean-Paul Rappeneau
de Stijn Coninx
de Bratislav Pojar
de Gavin Millar
de Kevin Costner
de Youssef Chahine
de Jacques-Rémy Girerd
de Patrick Grandperret
de Frank Darabont
de John Halas
d’Enzo d’Alò
L’Art de l’animation
Simenon au cinéma : à propos de Monsieur Hire
Image par Image
La mer
L’animal et le règne humain
Les Jeunes à l’ombre des familles
par Philippe Moins
de Patrice Leconte
le cinéma d’animation
un dossier thématique
une approche pédagogique
sur six films récents
40
Les dossiers
pédagogiques
édités par Les Grignoux
& le C.T.L. - Liège
Sur simple demande, vous pouvez obtenir le catalogue complet
des dossiers pédagogiques édités
par Les Grignoux. Ce catalogue
contient, à chaque fois, une
brève présentation du film ainsi
qu’un résumé des principaux
chapitres du dossier.
Pour toute demande :
Les Grignoux,
9 rue Sœurs de Hasque,
B-4000 Liège, Belgique.
✆ : 32 (0)4 222 27 78
d’Yves Robert
de Christophe Ruggia
de Gus Van Sant
de Mathieu Kassovitz
de Kenneth Branagh
de Maroun Bagdadi
de Jaco Van Dormael
de Michael Radford
de Jacques Rivette
de Charles Chaplin
de Christina Bjork et Lena Anderson
de Steven Spielberg
de M. Hata et W.T. Hurtz
d’Al Pacino
de Patrick Grandperret
de Manuel Poirier
de Danny DeVito
d’Alain Berliner
de Neil Jordan
de Claude Nuridsany
& Marie Pérennou
de Tony Gatlif
de Jacques Tati
de Nils Skapáns et Jánis Cimermanis
de Trevor Nunn
de Cyril Collard
d’Orson Welles
de Claude Pinoteau
de Jerry Rees
de Hal Sutherland
de Luc et Jean-Pierre Dardenne
de Ken Loach
de Baz Luhrmann
de Merzak Allouache
de Wayne Wang et Paul Auster
de Jaco Van Dormael
de Roberto Benigni
de Michael Rubbo
de Mark Herman
de Per Ahlin
de Dave Fleischer
de Xavier Koller
Également au catalogue :
Amadeus de Milos Forman
Au revoir les enfants
de Louis Malle
Bach et Bottine
d’André Melançon
La Bamba de Luis Valdez
Ben-Hur de William Wyler
Birdy d’Alan Parker
Chérie, j’ai rétréci les gosses
de Joe Johnston
Court-circuit de John Badham
Crin Blanc & Le Ballon rouge
d’Albert Lamorisse
Le Dernier Empereur
de Bernardo Bertolucci
Do the Right Thing de Spike Lee
Les Enfants du désordre
de Yannick Bellon
Fievel et le Nouveau Monde
de Don Bluth
Greystoke de Hugh Hudson
La Guerre des tuques
d’André Melançon
Un Homme parmi les loups
de Carroll Ballard
Jean de Florette de Claude Berri
Mississippi Burning
d’Alan Parker
Né un 4 juillet d’Oliver Stone
Le Nom de la rose
de Jean-Jacques Annaud
L’Ours de Jean-Jacques Annaud
Le Petit Dinosaure et la Vallée des
merveilles de Don Bluth
Platoon d’Oliver Stone
Rain Man de Barry Levinson
Une Saison blanche et sèche
d’Euzhan Palcy
Salaam Bombay ! de Mira Nair
Stand By Me de Rob Reiner
Tatie Danielle d’Etienne Chatiliez
Trois hommes et un couffin
de Coline Serreau
Under Fire
de Roger Spottiswoode
La Vie est un long fleuve tranquille
d’Etienne Chatiliez
Écran large sur tableau noir
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