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Actualité Santé
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Psychiatrie
Comment gérer le suicide ?
La crise suicidaire est un état difficile à identifier. Les journées annuelles consacrées au phénomène nous le rappellent. Il s’agit d’attirer l’attention de tous, et en particulier
des soignants. On estime entre 130 000 et 180 000 le
nombre de tentatives de suicide par an en France.
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ntre 60 et 70 % des patients
suicidants ou suicidés ont
consulté un praticien dans le
mois précédant le passage à l’acte,
et 36 % ont consulté la semaine
précédente.
En France, l’Inserm enregistre chaque
année environ 11 000 suicides, et le
pays se situe au cinquième rang
européen. Par ailleurs, on compte
entre 130 000 et 180 000 tentatives
de suicide par an en France. Mais on
estime à 20 % le phénomène de
sous-déclaration.
Un peu de sémantique
Quelques précisions :
– le sujet suicidaire est celui qui a
des idées de suicide accompagnées
ou non d’un comportement suicidaire, sans passage à l’acte ;
– le sujet suicidant est celui qui fait
un geste suicidaire sans que celui-ci
induise le décès.
Le geste le plus connu est la tentative
de suicide (TS) médicamenteuse,
mais les conduites à risque chez un
jeune ou le syndrome de glissement
chez une personne âgée sont aussi
des gestes suicidaires. Les équivalents
suicidaires sont des comportements
sans but mortifère apparent, mais qui
peuvent aboutir au décès (alcoolisme,
toxicomanie, anorexie, refus de soins).
La crise suicidaire est un état réversible et temporaire non classé nosographiquement. C’est une crise psychique dont le risque majeur est le
suicide. Elle peut être figurée par une
trajectoire qui va du sentiment
d’échec à l’impossibilité d’échapper à
cette impasse, avec élaboration
concomitante d’idées suicidaires de
plus en plus présentes. Le passage à
l’acte n’est qu’une sortie possible,
mais grave, de la crise.
Les facteurs de risque
Les antécédents personnels du
patient tels que les comportements suicidaires ou les troubles
de l’humeur sont au premier rang
des facteurs de risque. Les antécédents familiaux également, car ils
représentent d’éventuels modèles
auxquels le sujet peut se référer.
Par ailleurs, toutes les affections
psychiatriques comportent un
risque suicidaire. Les troubles
dépressifs (de la mélancolie à la
dépression réactionnelle) et la
schizophrénie sont les plus fréquemment retrouvés. La sortie du
service psychiatrique est également un moment délicat. L’alcoolisme et la toxicomanie sont des
facteurs fragilisants et, parmi les
traits de personnalité, l’impulsivité
favorise le passage à l’acte.
Il existe des facteurs secondaires
qui correspondent à des éléments
sociologiques, comme l’isolement
social ou la solitude, le chômage
ou les soucis professionnels, la
transplantation culturelle, les traumatismes violents (perte parentale précoce, maltraitance, abus
sexuel ou agression, séparation,
veuvage). Paradoxalement, les
maladies organiques graves sont
peu suicidogènes, sauf chez le
sujet âgé.
Par ailleurs, les suicides réalisés
concernent davantage les hommes, alors que les tentatives de
suicide sont plutôt l’apanage des
femmes.
Et c’est entre 35 et 54 ans que les
décès par suicide sont les plus
nombreux. L’incidence reste constante jusqu’à 70 ans et augmente
ensuite fortement, surtout chez les
hommes. Mais le suicide est la pre-
mière cause de mortalité entre 25
et 34 ans et la deuxième entre 15
et 24 ans, après les accidents de la
route.
Comment gérer la situation ?
En premier lieu, les soignants doivent s’appuyer sur leur savoir,
même si ce savoir ne peut reposer
que sur des données subjectives. Il
en résulte une nécessité de formation.
En second lieu, il faut y penser !
Une crise suicidaire peut durer plusieurs mois ou quelques secondes.
Il est plus aisé d’y penser si le
patient est connu du médecin et
présente des troubles psychiatriques. L’attention est attirée par
une évolution de ces troubles.
Si le patient n’a jamais souffert de
troubles psychiatriques, le repérage
est plus difficile. La crise suicidaire
prend parfois le masque d’une
symptomatologie organique inexpliquée. Ou bien le patient se conduit
de façon inhabituelle avec son
entourage, médecin compris. Il est
anxieux, irritable et se plaint de
troubles du sommeil, de fatigue.
Aucun signe n’est spécifique à lui
seul : c’est le regroupement de
signes ou leur caractère inhabituel
qui doivent alerter les proches et
les soignants. Il arrive néanmoins
que le sujet exprime clairement son
sentiment de tristesse, d’échec ou
d’inutilité, voire de désespoir. Il peut
faire part de ses idées noires ou de
son intention de passer à l’acte.
Certains patients gardent un calme
apparent alors que le passage à
l’acte est imminent (syndrome présuicidaire). Quand le patient n’est
pas connu, on doit s’interroger si le
motif de consultation n’est pas clair
ou si le sujet vient de changer de
médecin.
Aider à la verbalisation
Il faut amener le patient à parler de
ses idées de suicide. La verbalisation, recommandée par l’Anaes, ne
>>
Infos
...
Les aides
L’aide des travailleurs
sociaux et
paramédicaux est
à évaluer au cas par
cas. Les réseaux
d’accueil et
d’écoute
téléphonique
permettent au patient
de dialoguer et de
s’ouvrir à d’autres
dimensions que
l’orientation
vers le suicide.
L’Union nationale
pour la prévention du
suicide (UNPS)
regroupe dix-neuf
associations (liste et
implantation
géographique
sur le site
www.infosuicide.org).
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 64 • juin-juillet 2005
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renforce pas le risque suicidaire,
mais favorise l’expression des
troubles si aucun jugement de
valeur n’est émis à l’égard du
patient. Mais si le sujet n’a jamais
commis de geste suicidaire par le
passé, il faut être prudent. Car alors,
il n’a pas de représentation mentale
précise de ce qu’est une tentative
de suicide. Il est encore dans l’informel, ce qui n’est pas le cas d’une
personne ayant déjà attenté à sa
vie.
Verbaliser n’est facile ni pour le
patient ni pour le soignant et, l’interprétation des réponses est tout
aussi délicate.
Le sujet âgé
Infos
...
Récidives
fréquentes
Environ
une personne qui a
commis une TS sur
trois récidive (24 %
dans les trois mois
suivants, 56 % dans
l’année, 75 % dans
les deux ans).
L’Anaes recommande
d’organiser la
continuité des soins
dès le début de la
prise en charge,
qu’il y ait eu
hospitalisation
ou non.
Les intervenants
doivent pouvoir
travailler en
complémentarité.
Mais le médecin
traitant doit être
sollicité.
Le suicide des personnes âgées
est méconnu. Il représente 1 %
des causes de décès chez les
sujets âgés. Le taux de suicides
augmente à partir de 65 ans et il
est le plus élevé chez les plus de
85 ans. Les suicides réalisés
sont plus nombreux, pour moins
de TS. Mais il n’est pas sûr que
les TS soient bien répertoriées
aux âges élevés.
Les hommes sont les plus touchés, les veufs surtout. Les maladies somatiques, invalidantes
et responsables d’une perte d’autonomie, s’accompagnent souvent de troubles dépressifs, qu’il
faut rechercher (dépression
masquée) et traiter. La proximité
de la mort, la perte des rôles
sociaux et familiaux majorent la
vulnérabilité du sujet.
L’entrée en maison de retraite
est une véritable rupture. Le taux
de suicide y est plus élevé, surtout chez les femmes les plus
jeunes. Les signes de la crise
suicidaire sont masqués : repli
sur soi, désinvestissement, agressivité, refus de soins ou d’alimentation, conduite inhabituelle,
syndrome de glissement.
Formation des soignants
Plusieurs études montrent que le
suicide doit d’abord être démystifié
chez le soignant, qui doit acquérir
une plus grande confiance en son
Professions Santé Infirmier Infirmière N° 64 • juin-juillet 2005
savoir face à ce risque. Il s’agit aussi
de ne plus travailler seul. En France,
le programme national de prévention du suicide tend à apprivoiser la
“suicidologie” comme une maladie.
L’Anaes recommande d’explorer six
éléments.
• Le niveau de souffrance : désarroi
ou désespoir, repli sur soi, isolement relationnel, sentiment de
dévalorisation, d’impuissance, de
culpabilité.
• Le degré d’intentionnalité : idées
suicidaires envahissantes, rumination, recherche ou non d’aide, dispositions prises en vue d’un passage à l’acte (scénario).
• Les éléments d’impulsivité : tension psychique, instabilité, agitation,
panique, antécédents de gestes
suicidaires.
• Un élément précipitant : conflit,
échec, rupture, etc.
• La présence de moyens létaux :
en France, les premiers modes de
suicide chez les hommes sont la
pendaison et l’utilisation d’une
arme à feu. Chez les femmes, la
pendaison (femmes âgées) et l’intoxication médicamenteuse volontaire sont le plus fréquentes, suivies
de la noyade.
• La qualité du soutien de l’entourage : la famille peut soutenir le
patient, comme elle peut renforcer
le risque.
Quel que soit le degré d’urgence,
une crise suicidaire et une tentative
de suicide ne sont jamais à prendre
à la légère et doivent conduire à
une prise en charge psychologique.
L’Anaes a établi un tableau qui résume simplement les trois degrés
d’urgence de l’intervention médicale. Celui-ci a donné naissance à la
“stratégie nationale d’action face au
suicide 2002-2005”. Une circulaire
du 29 avril 2002 émanant de la
Direction générale de la santé, dont
la mise en œuvre a été confiée aux
Drass, a dressé la liste des actions
prioritaires. L’une d’elles concerne
la mise en place de formations
interdisciplinaires locales : chaque
Région dispose d’un binôme de
formateurs (un psychiatre et un
psychologue) chargés de diffuser
les recommandations de l’Anaes.
Des séminaires sont proposés à
tous les professionnels concernés
(généralistes, pédiatres, urgentistes,
gériatres, secteurs de psychiatrie,
infirmiers, travailleurs sociaux,
enseignants, structures d’accueil ou
de téléphonie sociale). L’acquisition
d’un savoir n’est pas le seul but de
ces formations. Il s’agit tout autant
d’apprendre à dialoguer avec un
patient suicidaire que de rencontrer
de futurs partenaires. En effet,
aucun professionnel ne doit plus
travailler de manière isolée. Cela
pose, bien sûr, le problème de l’organisation de l’exercice professionnel. En outre, si une pathologie psychiatrique est associée à la crise,
une évaluation psychiatrique est
recommandée.
Les médicaments
Les antidépresseurs réduisent le
risque suicidaire chez les patients
déprimés suicidaires. Les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine offrent une plus grande sécurité d’utilisation que les tricycliques
(prise massive éventuelle). Le phénomène de levée d’inhibition doit
inciter à la prudence, mais ne doit
pas entraver le recours à un antidépresseur s’il est nécessaire. Le traitement doit être délivré pour une
durée limitée et le patient doit être
revu sous huit à dix jours, d’autant
que c’est durant cette période que
les premiers effets indésirables se
manifestent.
Les benzodiazépines restent très
utilisées, notamment lors de la
prescription initiale d’un antidépresseur. Mais elles n’ont pas montré
leur efficacité dans le risque suicidaire. Les neuroleptiques et le
lithium sont utilisés sur des critères
psychiatriques précis.
Il est toutefois conseillé de recourir
à la psychothérapie chaque fois
qu’elle peut améliorer les facteurs
de vulnérabilité. Chez un suicidant,
la décision d’hospitalisation dépend
du risque vital, mais elle est
conseillée quelle que soit la gravité
de l’atteinte physique, chez l’adolescent surtout.
ALP
Source Anaes
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