10 Actualité Santé Alcoolisme Une prise de conscience nécessaire A l’heure des migrations estivales, l’alcool, à travers les accidents de la route, va encore compter ses victimes. Sujet trop souvent tabou en France, il demande des changements d'attitude. La consommation excessive d'alcool est, en moyenne, à l'origine d'un décès sur sept chez les hommes. L’ alcool concerne aussi les femmes mais par rapport à un décès sur 33 lui est dû. A tous les âges, la mortalité masculine liée à l’alcool est 2 à 5 fois supérieure à la mortalité féminine. Outre le naufrage personnel, familial et professionnel du consommateur, la sécurité peut être mise en danger. Une mortalité excessive Infos ... Alcool et HTA De nombreuses études épidémiologiques ont montré qu’il existe une relation entre une consommation d’alcool croissante et une élévation de la pression artérielle systolique et diastolique. On estime qu’une consommation d’alcool journalière égale ou supérieure à 60 g est la cause première des hypertensions artérielles observées en France chez 12 % des hommes et 2 % des femmes. En France, la consommation d’alcool est responsable de 45 000 décès par an. Parmi ces décès, 23 000 lui sont directement imputables, dont 18 388 chez les hommes et 4 722 chez les femmes. On compte ainsi chaque année : 11 706 décès par cancer (dont 5 003 cancers des lèvres, de la cavité buccale ou du pharynx, 4 432 cancers de l’œsophage et 2 271 cancers du larynx), 863 par cirrhose, 541 par alcoolo-dépendance. L’alcoolisme et le tabagisme sont souvent associés au cancer des voies aérodigestives supérieures. De plus, l’alcool est procarcinogène (un promoteur, c’est-àdire une molécule qui augmente l’effet d’un carcinogène), soit en facilitant la transformation d’un autre procarcinogène en carcinogène, soit en diminuant l’activité de détoxification des carcinogènes. L’hépatome est une complication de la cirrhose alcoolique. En plus des cancers, dans les pays développés, l’alcool est la cause la plus fréquente de pancréatite aiguë, dont les accès compliquent en général une pancréatite chronique pendant les premières années de son évolution. En effet, l’alcool est responsable d’au moins 85 % des pancréatites chroniques calcifiantes, Professions Santé Infirmier Infirmière N° 64 • juin-juillet 2005 maladie dix fois plus fréquente chez l’homme que chez la femme. Les conséquences somatiques de l’alcoolisme sont multiples, bien que la variabilité de la vulnérabilité somatique soit importante, sans doute pour des raisons génétiques. Parmi les maladies somatiques dues à l’alcoolisme, on dénombre les maladies alcooliques du foie (stéatose, hépatite, cirrhose), la cardiomyopathie congestive, les troubles du rythme cardiaque. Parmi les atteintes du système nerveux, on retrouve l’encéphalopathie de Gayet-Wernicke et le syndrome de Korsakoff, la polyneuropathie périphérique, la névrite optique, l’atrophie cérébelleuse, la myélinolyse centrale du pont, les crises convulsives généralisées et jusqu’à la démence. L’alcoolisme favorise également l’hypertension artérielle, l’ostéoporose et la nécrose aseptique de la tête fémorale. Sans parler des traumatismes divers liés à des accidents de la voie publique ou du travail domestique, et des traumatismes crâniens. L’alcoolisme engendre également des perturbations de la sexualité. Que dire aussi du coma éthylique ! L’alcool dans le sang Chez les patients présentant une alcoolisation chronique, la biologie sanguine révèle souvent une macrocytose, une élévation du fer sérique, une thrombopénie ou une neutropénie. La macrocytose est un marqueur biologique de l’alcoolisation chronique aussi fiable que la gamma GT, particulièrement chez la femme. Elle est due à une myélotoxicité directe de l’alcool ou à une carence en acide folique et en vitamine B12. La prescription d’acide folique ne modifie pas la macrocytose s’il n’y a pas de carence démontrée en acide folique. Cette macrocytose se normalise en un à quatre mois d’abstention d’alcool. En cas d’alcoolisation aiguë, le fer sérique est souvent élevé. La ferritinémie l’est fréquemment et modérément. Mais les mécanismes de l’augmentation globale et modérée des stocks de fer de l’organisme observée chez les alcooliques sont mal connus. En effet, l’augmentation de l’apport de fer par les boissons alcoolisées telles que le vin n’explique pas l’effet observé. L’alcool n’augmente pas l’absorption intestinale du fer. Cette dernière est augmentée en cas de déficit en acide folique ou en vitamine C. En pratique, il n’est pas toujours facile de distinguer une hépatopathie alcoolique avec surcharge en fer et une hémochromatose génétique chez un consommateur d’alcool. Chez les alcooliques hospitalisés, le nombre de plaquettes est fréquemment diminué, et la seule abstinence, sans aucun médicament, entraîne une élévation du nombre des plaquettes débutant deux à trois jours après le début de l’abstinence, ce nombre revenant à la normale en moyenne après deux semaines. Même en l’absence d’une thrombopénie, il existe après alcoolisation une thrombopathie, vérifiée par l’allongement du temps de saignement. Cette thrombopathie est caractérisée par un trouble de l’agrégabilité des plaquettes et par une diminution de la synthèse et du relargage d’une prostaglandine : la thromboxane A2. Les infections microbiennes Les infections microbiennes sont fréquentes chez les alcooliques : Actualité Santé par exemple, en cas de pneumonie à pneumocoque, la prévalence de l’alcoolisme varie de 10 à 28 %. Ces pneumopathies sont favorisées par les fausses déglutitions en cas d’ivresse et par l’hypothermie. Le patient cirrhotique est, quant à lui, un véritable immunodéprimé sensible aux infections. Enfin, la tuberculose pulmonaire survient fréquemment chez les hommes désocialisés et alcooliques. Cependant, il n’est pas certain que l’alcool favorise directement la tuberculose ; ce pourrait pourrait être le fait d’autres facteurs tels que la malnutrition. Alcool et grossesse En cas de consommation importante, égale ou supérieure à 100 g d’alcool par jour, et prolongée pendant toute une grossesse, il existe pour l’enfant un risque élevé, d’environ 30 %, d’anomalies réunies sous le terme de syndrome d’alcoolisme fœtal. Celui-ci se manifeste par une dysmorphie craniofaciale, des anomalies du système nerveux central et des malformations d’organes, en particulier cardiaques. Les risques au volant Après la vitesse, l’alcool au volant constitue la deuxième cause de l’insécurité routière en France. Sur l’ensemble du réseau national, près d’un accident mortel sur trois est lié à l’alcool au volant. La conduite avec une alcoolémie positive est une infraction – ou un délit – certes moins répandue que le dépassement des limitations de vitesse. Pourtant, son influence est considérable sur les accidents. En effet, l’alcool est présent dans 10 % des accidents corporels, et un accident mortel sur trois lui est imputable. Outre les conducteurs, les passagers représentent environ 83 % des tués de la route dans les accidents avec alcool. 38,5 % des accidents mortels des nuits de week-end dans lesquels le conducteur a entre 18 et 24 ans sont des accidents dans lesquels un de ces jeunes conducteurs avait un taux d’alcoolémie positif. Mais l’alcool au volant concerne tout le monde. Selon les données du ministère de la Justice, l’individu moyen qui est condamné pour conduite en état alcoolique est un homme âgé de 38 ans. Les adultes sont donc eux aussi particulièrement concernés par ce risque majeur. Les effets de l’alcool sur les capacités du conducteur sont bien connus. L’alcool agit directement sur le cerveau, même à faible dose, car c’est très rapidement que le produit induit un risque. Il influe très vite sur le comportement du conducteur, sans que celui-ci en prenne conscience. On parle alors “d’effet désinhibant de l’alcool”. Dans le même temps, l’alcool altère toutes les capacités nécessaires à la conduite (concentration, lucidité, réflexes...). Ainsi, chez un conducteur sobre, la durée moyenne de réaction est évaluée à une seconde. S’il présente une alcoolémie même légèrement positive, elle atteint au moins une seconde et demie, soit un parcours supplémentaire de 12 mètres à 90 km/h ! L’inégalité face à l’alcool Outre les disparités hommesfemmes, la consommation d’alcool est, d’après plusieurs enquêtes, socialement différenciée, surtout chez les hommes. Plus faible chez les cadres supérieurs et les professions intermédiaires, elle est élevée chez les employés et les artisans. De plus, de nombreuses disparités géographiques en termes de mortalité associée sont particulièrement fortes, avec des régions plus particulièrement touchées que d’autres (Bretagne, Nord-Pas-de-Calais, Picardie et Lorraine). Il existe donc une grande variabilité d’un individu à l’autre dans la gravité et dans le type des perturbations somatiques. L’équipement enzymatique sous contrôle génétique et les types d’alimentation pourraient expliquer ces polymorphismes. On le voit, l’abstinence est plus que conseillée pour une personne souffrant de conséquences de l’alcoolisme. Mais le retour brutal à une 11 alcoolémie nulle peut s’accompagner de symptômes désagréables tels qu’une sensation de malaise général, des nausées, des vomissements, une anorexie, une moiteur des extrémités, de la fièvre d’intensité variable, une insomnie, une tachycardie et des troubles du rythme cardiaque, une hypertension artérielle systolique et diastolique, des tremblements, une confusion d’intensité variable allant jusqu’à la désorientation spatiotemporelle, voire des crises convulsives... ALP Le coût de l’alcoolisme Comment évaluer le coût de l’alcoolisme ? Il faudrait prendre en compte le coût direct, mais aussi le coût économique et le coût social. Selon les statistiques de 1999 publiées par l’Association nationale de prévention de l’alcoolisme, le traitement de l’alcoolisme et des pathologies qui lui sont associées entraîne un coût direct de 10 milliards d’euros, soit environ 10 % du total des dépenses de consommation médicale ; le coût du dispositif spécialisé (CCAA et centres de cure et de postcure) s’élève à 76 millions d’euros ; le coût de l’hospitalisation pour alcoolisme est estimé à 1 milliard d’euros en 1992 et, après réévaluation, à 1,2 milliard d’euros pour l’année 1995. Les alcooliques actifs peuvent représenter jusqu’à 15 % des effectifs d’une entreprise ! On imagine les désordres humains et économiques que cela représente... Source : – C.Hill, Alcool et risque de cancer, Actualité et dossier en santé publique 30. La documentation française, mars 2000 Baromètre Santé 2000. – Expertise collective, Inserm 2001, données 1998. – Catherine Hill, Institut Gustave Roussy. – Statistiques 1999, Association Nationale de Prévention de l’Alcoolisme. Presse Med. 1999;28(30):1 653-60. – Enquête CREDES, 1997. Focus ... Les accidents chez les jeunes Les accidents de jeunes gens sous l’emprise de l’alcool ont provoqué le décès de 348 personnes, soit environ un par jour. La plupart des victimes de ces accidents de “jeunes” avec alcool (75 % des tués et 72,9 % des blessés graves) avaient eux-mêmes entre 18 et 24 ans. Professions Santé Infirmier Infirmière N° 64 • juin-juillet 2005