Les pratiques changent, les représentations
se modifient, et les mentalités évoluent très
certainement en Europe : la CLAT-2 en a
été le vivant et vibrant témoignage, parfois
touffu, dense, voire houleux (à l’énoncé de
tous les crédits menacés remettant en cause
l’existence d’associations, et des attentes
de la politique en France…). Ainsi, les pré-
sentations de Ruth Dreyfuss décrivant la
stratégie suisse, qui a consisté, avec l’aide
des médias, à faire évoluer les mentalités
du grand public face aux drogues. Résultat :
la drogue perçue comme le fléau numéro 1
en 1994 est maintenant classée par les habi-
tants à la huitième place, derrière le chô-
mage et le terrorisme… Bilan connu déjà
depuis quelque temps qui a suscité la créa-
tion, par les Espagnols, d’un site qui pro-
pose d’aider les médias à améliorer la qua-
lité et la pertinence des informations
concernant les drogues : www.drogome-
dia.com. Autre indice de ces changements :
cinquante pour cent des Français seraient
favorables à une prescription médicale
d’héroïne, dispensée dans un cadre médi-
cal. Et 70 % d’entre eux pensent que l’al-
cool est plus dangereux que les drogues illi-
cites (OFDT).
Questions de chiffres
Si le nombre de décès liés à l’usage des
drogues semble relativement stabilisé dans de
nombreux pays, la Grèce présente un bilan
alarmant. Mille décès en 2 000 versus 250 en
1993. En revanche, le Portugal, où l’on déplo-
rait environ 1 100 morts liées à la drogue en
1999, est repassé sous la barre des 1 000.
Il s’agit principalement d’hommes dans la
trentaine, injecteurs d’opiacés ne bénéfi-
ciant pas d’un traitement de substitution et
consommant également alcool et benzodia-
zépines. Pourtant, les réponses efficaces
sont connues : information et formation des
usagers, secours distincts des services de
police, délivrance de Narcan®et formation
à son utilisation, comme cela se pratique
dans plusieurs villes d’Italie, création de
salles d’injection et surtout large mise en
œuvre des traitements de substitution. En
Finlande, Irlande, Norvège, où les traite-
ments de substitution sont rares et très
contraignants, le nombre des overdoses est
en progression constante, alors que la
France peut témoigner du succès de sa poli-
tique en la matière : les overdoses ont baissé
de 80 % depuis 1996 avec la généralisation
des prescriptions de méthadone et surtout
de buprénorphine haut dosage (voir article :
“Buprénorphine haut dosage, l’âge de rai-
son”).
Hépatites C : l’état du front
•Concernant les maladies infectieuses, on
assiste à un renversement radical des ten-
dances : la France fait part de 800 décès liés
au VIH et 3 300 attribués à l’hépatite C. Une
étude pilote (Coquelicot), portant sur une
cohorte d’usagers de drogues marseillais de
moins de 30 ans, compte 43 % de per-
sonnes contaminées par le VHC et 0 % de
contaminations par le VIH. Par ailleurs,
30 % des usagers de drogues, persuadés
d’être négatifs, étaient en fait positifs pour
le VHC lors du dépistage. En projetant la
combinaison de ces données sur le plan
national, Julien Emmanuelli, responsable
de Coquelicot, estime que 9 % des 30 000
des injecteurs séronégatifs au VHC (soit un
tiers d’une population estimée à 100 000
personnes) se contamineront dans l’année.
Prévention et soins de l’hépatite C sont
donc devenus indiscutablement des priori-
tés absolues de santé publique pour aujour-
d’hui et les prochaines années.
•Mis en cause : les filtres contenant des
résidus de drogues sont réutilisés, partagés,
stockés, ce qui en fait des vecteurs essen-
tiels dans la transmission du virus. Le nou-
veau filtre présenté par Apothicom, et
qu’on espère trouver bientôt dans le
Stéribox, sera un élément aussi important
que la seringue à usage unique. Mais, si
celle-ci est néanmoins réutilisable, le filtre,
unanimement apprécié par les injecteurs,
ne le sera pas.
•Autre initiative prometteuse : l’échange
de seringues en pharmacie qui se développe
dans treize départements français. Ce sys-
Deuxième Conférence latine de réduction
des risques liés aux usages de drogues
(Perpignan : 22 au 24 mai 2003)
Jimmy Kempfer*
Cent soixante et une communications espagnoles, italiennes, portu-
gaises, suisses, françaises ont permis à 961 participants de prendre
le pouls de la réduction des risques et de pressentir les grandes
tendances européennes. La CLAT a pleinement joué son rôle en
permettant à de nombreux acteurs de terrain de confronter leurs
expériences et pratiques dans le cadre d’une culture commune : la
culture latine. Après la CLAT-1, qui s’est tenue à Barcelone, l’édition
numéro deux de Perpignan a indéniablement gagné ses galons
de conférence internationale.
* Responsable de l’équipe mobile Sud 92.
Association Liberté, 10, rue de la Liberté, 92220
Bagneux.
Où en sont les programmes
d’héroïne médicalisée ?
Outre la Suisse, qui était le seul pays au
monde où des programmes médicalisés
dispensent de l’héroïne injectable à plus
de 1 400 usagers réfractaires au traite-
ment à la méthadone, l’Allemagne vient
de créer des programmes d’héroïne in-
jectable. Quant aux Pays-bas, ils ont per-
mis aux usagers de bénéficier de la dis-
pensation d’héroïne fumable. L’Espagne
a annoncé, pour sa part, le démarrage
d’un programme d’héroïne très prochai-
nement. Quant à la France, le président
de la MILDT affirme qu’un tel projet est
dans les tiroirs depuis un certain temps.