L Trachéopathie ossifiante mISE AU pOINT Tracheobronchopathia osteochondroplastica

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mise au point
Trachéopathie ossifiante
Tracheobronchopathia osteochondroplastica
H. Dutau*
L
* Unité d’endoscopie thoracique,
pôle cardiovasculaire et thoracique,
hôpital Sainte-Marguerite, CHU de
Marseille.
a trachéobronchopathie ostéochondroplastique (TBOP) est une maladie rare caractérisée
par la présence de phosphate de calcium dans
la sous-muqueuse de la paroi des voies aériennes
centrales avec une prolifération bénigne d’os et de
cartilage aboutissant à la formation de nodules (1).
En général, les deux tiers inférieurs de la trachée
et l’origine des deux bronches principales sont
touchés. Dans les cas les plus sévères, on assiste
au regroupement de plusieurs nodules aboutissant
à une réduction significative et symptomatique
des voies aériennes centrales (2). Ce tableau peut
engendrer une insuffisance respiratoire obstructive avec épisodes de décompensation aiguë lors
d’infections (3).
Cette maladie se manifeste le plus souvent vers
l’âge de 55 ans environ, et concerne majoritairement les hommes (sex-ratio : 3/1). L’incidence de
la TBOP retrouvée au cours d’endoscopies systématiques pour des symptômes respiratoires est
de l’ordre de 0,02 % (4) à 0,7 % (5), ce qui est
sûrement sous-estimé par méconnaissance de cette
pathologie.
Les symptômes, aspécifiques, comprennent : toux,
dyspnée d’effort, infections récidivantes, wheezing
et hémoptysie (6, 7). Les patients sont en général
asymptomatiques, et la maladie est découverte de
façon fortuite, après une intubation difficile (8) ou au
cours d’examens radiologiques ou scanographiques
effectués pour une autre raison (9).
Histologiquement, les nodules sont constitués d’îlots
sous-muqueux de cartilage hyalin, avec des zones
d’os lamellaires et parfois médullaires. La surface
muqueuse est le plus souvent intacte, et on note
fréquemment une communication vers le périchondre
d’un anneau cartilagineux de la trachée (10).
L’étiologie demeure incertaine et de nombreuses
théories existent. Certaines plaident en faveur d’un
processus congénital ou d’un facteur prédisposant
héréditaire, comme en témoigne l’incidence élevée
de la maladie en Finlande ou en Suède (9). Un cas
28 | La Lettre du Pneumologue • Vol. XII - n° 1-2 - janvier-février-mars-avril 2009 clinique publié semble contredire cette théorie
puisqu’il a décrit le cas d’une femme ayant bénéficié d’une bronchoscopie normale à l’âge de 55 ans
puis d’une autre anormale à l’âge de 70 ans, avec un
aspect de TBOP sévère. Des facteurs métaboliques
ou inflammatoires locaux ainsi que des infections ou
une irritation chroniques ont été suggérés comme
autant de facteurs étiologiques (9).
Certains auteurs pensent que Klebsiella ozaenæ,
bactérie responsable d’une infection chronique de
la trachée, est associée à la maladie (9, 11). D’autres
auteurs enfin suggèrent que la TBOP serait le stade
ultime de l’amylose trachéobronchique au vu de
plusieurs cas associant ces deux pathologies (12).
Ce lien entre les deux maladies n’a pas été retrouvé
dans l’analyse de 245 cas de TBOP (13).
L’aspect endoscopique classique est celui de nodules
multiples, lisses, surélevés, blanchâtres, d’aspect
osseux, faisant saillie dans la lumière des voies
aériennes. Les nodules disséminés épargnent la
face postérieure membraneuse, ce qui différencie
la TBOP d’autres maladies (12).
La biopsie de ces nodules est quasi impossible
avec des instruments souples, mais réalisable en
bronchoscopie rigide. Toutefois, la biopsie n’est pas
indispensable pour le diagnostic, qui repose sur un
aspect endoscopique caractéristique.
Lorsque la maladie est peu sévère, la radiographie
standard est généralement normale. Dans les formes
modérées à sévères, la radiographie montre une
irrégularité des bords trachéaux avec des nodules
calcifiés (figure 1), des sténoses peuvent être
visibles (14).
En tomodensitométrie, la description classique
est celle d’un cartilage trachéal et/ou bronchique
épaissi, avec une calcification irrégulière (figure 2).
De nombreux nodules, avec ou sans calcification,
se projettent dans la lumière des voies aériennes à
partir des parois latérales et antérieures (10).
Une étude épidémiologique multicentrique, réalisée
en France en 2001, a rapporté 41 cas de TBOP (15).
Points forts
»» La trachéopathie ossifiante, de son nom complet trachéobronchopathie ostéochondroplastique, est une maladie rare des voies aériennes
centrales (trachée et grosses bronches) d’étiologie inconnue. Très rarement, elle affecte le larynx et l’espace sous-glottique.
»» Elle se caractérise par la présence de nodules osseux et/ou cartilagineux dans la sous-muqueuse des voies aériennes centrales.
»» La plupart des patients sont asymptomatiques, la maladie est donc de découverte fortuite (intubation difficile, radiographie ou
scanner thoraciques).
»» Si symptômes il y a, les nodules recouvrent alors l’ensemble des voies aériennes, à l’exception de la paroi membraneuse postérieure,
et leur regroupement peut entraîner une obstruction significative des voies aériennes.
»» Les symptômes cliniques sont aspécifiques : toux, dyspnée, hémoptysies, détresse respiratoire aiguë et infections récidivantes.
»» Le diagnostic repose sur l’aspect endoscopique caractéristique, mais la découverte de lésions typiques en radiographie conventionnelle
ou en tomodensitométrie est pathognomonique.
»» Il n’existe aucun traitement spécifique ou étiologique.
»» La bronchoscopie interventionnelle est efficace dans la désobstruction des formes sévères dyspnéisantes.
Mots-clés
Trachéobronchopathie
ostéochondroplastique
Bronchoscopie
Bronchoscopie
interventionnelle
Highlights
Figure 3.
Aspect de TBOP
modérée avec
nodules disséminés
sans réduction
significative
du calibre
trachéal.
Figure 1. Radiographie montrant une irrégularité des
bords trachéaux avec des nodules calcifiés.
Figure 2.
Tomodensitométrie
montrant un
cartilage trachéal
épaissi, avec
calcification
irrégulière.
Les principaux enseignements étaient les suivants :
– l’étiologie reste inconnue et n’est pas reliée à
d’autres pathologies telles que l’amyloïdose trachéobronchique, la polychondrite atrophiante, la trachéomalacie, la papillomatose trachéobronchique, la
sarcoïdose endobronchique, l’ozène trachéal, ou
le cylindrome ;
– la maladie n’affecte que les voies aériennes cartilagineuses ;
– la TBOP peut demeurer silencieuse ou entraîner
des symptômes tels que de la toux (54 % des cas)
et une hémoptysie (20 %) ;
– aucun traitement spécifique n’existe ;
– la radiothérapie apporte une amélioration négligeable des symptômes (16) ;
– l’aspect endoscopique seul est suffisant pour porter
le diagnostic ;
– la présence de parois latérales calcifiées de la
trachée sur une radiographie thoracique standard
est pathognomonique.
Les auteurs de cette étude ont proposé une classification qui divise la TBOP en trois stades en fonction
de l’extension nodulaire :
– atteinte localisée : quelques nodules présents au
sein de larges zones de muqueuse normale ;
– atteinte diffuse : nodules en grand nombre recouvrant la quasi-totalité de la muqueuse (figure 3) ;
– atteinte confluente : par fusion de tous les nodules
sans muqueuse saine (figure 4).
Il n’existe aucun traitement permettant de réséquer
en profondeur le tissu anormal ou d’empêcher le
développement de nouveaux nodules. La plupart
des patients étant asymptomatiques, ils ne nécessitent pas de traitement. Le traitement des formes
confluentes est très limité. La résection trachéale
chirurgicale n’est en général pas envisageable dans
les atteintes extensives, mais peut se révéler efficace dans les formes plus localisées (2). Les autres
options incluent la radiothérapie et la bronchoscopie
interventionnelle (4, 17). La radiothérapie est d’une
efficacité très limitée (16).
La bronchoscopie interventionnelle permet une
approche moins invasive que la chirurgie, avec des
résultats très significatifs. La résection mécanique
de nodules osseux assistée par une coagulation au
laser permet d’obtenir une rémission durable de
l’obstruction (18, 19) [figure 5]. Le laser ou d’autres
techniques telles que la cryothérapie, la thermocoagulation ou l’argon-plasma seules sont inefficaces
sur les nodules osseux, leurs effets étant trop superficiels (5, 10). Ces techniques ne font que détruire la
muqueuse en surface et font apparaître les nodules
osseux sous leur aspect caractéristique blanc perlé.
»» Tracheobronchopathia
osteochondroplastica (TBOP)
is a rare disorder of unknown
etiology which affects the
central airways (trachea and
main bronchi). Very occasionally it can affect the larynx and
the sub-glottic space.
»» It is characterized by bony
or cartilaginous nodules in
the submucosa of the central
airways.
»» The majority of the patients
are asymptomatic and the presence of this condition is often
an incidental finding (difficult
intubation, abnormality on
chest X-ray or CT scan).
»» If symptoms occur, the
nodules are present on all
surfaces of the airways with
the exception of the posterior membrane. This can lead
to significant airway obstruction.
»» Clinical symptoms are non
specific: cough, dyspnea,
hemoptysis, acute respiratory
distress and recurrent infections.
»» Diagnostic depends on
the finding of characteristic
endoscopic features but the
discovery of typical lesions on
radiography or CT is pathognomonic.
»» There is no specific treatment.
Interventional bronchoscopy is
efficacious in severe forms of
the disease which have resulted
in airway obstruction.
Keywords
Tracheobronchopathia
osteochondroplastica
Bronchoscopy
Interventional bronchoscopy
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Trachéopathie ossifiante
Figure 4. TBOP sévère avec nodules osseux confluents
occasionnant des sténoses trachéales multiples.
Figure 5. Patient de la figure 4 après plusieurs traitements en bronchoscopie interventionnelle.
Toutefois, ces effets peuvent se révéler suffisants
pour fragmenter ou indenter les nodules, permettant alors l’accrochage du bec du bronchoscope ou
de pinces rigides autorisant ainsi le décrochage de
morceaux d’os de la sous-muqueuse. L’intérêt indiscutable de la bronchoscopie rigide est multiple :
ventilation du patient, emploi de pinces à larges mors
pour le retrait de fragments volumineux, aspiration
indépendante et large, meilleure visibilité. Cette
approche est associée à une morbidité et à un coût
plus faibles que l’attitude chirurgicale.
Les complications de la bronchoscopie thérapeutique
sont essentiellement de type hémorragique, mais
leur contrôle par laser ou thermocoagulation est
en général aisé.
Un pneumomédiastin peut également survenir, mais
il est en général limité et spontanément résolutif.
La résection endoscopique requiert une maîtrise et
une technicité importantes de la part de l’opérateur. La
mise en place d’une prothèse n’est a priori pas indiquée,
car aucune ne possède une force radiale suffisante
pour pallier la compression des nodules osseux. ■
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