S Quelques visages de la perte et de la dépression

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DOSSIER THÉMATIQUE
Dépression et cancer
Quelques visages de la perte
et de la dépression
dans la pratique cancérologique
Several faces of loss and depression in oncology
N. Bendrihen*
S
i l’incidence de la dépression chez les patients
atteints de cancer est maintenant clairement
établie, cet article vise à identifier quelques
visages sous lesquels elle peut se présenter dans la
pratique quotidienne, dans un contexte où l’entrecroisement de symptômes somatiques et psychiques
est fréquent. Il s’agira également de dessiner
quelques pistes autour de la prise en charge psychothérapeutique des patients déprimés, qui associe
au traitement de la dépression comme symptôme
(le plus souvent en complément d’un traitement
médicamenteux s’il s’agit d’une dépression vraie ou
d’un épisode dépressif majeur) la prise en compte
de ce que représente, dans l’économie psychique du
sujet, le phénomène dépressif en lui-même, comme
la tentative de traitement psychique d’une perte
rencontrée au décours de la maladie cancéreuse ou
bien plus ancienne et alors réactivée.
Perte, deuil et dépression
* Unité de psycho-oncologie, département des soins de support, institut
de cancérologie Gustave-Roussy,
Villejuif.
Il y a presque 100 ans, en pleine première guerre
mondiale, Freud produisait un texte majeur sur la
dépression – qui ne portait pas encore ce nom-là,
mais était plutôt identifiée comme “mélancolie”.
Dans son article “Deuil et mélancolie” (1), Freud a
posé la similitude de ces deux phénomènes : tous
deux incluent douleur morale, suspension de l’intérêt
pour le monde extérieur, perte de la capacité d’aimer
et d’éprouver du plaisir, inhibition de l’activité… Mais
il notait qu’il y a dans la mélancolie – à lire comme
dépression sévère, ou épisode dépressif majeur à
l’heure du DSM (Diagnostic and Statistical manual of
Mental disorders) [2] – une difficulté et une souffrance
456 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010
supplémentaires : la diminution du sentiment d’estime
de soi, une profonde dévalorisation, pouvant aller
jusqu’aux auto-reproches les plus violents. Ce point est
en effet généralement absent dans le deuil car, même
si un sentiment de culpabilité peut l’accompagner
(l’endeuillé évoque ainsi très souvent l’impression
qu’il aurait pu faire plus, ou mieux), il est en quelque
sorte localisé. Dans la dépression, la culpabilité et la
dévalorisation s’étendent et touchent à l’être même.
Dans les cas les plus graves de dépression mélancolique, la culpabilité est envahissante, totale, et la
dévalorisation écrasante, rabaissant le patient au
point qu’il se sent réduit à quelque chose d’insignifiant
ou pire, à un “déchet”.
Malgré cette différence, Freud postulait une même
origine aux deux phénomènes : une perte. Perte
d’un être cher dans le deuil, mais aussi d’un idéal
ou d’un projet ; perte le plus souvent inconsciente
dans la mélancolie, le sujet profondément déprimé
ne sachant tout simplement pas ce qu’il a perdu,
même si la douleur de cette perte le ravage.
Ce point nous semble toujours d’actualité,
notamment dans le contexte de l’oncologie, où les
patients ont à faire face à plusieurs pertes, et ce sur
plusieurs registres. Il y a des pertes qui touchent
directement le corps : organes, fonctions du corps
mises à mal ou rendues impossibles par la maladie
cancéreuse. Il y a les pertes qui touchent au statut
“social” des patients : leur place dans la famille
(combien de patientes déprimées ne déplorent-elles
pas avoir perdu leur rôle de “pilier de la famille” ?),
ou dans la société, les liens professionnels. Au-delà
de tout cela, c’est la place dans le monde qui peut se
trouver bouleversée, de par une telle perte de repères.
Résumé
Ce texte présente plusieurs visages de la dépression en oncologie : quand elle se présente sous le ralentissement et l’inhibition ; quand elle peut être retrouvée derrière les plaintes somatiques ; quand elle se
fait mélancolie, au décours de la fin de vie d’un patient ; ou quand un autre patient confronté à la solitude
se sent hors de tout recours possible de ses proches et des autres. Autant de visages de la dépression que
l’auteur met en lien avec une perte, actuelle ou plus ancienne, alors réactivée par la survenue du cancer.
La recherche et l’identification de cette perte et la mise en lien avec la dépression est l’une des voies de
la psychothérapie.
Nous observons également des pertes de croyances,
de confiance dans le futur, croyances et confiance
dans lesquelles chacun est plus ou moins installé tant
qu’il n’est pas confronté à une telle maladie. Toutes
ces pertes sont autant de sources de travail de deuil,
lui-même pouvant se compliquer de symptômes
dépressifs, voire évoluer en dépression majeure
– stade durant lequel, souvent, le patient ne sait
plus précisément identifier ce qu’il a perdu. Il peut
aussi avoir le sentiment d’avoir tout perdu, ce qui
le laisse dans le même égarement. Le travail avec
le psychologue consistera donc, pour une part, à
identifier autant que faire se peut de quelle perte le
patient est en deuil ; et, pour les cas les plus graves,
lorsque la culpabilité devient majeure, à identifier
ce qui s’est construit autour de celle-ci, à tenter de
comprendre pourquoi le sujet s’attribue la responsabilité de la perte et du malheur – conception
éminemment scandaleuse quand on est victime
d’une telle maladie.
Nous allons voir quelques séquences tirées de la
pratique, où une perte a pu être progressivement
identifiée et mise en tension, articulée, avec la
problématique dépressive.
Un mouvement impossible
C’est dans une posture figée, ralentie, hésitante,
qu’Andrée, 46 ans, s’est présentée lors de son premier
rendez-vous avec le psychologue. Elle a, au cours
des 6 derniers mois, été opérée par mastectomie et
curage axillaire, puis a reçu 6 cures de chimiothérapie
et une radiothérapie pour une tumeur du sein. Elle
est actuellement sous trastuzumab, et plusieurs
cures sont encore programmées. Elle n’avait eu
aucun contact avec l’équipe des psychologues et
psychiatres de l’institution jusque-là, même si, lors
des consultations, l’oncologue a noté une certaine
asthénie et de l’inquiétude, notamment en rapport
avec la perte de ses cheveux. Devant la persistance
de cette asthénie à distance de la chimiothérapie,
l’oncologue a adressé la patiente au psychologue.
Rapidement au cours de l’entretien, deux symptômes
paraissent majeurs : une profonde douleur morale,
sourde et permanente, la plongeant par moments
dans l’angoisse ; et la quasi-impossibilité de sortir de
chez elle, car elle redoute jusqu’à la panique le regard
des autres (en dehors du cercle familial). Le médecin
généraliste, qui a été consulté, a diagnostiqué une
dépression et prescrit un traitement antidépresseur,
dont il est trop tôt, lors de ce premier entretien, pour
évaluer l’efficacité.
Nous voyons dans ce cas que ni la tristesse ni la culpabilité ne sont au premier plan du tableau clinique.
C’est l’inhibition qui apparaît à l’oncologue, derrière
laquelle la douleur morale est bien présente, comme
l’incapacité complète à éprouver le moindre plaisir
dans le peu d’activités que la patiente pratique encore.
C’est un tableau “trompeur”, car elle ne se plaint
pas, ne pleure pas… et ce que l’on pourrait prendre
rapidement pour de la réserve se révèle être en fait
une douleur et un empêchement plus profonds.
La patiente accepte alors un suivi psychologique
hebdomadaire, et se rend très régulièrement à ses
séances. Au bout de 3 semaines, son état thymique
est intact, et la souffrance toujours majeure, même
si elle commence à évoquer en détail, et de façon
moins distante qu’au début, le vécu des soins et
la rupture créée dans sa vie par le cancer. On lui
propose donc de rencontrer l’un des médecins
psychiatres de l’unité, parallèlement aux entretiens
psychothérapeutiques, afin de faire le point sur son
traitement. La prise en charge s’oriente à partir de
ce moment autour de 2 volets :
➤➤ Un changement d’antidépresseur, le nouveau
traitement se révélant plus efficace, notamment sur
l’intensité du vécu douloureux et l’angoisse, qui cède
peu à peu. Le médecin psychiatre incite également
la patiente à participer à des activités physiques
récemment mises en place à l’hôpital, activités
bien évidemment adaptées qui lui permettent très
progressivement d’accepter le regard des autres sans
que cela ne déclenche d’angoisse majeure.
➤➤ L’élaboration lente et progressive d’au moins
2 pertes plus anciennes, qui se sont trouvées réactualisées par le cancer, et qui toutes deux comportaient
pour une part un lien avec la question du regard.
Jeune fille, Andrée a été victime d’un grave accident
de la circulation. Immobilisée un long moment,
elle a alors craint – comme aujourd’hui – le regard
de ses camarades sur les cicatrices des interventions chirurgicales. La crainte était telle qu’elle est
partie plusieurs mois à l’étranger en convalescence,
compromettant ainsi sa scolarité.
Mots-clés
Dépression
Mélancolie
Cancer
Perte
Psychothérapie
Highlights
The author proposes several
faces of depression in oncology:
when it’s behind psychomotor
retardation, or behind somatic
complaints, when it becomes
melancholia during the end
of life of a patient, or when
an another patient feels
suddenly absolutely helpless.
These faces of the depression
in oncology may be linked with
a loss, current or from the past,
which is then reactivated by the
cancer. Research, identify and
link this loss with depression,
when it’s possible, may be a
way for psychotherapy.
Keywords
Depression
Major depressive disorder
Cancer
Loss
Psychotherapy
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 | 457
DOSSIER THÉMATIQUE
Dépression et cancer
Quelques visages de la perte et de la dépression
dans la pratique cancérologique
Nous retrouvons cette même problématique dans sa
panique face au regard des autres. Quelques années
après, sa première grossesse s’est très mal terminée,
puisqu’elle a perdu le bébé au 7e mois, sans qu’elle
puisse encore dire, des années après, si le bébé était
ou non vivant lors de cette naissance. Elle n’a de plus
aucun souvenir visuel de ce bébé ou de ce moment,
comme si une chape le recouvrait encore. On voit
là que c’est le regard qui a manqué – ou un souvenir
visuel trop insoutenable qui a été “oublié”, et qui se
refuse à émerger clairement.
La prise de conscience de ces événements, perdus et
retrouvés, la poursuite du traitement antidépresseur
et les activités physiques vont progressivement de pair
avec une sensation d’allègement. La patiente, qui se
prépare maintenant à la reprise de son travail, est allée
revoir ses collègues de travail – et a surtout accepté
qu’ils la revoient – et continue à travailler en psychothérapie sur l’image de son corps et le reflet qu’elle
imagine dans le regard des autres. Le moment dépressif
semble traversé, avec le gain d’un peu de savoir sur sa
propre histoire, qu’elle reconstruit progressivement.
La plainte dépressive
Si la plainte d’Andrée était silencieuse et se révélait
pleinement dans l’entretien clinique, il est par contre
difficile de ne pas entendre celle d’Annie. Elle aussi
est en fin de traitement pour une tumeur du sein.
Rien ne va plus pour elle : les douleurs neuro­
pathiques liées à la chimiothérapie l’invalident au
quotidien, elle ne parvient plus à dormir, prend du
poids, se sent seule et isolée, alors qu’elle reconnaît
être très entourée. C’est l’oncologue qui a prescrit le
traitement antidépresseur, avant de lui proposer un
suivi psychologique régulier, qu’elle accepte. Annie
s’étonne de l’état dans lequel elle se trouve, elle
“qui a toujours été là pour tout le monde”, et se
questionne “pourquoi cela se passe ainsi ?”
Il importe de prendre au sérieux les plaintes
somatiques – une affection thyroïdienne a ainsi pu
être mise en évidence, fortuitement, tout en essayant,
et c’est l’objectif du psychologue, de cerner le
moment d’apparition des symptômes dépressifs. Les
entretiens psychothérapeutiques permettent alors
d’interroger le rôle de “pilier” qu’avait toujours tenu la
patiente, avec l’incapacité actuelle, post-traitement
du cancer, de tenir ce rôle. Cette impossibilité ne
peut sans doute s’exprimer, et même se justifier,
qu’au travers de plaintes somatiques, plus recevables
pour son entourage que les symptômes dépressifs
à proprement parler. Pourtant, ils sont bien là, sous
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la plainte somatique, dans l’incapacité quasi totale
à apprécier un bon moment et à éprouver du plaisir,
quelle que soit la sphère de sa vie concernée, ainsi que
dans le retour de souvenirs à tonalité morbide, dans la
journée, comme dans des cauchemars récurrents. La
patiente tenait ce rôle de pilier depuis très longtemps,
puisqu’elle a évoqué la maladie de sa mère, traitée
elle aussi pour un cancer, et qui se reposait entièrement sur elle, enfant. “Il fallait continuer”… Annie
n’a jamais pu remettre en question ce rôle, qu’elle
dit avoir pris “naturellement”, ni les renoncements
qui se sont alors imposés à elle, et encore moins
les circonstances assez dramatiques du décès de
sa mère – scènes qui reviennent déguisées dans les
cauchemars. C’est quand elle-même s’est trouvée
atteinte d’un cancer qu’enfin la maladie et la perte
de sa mère trouvent à se traiter, c’est-à-dire à être
mises en mots, reprises, interrogées. La patiente
pourra ainsi un tant soit peu s’en dégager, c’est-à-dire
vivre avec cette perte et reconstruire sa place dans sa
famille, dans un juste milieu entre le pilier, que rien
ne touche, et le “je ne suis plus là pour personne”
de son repli dépressif. Long travail encore en cours…
Dépression mélancolique :
le poids de la culpabilité,
la rupture du lien
“Depuis des années, je me sens comme un voyageur
sans billet. Et là, je sens que la sanction va arriver”,
nous dit Pierre, 60 ans, atteint d’un cancer de la
prostate en phase métastatique. On voit là que la
dimension de la faute est au premier plan, puisque
le patient semble évoquer, et attendre, l’imminence
d’un châtiment. Au contraire des cas précédents,
nous sommes ici dans la dimension mélancolique
de la dépression, la plus profonde, la plus à risque
de passage à l’acte suicidaire.
Pour Freud, pour les psychanalystes après lui, et même
dans les travaux les plus récents sur la question (3, 4),
il est clair que le profond sentiment de culpabilité
et les auto-reproches que le mélancolique s’adresse
sont en fait destinés à un autre : en effet, il retourne
contre lui-même les reproches qu’il adressait en fait
initialement à celui qu’il a perdu, notamment parce
qu’il l’a abandonné. Dans le cas de Pierre, toute sa vie
a été marquée par la perte traumatique de sa mère
quand il avait 7 ans : la douleur de cette perte semble
avoir imprimé à sa vie le sentiment permanent “d’être
en trop”, de vivre à la place d’un autre. La cruauté d’un
tel reproche nous éclaire sur l’inconfort d’une telle
position dans le monde et sur le mal-être de Pierre.
DOSSIER THÉMATIQUE
Dépression et cancer
Ce dernier avait fait une longue analyse, qui lui a
permis, semble-t-il, de vivre avec la douleur de cette
perte sans porter atteinte à sa propre vie. Néanmoins,
l’aggravation de son cancer, l’abandon d’une position
assez prestigieuse dans son travail relancèrent ce
sentiment d’usurpation et la douleur de cette perte
qui se fit particulièrement aiguë au cours de la phase
terminale de sa maladie. Le lien à cet autre disparu a
été une ombre tout au long de la vie de Pierre, perte
quasiment impossible à surmonter pour cet homme.
Le cancer peut également plonger certains patients
dans une détresse fondamentale où c’est cette fois le
lien même à l’autre, le recours possible à l’autre, qui
est perdu. Henri était ainsi dans ce type de détresse
depuis le diagnostic de son cancer du côlon métastatique, prononcé après de multiples tâtonnements.
Le dysfonctionnement organisationnel dans l’hôpital
qui l’a pris en charge était tel qu’il n’avait reçu aucun
plan thérapeutique. C’est dans ce no man’s land entre
le verdict et l’absence de solution qu’il se déprima
très sévèrement. Restant allongé la plus grande
partie de son temps, il décrivait des journées vides,
où le monde semblait arrêté, où la présence de ses
proches lui était presque imperceptible. Le fait même
de changer de structure hospitalière, de demander
de l’aide ne lui est pas venu à l’idée. Presque mort
psychiquement, il faisait l’expérience d’une solitude
absolue où l’autre ne peut plus rien, comme s’il
n’existait plus. Cela contrastait totalement avec
ce qu’il avait connu auparavant, puisque, victime
il y a quelques années d’un accident de la route, il
avait alors été pris en charge en traumatologie, dans
l’urgence et avec efficacité.
La perte semble donc concerner cette fois le lien
du sujet avec les autres, et même la croyance qu’il
existe un autre, quelque part, pouvant aider. Là,
le travail psychothérapeutique, mais aussi la prise
en charge médicale et psychiatrique ont permis au
patient de se “reconnecter” aux autres afin qu’il
puisse continuer à se compter comme un sujet parmi
d’autres, un sujet au milieu des autres.
Une traversée :
de la perte au manque
Nous voyons bien comment la prise en charge
psychothérapeutique des patients confrontés aux
pertes liées au cancer pourrait être avant tout un
travail de recherche des origines de cette perte,
qui n’est souvent finalement pas celle qui apparaît
d’emblée ou que l’on croirait évidente. Nous avons
ainsi vu la perte d’un enfant et l’atteinte de l’image
du corps derrière l’inhibition d’Andrée ; la perte de
statut pour Annie, derrière les plaintes somatiques et
la perte d’énergie ; la perte d’une mère pour Pierre ;
la perte de toute croyance en l’autre pour Henri… La
recherche, avec le patient, de ces pertes permet de
border le “tout” perdu dans lequel tombe et s’enfonce
le patient déprimé. L’enjeu est donc de dresser une
sorte de bilan des pertes, qu’elles touchent au réel
du corps, visibles, ou à une croyance, un idéal. Faire
l’inventaire de la perte, donc, et la traiter.
Conclusion
Évidemment, le traitement de cette perte est
douloureux : c’est bien ce dont les patients témoignent. Et c’est là que nous trouvons toute la parenté
entre deuil et dépression : le mouvement dépressif,
sur son versant de deuil, est le début du traitement
psychique de la perte. Il fait signe du vide, de la
blessure subie et de la tentative désespérée de se
raccrocher à ce qui est perdu, en même temps que
la réalité de ce qui est perdu s’impose. La culpabilité qui l’accompagne est potentiellement dangereuse (risque de passage à l’acte suicidaire), tout en
étant déjà une recherche de sens, d’explication au
malheur qui surgit, ou resurgit, puisque se sentir
coupable, c’est déjà avoir une idée, même fausse,
sur la cause du malheur. C’est souvent dans cette
recherche de sens que s’ancrent bon nombre de
croyances sur la psychogenèse du cancer, dont on
sait aujourd’hui l’absence d’étayage scientifique
suffisant (5, 6) malgré leur large diffusion parmi les
patients. Il est important de s’en saisir, non pour y
enfermer le patient ou le laisser s’y enfermer, mais
pour entendre, dans un mouvement dynamique, les
racines inconscientes de cette culpabilité.
L’enjeu nous semble donc, dans la délicate traversée
de la dépression par le patient atteint de cancer,
de construire une voie entre 2 écueils : celui de la
dépression-symptôme à éradiquer à tout prix ; mais
aussi celui de la dépression qui serait normale et
inévitable, et donc à ne pas traiter (chimiquement
ou pas). Le traitement psychique de la dépression,
conduit par un psychologue, pourrait donc :
➤➤ permettre au patient de cerner ce qu’il a perdu,
c’est-à-dire de cerner aussi ce qui est encore là ;
➤➤ donner une juste mesure à la culpabilité, entre
coupable de tout et coupable de rien ;
➤➤ c’est-à-dire, finalement, faire passer la perte
brute au manque, cerné par le patient au terme de
la prise en charge psychologique, pour continuer à
vivre après le cancer avec ce qui a été perdu dans
la traversée.
■
Références
bibliographiques
1. Freud S. Deuil et mélancolie.
Dans : Métapsychologie. Paris :
Gallimard, 1968:145-71.
2. American Psychiatric Association. DSM-IV. Manuel diagnostique et statistique des troubles
mentaux. Paris : Masson, 1996.
3. Pamart É et al. Lesdits
déprimés. Revue des collèges
de clinique psychanalytique du
champ lacanien. Paris : Éditions
Hermann, 2009.
4. Leader D. Au-delà de la
dépression : deuil et mélancolie
aujourd’hui. Paris : Payot, 2010.
5. Gidron Y, Ronson A. Psycho­
social factors, biological mediators, and cancer prognosis: a new
look at an old story. Curr Opin
Oncol 2008;20(4):386-92.
6. Boesen EH, Johansen C. Impact
of psychotherapy on cancer
survival: time to move on? Curr
Opin Oncol 2008;20(4):372-7.
La Lettre du Cancérologue • Vol. XIX - n° 8 - octobre 2010 | 459
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