É D I T O R I A L Une nouvelle classe thérapeutique dans l’ostéoporose : les SERM ● P.D. Delmas, A. Fontana* L e traitement hormonal substitutif (THS) est considéré comme le traitement de référence dans la prévention de l’ostéoporose postménopausique. Il est efficace pour prévenir la perte osseuse postménopausique et réduire le risque de fractures ostéoporotiques à condition d’être poursuivi de nombreuses années, c’est-à-dire probablement dix ans (1), car la perte osseuse reprend dès l’arrêt du traitement. Il diminue probablement la morbidité cardiovasculaire, notamment coronarienne (2), bien qu’une étude contrôlée récente, ne montrant pas d’effet bénéfique du THS dans la prévention secondaire des accidents coronariens, souligne la nécessité d’études prospectives dans ce domaine (3). Malgré ces effets bénéfiques, l’observance thérapeutique est médiocre, et beaucoup de femmes arrêtent leur traitement en raison des effets indésirables et de la peur du cancer du sein. En effet, et bien que le rapport bénéfice/risque du THS soit positif, plusieurs études récentes ont montré qu’un traitement prolongé (au-delà de dix ans) est associé à une augmentation faible mais significative du risque de cancer du sein (4). Des alternatives à l’hormonothérapie substitutive sont donc nécessaires chez les femmes qui ne peuvent ou ne veulent pas prendre de THS. CERTAINS EFFETS BÉNÉFIQUES DES ESTROGÈNES, SANS LEURS INCONVÉNIENTS Les modulateurs sélectifs des récepteurs aux estrogènes, ou SERM (Selective Estrogen Receptor Modulator), sont une nouvelle classe de molécules développée pour garder certains effets bénéfiques des estrogènes sans en avoir les inconvénients. Ces molécules se lient aux récepteurs des estrogènes et induisent une réponse cellulaire soit de type antagoniste, soit de type agoniste, en fonction du tissu sur lequel elles agissent. Le concept des SERM est né des constatations faites avec le tamoxifène. Du fait de son action anti-estrogène puissante sur la prolifération mammaire, le tamoxifène est le traitement adjuvant de référence chez les patientes ménopausées traitées pour un cancer du sein. Plusieurs études ont montré que le tamoxifène prévenait partiellement la perte osseuse chez les femmes ménopausées et qu’il entrainaît également une réduction du cholestérol sérique (5, 6). * Hôpital Édouard-Herriot, 69437 Lyon Cedex 03. La Lettre du Rhumatologue - n° 249 - février 1999 Toutefois, l’utilisation prolongée du tamoxifène augmente le risque de cancer de l’endomètre ; il ne peut donc être utilisé dans la prévention de la perte osseuse postménopausique chez des femmes en bonne santé. DES ÉTUDES SONT EN COURS Plusieurs SERM sont en cours d’étude clinique (raloxifène, droloxifène, idoxifène, lévorméloxifène). Des résultats importants ont déjà été obtenus avec le raloxifène dans des études de phases II et III incluant plus de 10 000 patientes. Une étude multicentrique européenne de phase III a comparé, en double insu contre placebo, les effets de 30, 60 ou 150 mg/j de raloxifène oral, pendant deux ans, chez 602 femmes récemment ménopausées (7). Quelle que soit la dose, le raloxifène induit un gain minéral osseux modeste (de 2 à 4 %) mais significatif à la colonne lombaire, à la hanche et au corps entier contrastant avec la diminution significative sous placebo malgré l’adjonction de calcium (500 mg/j). Cet effet est lié à une réduction du remodelage osseux, avec des taux de marqueurs de résorption et de formation qui rejoignent sous traitement les valeurs des femmes non ménopausées. Le cholestérol total et sa fraction LDL diminuent significativement sous raloxifène, sans modification de la fraction HDL et des triglycérides plasmatiques. L’incidence des effets indésirables n’est pas significativement différente entre les deux groupes, y compris pour les saignements vaginaux et les douleurs mammaires. D’autre part, l’épaisseur de l’endomètre, mesurée tous les six mois par échographie endovaginale, n’est pas modifiée dans les différents groupes. L’ÉTUDE MORE Des informations complémentaires ont été apportées par l’étude MORE, réalisée chez 7 500 femmes ostéoporotiques, avec ou sans tassement vertébral, traitées contre placebo par 60 ou 120 mg/j de raloxifène. Les résultats à deux ans ont été présentés au récent Congrès Européen d’Ostéoporose, à Berlin (8). Le raloxifène réduit d’environ 50 % le taux de nouveaux tassements vertébraux (différence significative par rapport au placebo). L’amplitude de la réduction du risque fracturaire est comparable, que les patientes aient ou n’aient pas de tassement vertébral à l’entrée dans l’étude. 3 É D I T O R I A L D’autre part, cette étude a permis de mieux préciser les effets indésirables : comme c’est le cas avec le traitement hormonal substitutif, le raloxifène induit une augmentation du risque de thromboses veineuses et d’embolies pulmonaires, avec un risque relatif de 3 environ, mais avec une incidence qui reste faible (28 cas/100 000 patientes-années) ; une augmentation faible mais significative des bouffées de chaleur et des crampes aux membres inférieurs est également notée sous raloxifène, ne conduisant pas à une augmentation significative des sorties d’étude. substitutif dans la prévention et probablement dans le traitement curatif de l’ostéoporose vertébrale. Il est disponible aux ÉtatsUnis depuis janvier 1998 et son approbation récente par l’Agence européenne du Médicament permet d’espérer sa commercialisation en France dans un futur proche. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. Felson D.T., Zhang Y., Hannan M.T. et coll . The effect of postmenopausal estrogen therapy on bone density in elderly women. N Engl J Med 1993 ; 329 : 1141-6. 2. Grodstein F., Stampfer M.J., Manson J.E. Postmenopausal estrogen and proCERTAINES QUESTIONS gestin use and the risk of cardiovascular disease. N Engl J Med 1996 ; 335 : 453-61 . Concernant le risque de cancer du sein, deux communications récentes, présentées à l’ASCO 1998, ont montré que le raloxifène réduisait significativement l’incidence du cancer du sein, à savoir d’environ 50 % par rapport au placebo, pendant la durée des études, celle-ci n’excédant pas trois ans actuellement (9, 10). 3. Hulley Les études en cours devront répondre à certaines questions : le raloxifène réduit-il le risque de fractures non vertébrales (notamment poignet et hanche) dans l’ostéoporose ? L’amélioration du profil lipidique s’accompagne-t-elle d’un bénéfice cardiovasculaire ? Que devient le risque de cancer du sein à l’arrêt du traitement ? Quel est l’effet du traitement sur les fonctions cognitives et le risque de maladie d’Alzheimer chez les femmes âgées ? Existe-t-il un rôle pour le raloxifène dans l’ostéoporose masculine, compte tenu des études récentes soulignant le rôle des estrogènes dans le métabolisme osseux de l’homme ? S., Grady D., Bush T. et coll. Randomized trial of estrogen plus progestin for secondary prevention of coronary heart disease in postmenopausal women. JAMA 1998 ; 280 : 605-13. 4. Collaborative Group on Hormonal therapy in breast cancer. Breast cancer and hormone replacement therapy : collaborative reanalysis of data from 51 epidemiological studies of 52 705 women with breast cancer and 108 411 women without breast cancer. Lancet 1997 ; 350 : 1047-59. 5. Love R.R., Mazess R.B., Barden H.S. et coll . Effects of tamoxifen on bone mineral density in postmenopausal women with breast cancer. N Engl J Med 1992 ; 326 : 852-6. 6. Powles T.J., Davey J.B., McKinna A. A feasability trial of tamoxifen chemoprevention of breast cancer in Great Britain. Cancer Invest 1988 ; 6 : 621-4. 7. Delmas P.D., Bjarnason N.H., Mitlak B.H. et coll. The effects of raloxifene on bone mineral density, serum cholesterol, and uterine endometrium in postmenopausal women. N Engl J Med 1997 ; 337 : 1641-7. 8. Ettinger B., Black D., Cummings H. et coll. for the MORE study group. Raloxifene reduces the risk of incident vertebral fractures : 24-month interim analysis. Osteoporosis Int 1998 ; 8 : 11 (OR 23). 9. Jordan V.C., Glusman J.E., Eckert S. et coll. Incident primary breast cancers CONCLUSION Les SERM représentent une nouvelle classe thérapeutique très prometteuse. Leur intérêt, mais aussi le défi qu’ils posent, tient à la multiplicité des organes cibles. Dès à présent, le raloxifène représente une alternative intéressante au traitement hormonal are reduced by raloxifene : integrated data from multicenter, double-blind, randomized trials in 12 000 postmenopausal women. Proc ASCO 1998 ; 17 : 122a (abstr. 466). 10. Cummings S.R., Norton L., Eckert S. et coll. Raloxifene reduces the risk of breast cancer and may decrease the risk of endometrial cancer in postmenopausal women, two-year findings from the Multiple Outcomes of Raloxifene Evaluation (MORE) trial. Proc ASCO 1998 ; 17 : 2a (abstr. 3). Les articles publiés dans “La Lettre du Rhumatologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs. Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays. © mai1983 - EDIMARK S.A· Imprimé en France - Differdange S.A. - 95110 Sannois Dépôt légal 1er trimestre 1999 4 La Lettre du Rhumatologue - n° 249 - février 1999