
N. Farigon et al. / Nutrition clinique et métabolisme 29 (2015) 50–53 51
2. Définition de la dénutrition : quid en situation
d’obésité ?
La dénutrition résulte d’un déséquilibre quantitatif et/ou
qualitatif entre les apports et les besoins de l’organisme. Ce dés-
équilibre entraîne des pertes tissulaires notamment musculaires
avec des conséquences organiques et fonctionnelles délétères
[1]. Chez le patient hospitalisé, la dénutrition aggrave le pronos-
tic en termes de morbi-mortalité, justifiant la mise en place d’un
dépistage précoce pour une meilleure prise en charge [2,3]. Les
outils de dépistage retenus par la HAS en 2003 pour les patients
de moins de 70 ans, puis en 2007 pour les patients de plus de
70 ans, sont basés sur la prise en compte de l’IMC, d’une perte
de poids et d’une albumine ou d’une transthyrétinémie abaissées
[4,5]. Pour les patients de moins de 70 ans, une dénutrition est
suspectée devant un IMC inférieur ou égal à 17 kg/m2, une perte
de poids supérieure ou égale à 5 % en 1 mois ou 10 % en 6 mois,
une albuminémie inférieure à 30 g/L, ou un transthyrétinémie
inférieure à 0,11 g/L. Ces deux derniers critères biologiques ne
peuvent être pris en compte en cas de syndrome inflammatoire
avec une CRP supérieure à 15 mg/L. Pour les patients de plus
de 70 ans, les critères retenus sont un IMC inférieur ou égal à
21 kg/m2, une perte de poids supérieure ou égale à 5 % en 1 mois
ou 10 % en 6 mois, une albuminémie inférieure à 35 g/L avec une
CRP inférieure à 15 mg/L, ou un Mini Nutritional Assessment
(MNA) global inférieur à 17.
Les critères anthropométriques retenus pour dépister la dénu-
trition peuvent être pris à défaut en situation d’obésité et masquer
la dénutrition [6]. En effet, l’IMC peut être considéré comme
normal même après une perte de poids importante chez un sujet
préalablement obèse. De plus, la perte de poids même involon-
taire peut être perc¸ue plutôt favorablement dans des situations de
maladie chronique alors qu’elle est un facteur péjoratif du pro-
nostic de la maladie [7]. Enfin, une prise de masse grasse peut
masquer une perte plus ou moins importante de masse maigre
chez le sujet plus âgé [8]. Ainsi, l’obésité sarcopénique définie
par un IMC supérieur ou égal à 30 kg/m2associé à une réduction
de la masse et de la fonction musculaires, est un facteur péjo-
ratif aussi important que la dénutrition, telle que décrite dans la
définition, en termes de morbi-mortalité en situation de mala-
die chronique [9]. Le paradoxe de l’obésité qui, en situation de
maladie chronique serait un facteur protecteur, peut donc être
mis en défaut lorsqu’une sarcopénie est présente [10].
Les critères biologiques peuvent être également insuffi-
sants pour définir la dénutrition du sujet obèse. L’albuminémie
semblerait être le paramètre le plus adapté parmi les critères
« classiques » de dénutrition chez le patient obèse. Cependant, de
nombreux évènements tels que l’inflammation, l’hémodilution,
l’insuffisance hépatique, les pertes urinaires pathologiques que
l’on peut observer au cours de l’obésité compliquée peuvent
aussi entraîner une diminution de l’albuminémie. En dehors de
toute situation d’agression aiguë ou de défaillance chronique
d’organe telles que l’insuffisance hépatique ou un syndrome
néphrotique, l’obésité est souvent associée à un syndrome
inflammatoire de bas grade et à une augmentation du secteur
extracellulaire pouvant interférer avec l’albuminémie. A contra-
rio, l’albumine est un marqueur faiblement voire non corrélé
à la masse protéique, comme on le constate dans l’anorexie
ou les restrictions protéino-énergétiques au cours desquelles
l’albuminémie reste généralement normale. L’albumine appa-
raît donc plus comme un marqueur de morbi-mortalité que de
dénutrition [11]. Par conséquent, la question d’un autre mar-
queur de la perte protéique chez le sujet obèse reste totalement
ouverte. En ce qui concerne les autres paramètres nutrition-
nels notamment les dosages en micronutriments, ils peuvent
être utilisés comme cela a été récemment signalé [12]. Cepen-
dant il s’agit généralement de situations spécifiques comme le
suivi de la chirurgie bariatrique où l’on assiste effectivement à
l’apparition de nombreuses carences en lien avec la réduction
globale des apports nutritionnels, éventuellement combinée à
une malabsorption digestive [13].
3. Mécanismes spécifiques de la dénutrition chez le sujet
obèse
De fac¸on générale, la dénutrition peut résulter d’une dimi-
nution des apports nutritionnels (anorexie, douleurs...), d’une
augmentation inhabituelle des besoins énergétiques (inflamma-
tion chronique, stress chirurgical, hypercatabolisme...), d’une
moindre assimilation des nutriments (malabsorption, diminution
des hormones anabolisantes...). Dans l’obésité, la dénutrition
relève des mêmes causes potentielles, tout en considérant que
l’obésité s’accompagne également de nombreuses perturbations
métaboliques dont les effets complexes peuvent se cumuler et
aboutir avec l’avancée en âge à une réduction progressive du
capital musculaire. Par exemple, l’excès adipocytaire est lié à un
stade micro- ou macro-inflammatoire qui est associé au risque
cardiovasculaire, à l’insulinorésistance et au syndrome métabo-
lique. Ainsi, l’inflammation, tout comme l’insulinorésistance,
sont des évènements biologiques capables d’induire une résis-
tance anabolique musculaire et de participer progressivement à
une réduction du capital musculaire [14,15]. De plus, la perte
pondérale induite par des régimes alimentaires restrictifs qui
souvent se répètent, est responsable d’une diminution de tissu
adipeux et de masse maigre. La récupération de la masse maigre
lors du rebond pondéral n’est pas systématique et il est pos-
sible que ces épisodes successifs de perte et de rebond entraînent
chez certains patients obèses une perte non compensée de masse
musculaire. Cette perte de masse maigre musculaire n’est pas
uniquement le fait du déficit énergétique induit par la restriction
énergétique mais il reflète la demande de l’organisme et plus
particulièrement celle du cerveau en glucose. L’utilisation des
réserves endogènes pour le maintien de la production énergé-
tique résulte essentiellement d’une stimulation de la lipolyse à
partir du tissu adipeux à l’origine d’une diminution de masse
grasse souvent désirée par le patient obèse. Cette lipolyse sera
d’autant plus active que la différence entre dépense énergétique
et apports sera importante. Cependant, la fourniture énergétique
doit répondre également à la fourniture obligatoire du cerveau
en glucose (de l’ordre de 120 g/j) à partir de la transformation de
précurseurs gluconéogéniques (par ordre décroissant : les acides
aminés gluco-formateurs, le lactate, le glycérol), les acides gras
de la lipolyse servant à la production énergétique liée au coût
énergétique de la gluconéogenèse. Les acides aminés d’origine