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La responsabilité du médecin au regard des indications
de l’AMM, des références médicales opposables
et des recommandations des sociétés savantes
Medical hability from the viewpoint of market drug authorization,
guidelines provided by standard boards and medical societies
● F.A. Allaert*
a prescription d’un produit de santé est aujourd’hui
encadrée, d’une part, par les indications figurant dans le
libellé de l’autorisation de mise sur le marché (AMM)
et, d’autre part, par les “références médicales opposables” (RMO)
et les recommandations issues des conférences de consensus des
sociétés savantes.
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Face à cet encadrement destiné à guider les prescriptions des médecins, afin qu’elles apportent statistiquement aux patients des soins
de qualité présentant le meilleur rapport bénéfice/coût, il arrive
que les praticiens s’interrogent sur leur marge d’appréciation et
sur leur liberté de prescription face à des situations cliniques individuelles. En particulier, deux questions fondamentales résument
les inquiétudes qu’ils connaissent parfois : quelle est leur responsabilité s’ils ne respectent pas cet encadrement des prescriptions,
ou, à l’inverse, si son strict respect entraîne une perte de chance
ou un dommage pour un patient.
LE MÉDECIN DISPOSE-T-IL D’UNE LATITUDE
D’INTERPRÉTATION VIS-À-VIS DE CET ENCADREMENT ?
Il s’agit là d’une question fondamentale, puisqu’elle conduit à s’interroger sur la légalité du non-respect éventuel de l’encadrement de
la prescription. C’est dans le code de déontologie médicale qu’il
convient de rechercher le fondement juridique de la prescription
des médecins et, notamment, en ses articles 5 et 8. Rappelons que
ce code n’est pas un simple guide d’éthique édicté par la profession,
mais qu’il fait l’objet d’un décret pris après avis du Conseil d’État,
ce qui lui confère une forte valeur juridique (1).
✓ Article 5 - “Le médecin ne peut aliéner son indépendance professionnelle sous quelque forme que ce soit.”
✓ Article 8 - “Dans les limites fixées par la loi, le médecin est libre
de ses prescriptions, qui seront celles qu’il estime les plus appropriées en la circonstance.
* Médecin de santé publique et juriste, DIM, CHRU Dijon.
La Lettre du Pneumologue - Volume VIII - no 3 - mai-juin 2005
Il doit, sans négliger son devoir d’assistance morale, limiter ses
prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la
sécurité et à l’efficacité des soins.
Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des conséquences des différentes investigations et thérapeutiques possibles.”
Ainsi que l’indiquent les commentaires du code de déontologie (2),
la liberté de prescription du médecin de même que son indépendance sont soumises aux “données de la science” – parfois indécises et pouvant se modifier –, qui précisent les indications et les
contre-indications d’un examen complémentaire comme d’une
intervention thérapeutique. Mais “il revient au médecin d’appliquer ces données générales à un malade particulier et cela l’amène,
parfois, à nuancer la règle : il est alors souhaitable que cet écart
soit argumenté par des raisons objectives.”
On voit ainsi que le médecin dispose effectivement d’une latitude
d’interprétation des règles pour les adapter aux besoins spécifiques
d’un patient, mais cette liberté d’action a pour corollaire de devoir
rendre compte de ses décisions.
QUELLE EST LA RESPONSABILITÉ DU MÉDECIN
EN CAS DE PRESCRIPTION
EN DEHORS DU CADRE RÉGLEMENTAIRE ?
La réponse à cette question oblige à distinguer les situations de
l’AMM, d’une part, des références et des recommandations,
d’autre part.
Le non-respect de l’AMM est sans doute la situation la plus sensible pour le praticien, notamment parce que les indications, les
contre-indications et les précautions d’emploi qu’elle comporte
sont spécifiques au produit et font partie intégrante de l’agrément
dont il bénéficie, en particulier pour l’Assurance-maladie. Cela ne
signifie pas forcément qu’une prescription hors AMM soit entachée d’illégalité, mais il ne peut s’agir que d’une rare exception.
Ces exceptions existent, en particulier dans des domaines comme
la cancérologie ou la recherche sur le sida, où l’évolution très rapide
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des connaissances dont le patient doit bénéficier dépasse le rythme
des enregistrements administratifs. Mais, dans ce cas, la prescription hors AMM s’effectue non pas à partir d’une interprétation
individuelle d’une situation clinique, mais sur la base de données
scientifiques dûment publiées dans des revues de rang international.
C’est alors le fait de ne pas suivre ces évolutions scientifiques qui
pourrait être critiqué au motif que le médecin qui ne fait pas bénéficier le patient des données acquises de la science lui fait perdre
des chances de guérison. Toutefois, cette situation, dans laquelle
la communauté scientifique modifie en quelque sorte l’indication
du produit sans qu’elle bénéficie d’une ampliation dans son AMM,
reste l’exception (3).
Les prescriptions ne respectant pas les RMO posaient initialement
le double problème d’une responsabilité financière et juridique.
Les interrogations sur la responsabilité financière ont trouvé leur
réponse dans l’arrêt du Conseil d’État de 1999, qui a décidé que
les sanctions financières prévues par la Convention en cas de nonrespect des RMO étaient entachées d’illégalité (4). Cela, en revanche,
n’exonère pas le médecin de devoir, comme l’indique l’article 8 du
code de déontologie : “limiter ses prescriptions et ses actes à ce
qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des
soins”. Des comportements particulièrement hors norme, évalués
dans le “cadre global de son activité et non pour un malade particulier”, comme l’indiquent les commentaires du code de déontologie, peuvent ainsi conduire le médecin à devoir se justifier,
notamment au motif de l’article L.162-4 du code de la Sécurité
sociale ainsi libellé : “Les médecins sont tenus, dans toutes leurs
prescriptions, d’observer, dans le cadre de la législation et de la
réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible
avec l’efficacité du traitement” (5).
Sur le plan de la responsabilité médicale, c’est uniquement dans
le cas où une prescription allant à l’encontre des RMO suscite un
dommage ou une perte de chance chez un patient que la responsabilité du médecin peut être recherchée devant les tribunaux.
Comme dans toutes les situations de cette nature, et sous réserve
du lien de causalité entre le dommage au patient et la prescription,
la question sera alors de savoir, sur la base des avis des experts,
si, en effectuant cette prescription, le médecin a manqué ou non
à son obligation de moyen de donner des soins zélés et diligents
conformes aux données acquises de la science. En fait, au travers
de cette appréciation des faits par le juge, c’est aussi la légitimité
de la RMO qui sera étudiée dans le cas précis de l’affaire.
Il en est de même des recommandations issues des conférences
de consensus des sociétés savantes ou des comités d’experts mis
en place par des organismes tels que l’ANAES, avec pour différence cependant essentielle que leur opposabilité n’a jamais été
évoquée sur un plan administratif. En revanche, dans la mesure
où elles reflètent l’avis général des spécialistes, elles constituent
sur le plan scientifique des références auxquelles les experts se rapportent volontiers pour indiquer aux juges si le comportement du
médecin est ou non conforme aux données acquises de la science.
Ces experts prendront également en compte le niveau des recommandations que, avec beaucoup de pertinence, ces instances
scientifiques ont prévu de graduer A, B ou C selon leur niveau de
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preuve, allant de la démonstration scientifique la plus formelle au
simple consensus d’experts (6).
QUELLE EST LA RESPONSABILITÉ DU MÉDECIN
SI LE STRICT RESPECT D’UNE RÉFÉRENCE
OU D’UNE RECOMMANDATION
PORTE PRÉJUDICE À UN PATIENT ?
Nous n’aborderons pas le cas, fort peu probable en principe, où la
prescription d’un acte thérapeutique ou diagnostique recommandé
cause un dommage au patient. Dans la mesure ou cette démarche
est conforme aux données de la science, la responsabilité du
médecin pour faute ne pourra pas être engagée, et c’est sans doute
dans le cadre des dispositions sur l’aléa thérapeutique prévues par
la loi du 4 mars 2002 que l’indemnisation de la victime devra être
recherchée (7).
Un autre cas aisé à résoudre est celui où les recommandations
visent à exclure des associations thérapeutiques en raison de leur
inutilité ou, surtout, de leur toxicité potentielle, comme “il n’y a
pas lieu d’associer deux AINS” (8). Si le patient développe un
ulcère gastrique et qu’il engage une action, il y a tout lieu de
craindre que la responsabilité du médecin puisse être engagée sur
le fondement d’une décision thérapeutique déconseillée par les
recommandations et qu’il aura du mal à justifier dans les circonstances.
Du fait du caractère restrictif fréquent des RMO ou de certaines
recommandations, la question posée avec le plus d’acuité est de
savoir si un praticien qui s’abstient de prescrire un médicament
ou un acte thérapeutique dans des contextes cliniques où les recommandations les considèrent comme généralement inutiles – ou dans
des contextes cliniques qui ne sont pas évoqués par les recommandations – peut voir sa responsabilité engagée au motif que cette
absence de prescription a été à l’origine d’une perte de chance
pour le patient.
Il appartiendra bien sûr aux juges de se prononcer, mais il y a tout
lieu de penser que si, de cette abstention, il résulte un préjudice pour
le patient, le médecin ne pourra justifier de son comportement et
s’exonérer de sa responsabilité en faisant valoir l’existence d’une
référence opposable ou d’une recommandation préconisant cette
abstention ou, à l’inverse, de l’absence d’une recommandation
requérant cette prescription.
La première raison est que les références “opposables” instituées
dans un cadre conventionnel le sont éventuellement aux médecins,
mais qu’elles ne le sont, ni au patient ni à ses ayants droit en cas
de décès, ce qui limite leur intérêt comme moyen de défense du
médecin. Cette analyse est conforme à la position énoncée par
H. Allemand (9), médecin conseil national, dans un rapport de la
CNAMTS sur la Sécurité sociale et les RMO, qui indique notamment que : “Chaque médecin reste libre de ses choix au cas par cas :
l’opposabilité des RMO concerne la pratique et non pas un acte
particulier ; elle n’entrave pas la liberté de prescription (10-12).
Elle ne peut donc être invoquée en défense par un praticien poursuivi devant des instances civiles ou pénales”.
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La seconde raison est que le médecin s’oblige à donner à son
patient des soins consciencieux, attentifs, diligents, conformes aux
données acquises de la science, et qu’il ne peut s’en écarter sous le
prétexte d’échapper à des difficultés d’ordre financier – essentiellement disparues – ou administratives avec les caisses d’Assurancemaladie (4).
Enfin et surtout, il faut garder présent à l’esprit que le principe
de la recherche d’une responsabilité en cas de dommage est aussi
d’identifier une personne susceptible d’assumer l’indemnisation
du dommage. Dans l’optique où le médecin tenterait de dégager
sa responsabilité sur la base de l’abstention préconisée par les
références ou les recommandations, cela revient à tenter d’engager celle des “auteurs” de ces textes, ce qui a peu de chances de
pouvoir aboutir, car il leur serait facile de faire état :
– que ces textes ne comportent que des recommandations devant
guider le comportement global du médecin ;
– que ces recommandations n’ont pas de valeur contraignante
face au cas individuel du patient, pour lequel le médecin garde
son indépendance et sa latitude d’appréciation des faits ;
– et que cette indépendance du médecin dans l’appréciation de
l’intérêt du patient prime au niveau individuel sur toute autre
considération, quitte à ce qu’il doive en répondre devant les juridictions ordinales ou judiciaires.
QU’EN EST-IL ALORS D’UNE VACCINATION POUR LAQUELLE
LES RECOMMANDATIONS SERAIENT RESTRICTIVES
PAR RAPPORT AUX DONNÉES DE L’AMM ?
Au regard des considérations schématiquement exposées ci-dessus
sur la responsabilité médicale, il convient de prendre en considération le motif sous-jacent à la restriction d’emploi.
Si la restriction est fondée sur la mise en évidence d’un quelconque
danger qui serait spécifique à sa réalisation dans des contextes
particuliers, celle-ci ne tardera pas à apparaître dans le libellé de
son AMM, et il serait dangereux pour les patients que les médecins ne la prennent pas en compte. En cas de dommage causé à un
patient, il serait possible d’opposer au médecin que son comportement n’est pas en accord avec les données actuelles de la science
et le principe de précaution, tellement en vogue actuellement.
Si, en revanche, la restriction est fondée essentiellement sur des
hypothèses non dûment démontrées ou des choix de priorités vaccinales, ou, enfin, des considérations économiques, et qu’il y a plus
de risque pour le patient à ne pas bénéficier individuellement de
la protection induite par le vaccin qu’à en bénéficier, l’indépendance
du jugement du médecin dans l’intérêt du patient doit primer.
Dans l’état du droit et en l’absence de jurisprudence sur ce sujet,
il semble aujourd’hui légitime de penser que la survenue chez un
enfant d’une pathologie aboutissant à son décès ou à des séquelles
graves, alors qu’elle pouvait être prévenue par des moyens dont
l’efficacité et l’innocuité ont été dûment validées par l’AMM,
expose le médecin qui s’en est abstenu à des poursuites de la part
des parents, qui auront de fortes chances d’aboutir à engager sa
responsabilité, quelle que soit la référence qui pourra être faite
aux restrictions sus-citées.
Il paraît ainsi nécessaire que le médecin informe les patients de
l’existence de cette vaccination, leur expose ses avantages et
inconvénients éventuels et sa position sur l’intérêt qu’elle présente
pour l’enfant au regard des données actuelles de la science.
Il reviendra bien sûr aux parents d’accepter ou non que soit réalisée cette vaccination sur leur enfant. En cas de refus des parents,
et afin d’apporter la preuve qu’il a bien satisfait à son obligation
d’apporter à leur enfant des soins conformes aux données de la
science si la pathologie venait à se déclarer et à provoquer des
lésions, le médecin fera mention sur le dossier de l’enfant de cette
information délivrée aux parents, de la date à laquelle elle a été
délivrée et de leur refus.
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1. Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale.
2. www.ordmed.org/commente
3. Gromb S et al. Prescription de médicaments hors AMM et responsabilités.
Presse Med 2000;29,19:1053-7.
4. Conseil d’État. Arrêt du 10 novembre 1999.
5. Code de la Sécurité sociale, article L. 162-4.
6. www.anaes.fr
7. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la
qualité du système de santé.
8. Références médicales opposables. Prescription des anti-inflammatoires non
stéroïdiens. http://agmed.sante.gouv.fr
9. Allemand H, Jourdan MF. Sécurité sociale et références médicales opposables. CNAMTS.
10. Laude A. La force juridique des RMO. Médecine et Droit 1998;28:1-3.
11. Monestier D. Régulation médicalisée des soins et responsabilité médicale :
incidences sur l’expertise judiciaire. Médecine et Droit 1998;33:6-8.
12. Sargos P. Références médicales opposables et responsabilité des médecins. Médecine et Droit 1998;28:9-12.
© La Lettre de l’Infectiologue 2004;19(6):195-7.
La Lettre du Pneumologue
vous souhaite un bel été et vous remercie
de la fidélité de votre engagement.
Le prochain numéro paraîtra en septembre 2005
La Lettre du Pneumologue - Volume VIII - no 3 - mai-juin 2005
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