des connaissances dont le patient doit bénéficier dépasse le rythme
des enregistrements administratifs. Mais, dans ce cas, la prescrip-
tion hors AMM s’effectue non pas à partir d’une interprétation
individuelle d’une situation clinique, mais sur la base de données
scientifiques dûment publiées dans des revues de rang international.
C’est alors le fait de ne pas suivre ces évolutions scientifiques qui
pourrait être critiqué au motif que le médecin qui ne fait pas béné-
ficier le patient des données acquises de la science lui fait perdre
des chances de guérison. Toutefois, cette situation, dans laquelle
la communauté scientifique modifie en quelque sorte l’indication
du produit sans qu’elle bénéficie d’une ampliation dans son AMM,
reste l’exception (3).
Les prescriptions ne respectant pas les RMO posaient initialement
le double problème d’une responsabilité financière et juridique.
Les interrogations sur la responsabilité financière ont trouvé leur
réponse dans l’arrêt du Conseil d’État de 1999, qui a décidé que
les sanctions financières prévues par la Convention en cas de non-
respect des RMO étaient entachées d’illégalité (4). Cela, en revanche,
n’exonère pas le médecin de devoir, comme l’indique l’article 8 du
code de déontologie : “limiter ses prescriptions et ses actes à ce
qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des
soins”. Des comportements particulièrement hors norme, évalués
dans le “cadre global de son activité et non pour un malade parti-
culier”, comme l’indiquent les commentaires du code de déonto-
logie, peuvent ainsi conduire le médecin à devoir se justifier,
notamment au motif de l’article L.162-4 du code de la Sécurité
sociale ainsi libellé : “Les médecins sont tenus, dans toutes leurs
prescriptions, d’observer, dans le cadre de la législation et de la
réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible
avec l’efficacité du traitement” (5).
Sur le plan de la responsabilité médicale, c’est uniquement dans
le cas où une prescription allant à l’encontre des RMO suscite un
dommage ou une perte de chance chez un patient que la respon-
sabilité du médecin peut être recherchée devant les tribunaux.
Comme dans toutes les situations de cette nature, et sous réserve
du lien de causalité entre le dommage au patient et la prescription,
la question sera alors de savoir, sur la base des avis des experts,
si, en effectuant cette prescription, le médecin a manqué ou non
à son obligation de moyen de donner des soins zélés et diligents
conformes aux données acquises de la science. En fait, au travers
de cette appréciation des faits par le juge, c’est aussi la légitimité
de la RMO qui sera étudiée dans le cas précis de l’affaire.
Il en est de même des recommandations issues des conférences
de consensus des sociétés savantes ou des comités d’experts mis
en place par des organismes tels que l’ANAES, avec pour diffé-
rence cependant essentielle que leur opposabilité n’a jamais été
évoquée sur un plan administratif. En revanche, dans la mesure
où elles reflètent l’avis général des spécialistes, elles constituent
sur le plan scientifique des références auxquelles les experts se rap-
portent volontiers pour indiquer aux juges si le comportement du
médecin est ou non conforme aux données acquises de la science.
Ces experts prendront également en compte le niveau des recom-
mandations que, avec beaucoup de pertinence, ces instances
scientifiques ont prévu de graduer A, B ou C selon leur niveau de
preuve, allant de la démonstration scientifique la plus formelle au
simple consensus d’experts (6).
QUELLE EST LA RESPONSABILITÉ DU MÉDECIN
SI LE STRICT RESPECT D’UNE RÉFÉRENCE
OU D’UNE RECOMMANDATION
PORTE PRÉJUDICE À UN PATIENT ?
Nous n’aborderons pas le cas, fort peu probable en principe, où la
prescription d’un acte thérapeutique ou diagnostique recommandé
cause un dommage au patient. Dans la mesure ou cette démarche
est conforme aux données de la science, la responsabilité du
médecin pour faute ne pourra pas être engagée, et c’est sans doute
dans le cadre des dispositions sur l’aléa thérapeutique prévues par
la loi du 4 mars 2002 que l’indemnisation de la victime devra être
recherchée (7).
Un autre cas aisé à résoudre est celui où les recommandations
visent à exclure des associations thérapeutiques en raison de leur
inutilité ou, surtout, de leur toxicité potentielle, comme “il n’y a
pas lieu d’associer deux AINS” (8). Si le patient développe un
ulcère gastrique et qu’il engage une action, il y a tout lieu de
craindre que la responsabilité du médecin puisse être engagée sur
le fondement d’une décision thérapeutique déconseillée par les
recommandations et qu’il aura du mal à justifier dans les cir-
constances.
Du fait du caractère restrictif fréquent des RMO ou de certaines
recommandations, la question posée avec le plus d’acuité est de
savoir si un praticien qui s’abstient de prescrire un médicament
ou un acte thérapeutique dans des contextes cliniques où les recom-
mandations les considèrent comme généralement inutiles – ou dans
des contextes cliniques qui ne sont pas évoqués par les recomman-
dations – peut voir sa responsabilité engagée au motif que cette
absence de prescription a été à l’origine d’une perte de chance
pour le patient.
Il appartiendra bien sûr aux juges de se prononcer, mais il y a tout
lieu de penser que si, de cette abstention, il résulte un préjudice pour
le patient, le médecin ne pourra justifier de son comportement et
s’exonérer de sa responsabilité en faisant valoir l’existence d’une
référence opposable ou d’une recommandation préconisant cette
abstention ou, à l’inverse, de l’absence d’une recommandation
requérant cette prescription.
La première raison est que les références “opposables” instituées
dans un cadre conventionnel le sont éventuellement aux médecins,
mais qu’elles ne le sont, ni au patient ni à ses ayants droit en cas
de décès, ce qui limite leur intérêt comme moyen de défense du
médecin. Cette analyse est conforme à la position énoncée par
H. Allemand (9), médecin conseil national, dans un rapport de la
CNAMTS sur la Sécurité sociale et les RMO, qui indique notam-
ment que : “Chaque médecin reste libre de ses choix au cas par cas :
l’opposabilité des RMO concerne la pratique et non pas un acte
particulier ; elle n’entrave pas la liberté de prescription (10-12).
Elle ne peut donc être invoquée en défense par un praticien pour-
suivi devant des instances civiles ou pénales”.
ÉDITORIAL
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La Lettre du Pneumologue - Volume VIII - no3 - mai-juin 2005