La responsabilité du médecin au regard des indications de l`AMM

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La responsabilité du médecin au regard des indications
de l’AMM, des références médicales opposables
et des recommandations des sociétés savantes
Medical hability face to market drug authorization, on guidelines
provided by standard boards and medical societies
● F.A. Allaert*
L
a prescription d’un produit de santé est aujourd’hui
encadrée d’une part par les indications figurant dans
le libellé de l’autorisation de mise sur le marché
(AMM) et, d’autre part, par les “références médicales opposables” (RMO) et les recommandations issues des conférences
de consensus des sociétés savantes.
Face à cet encadrement destiné à guider les prescriptions des
médecins, afin qu'elles apportent statistiquement aux patients
des soins de qualité présentant le meilleur rapport bénéfice/coût,
il arrive que les praticiens s’interrogent sur leur marge d’appréciation et sur leur liberté de prescription face à des situations cliniques individuelles. En particulier, deux questions fondamentales résument les inquiétudes qu’ils connaissent parfois :
quelle est leur responsabilité s'ils ne respectent pas cet encadrement des prescriptions, ou, à l’inverse, si son strict respect
entraîne une perte de chance ou un dommage pour un patient.
LE MÉDECIN DISPOSE-T-IL D’UNE LATITUDE
D’INTERPRÉTATION VIS-À-VIS DE CET ENCADREMENT ?
Il s’agit là d’une question fondamentale, puisqu’elle conduit à
s’interroger sur la légalité du non-respect éventuel de l’encadrement de la prescription. C’est dans le code de déontologie
médicale qu’il convient de rechercher le fondement juridique
de la prescription des médecins et, notamment, en ses articles
5 et 8. Rappelons que ce code n’est pas un simple guide
d’éthique édicté par la profession, mais qu’il fait l’objet d’un
décret pris après avis du Conseil d’État, ce qui lui confère une
forte valeur juridique (1).
* Médecin de santé publique et juriste, DIM CHRU Dijon.
La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIX - n° 6 - novembre-décembre 2004
✓ Article 5 - “Le médecin ne peut aliéner son indépendance
professionnelle sous quelque forme que ce soit.”
✓ Article 8 - “Dans les limites fixées par la loi, le médecin est
libre de ses prescriptions qui seront celles qu'il estime les plus
appropriées en la circonstance.
Il doit, sans négliger son devoir d'assistance morale, limiter
ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins.
Il doit tenir compte des avantages, des inconvénients et des
conséquences des différentes investigations et thérapeutiques
possibles.”
Ainsi que l’indiquent les commentaires du code de déontologie (2), la liberté de prescription du médecin, de même que son
indépendance, sont soumises aux “données de la science” –
parfois indécises et pouvant se modifier –, qui précisent les indications et les contre-indications d'un examen complémentaire
comme d'une intervention thérapeutique. Mais “il revient au
médecin d'appliquer ces données générales à un malade particulier et cela l'amène, parfois, à nuancer la règle : il est alors
souhaitable que cet écart soit argumenté par des raisons
objectives.”
On voit ainsi que le médecin dispose effectivement d’une
latitude d’interprétation des règles pour les adapter aux besoins
spécifiques d’un patient, mais cette liberté d’action a pour
corollaire de devoir rendre compte de ses décisions.
QUELLE EST LA RESPONSABILITÉ DU MÉDECIN
EN CAS DE PRESCRIPTION
EN DEHORS DU CADRE RÉGLEMENTAIRE ?
La réponse à cette question oblige à distinguer les situations de
l’AMM d’une part des références et des recommandations
d’autre part.
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Le non-respect de l’AMM est sans doute la situation la plus
sensible pour le praticien, notamment parce que les indications, les contre-indications et les précautions d’emploi qu’elle
comporte sont spécifiques au produit et font partie intégrante
de l’agrément dont il bénéficie, en particulier pour l’assurance
maladie. Cela ne signifie pas forcément qu’une prescription
hors AMM soit entachée d’illégalité, mais il ne peut s’agir
que d’une rare exception. Ces exceptions existent, en particulier dans des domaines comme la cancérologie ou la
recherche sur le sida, où l’évolution très rapide des connaissances dont le patient doit bénéficier dépasse le rythme des
enregistrements administratifs. Mais, dans ce cas, la prescription hors AMM s’effectue non pas à partir d’une interprétation individuelle d’une situation clinique, mais sur la base
de données scientifiques dûment publiées dans des revues de
rang international. C’est alors le fait de ne pas suivre ces évolutions scientifiques qui pourrait être critiqué au motif que le
médecin qui ne fait pas bénéficier le patient des données
acquises de la science lui fait perdre des chances de guérison.
Toutefois, cette situation, dans laquelle la communauté scientifique modifie en quelque sorte l’indication du produit
sans qu’elle bénéficie d’une ampliation dans son AMM, reste
l’exception (3).
Les prescriptions ne respectant pas les RMO posaient initialement le double problème d’une responsabilité financière et juridique. Les interrogations sur la responsabilité financière ont
trouvé leur réponse dans l’arrêt du Conseil d’État de 1999, qui
a décidé que les sanctions financières prévues par la Convention en cas de non-respect des RMO étaient entachées d’illégalité (4). Cela, en revanche, n’exonère pas le médecin de
devoir, comme l’indique l’article 8 du code de déontologie :
“limiter ses prescriptions et ses actes à ce qui est nécessaire à
la qualité, à la sécurité et à l’efficacité des soins”. Des comportements particulièrement hors norme, évalués dans le “cadre
global de son activité et non pour un malade particulier”, comme
l’indiquent les commentaires du code de déontologie, peuvent
ainsi conduire le médecin à devoir se justifier, notamment au
motif de l’article L.162-4 du code de la Sécurité sociale ainsi
libellé : “Les médecins sont tenus, dans toutes leurs prescriptions, d’observer, dans le cadre de la législation et de la réglementation en vigueur, la plus stricte économie compatible avec
l’efficacité du traitement” (5).
Sur le plan de la responsabilité médicale, c’est uniquement dans
le cas où une prescription allant à l’encontre des RMO suscite
un dommage ou une perte de chance chez un patient que la responsabilité du médecin peut être recherchée devant les tribunaux. Comme dans toutes les situations de cette nature, et sous
réserve du lien de causalité entre le dommage au patient et la
prescription, la question sera alors de savoir sur la base des avis
des experts si, en effectuant cette prescription, le médecin a
manqué ou non à son obligation de moyen de donner des soins
zélés et diligents conformes aux données acquises de la science.
En fait, au travers de cette appréciation des faits par le juge,
c’est aussi la légitimité de la RMO qui sera étudiée dans le cas
précis de l’affaire.
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Il en est de même des recommandations issues des conférences
de consensus des sociétés savantes ou des comités d’experts
mis en place par des organismes tels que l’ANAES, avec pour
différence cependant essentielle que leur opposabilité n’a
jamais été évoquée sur un plan administratif. En revanche, dans
la mesure où elles reflètent l’avis général des spécialistes, elles
constituent sur le plan scientifique des références auxquelles
les experts se rapportent volontiers pour indiquer aux juges si
le comportement du médecin est ou non conforme aux données acquises de la science. Ces experts prendront également
en compte le niveau des recommandations que, avec beaucoup
de pertinence, ces instances scientifiques ont prévu de graduer
A, B ou C selon leur niveau de preuve, allant de la démonstration scientifique la plus formelle au simple consensus
d’experts (6).
QUELLE EST LA RESPONSABILITÉ DU MÉDECIN
SI LE STRICT RESPECT D’UNE RÉFÉRENCE
OU D’UNE RECOMMANDATION PORTE PRÉJUDICE
À UN PATIENT ?
Nous n’aborderons pas le cas, fort peu probable en principe,
où la prescription d’un acte thérapeutique ou diagnostique
recommandé cause un dommage au patient. Dans la mesure ou
cette démarche est conforme aux données de la science, la responsabilité du médecin pour faute ne pourra pas être engagée,
et c’est sans doute dans le cadre des dispositions sur l’aléa
thérapeutique prévues par la loi du 4 mars 2002 que l’indemnisation de la victime devra être recherchée (7).
Un autre cas aisé à résoudre est celui où les recommandations
visent à exclure des associations thérapeutiques en raison de
leur inutilité ou, surtout, de leur toxicité potentielle, comme “il
n’y a pas lieu d’associer deux AINS” (8). Si le patient développe un ulcère gastrique et qu’il engage une action, il y a tout
lieu de craindre que la responsabilité du médecin puisse être
engagée sur le fondement d’une décision thérapeutique déconseillée par les recommandations et qu’il aura du mal à justifier
dans les circonstances.
Du fait du caractère restrictif fréquent des RMO ou de certaines
recommandations, la question posée avec le plus d’acuité est
de savoir si un praticien qui s’abstient de prescrire un médicament ou un acte thérapeutique dans des contextes cliniques où
les recommandations les considèrent comme généralement
inutiles – ou dans des contextes cliniques qui ne sont pas évoqués par les recommandations – peut voir sa responsabilité
engagée au motif que cette absence de prescription a été à l’origine d’une perte de chance pour le patient.
Il appartiendra bien sûr aux juges de se prononcer, mais il y a
tout lieu de penser que si, de cette abstention, il résulte un préjudice pour le patient, le médecin ne pourra justifier de son comportement et s’exonérer de sa responsabilité en faisant valoir
l’existence d’une référence opposable ou d’une recommandation préconisant cette abstention ou, à l’inverse, de l’absence
d’une recommandation requérant cette prescription.
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La première raison est que les références “opposables” instituées dans un cadre conventionnel le sont éventuellement aux
médecins, mais qu’elles ne le sont pas, ni au patient ni à ses
ayants droit en cas de décès, ce qui limite leur intérêt comme
moyen de défense du médecin. Cette analyse est conforme à la
position énoncée par H. Allemand, médecin conseil national,
dans un rapport de la CNAMTS sur la Sécurité sociale et les
RMO qui indique notamment que “Chaque médecin reste libre
de ses choix au cas par cas : l’opposabilité des RMO concerne
la pratique et non pas un acte particulier ; elle n’entrave pas
la liberté de prescription (10-12). Elle ne peut donc être invoquée en défense par un praticien poursuivi devant des instances
civiles ou pénales”.
La seconde raison est que le médecin s’oblige à donner à son
patient des soins consciencieux, attentifs, diligents, conformes
aux données acquises de la science, et qu’il ne peut s’en écarter sous le prétexte d’échapper à des difficultés d’ordre financier – essentiellement disparues – ou administratives avec les
caisses d’assurance maladie (4).
Enfin et surtout, il faut garder présent à l’esprit que le principe
de la recherche d’une responsabilité en cas de dommage est
aussi d’identifier une personne susceptible d’assumer l’indemnisation du dommage. Dans l’optique où le médecin tenterait de dégager sa responsabilité sur la base de l’abstention
préconisée par les références ou les recommandations, cela
revient à tenter d’engager celle des “auteurs” de ces textes, ce
qui a peu de chances de pouvoir aboutir, car il leur serait facile
de faire état :
– que ces textes ne comportent que des recommandations devant
guider le comportement global du médecin ;
– que ces recommandations n’ont pas de valeur contraignante
face au cas individuel du patient, pour lequel le médecin garde
son indépendance et sa latitude d’appréciation des faits ;
– et que cette indépendance du médecin dans l’appréciation de
l’intérêt du patient prime au niveau individuel sur toute autre
considération, quitte à ce qu’il doive en répondre devant les
juridictions ordinales ou judiciaires.
QU’EN EST-IL ALORS D’UNE VACCINATION POUR LAQUELLE
LES RECOMMANDATIONS SERAIENT RESTRICTIVES
PAR RAPPORT AUX DONNÉES DE L’AMM ?
Au regard des considérations schématiquement exposées cidessus sur la responsabilité médicale, il convient de prendre en
considération le motif sous-jacent à la restriction d’emploi.
Si la restriction est fondée sur la mise en évidence d’un quelconque danger qui serait spécifique à sa réalisation dans des
contextes particuliers, celle-ci ne tardera pas à apparaître dans
le libellé de son AMM, et il serait dangereux pour les patients
que les médecins ne la prennent pas en compte. En cas de dommage causé à un patient, il serait possible d’opposer au médecin que son comportement n’est pas en accord avec les données actuelles de la science et le principe de précaution,
tellement en vogue actuellement.
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Si, en revanche, la restriction est fondée essentiellement sur des
hypothèses non dûment démontrées ou des choix de priorités
vaccinales, ou, enfin, des considérations économiques, et qu’il
y a plus de risque pour le patient à ne pas bénéficier individuellement de la protection induite par le vaccin qu’à en bénéficier, l’indépendance du jugement du médecin dans l’intérêt
du patient doit primer.
Dans l’état du droit et en l’absence de jurisprudence sur ce sujet,
il semble aujourd’hui légitime de penser que la survenue chez
un enfant d’une pathologie aboutissant à son décès ou à des
séquelles graves, alors qu’elle pouvait être prévenue par des
moyens dont l’efficacité et l’innocuité ont été dûment validées
par l’AMM, expose le médecin qui s’en est abstenu à des poursuites de la part des parents, qui auront de fortes chances
d’aboutir à engager sa responsabilité, quelle que soit la référence qui pourra être faite aux restrictions sus-citées.
Il paraît ainsi nécessaire que le médecin informe les patients de
l’existence de cette vaccination, leur expose ses avantages et
inconvénients éventuels et sa position sur l’intérêt qu’elle présente pour l’enfant au regard des données actuelles de la science.
Il reviendra bien sûr aux parents d’accepter ou non que soit réalisée cette vaccination sur leur enfant. En cas de refus des
parents, et afin d’apporter la preuve qu’il a bien satisfait à son
obligation d’apporter à leur enfant des soins conformes aux
données de la science si la pathologie venait à se déclarer et
provoquer des lésions, le médecin fera mention sur le dossier
de l’enfant de cette information délivrée aux parents, de la date
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à laquelle elle a été délivrée et de leur refus.
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Décret n° 95-1000 du 6 septembre 1995 portant code de déontologie médicale.
2. www.ordmed.org/commente
3. Gromb S et al. Prescription de médicaments hors AMM et responsabilités.
Presse Med 2000;29,19:1053-7.
4. Conseil d’État - Arrêt du 10 novembre 1999.
5. Code de la Sécurité sociale, article L. 162-4.
6. www.anaes.fr
7. Loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité
du système de santé (1).
8. Références médicales opposables. Prescription des anti-inflammatoires non
stéroïdiens. agmed.sante.gouv.fr
9. Sécurité sociale et références médicales opposables. H. Allemand, M.F.
Jourdan. CNAMTS.
10. Laude A. La force juridique des RMO. Médecine et Droit 1998;28:1-3.
11. Monestier D. Régulation médicalisée des soins et responsabilité médicale :
incidences sur l’expertise judiciaire. Médecine et Droit 1998;33:6-8.
12. Sargos P. Références médicales opposables et responsabilité des médecins.
Médecine et Droit 1998;28:9-12.
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