Ostéosarcomes : diagnostic et résultats du traitement

La Lettre du Rhumatologue - n° 325 - octobre 2006
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DÉFINITION
L’ostéosarcome, encore appelé “sarcome ostéogène”, est un sar-
come fabriquant de l’os tumoral (ostéoïde) ; c’est d’ailleurs la
condition nécessaire et suffisante pour que la tumeur soit classée
dans les ostéosarcomes. Cet os tumoral peut être associé à une
composante fibroblastique et/ou cartilagineuse tumorale (1). Il
existe plusieurs formes anatomopathologiques. Les ostéosar-
comes habituels (forme la plus fréquente) sont classés en 4 degrés
de malignité selon la classification de Broders (avec un risque
métastatique croissant avec le grade). Les ostéosarcomes sont
presque toujours de degré 3 ou 4 . Les ostéosarcomes
télangiectasiques sont des formes très vascularisées souvent
épiphysaires, de haut grade [2]. Les sarcomes juxta-
corticaux se développent à la surface de l’os et sont de basse mali-
gnité . Il existe aussi de rares ostéosarcomes centro-
médullaires de basse malignité (3).
* Service de chirurgie oncologique orthopédique,
hôpital Cochin (AP-HP), université Paris-V, Paris.
ÉPIDÉMIOLOGIE
Les tumeurs osseuses sont des pathologies beaucoup moins
fréquentes que les tumeurs des parties molles. Aux États-Unis,
l’incidence des tumeurs osseuses malignes primitives (TOMP)
Ostéosarcomes :
diagnostic et résultats du traitement
Osteosarcoma: diagnosis and results of the treatment
P. Anract, D. Biau, A. Babinet, V. Dumaine, B. Tomeno*
Tumeurs osseuses et des tissus mous
Tumeurs osseuses et des tissus mous
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est de 10 cas par an pour un million d’habitants. Parmi ces
tumeurs, c’est l’ostéosarcome qui est le plus fréquent (30 % à
35 %) [4-7] ; il représente 0,2 % de tous les cancers, et son
incidence est de 100 à 154 cas par an en France (2 cas par mil-
lion d’habitants). Il touche l’adolescent et l’adulte jeune dans
80 % des cas ; il est très rare avant 10 ans et après 30 ans. La
plupart des ostéosarcomes sont primitifs ; il existe de rares cas
d’ostéosarcomes radio-induits et d’ostéosarcomes sur lésions
bénignes préexistantes (sur maladie de Paget, sur dysplasie
fibreuse,sur tumeur à cellules géantes, etc.) [1].
DIAGNOSTIC
Les signes cliniques ne sont pas spécifiques : une douleur, une
tuméfaction sont les premiers signes ; la banalité de la sympto-
matologie localisée au genou chez un adolescent peut entraîner
des retards pour le diagnostic. Les fractures pathologiques sont
rares. Les radiographies standard suffisent à fortement suspecter
le diagnostic dans la majorité des cas en montrant une associa-
tion de zones d’ostéolyse, de calcifications intramatricielles et de
réactions périostées en “feu d’herbe” . La localisation
est habituellement métaphysaire et “près du genou”.
Une fois ce diagnostic suspecté, le patient doit être adressé sans
tarder à un centre spécialisé dans la prise en charge des tumeurs
osseuses afin qu’une biopsie soit réalisée dans la semaine qui suit.
En effet, il a été montré qu’une prise en charge en milieu non spé-
cialisé multiplie par trois le risque d’erreur diagnostique et par
dix le risque de traitement inadapté [8]. La biopsie per-
mettra d’affirmer le diagnostic, le type histologique et le grade.
Le bilan d’extension général repose sur une scintigraphie osseuse
au technétium et sur une TDM pulmonaire avec injection ; le bilan
d’extension locorégional nécessite des radiographies standard ainsi
qu’une IRM du segment osseux atteint et des articulations adjacentes
afin de préciser les limites de la tumeur et de rechercher une skip-
métastase (métastase intra-osseuse sur le même segment osseux que
la tumeur ou sur le segment adjacent) (5).
TRAITEMENT
Le traitement des ostéosarcomes dépend du grade histologique et de
l’extension de la tumeur. Afin d’affirmer le diagnostic, fortement sus-
pecté sur les radiographies, une biopsie est indispensable. Cette biop-
sie est de préférence chirurgicale, afin de ramener une grande quan-
tité de tissu. Elle fait partie intégrante du traitement, et doit être réalisée
par un chirurgien senior dans un centre spécialisé. Elle va permettre
d’affirmer le diagnostic d’ostéosarcome en mettant en évidence du
tissu ostéoïde tumoral (sa présence signe l’ostéosarcome), de préci-
ser le grade de la tumeur selon Broders (de 1 à 4) .
Les armes thérapeutiques disponibles sont la chimiothérapie et la
chirurgie ; la radiothérapie, initialement proposée, n’a plus, actuel-
lement, que des indications à visée palliative.
Traitements disponibles
La chimiothérapie est délivrée en néoadjuvant, c’est-à-dire une
fois le diagnostic établi et avant la résection chirurgicale. Cette
méthode présente l’avantage de permettre une diminution du
Erreur de 18 12 27,4
diagnostic (%)
Complication 10 4,1 29
peropératoire (%)
Problème dans 19,3 4,1 36,3
le traitement (%)
Modification 10 3,5 17,4
du pronostic (%)
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volume tumoral avant la résection chirurgicale dans de nombreux
cas et d’apprécier la réponse clinique et, surtout, histologique à
la chimiothérapie. Cette réponse est appréciée selon les critères
proposés par Huvos et al. (in 9). La chimiothérapie associe clas-
siquement plusieurs drogues ; le méthotrexate hautes doses consti-
tue la base de ce traitement depuis les travaux de Rosen en 1970
(10, 11). Cette drogue est associée à l’adriamycine et au cisplatine.
Ces cures sont répétées toutes les 3 semaines en l’absence de com-
plication liée au traitement. Ces drogues ont une toxicité héma-
tologique, rénale, hépatique et neurologique. Une évaluation est
effectuée au bout de deux cures afin de s’assurer de l’absence de
progression tumorale avec ce traitement (ce qui ferait avancer la
date opératoire). S’il existe une réponse favorable, le traitement
est poursuivi pendant deux ou trois cures. Après la résection chi-
rurgicale, de nouvelles cures de chimiothérapie sont administrées (5).
Si le patient est bon répondeur, les mêmes drogues sont utilisées
pendant 4 cures ; si le patient est mauvais répondeur, les drogues
sont remplacées (chimiothérapie de rattrapage) par de l’ifosfa-
mide (Holoxan®) à hautes doses.
Une nouvelle évaluation locale et générale est effectuée avant l’in-
tervention ; elle va préciser l’extension osseuse (hauteur de la
tumeur par rapport à des structures anatomiques facilement repé-
rables pendant l’intervention), rechercher des skip-métastases et
apprécier l’extension dans les parties molles. Si un envahissement
vasculaire est suspecté, une angio-IRM ou une angiographie
numérisée viendra compléter ce bilan.
Le traitement chirurgical reste indispensable ; il s’agit d’une résec-
tion chirurgicale large, en “monobloc”, qui doit rester à distance
de la tumeur ; il doit exister une couche de tissu sain entre la
tumeur et les coupes chirurgicales afin de diminuer le risque de
récidive locale (12, 13). En effet, les limites des tumeurs malignes
ne sont pas aussi nettes que l’aspect macroscopique le laisse pré-
sager ; il existe des îlots tumoraux microscopiques en dehors de
la pseudo-capsule tumorale. Dans plus de 80 % des cas, il est pos-
sible d’effectuer une résection du segment osseux et des parties
molles adjacentes et de réaliser une reconstruction qui permettra
de restaurer une fonction correcte du membre atteint ; il s’agit
d’une résection conservatrice. La reconstruction fait appel aux
divers procédés d’ostéosynthèse, greffe et prothèse
En effet, il a été montré que, lorsqu’une résection conserva-
trice était possible, une amputation n’apportait pas de gain de sur-
vie (12, 14-17). Chez le jeune enfant, il est possible d’utiliser des
prothèses de croissance qui, grâce à un mécanisme plus ou moins
complexe, pourront suivre la croissance de l’enfant. Ces prothèses
exposent cependant à un pourcentage important de complications.
Chaque fois que cela est possible, il est préférable d’utiliser une
reconstruction biologique (n’utilisant pas de prothèse), qui pro-
cure au patient des résultats durables dans le temps . En
effet, les prothèses massives s’usent, et leur durée de vie moyenne
est de 10 ans ; leur changement est difficile et entraîne des pertes
de substance osseuse (16). Dans 10 % à 20 % des cas, il est encore
nécessaire d’effectuer une amputation afin de réséquer la tumeur
(16). Les indications d’amputation sont les énormes tumeurs enva-
hissant toutes les structures adjacentes, la plupart des récidives
locales, les tumeurs infectées, les tumeurs du très jeune enfant,
chez qui un acte conservateur entraînerait en fin de croissance une
énorme inégalité de longueur des membres.
Ce geste chirurgical est effectué 3 semaines après la dernière cure
de chimiothérapie afin que le patient ne soit plus en aplasie (les
polynucléaires neutrophiles doivent être supérieurs à 500/mm3).
La pièce de résection est analysée selon la méthode de Huvos afin
de savoir si le patient est bon répondeur à la chimiothérapie (plus
de 95 % de nécrose) ou mauvais répondeur (moins de 95 %).
4 à 5 cycles de
chimiothérapie 4 cycles de chimiothérapie
Surveillance
prolongée
Biopsie et
bilan d’extension
Résection chirurgicale
Appréciation de la nécrose
Bilan d’extension
Tumeurs osseuses et des tissus mous
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Elles sont indiquées devant une seule métastase ou pour des loca-
lisations secondaires proches et peu nombreuses ; associées au
traitement habituel, elles permettent de procurer des rémissions
prolongées chez 30 % des patients métastatiques (18).
Elle doit être administrée à hautes doses (60 à 70 grays), ce qui a
pour conséquences d’importantes séquelles et un risque de sar-
come radio-induit ; elle ne fait
plus partie du traitement habi-
tuel de ces tumeurs ; elle est
réservée aux sarcomes inopé-
rables et au traitement palliatif.
Indications
Les ostéosarcomes de bas
grade (juxta-cortical et central
de basse malignité) ne sont pas
sensibles à la chimiothérapie ;
seule une résection chirurgicale
large est indiquée.
Les ostéosarcomes de haut
grade, les plus fréquents, sont
traités par chimiothérapie néo-
adjuvante, résection chirur-
gicale large puis, à nouveau,
chimiothérapie adaptée à la
réponse histologique au traite-
ment néo-adjuvant.
Les ostéosarcomes inopé-
rables, du fait de leur volume
et de leur localisation, sont trai-
tés par chimiothérapie et irra-
diation.
Les ostéosarcomes métasta-
tiques sont traités par chimio-
thérapie première ; si la réponse
à la chimiothérapie est satisfai-
sante, la tumeur primitive sera
réséquée ainsi que, si possible,
la ou les métastases.
Résultats du traitement
Les facteurs pronostiques
reconnus et utilisés couram-
ment sont :
Le grade histopronostique de
Broders. Les ostéosarcomes de
bas grade, comme les juxta-
corticaux, ont un taux de sur-
vie à 5 ans supérieur à 85 %.
Pour les ostéosarcomes habi-
tuels (grades 3 et 4 de Broders),
la survie à 5 ans est de 70 à
80 % (6, 19, 20).
Le taux de réponse à la chi-
miothérapie, évalué selon les
critères de Huvos et al. sur la
pièce de résection, constitue le
critère pronostique le plus
fiable actuellement. Le taux de
survie à 5 ans pour les bons
répondeurs est proche de 90 %,
alors qu’il est de 40 % pour les
mauvais répondeurs (9, 20).
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Actuellement, aucune chimiothérapie de rattrapage n’a prouvé
son efficacité pour améliorer le pronostic de ces patients mauvais
répondeurs.
Les ostéosarcomes à composante cartilagineuse sont proba-
blement moins chimio-sensibles, donc de moins bon pronostic.
La présence de métastases : essentiellement pulmonaires et
osseuses, elles sont présentes au moment du diagnostic dans 3 %
des cas ; la présence de skip-métastases est aussi péjorative que
celle des autres métastases ; l’existence de métastases est péjora-
tive, mais, si elles sont peu nombreuses, un traitement associant
chimiothérapie et résection des métastases par thoracotomie per-
met d’obtenir 30 % de survie à 5 ans (18, 20).
La taille de la tumeur : les tumeurs de plus de 100 ml sont de
moins bon pronostic (20).
Le taux de phosphatases alcalines, qui est un reflet du volume
tumoral, constitue aussi un facteur pronostique classique.
La localisation : les ostéosarcomes du tronc et du bassin ont un
pronostic beaucoup plus sombre que ceux des membres. Cela est
probablement le fait d’une diffusion métastatique plus rapide, en
raison d’un réseau vasculaire plus riche, et aussi de la difficulté
de réaliser une résection carcinologiquement satisfaisante.
Des marqueurs de biologie moléculaire sont en cours d’éva-
luation, avec des résultats souvent discordants ; c’est le cas de
P53, mDR, BMP, etc. (21-23).
Avant l’arrivée des chimiothérapies, 80 % des patients mouraient
de métastases, essentiellement pulmonaires, et 80 % des patients
étaient amputés. L’arrivée de la chimiothérapie postadjuvante a
un peu amélioré le pronostic, mais c’est surtout l’arrivée de la
chimiothérapie néo-adjuvante, avec le méthotrexate haute dose,
qui a bouleversé le pronostic de ces tumeurs (10, 24). Aujour-
d’hui, la survie à 5 ans est de l’ordre de 70 %, et une résection
chirurgicale conservatrice est possible dans plus de 80 % des cas.
Ce protocole thérapeutique a été introduit dans les années 1970
par Rosen et al. Depuis, aucune avancée notable n’a été enregis-
trée. Les protocoles multicentriques évaluent actuellement les
résultats de chimiothérapies sans méthotrexate chez l’adulte, car
cette drogue est très toxique et difficile à manier dans cette popu-
lation. Aucune nouvelle drogue n’a permis de modifier le pro-
nostic depuis plus de 15 ans. Des travaux expérimentaux chez
l’animal évaluent l’effet des bisphosphonates associés à la chi-
miothérapie et celui de thérapeutiques ciblées (25).
Au point de vue fonctionnel, la possibilité de conserver le membre
lors de la résection dans plus de 80 % des cas a permis une amé-
lioration du résultat chez ces patients. Il convient cependant de
préciser que la majorité de ces patients jeunes ne retrouvent pas
une fonction normale. Par exemple, les atteintes du genou (les
plus fréquentes) imposent une reconstruction par prothèse mas-
sive. Ces prothèses permettent de marcher normalement, mais
n’autorisent pas la pratique sportive. Ces résections-reconstruc-
tions exposent à un pourcentage important de complications
immédiates, notamment des complications infectieuses qui sur-
viennent dans 15 % des cas ; elles sont favorisées par la baisse de
l’immunité due à la chimiothérapie, l’importance des sacrifices
musculaires et la mise en place d’un implant massif. Par ailleurs,
la durée de vie de ces prothèses est limitée ; à 10 ans, la moitié
d’entre elles ont dû être remplacées (16). Chaque changement de
prothèse expose le patient à de nouvelles complications : infec-
tieuses, perte de substance osseuse,etc. ; il convient aussi de noter
que 10 % des patients porteurs d’une prothèse massive devront
être amputés secondairement, soit pour récidive locale, soit pour
complication infectieuse ou mécanique.
CONCLUSION
L’ostéosarcome est une tumeur qui touche l’adolescent et l’adulte
jeune ; il s’agit d’une tumeur de haut grade dans la majorité des
cas. Son traitement repose sur la combinaison chimiothérapie-
résection chirurgicale, qui permet d’obtenir une survie à 5 ans de
l’ordre de 70 %. Il est indispensable que la prise en charge soit
effectuée dans un centre spécialisé dès la biopsie. Le facteur pro-
nostique le plus fiable actuellement est la réponse histologique à
la chimiothérapie. Depuis les travaux de Rosen, aucune avancée
majeure n’a été notée dans le traitement de ces tumeurs. Des tra-
vaux de recherche sur les thérapeutiques ciblées permettront sans
doute d’améliorer leur pronostic.
Bibliographie
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Rosen G, Huvos AG, Marcove R, Nirenberg A. Telangiectatic osteogenic sar-
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1986;(207):164-73.
Katabi M, Anract P, Forest M, Tomeno B. Low grade intramedullary osteosar-
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1996;82(3):208-15.
1 / 6 100%

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