La Lettre du Psychiatre - vol. I - n°3 - juillet-août 2005
Mise au point
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“joining” n’est pas nécessaire) ; une question du thérapeute fixe
le niveau des échanges, à propos de l’acte lui-même, par
exemple. La TS est spontanément présentée comme un acte au
contexte hétérogène et isolé ; notre travail de première séance est
de replacer cet acte, avec les principaux intervenants, dans un
tissu familial problématique et actuel.
Nous savons que cette sollicitation du référentiel ordalique, à la
fois sortie du référentiel familial et activation du système de santé,
est valide à plusieurs niveaux : faillite de la communication, équi-
valent d’une demande agie et signalement du mode de communi-
cation possible dans ce groupe sous la forme de passages à l’acte.
Techniquement, après le récit de l’événement actuel et la recher-
che du facteur catalysant/déclenchant, on pourra mettre en évi-
dence la spirale anxieuse précédant la décision, l’apaisement dès
cette décision prise, la sensation de solitude prégnante et d’im-
passe, l’impression d’éloignement de l’environnement (presque
de type déréalisation selon certains auteurs).
Puis, spontanément, le lien verbal (re)trouvera la vigueur néces-
saire à l’exposé des difficultés actuelles et/ou récentes, des uns et
des autres, en présence du ou des thérapeutes, tiers garant du pro-
cessus dans l’institution publique ou privée.
Enfin, le protocole de TBFS sera expliqué. Il comporte trois entre-
tiens, le deuxième 8 à 15 jours après le premier. Le troisième et
dernier entretien peut avoir lieu 3 à 4 semaines après le second.
L’objectif de ce protocole est de modifier l’après-TS, troisième et
seule phase de la séquence suicidaire à laquelle nous avons accès.
La dénégation spontanée est remplacée par une dramatisation, la
banalisation laisse la place à l’écoute, émotion partagée et expres-
sion des difficultés personnelles et familiales.
L’hypothèse de cette recherche, qui se vérifiera, est que la modi-
fication de cette troisième phase de la séquence suicidaire “grip-
pera” la possibilité de répétition.
En moyenne, 60 % des patients sont présents pour le deuxième
entretien. Outre l’exposé de la vie quotidienne qui a repris son
cours, il est très important et utile d’aborder le génogramme : les
antécédents suicidaires ou mystérieux (oncle parti et dont on est
sans nouvelles depuis 20 ans, par exemple) sont retrouvés dans
65 % des cas. Un élément important : ces faits sont connus ou
inconnus du patient désigné, ce qui a de nombreuses fois validé
le modèle de transmission par tacite mutisme de la transaction
suicidaire, (ou “mortifère”, selon certains auteurs comme le
Dr D.Vallée). Les deux premiers entretiens permettent, en consti-
tuant un travail de “postvention” cher aux Prs Védrine et Sou-
brier, de dépister les problèmes individuels et/ou de communi-
cation des familles, afin de préparer le troisième et dernier
entretien du protocole.
Il n’est, en effet, pas rare de dépister un trouble de la communi-
cation ou une nécessité de prises en charge individuelles.
La date du troisième entretien signifie et signe la fin de la crise.
Cet entretien sera le moment du constat, le plus éloigné de la
crise vécue par ce groupe ou cette famille ; il sera propice aux
diverses demandes ou suggestions exprimées, de poursuite du tra-
vail individuel le plus souvent.
Le protocole a permis à un ou, le plus souvent, deux membres
de la famille de souhaiter poursuivre une démarche, de débu-
ter une réflexion personnelle ; nous ne manquons pas de réflé-
chir avec eux au meilleur choix d’interlocuteurs. Nous avons
considéré comme un résultat positif ces demandes rendues
possibles par, entre autres, l’abord en séance des fonctions du
symptôme, comme si le suicidant pouvait aborder sa personne,
une fois délesté de son rôle intrafamilial ou “plus au clair”.
Nous avons un temps étudié les fonctions nombreuses et
variées de ce type de passage à l’acte, surtout quand il s’agit
de récidives : ce que la TS a permis, ce qu’elle a évité, ce avec
quoi ce passage à l’acte a résonné chez les uns ou les autres...
Les impératifs d’une telle proposition de soins sont :
✓
la disponibilité, l’assiduité aux entretiens étant directement
proportionnelle aux délais des rendez-vous;
✓
l’inadéquation de la neutralité bienveillante pour aborder le
suicidant et son entourage ; ils viennent d’acter la faillite des
mots et du verbe dans une menace de disparition provoquée
volontaire ; nous devons l’entendre ; ils “ne peuvent, ni ne
savent” utiliser le discours, nous devons aller vers eux, nous ne
pouvons être neutres ;
✓
la possibilité de travailler en binôme, devant la violence de ce
type de symptôme, qui tôt ou tard nous malmène.
Grâce au travail de thèse du Dr B. Lutz, nous avons étudié le
devenir de ces familles reçues un an après le protocole. Cette
étude a été menée par téléphone. C’est la personne qui décro-
chait qui se voyait interrogée. Nous avions bâti un questionnaire
logique de l’ordre de la conversation, de ce fait facile à utiliser.
Plusieurs constatations se sont imposées :
✓
l’accueil reçu a toujours été courtois ;
✓
il n’y a pas eu de récidive dans cet échantillon de 60 dossiers ;
✓
le taux d’hospitalisation, toutes causes confondues, toutes per-
sonnes confondues, était très inférieur à celui du groupe témoin.
CONCLUSION
C’est un fait que le protocole de TBFS a sa place dans l’arsenal
des techniques d’abord de la problématique suicidaire, véritable
fléau moderne.
La question de la prévention de la récidive est centrale. Ce pro-
tocole est efficace sur la génération actuelle. Nous n’avons pas
pu l’étudier sur les suivantes.
La prévention primaire est difficile, même si le suicide est un
sujet de préoccupation actuel et si nombre de professionnels s’y
emploient.
Les profils individuels à risque sont trop nombreux pour être
exploitables. En revanche, nous connaissons quelques particula-
rités des familles à transaction suicidaire :
✓
la possibilité de l’utilisation du corps comme vecteur d’un
message d’alerte : il semble que, dans ces familles, il existe
des consultations et/ou des hospitalisations “fonctionnelles” ;
✓
l’isolement de ces familles. Elles ne reçoivent pas, ne sont pas
reçues, ne sont pas inscrites dans un groupe ou un tissu associa-
tif, par exemple ;
✓
il existe des antécédents suicidaires personnels ou familiaux,
connus ou inconnus, dans deux tiers des cas.
Ces trois particularités devraient permettre un dépistage.
Nous pensons que la prévention devrait, au mieux, s’inscrire dans
la vie lycéenne...
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