Conduites suicidaires et entretiens familiaux D Suicide attempts and family therapy

La Lettre du Psychiatre - vol. I - n°3 - juillet-août 2005
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DOSSIER THÉMATIQUE
Mise au point
SUMMARY
Conduites suicidaires et entretiens familiaux
Suicide attempts and family therapy
J.C. Oualid*
* Psychiatre, thérapeute systémique, CMP Les Villages de Saint-Martin, Saint-Martin.
Nous avons, dans un hôpital général de la banlieue parisienne,
reçu nombre de suicidants et leurs familles au plus tôt après le
geste, pour trois entretiens.
Nous proposons, après quelques données générales et les pré-
requis, un aperçu du déroulement des trois entretiens et les prin-
cipaux enseignements de ce protocole de thérapie brève de
familles de suicidants (TBFS).
Tous les jours, ils sont une cohorte à tenter de “se donner la mort”,
et environ 15 000 d’entre eux y parviennent chaque année en
France. Véritable fléau occidental, le phénomène touche essentiel-
lement des jeunes de 15 à 25 ans. Depuis plus de 20ans, nous étu-
dions, alertons, communiquons autour de ce problème avec d’autres
et, pour certains d’entre eux, depuis plus longtemps encore, notam-
ment au sein du groupe d’étude et de prévention du suicide (GEPS).
Quelques éléments du problème participent à la complexité des
tentatives de prévention :
le suicide et la TS ne s’annoncent que rarement, frappent toujours
brutalement et font spontanément l’objet d’un consensus silencieux
(encore aujourd’hui !) : il s’agit d’une maladie honteuse ;
l’aspect éphémère aboutit au fait que prendre en compte ce
symptôme revient presque à exercer une médecine sans patient ;
l’essentiel de la cohorte des suicidants “techniqués, réanimés”
ne présente pas à proprement parler de syndrome psychiatrique
avéré et constitué. Selon différentes études, même si l’ensemble
présente une souffrance psychologique certaine, seuls 20 à 40%
des sujets peuvent être qualifiés de déprimés, de délirants ou
d’états limites ; notre étude porte sur les 60 % restants ;
l’originalité de la TS est qu’elle “fonctionne” : cette solution
répond à l’impasse vécue. Lorsque nous voyons les patients, ils
ont “résolu” leur problème et, l’action du soignant est une
“contre-solution” : c’est la solution proposée au problème qui
pose problème. Il nous appartient néanmoins d’intervenir “à
contre-solution” ;
il nous est difficile de recevoir ces nombreux suicidants, à
nous, soignants, médecins, réanimateurs ou psychiatres, psycho-
logues, infirmières et aides-soignants.
Ces différentes données nous ont permis de poursuivre notre
réflexion avec la bienveillante et constructive attention du
Dr M. Monroy, chef de service au CHI de Villeneuve-Saint-
Georges, (banlieue parisienne) de 1982 à 1992.
En séance, les anxiétés et énergies sont disparates. Les réactions
spontanées des familles vont vers la banalisation et la dénégation
(il peut, pêle-mêle, s’agir d’une “p’tite tentative”, “d’un coup de
folie”, ou vers la culpabilisation : “C’est de mon fait, je rentre trop
tard le soir”, ou “Il (elle) a un problème avec son ami(e)”, autant
de voies qui ne peuvent que difficilement être reprises en entretien.
Le dialogue s’engage directement avec les familles (la phase de
R É S U M É
Cet article retrace une expérience originale de thérapie brève
de familles de suicidants, menée de 1982 à 1992 dans un
hôpital général de la banlieue parisienne.
Sont brièvement abordés différents aspects de la démarche et
quelques éléments à prendre en compte dans l’abord de diffi-
cultés familiales contemporaines de ces passages à l’acte.
L’outil de lecture et d’intervention systémique en urgence est
apparu pertinent. Il considère la problématique comme elle
s’est posée ; il permet une reprise des échanges au sein des
familles, dépiste les problèmes de communication, diminue
les taux de récidive et d’hospitalisation dans l’année qui suit
et, enfin, il permet souvent au sujet et à un de ses proches
d’entamer une démarche personnelle au décours du protocole.
Mots-clés : Tentative de suicide – Thérapie familiale – Thé-
rapie brève – Thérapie systémique – Recherche – Urgence.
R É S U M É
I
l est fréquent de recevoir des “TS” (tentatives de suicide)
dans nos services d’urgence et nos consultations. Véritable
phénomène sociétal en plein essor en Occident, et surtout
dans les mégapoles, cette problématique du passage à l’acte
donne à approcher la détresse vécue, dans des tranches d’âge
adolescentes essentiellement.
This article relates an experience of short family therapy for
suicid attempters between 1982 and 1992, in a general hos-
pital in the suburbs of Paris. Different aspects of the therapy
attitude are briefly taken into consideration, as well as family
problems associated with these acting out behaviours.
Emergency systemic therapy appears suitable in family crises
situation; it approaches the problem the way it is, it allows
family exchanges, detects communication problems, decreases
new attempts rates and hospitalisations in the following year,
and then, allows the suicide attempter and his or her family
circle to start a personal therapy after this protocol.
Keywords:Suicide attempt – Family therapy – Brief therapy –
Systemic therapy – Research – Emergency.
SUMMARY
SUMMARY
La Lettre du Psychiatre - vol. I - n°3 - juillet-août 2005
Mise au point
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“joining” n’est pas nécessaire) ; une question du thérapeute fixe
le niveau des échanges, à propos de l’acte lui-même, par
exemple. La TS est spontanément présentée comme un acte au
contexte hétérogène et isolé ; notre travail de première séance est
de replacer cet acte, avec les principaux intervenants, dans un
tissu familial problématique et actuel.
Nous savons que cette sollicitation du référentiel ordalique, à la
fois sortie du référentiel familial et activation du système de santé,
est valide à plusieurs niveaux : faillite de la communication, équi-
valent d’une demande agie et signalement du mode de communi-
cation possible dans ce groupe sous la forme de passages à l’acte.
Techniquement, après le récit de l’événement actuel et la recher-
che du facteur catalysant/déclenchant, on pourra mettre en évi-
dence la spirale anxieuse précédant la décision, l’apaisement dès
cette décision prise, la sensation de solitude prégnante et d’im-
passe, l’impression d’éloignement de l’environnement (presque
de type déréalisation selon certains auteurs).
Puis, spontanément, le lien verbal (re)trouvera la vigueur néces-
saire à l’exposé des difficultés actuelles et/ou récentes, des uns et
des autres, en présence du ou des thérapeutes, tiers garant du pro-
cessus dans l’institution publique ou privée.
Enfin, le protocole de TBFS sera expliqué. Il comporte trois entre-
tiens, le deuxième 8 à 15 jours après le premier. Le troisième et
dernier entretien peut avoir lieu 3 à 4 semaines après le second.
L’objectif de ce protocole est de modifier l’après-TS, troisième et
seule phase de la séquence suicidaire à laquelle nous avons accès.
La dénégation spontanée est remplacée par une dramatisation, la
banalisation laisse la place à l’écoute, émotion partagée et expres-
sion des difficultés personnelles et familiales.
L’hypothèse de cette recherche, qui se vérifiera, est que la modi-
fication de cette troisième phase de la séquence suicidaire “grip-
pera” la possibilité de répétition.
En moyenne, 60 % des patients sont présents pour le deuxième
entretien. Outre l’exposé de la vie quotidienne qui a repris son
cours, il est très important et utile d’aborder le génogramme : les
antécédents suicidaires ou mystérieux (oncle parti et dont on est
sans nouvelles depuis 20 ans, par exemple) sont retrouvés dans
65 % des cas. Un élément important : ces faits sont connus ou
inconnus du patient désigné, ce qui a de nombreuses fois validé
le modèle de transmission par tacite mutisme de la transaction
suicidaire, (ou “mortifère”, selon certains auteurs comme le
Dr D.Vallée). Les deux premiers entretiens permettent, en consti-
tuant un travail de “postvention” cher aux Prs Védrine et Sou-
brier, de dépister les problèmes individuels et/ou de communi-
cation des familles, afin de préparer le troisième et dernier
entretien du protocole.
Il n’est, en effet, pas rare de dépister un trouble de la communi-
cation ou une nécessité de prises en charge individuelles.
La date du troisième entretien signifie et signe la fin de la crise.
Cet entretien sera le moment du constat, le plus éloigné de la
crise vécue par ce groupe ou cette famille ; il sera propice aux
diverses demandes ou suggestions exprimées, de poursuite du tra-
vail individuel le plus souvent.
Le protocole a permis à un ou, le plus souvent, deux membres
de la famille de souhaiter poursuivre une démarche, de débu-
ter une réflexion personnelle ; nous ne manquons pas de réflé-
chir avec eux au meilleur choix d’interlocuteurs. Nous avons
considéré comme un résultat positif ces demandes rendues
possibles par, entre autres, l’abord en séance des fonctions du
symptôme, comme si le suicidant pouvait aborder sa personne,
une fois délesté de son rôle intrafamilial ou “plus au clair”.
Nous avons un temps étudié les fonctions nombreuses et
variées de ce type de passage à l’acte, surtout quand il s’agit
de récidives : ce que la TS a permis, ce qu’elle a évité, ce avec
quoi ce passage à l’acte a résonné chez les uns ou les autres...
Les impératifs d’une telle proposition de soins sont :
la disponibilité, l’assiduité aux entretiens étant directement
proportionnelle aux délais des rendez-vous;
l’inadéquation de la neutralité bienveillante pour aborder le
suicidant et son entourage ; ils viennent d’acter la faillite des
mots et du verbe dans une menace de disparition provoquée
volontaire ; nous devons l’entendre ; ils “ne peuvent, ni ne
savent” utiliser le discours, nous devons aller vers eux, nous ne
pouvons être neutres ;
la possibilité de travailler en binôme, devant la violence de ce
type de symptôme, qui tôt ou tard nous malmène.
Grâce au travail de thèse du Dr B. Lutz, nous avons étudié le
devenir de ces familles reçues un an après le protocole. Cette
étude a été menée par téléphone. C’est la personne qui décro-
chait qui se voyait interrogée. Nous avions bâti un questionnaire
logique de l’ordre de la conversation, de ce fait facile à utiliser.
Plusieurs constatations se sont imposées :
l’accueil reçu a toujours été courtois ;
il n’y a pas eu de récidive dans cet échantillon de 60 dossiers ;
le taux d’hospitalisation, toutes causes confondues, toutes per-
sonnes confondues, était très inférieur à celui du groupe témoin.
CONCLUSION
C’est un fait que le protocole de TBFS a sa place dans l’arsenal
des techniques d’abord de la problématique suicidaire, véritable
fléau moderne.
La question de la prévention de la récidive est centrale. Ce pro-
tocole est efficace sur la génération actuelle. Nous n’avons pas
pu l’étudier sur les suivantes.
La prévention primaire est difficile, même si le suicide est un
sujet de préoccupation actuel et si nombre de professionnels s’y
emploient.
Les profils individuels à risque sont trop nombreux pour être
exploitables. En revanche, nous connaissons quelques particula-
rités des familles à transaction suicidaire :
la possibilité de l’utilisation du corps comme vecteur d’un
message d’alerte : il semble que, dans ces familles, il existe
des consultations et/ou des hospitalisations “fonctionnelles” ;
l’isolement de ces familles. Elles ne reçoivent pas, ne sont pas
reçues, ne sont pas inscrites dans un groupe ou un tissu associa-
tif, par exemple ;
il existe des antécédents suicidaires personnels ou familiaux,
connus ou inconnus, dans deux tiers des cas.
Ces trois particularités devraient permettre un dépistage.
Nous pensons que la prévention devrait, au mieux, s’inscrire dans
la vie lycéenne...
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