M I S E A U P O I N T Létrozole et cancer du sein hormonosensible de la femme ménopausée : actualités et perspectives Letrozole and postmenopausal woman hormone-dependent breast cancer: state of the art and prospects ● C. Bernard-Marty*, F. Cardoso*, M.J. Piccart* n France, les taux d’incidence du cancer du sein chez les femmes ménopausées – âge supérieur à 50 ans – varient entre 189,5/100 000 et 296,6/100 000 selon les tranches d’âge considérées (tranches d’âge de cinq ans), ce qui permet une estimation de l’ordre de 26 000 nouveaux cas par an en France (1). Parmi ces cas, 5 à 10 % sont d’emblée diagnostiqués au stade métastatique et 50 % récidivent dans les 10 ans, les trois quarts sous une forme métastatique. Au total, le nombre de cancers du sein métastatiques chez la femme ménopausée serait de 10 900 à 12 200, dont 7 600 à 10 000 formes hormonosensibles (1). E LE LÉTROZOLE AUJOURD’HUI Données pharmacologiques ● Rappel sur les estrogènes. L’identification des récepteurs estrogéniques (RE) comme médiateurs de l’action des estrogènes a été une étape fondamentale dans la compréhension du mécanisme de l’hormonodépendance du cancer du sein (2). Lorsque le développement du tissu tumoral dépend de la présence des estrogènes et qu’une hormonothérapie est instituée, l’élimination de la stimulation estrogénique est une condition préalable à une réponse de la tumeur. La première stratégie développée pour lutter contre cette stimulation estrogénique a été l’utilisation d’antiestrogènes (tamoxifène), qui entrent en compétition avec les estrogènes au niveau des RE de la cellule tumorale. La deuxième possibilité est la déprivation estrogénique, soit, par exemple chez la femme préménopausée, par ovariectomie, soit par l’utilisation d’anti-aromatases chez la femme ménopausée. En effet, chez ces dernières, la principale source d’estrogènes provient de l’action d’une enzyme, l’aromatase, qui transforme les androgènes (principalement l’androstènedione et la testostérone) en estrone et estradiol. La suppression de la biosynthèse des estrogènes au niveau des surrénales, des tissus périphériques (adipeux et musculaires) et du tissu tumoral lui-même peut donc être obtenue par une inhibition de l’aromatase (3). * Unité de chimiothérapie, Institut Jules-Bordet, Bruxelles, Belgique. La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no 1 - janvier-février 2004 Mécanisme d’action. Le létrozole est un inhibiteur non stéroïdien de l’aromatase. L’inhibition provoquée est hautement spécifique, efficace (98 %), et n’entraîne pas de modification clinique de la stéroïdogenèse surrénalienne (4, 5). La liaison compétitive à la fraction hème du complexe cytochrome P450-aromatase entraîne une réduction de la biosynthèse des estrogènes au niveau de tous les tissus où ce complexe est présent, non seulement au niveau périphérique, mais aussi au niveau intratumoral. Chez les patientes ménopausées présentant un cancer du sein au stade avancé et recevant des doses de létrozole supérieures ou égales à 0,5 mg, la plupart des taux d’estrone et de sulfate d’estrone se situent au-dessous de la limite de détection des méthodes de dosage, ce qui indique une suppression estrogénique marquée et maintenue tout au long du traitement. In vitro, le létrozole s’est montré dix à trente fois plus puissant que l’anastrozole dans l’inhibition de l’aromatase intracellulaire étudiée sur diverses lignées cellulaires animales et humaines, notamment sur la lignée de cellules cancéreuses mammaires humaines MCF7Ca (6). Une étude clinique a confirmé l’inhibition par le létrozole de l’aromatase périphérique et a montré la réduction des taux circulants des estrogènes (7). ● Données pharmacocinétiques. À la dose quotidienne de 2,5 mg en une prise, le létrozole est rapidement et complètement absorbé (biodisponibilité de 99,9 %). Le létrozole peut être pris sans tenir compte de l’heure des repas [effet mineur sur la vitesse d’absorption] (8). Avec une liaison protéique de 60 %, la distribution tissulaire du létrozole est rapide et importante, les taux d’équilibre étant atteints en 2 à 6 semaines (9). Le létrozole est principalement éliminé par métabolisation hépatique en un métabolite inactif retrouvé ensuite dans les urines. ● Données de tolérance Le létrozole a généralement été bien toléré au cours des études cliniques développées ci-dessous. Les effets indésirables des inhibiteurs de l’aromatase de troisième génération sont similaires en nature et en fréquence à ceux du tamoxifène (10). Ils sont rarement la cause d’un arrêt prématuré du traitement. Approximativement un tiers des patientes est susceptible de présenter des effets indésirables, le plus souvent à type de bouffées de chaleur (10,8 %), nausées (6,9 %) et fatigue (5 %). 9 M I S E A U P O I N T Sur le plan osseux, il est probable que les inhibiteurs de l’aromatase ont un impact péjoratif, du fait de l’augmentation de la résorption secondaire à la déprivation estrogénique, à l’inverse du tamoxifène du fait de son caractère agoniste protecteur. Il faudra attendre une confirmation à long terme, mais il convient de surveiller l’intégrité osseuse en cas de traitement prolongé par létrozole. Les événements thromboemboliques sont moins fréquents qu’avec le tamoxifène. L’effet du létrozole sur le métabolisme lipidique est mal connu et nécessite une surveillance à long terme pour connaître ses implications exactes dans les risques cardiovasculaires (11). des sous-groupes prédéfinis (récepteurs inconnus et métastases des tissus mous et viscérales). Malgré cette différence en termes de réponse, les deux groupes sont comparables en termes de bénéfice clinique, durée médiane de réponse, temps jusqu’à échec du traitement ou survie globale et également tolérance. Ces résultats indiquent donc que le létrozole obtient un meilleur taux de réponse que l’anastrozole en deuxième ligne métastatique après échec du tamoxifène. Mais une critique majeure soulevée contre cette étude est le fait que le design ne permettait pas l’administration des produits en double aveugle. LES ÉTUDES CLINIQUES Létrozole versus tamoxifène en première ligne métastatique : étude pivotale Une étude de phase III randomisée, multicentrique, en double aveugle, incluant 916 patientes ménopausées présentant un cancer du sein avancé hormonodépendant a comparé l’efficacité et la tolérance du létrozole 2,5 mg (n = 458) à celles du tamoxifène 20 mg (n = 458) jusqu’à progression (13). Un crossover était alors autorisé et laissé au choix du médecin (non randomisé). Le principal critère d’efficacité étudié sur 907 patientes était l’intervalle jusqu’à progression. La durée médiane du suivi est de 32 mois. La supériorité du létrozole sur le tamoxifène est confirmée en termes de : ✓ Intervalle jusqu’à progression (médiane 9,4 versus 6,0 mois ; p < 0,0001) (figure 1). Cette différence était déjà retrouvée dans les premiers résultats de l’étude (14), dans les sous-groupes récepteurs inconnus ou récepteurs positifs, quelle que soit l’administration préalable ou non d’un anti-estrogène adjuvant ou quel que soit le site métastatique (des tissus mous ou viscéral). ✓ Temps jusqu’à échec du traitement (médiane : 9 versus 5,7 mois, p < 0,0001). ✓ Taux de réponse globale (32 versus 21 % ; p = 0,0002). Le développement des inhibiteurs de l’aromatase a commencé classiquement par l’utilisation en situation métastatique après échec du tamoxifène, considéré comme le traitement de référence en situation adjuvante. Les anti-aromatases ont été comparés entre eux, puis avec le tamoxifène. Létrozole versus anastrozole en deuxième ligne métastatique Une étude de phase IIIb/IV randomisée, multicentrique, ouverte, a comparé l’efficacité et la tolérance du létrozole 2,5 mg/j (n = 356) à celles de l’anastrozole 1 mg (n = 357) chez 713 patientes ménopausées présentant un cancer du sein métastatique après échec du tamoxifène (12). Les récepteurs RE et/ou RP étaient positifs dans 48 % des cas et inconnus dans 52 % des cas. L’étude s’est déroulée en deux phases, avec une première phase de 12 mois, qui était prolongée de 18 mois supplémentaires en cas de bénéfice clinique. Le principal critère d’efficacité était l’intervalle jusqu’à progression, et la différence était non statistiquement significative, avec 5,7 mois dans chaque groupe. En revanche, le taux de réponse était significativement plus élevé dans le groupe létrozole (19,1 versus 12,3 % ; p = 0,013) et dans létrozole (n = 453) : 9,4 mois 0,9 Absence de progression tamoxifène (n = 454) : 6,0 mois p < 0,0001 0,7 Réduction du risque de progression d'environ 30 % dans le groupe létrozole (HR = 0,72) 0,5 0,3 0,0 0 6 12 18 24 30 36 42 48 54 60 Mois Figure 1. Durée médiane de survie sans progression. 10 La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no 1 - janvier-février 2004 M I S E A 13 mois* 0,9 U P O I N T Survie médiane à 32 mois – létrozole : 34 mois – tamoxifène : 30 mois p = NS 17 mois* Survie 0,7 Différence significative en faveur du létrozole entre 6 et 20 mois (p = 0,003) 0,5 0,3 létrozole en 1re ligne 0,0 tamoxifène en 1re ligne 0 6 12 18 24 30 Mois 36 42 48 54 60 * Temps médian jusqu'au croisement létrozole-tamoxifène : 17 mois tamoxifène-létrozole : 13 mois Figure 2. Survie à 32 mois de suivi médian. ✓ Bénéfice clinique global (50 versus 38 % ; p = 0,0004). ✓ Délai avant recours à la chimiothérapie (16,3 versus 9,3 mois ; p = 0,005). ✓ Nombre de patientes avec dégradation de l’index de Karnofsky d’au moins 20 points (19 versus 25 % ; p = 0,02). Le design de l’étude avait prévu de proposer aux patientes en progression soit de bénéficier d’un crossover non randomisé (changer de traitement pour recevoir l’autre hormonothérapie), soit de sortir de l’étude. Environ 50 % des patientes ayant participé au crossover ont reçu 36 mois de traitement. Le temps médian du crossover est de 17 mois pour les patientes traitées par létrozole en première ligne puis par tamoxifène, et de 13 mois pour les autres (figure 2). La survie globale est supérieure dans le groupe létrozole jusqu’à 24 mois, avec une différence statistiquement significative entre le sixième et le vingtième mois (p = 0,003). Cette supériorité précoce durant les deux premières années de traitement est cohérente avec l’allongement significatif de l’intervalle jusqu’à progression observé dans le groupe létrozole par rapport au groupe tamoxifène. Après deux ans, une tendance en faveur du groupe létrozole par rapport au groupe tamoxifène est observée (médiane 34 versus 30 mois), mais la différence n’est pas significative. L’absence d’un avantage du létrozole sur la survie à partir de 24 mois peut s’expliquer par le design de l’étude, qui proposait un crossover non randomisé. En effet, il est généralement démontré que, si le traitement de deuxième ligne est significativement La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no 1 - janvier-février 2004 meilleur que le traitement donné en première ligne, le crossover peut alors modifier l’évaluation de la survie globale attribuable à l’agent de première ligne. De fait, la durée de survie est plus longue avec le létrozole en deuxième ligne qu’avec le tamoxifène en deuxième ligne. Cette interprétation reste sujette à caution étant donné que le crossover n’était pas randomisé dans cette étude. La tolérance est similaire dans les deux groupes. Le taux de fractures osseuses est de 5,3 % dans le groupe létrozole première ligne et de 4,2 % dans le groupe tamoxifène première ligne. Cette étude permet une évaluation de l’attitude adoptée en pratique courante, où un changement de traitement est souvent réalisé. Elle démontre la supériorité du létrozole vis-à-vis du tamoxifène en première ligne dans cette situation : une réduction de 30 % du risque de progression dans le groupe létrozole par rapport au groupe tamoxifène allonge significativement l’intervalle jusqu’à progression, et ce indépendamment du recours à une hormonothérapie adjuvante, du statut des récepteurs et de la localisation prédominante des métastases. Létrozole versus tamoxifène en première ligne métastatique : étude ancillaire stratifiée selon la présence de HER2 Il était intéressant d’évaluer l’efficacité des inhibiteurs de l’aromatase en cas de surexpression de HER2. Une fraction de la population de l’étude précédente (n = 562) a permis de comparer le taux de réponse du létrozole (n = 283) à celui du tamoxifène (n = 279) en fonction du statut sérique de HER2 évalué avant traitement (15). 11 M I S E A U En l’absence de surexpression de HER2 (70,5 % des cas), le taux de réponse est significativement plus élevé dans le groupe létrozole (39 versus 26 %, p = 0,008), comme l’intervalle médian jusqu’à progression (12,2 versus 8,5 mois ; p = 0,0019) et le temps médian jusqu’à échec du traitement (11,6 versus 6,2 mois ; p = 0,0066). En revanche, en cas de surexpression de HER2 (29,5 % des cas), la différence des taux de réponse n’est pas significative (respectivement 17 % et 13 % ; p = 0,45), même s’il existe une tendance en faveur d’un plus long intervalle médian jusqu’à progression (6,1 versus 3,3 mois ; p = 0,0596), et une différence significative de l’intervalle médian jusqu’à échec du traitement (6,0 versus 3,2 mois ; p = 0,0418) dans le groupe traité par létrozole. Malgré la faible puissance statistique de cette étude du fait d’un nombre de patientes relativement faible, il semble que la surexpression de HER2 reste un facteur prédictif d’une relative hormonorésistance. Létrozole versus tamoxifène en néoadjuvant L’efficacité du létrozole par rapport au tamoxifène en situation métastatique a fait envisager la possibilité d’un intérêt en situation néoadjuvante. Une étude de phase III randomisée, multicentrique, en double aveugle, incluant 324 patientes ménopausées avec un cancer du sein RE et/ou RP+ non éligible pour la chirurgie conservatrice, a comparé l’efficacité (taux de réponse et taux de chirurgie conservatrice) après 4 mois de traitement par létrozole 2,5 mg (n = 154) ou tamoxifène 20 mg (n = 170) (16) [encadré 1]. Biopsie RE/RP+ ménopausique sans chirurgie conservatrice possible R A N D O M I S A T I O N Tamoxifène 4 mois Létrozole 4 mois C H I R U R G I E Traitement adjuvant si nécessaire Encadré 1. Étude en néoadjuvant. Le taux de réponse est supérieur dans le groupe létrozole, que ce soit dans la population entière (55 versus 36 % ; p < 0,001) ou dans la population dont le statut des récepteurs a fait l’objet d’une révision centralisée (respectivement 124 versus 126 patientes, 60 versus 41 % ; p = 0,004). Cet essai comportait une étude de recherche translationnelle qui a permis de corréler le statut des récepteurs hormonaux RE/RP et des récepteurs de facteurs de croissance HER-1+ et/ou HER-2+ avec la réponse clinique (17). Le taux de réponse est nettement majoré dans le sous-groupe des tumeurs RE+ et HER-1+ et/ou HER-2+ (88 versus 21 % ; p = 0,0004), alors qu’il est identique dans le sous-groupe de tumeurs HER-1– et/ou HER-2 négatives. 12 P O I N T Le taux de patientes bénéficiant d’une chirurgie conservatrice est également significativement plus élevé dans le groupe létrozole (48 versus 36 % ; p = 0,036). D’un point de vue clinique, une hormonothérapie néoadjuvante par le létrozole offre une nouvelle perspective en cas d’impossibilité de chirurgie conservatrice. La recherche de biomarqueurs prédictifs de réponse pourrait permettre de mieux identifier les patientes les plus à même de bénéficier d’une hormonothérapie néoadjuvante par le létrozole. LE LÉTROZOLE : PERSPECTIVES CLINIQUES Situation adjuvante Deux stratégies peuvent démontrer l’intérêt du létrozole en situation adjuvante : soit l’administration du létrozole après avoir terminé un traitement adjuvant de 5 ans de tamoxifène (étude MA 17), soit la prescription de ces deux agents utilisés seuls ou de façon séquentielle pendant les cinq premières années postopératoires (étude BIG 1-98 [BIG FEMTA]) (18). L’étude MA 17 (encadré 2). Un traitement adjuvant par tamoxifène administré pendant 5 ans améliore significativement la survie sans progression et la survie globale des cancers du sein RE/RP+ (19). Compte tenu de l’efficacité du létrozole en première ligne métastatique après échec du tamoxifène et de l’absence jusqu’ici d’un bénéfice associé à la poursuite du tamoxifène au-delà de 5 ans, il était logique d’évaluer si le létrozole apportait un bénéfice clinique supplémentaire à des patientes ayant reçu 5 ans de tamoxifène en adjuvant. C’est pourquoi une étude de phase III randomisée, multicentrique, coordonnée par le National Cancer Institute of Canada (NCIC), sur des patientes ménopausées traitées par tamoxifène pendant environ 5 ans a comparé l’efficacité et la tolérance du létrozole 2,5 mg/j (n = 2 593) à celles d’un placebo (n = 2 594), tous deux administrés en double aveugle pendant 5 ans (20). ● Chirurgie Tamoxifène adjuvant 5 ans R A N D O M I S A T I O N Létrozole 2,5 mg/j Placebo 5 ans Encadré 2. Étude MA 17. Le critère principal d’efficacité est la survie sans maladie. Deux analyses intermédiaires ont été prévues, avec une interruption de l’étude en cas de différence significative (p < 0,05) entre les deux groupes à l’une ou l’autre analyse. La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no 1 - janvier-février 2004 M I S E A P O Groupe létrozole Groupe placebo 100 Patientes survivantes libres de cancer (%) U 80 60 40 Chirurgie 20 p < 0,001 0 0 10 30 40 20 Mois après randomisation 50 60 I N R A N D O M I S A T I O N Figure 3. Survie sans progression. T Tamoxifène 20 mg/j Létrozole 2,5 mg/j Tamoxifène 20 mg/j Tamoxifène 20 mg/j Létrozole 2,5 mg/j Létrozole 2,5 mg/j 2 ans 3 ans Encadré 3. Étude BIG 1-98. La durée de suivi médian est de 2,4 ans. Lors de la première analyse intermédiaire, le nombre total de récidives locales et à distance ou de cancers du sein controlatéraux correspondait à un taux estimé de survie sans maladie à 4 ans de 93 et 87 % respectivement [p ≤ 0,001] (figure 3). L’importance du bénéfice clinique, avec une réduction de 43 % du risque de récidive ou de cancer controlatéral (HR = 0,57, IC95 : 0,43-0,75 ; p = 0,000077), est considérablement plus élevée que le bénéfice prévu (21). Les résultats de cette analyse intermédiaire ont donc conduit, comme cela était attendu, à l’interruption de l’étude et à la communication des résultats. En revanche, il faut noter qu’il n’y a pas de différence de survie globale. Sur le plan de la tolérance, les effets indésirables de grade 1-2 du type bouffées de chaleur ou arthromyalgies ont été plus fréquents dans le groupe létrozole, à l’inverse des saignements vaginaux, plus fréquents dans le groupe placebo. L’ostéoporose est un peu plus fréquente avec le létrozole (5,8 versus 4,5 % ; p = 0,07), mais avec des taux de fractures similaires dans les deux groupes. Il n’y avait pas de différence d’effets indésirables cardiovasculaires (4,1 versus 3,6 %). En conclusion, le létrozole administré après une hormonothérapie de 5 ans par tamoxifène améliore significativement la survie sans maladie par rapport à un placebo dans cette situation. Les questions de la durée optimale de traitement et de la tolérance à long terme sont toujours en suspens. L’étude BIG 1-98 (BIG FEMTA) (encadré 3). L’étude BIG (Breast International Group), commencée en mars 1999, est une étude randomisée, en double aveugle, à 4 bras : un bras tamoxifène pendant 5 ans, un bras létrozole pendant 5 ans, un bras tamoxifène 2 ans suivi par létrozole 3 ans, un bras létrozole 2 ans suivi par tamoxifène 3 ans (22). Le critère principal de l’étude est la survie sans maladie. En avril 2003, près de 8 000 patientes ménopausées RE+, RPg+ ont été incluses. L’étude est toujours en cours. Son design particulièrement intéressant devrait apporter des réponses sur la comparaison des deux traitements administrés pendant 5 ans, mais aussi sur l’intérêt du traitement séquentiel avec le crossover proposé. ● La Lettre du Cancérologue - Volume XIII - no 1 - janvier-février 2004 Association aux agents biologiques ● Trastuzumab. La surexpression de HER2 dans 15 à 30 % des cancers du sein a été identifiée par certains comme un facteur de mauvais pronostic chez les patientes RE+ (23, 24). Actuellement, les résultats contradictoires n’ont pas permis un consensus sur le choix d’une hormonothérapie basée sur le statut HER2. L’association chimiothérapie et anticorps anti-HER2 (trastuzumab) en cas de cancer du sein métastatique surexprimant HER2 a permis une augmentation de la durée de survie médiane, de l’intervalle jusqu’à progression et du taux de réponse dans une étude de phase III bien menée dans laquelle les deux tiers des femmes recevant de la chimiothérapie seule ont eu accès au trastuzumab au moment de la progression (25). Face à un tel constat, et compte tenu des différences de résultats retrouvées dans l’étude de Lipton (15) entre les sous-groupes de patientes surexprimant ou non HER2, il paraît rationnel d’envisager l’association létrozole-trastuzumab chez des patientes ménopausées avec un cancer du sein avancé RE/RP+ HER2+. Une étude est en cours pour comparer l’efficacité du létrozole seul à celle de l’association létrozole-trastuzumab. Biphosphonates. Il est logique de vouloir gommer l’effet de déprivation estrogénique des anti-aromatases sur le turnover osseux par l’utilisation des biphosphonates. Deux études cliniques sont actuellement en cours en situation adjuvante pour comparer le létrozole avec l’association létrozole-acide zolédronique : le Zometa Femara Adjuvant Synergy program, connu sous le sigle Z-FAST en Amérique du Nord (n = 500, recrutement terminé) et sous le sigle ZO-FAST en dehors de l’Amérique du Nord (n = 900). ● ● Everolimus RAD001. Ce nouveau macrolide dérivé de la rapamycine agit comme un inhibiteur du signal de transduction, mais il a une activité antitumorale propre, en particulier dans le cancer du sein (26, 27). Étant donné la notion d’une interaction avec les RE, qui serait à l’origine d’une hormonorésistance, il est intéressant d’étudier une combinaison de l’everolimus avec le létrozole dans le cadre du cancer du sein métastatique. Une étude de phase I est actuellement en cours. 13 M I S E A U Chimioprévention à base de létrozole ? La justification de l’utilisation d’un médicament anti-aromatase comme alternative au tamoxifène en chimioprévention doit se baser sur la connaissance des effets du traitement sur le sein normal et sur le métabolisme, en particulier osseux et lipidique. Chez la femme ménopausée, on sait que, parmi les facteurs de risque hormonaux de cancer du sein, on retrouve le traitement hormonal substitutif et l’obésité, corrélée à un taux sérique élevé d’estradiol. Après des études précliniques chez la souris (28), une étude pilote a été réalisée chez 29 femmes en bonne santé traitées par 3 mois de létrozole (29). Il n’y a pas de modification significative de l’index de prolifération cellulaire (Ki67) ou des RE. De la même façon, il n’y a pas de changement du profil lipidique, mais il existe une augmentation significative de la résorption osseuse. D’autres recherches s’imposent avant d’imaginer des études de chimioprévention à base de létrozole. CONCLUSION Aujourd’hui, les inhibiteurs de l’aromatase peuvent être considérés comme le nouveau standard de prise en charge des patientes ménopausées présentant un cancer du sein métastatique hormonodépendant. Dans cette indication, le létrozole a démontré sa supériorité sur le tamoxifène, l’anastrozole étant au moins aussi efficace que le tamoxifène (13). Dans le contexte néoadjuvant, le létrozole a démontré sa supériorité sur le tamoxifène (17). En adjuvant étendu, le létrozole, après 5 ans d’hormonothérapie par tamoxifène, apporte un gain supplémentaire significatif aux patientes en termes de survie sans maladie (20). Par ailleurs, le résultat de l’essai BIG (létrozole versus tamoxifène en adjuvant) devrait permettre de préciser la place de cette molécule dans la prise en charge de la patiente ménopausée porteuse d’un cancer du sein localisé (22). L’association du létrozole avec des agents biologiques pour circonvenir un mécanisme de résistance ou pour éviter certains effets indésirables sont actuellement en cours d’étude. Les inhibiteurs de l’aromatase, et notamment le létrozole, participent aux progrès thérapeutiques développés dans le traitement médical du cancer du sein au cours de la dernière décennie, avec l’adoption de nouveaux standards thérapeutiques pour la maladie métastatique et un foisonnement d’idées nouvelles à l’étude en situation adjuvante. ■ R É F É R E N C E S B I B L I O G R A P H I Q U E S 1. 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