DOSSIER THÉMATIQUE Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie) Bilan lipidique et événements cardio-vasculaires : impact du tamoxifène et des inhibiteurs de l’aromatase Lipid profile and cardio-vascular events: the impact of tamoxifene and aromatase inhibitors Y. Cottin*, G. Molins*, G. Soulat*, A. Gudjoncik*, C. Richard* L * CHU de Dijon. es causes de mortalité des patientes présentant un cancer du sein sont multiples. Il peut s’agir du cancer en lui-même ou de ses complications, mais également des maladies cardio-vasculaires, notamment chez les femmes postménopausées. En effet, la prévalence des maladies cardio-vasculaires est inférieure chez les femmes par rapport aux hommes jusqu’à 40 ans, mais la différence se réduit entre 40 et 60 ans, pour devenir supérieure après 60 ans (figure). Ainsi la maladie cardio-vasculaire constitue une réelle problématique de santé, chez les femmes plus âgées, postménopausées, et cela indépendamment du cancer du sein. Chez les patientes dont la tumeur contient des récepteurs à l’estradiol, les thérapeutiques adjuvantes réduisent les décès liés au cancer et conduisent donc à une augmentation de ceux d’origine cardio-vasculaire, à la fois liés aux patientes mais également aux effets secondaires des thérapeutiques. Ainsi le tamoxifène reste un composant majeur de la thérapie endocrine dans le cancer du sein, bien que des essais cliniques avec des inhibiteurs de l’aromatase (IA), anastrozole, létrozole et exémestane, suggèrent que ces agents soient des alternatives plus efficaces et mieux tolérées. Les IA inhibent la conversion d’androgènes en estrogènes chez les femmes postménopausées et ont donc des mécanismes d’action différents de celui du tamoxifène. En revanche, bien que quelques effets favorables sur le risque cardio-vasculaire soient observés avec le tamoxifène, comme la réduction du niveau de cholestérol total, aucun effet n’existe avec les IA. De plus, certaines études, en particulier celles comparant les IA au tamoxifène, suggèrent un impact délétère sur le risque cardio-vasculaire. Dans cette revue, deux chapitres seront abordés : l’impact sur le profil lipidique des patientes et l’impact sur les événements cardio-vasculaires (ECV). Impact sur le profil lipidique L’impact des lipides du sérum (cholestérol total, lipoprotéines de faible densité [LDL-Cs] ou de haute densité [HDL-Cs] et triglycérides) sur le risque athérogène et donc sur la mortalité cardio-vasculaire est bien établi. Cependant, les effets du tamoxifène par rapport aux IA sont différents et peuvent expliquer au moins en partie des différences sur le risque cardiovasculaire observées au cours des essais cliniques. Toutes les études ont démontré que le tamoxifène avait un impact favorable sur le profil lipidique des patients. Ainsi dans le travail randomisé contre placebo de Love et de son équipe, publié en 1991, portant sur 140 femmes postménopausées, une réduction significative du cholestérol total et du LDLcholestérol est observée à 2 ans, respectivement de 12 % et 20 % (p < 0,001) [1]. Les auteurs soulignent que la baisse est plus marquée chez les patientes dont les seuils initiaux sont les plus élevés et que l’impact sur le HDL-Cs n’est pas constant au cours de l’étude. Une étude écossaise sur le plus long terme, avec le tamoxifène en traitement adjuvant, montre également une baisse significative du cholestérol total et du LDL-cholestérol au cours de la prise du traitement avec un retour aux chiffres initiaux après son arrêt (2). Ces données suggèrent que le tamoxifène pourrait 16 | La Lettre du Sénologue • n° 46 - octobre-novembre-décembre 2009 Séno45dé09.indd 16 15/12/09 14:31 Points forts Mots-clés »» Impact favorable du tamoxifène sur le profil lipidique des patientes ménopausées. »» Le risque cardio-vasculaire chez des patientes avec un cancer du sein est identique à celui de la population générale. »» Il n’existe aucune preuve actuellement que le risque cardio-vasculaire est accru avec les inhibiteurs de l’aromatase. »» La prise en charge thérapeutique du risque cardio-vasculaire chez les femmes avec un cancer du sein est primordiale. Bilan lipidique Inhibiteurs de l’aromatase Maladies cardiovasculaires prévenir les ECV, mais les études existantes sont contradictoires. Le travail de Hernandez et al. a examiné la relation entre le tamoxifène et les hospitalisations pour angor, infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque ou accident vasculaire cérébral (AVC). La population de l’étude comportait 16 289 femmes du “Danish Breast Cancer Group”, randomisées entre 1990 et 2004, en stade I ou II pour les récepteurs d’estrogènes et âgées de 45 à 69 ans. À partir de cette large population, aucune association n’est mise en évidence durant les 5 années après le début du traitement (3). Les autres antiestrogènes, comme le torémifène, peuvent présenter des impacts différents sur le bilan lipidique. Ainsi, chez 49 patientes ménopausées randomisées dans un essai comparant les effets du tamoxifène et du torémifène sur les lipoprotéines sériques, à 12 mois, les deux antiestrogènes réduisent le cholestérol total, le LDL-cholestérol et le niveau d’apo-B dans les mêmes proportions. En revanche, le HDL-cholestérol est augmenté de 14 % avec le torémifène et diminué de 5 % avec le tamoxifène (p = 0,001) [4]. Impact des inhibiteurs de l’aromatase sur le bilan lipidique Dans une étude ouverte randomisée, l’impact de 24 semaines de traitement avec l’anastrozole, le létrozole ou l’exémestane a été testé sur les paramètres lipidiques de femmes ménopausées en bonne santé (n = 90). Après 12 semaines, seul l’exémestane était associé à une diminution significative du cholestérol total par rapport aux valeurs initiales (-5,5 %), mais il faut souligner également une diminution du ratio LDL-Cs/HDL-Cs ; ce dernier étant largement médié par l’augmentation du HDL-Cs. Les seules données disponibles chez les femmes traitées sont les études comparant les IA au tamoxifène, en particulier trois études majeures : ➤➤ Arimidex Tamoxifene Alone or in Combination (ATAC) ; ➤➤ Breast International Group (BIG) 1-98 trial ; ➤➤ Intergroup Examestane Study (IES). Dans l’étude ATAC publiée en 2006 dans le Lancet, parmi 6 200 femmes, les auteurs retrouvent une augmentation significative des dyslipidémies à 68 mois chez les femmes traitées par anastrazole par rapport au tamoxifène, respectivement 8,9 % versus 3,5 % (p < 0,001) [5]. Mais il faut souligner que le bilan lipidique était laissé à la discrétion des investigateurs et que surtout le recueil systématique des ECV n’était pas optimisé dans cette étude. Néanmoins, ce travail a été l’un des premiers sur la thématique, ouvrant une nouvelle voie. Dans l’étude BIG 1-98, l’étude des anomalies lipidiques a été clairement définie par une valeur normale du cholestérol total à l’inclusion avec une augmentation de plus de 50 % sur au moins une analyse à 6 mois, 12 mois ou 24 mois. Les auteurs mettent en évidence une différence significative entre les deux groupes, respectivement 5,4 % versus 1,2 %, (p < 0,001) en faveur du tamoxifène (6). L’étude IES a évalué l’impact d’un switch par de l’exémestane après 2 à 3 ans de tamoxifène en adjuvant. Après 60 mois de suivi, une tendance apparaît pour les hypercholestérolémies dans le bras exémestane versus le bras tamoxifène, respectivement, 8,8 % versus 7,6 %, mais non significative (p = 0,14) [7]. L’étude MA 17 a examiné l’impact du létrozole en traitement adjuvant prolongé après 5 années de tamoxifène. Cette étude reste la plus importante pour la comparaison des IA avec un placebo. Ainsi, à 30 mois, le pourcentage de nouvelles hypercholestérolémies, soit 16 %, est comparable entre les deux groupes (8). Keywords Lipid profile Aromatase inhibitors Cardiovascular diseases Figure. Prévalence des maladies cardio-vasculaires chez les hommes et les femmes de plus de 20 ans. La Lettre du Sénologue • n° 46 - octobre-novembre-décembre 2009 | 17 Séno45dé09.indd 17 15/12/09 14:31 DOSSIER THÉMATIQUE Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie) Impact sur les événements cardio-vasculaires Les informations issues de l’essai ATAC sont limitées en raison de l’absence de recueil systématique des ECV. Néanmoins, les résultats à 68 mois montrent une augmentation non significative des crises d’angor dans le bras traité par l’anastrozole par rapport aux femmes qui ont reçu du tamoxifène, respectivement 4,1 % versus 3,4 % (p = NS). En revanche, l’incidence des ECV ischémiques majeurs (infarctus ou décès d’origine cardio-vasculaire) est similaire entre les deux groupes. Dans l’étude IES, à 60 mois de suivi, l’incidence des ECV est comparable entre les deux groupes, soit 16,5 % dans le bras exémestane et 15 % dans le bras tamoxifène. Néanmoins, parmi les patientes du groupe anastrozole, le taux d’infarctus du myocarde était de 1,3 % contre seulement 0,8 % dans le groupe tamoxifène. Bien que la différence ne soit pas significative, les auteurs soulignent certaines associations, en particulier l’association exémestane-hypertension, avec respectivement 71,1 % d’hypertendues dans le groupe exémestane contre seulement 31,6 % dans le groupe tamoxifène. Cela plaide fortement en faveur de la surveillance régulière de la pression artérielle chez les patients recevant l’exémestane en traitement adjuvant. Contrairement à d’autres essais adjuvants avec les IA, l’étude BIG 1-98 a été conçue pour examiner méthodiquement l’effet potentiel de l’IA sur les risques cardiaques et une analyse systématique des ECV a été réalisée. Les résultats, après une période de 30 mois de suivi, ont démontré que l’incidence des ECV était similaire dans les groupes létrozole et tamoxifène, respectivement 4,8 % versus 4,7 %. En revanche, il existait une tendance pour une augmentation de l’incidence des cardiopathies ischémiques avec le létrozole par rapport au tamoxifène (1,1 % versus 0,7% ; p = 0,06) et une augmentation significative de l’incidence des insuffisances cardiaques (0,7 % versus 0,3 % ; p = 0,04). Dans tous les cas, le nombre d’événements était faible dans chaque bras et doit être pondéré par le bénéfice carcinologique et surtout par l’impact thérapeutique cardio-vasculaire, aussi bien en termes d’insuffisance cardiaque qu’en termes d’ischémie. Les comparaisons IA versus placebo représentent la meilleure voie pour comprendre l’impact cardiovasculaire des IA. Dans l’étude MA 17, avec un suivi de 2,5 ans, chez 5 187 patientes, les ECV sont similaires entre les deux groupes, respectivement 5,8 % sous létrozole et 5,8 % sous placebo, dont 0,3 % et 0,4 % pour les infarctus du myocarde. Dans une sous-analyse des causes de décès de l’étude MA 17, les auteurs mettent en évidence que 60 % des décès ne sont pas carcinologiques, et ce taux varie de 72 %, chez les femmes de plus de 70 ans, à 48 % chez les femmes de moins de 70 ans. Mais surtout, les femmes ayant des antécédents cardio-vasculaires ont un surrisque de décès de cause non carcinologique (p = 0,02). En conclusion, les facteurs de risque cardio-vasculaire présents chez les patientes porteuses d’un cancer du sein reflètent ceux de la population générale. L’impact des thérapeutiques sur les ECV se produisant dans ces essais cliniques doit continuer à être monitoré. Néanmoins, il n’existe à ce jour aucune preuve d’un risque cardio-vasculaire ouvertement accru avec les IA par rapport au placebo, mais les femmes ménopausées qui reçoivent des IA demeurent à risque de complications. En conséquence, les patientes doivent être réévaluées régulièrement et une prise en charge thérapeutique du risque cardiovasculaire reste un élément majeur pour les femmes ayant un cancer du sein. ■ Références bibliographiques 1. Love RR, Wiebe DA, Newcomb PA et al. Effects of tamoxifene on cardiovascular risk factors in postmenopausal women. Ann Intern Med 1991;115:860-4. 2. Dewar JA, Horobin JM, Preece PE, Tavendale R, Tunstall-Pedoe H, Wood RA. Long term effects of tamoxifene on blood lipid values in breast cancer. BMJ 1992;305:225-6. 3. Hernandez RK, Sorensen HT, Jacobsen J et al. Tamoxifene treatment in Danish breast cancer patients and 5-year risk of arterial atherosclerotic events: a null association. Cancer Epidemiol Biomarkers Prev 2008;17:2509-11. 4. Saarto T, Blomqvist C, Ehnholm C, Taskinen MR, Elomaa I. Antiatherogenic effects of adjuvant antiestrogens: a randomized trial comparing the effects of tamoxifene and toremifene on plasma lipid levels in postmenopausal women with node-positive breast cancer. J Clin Oncol 1996;14:429-33. 5. Buzdar A, Howell A, Cuzick J et al. Arimidex, Tamoxifene, Alone or in Combination trialists’ group. Comprehensive side-effect profile of anastrozole and tamoxifene as adjuvant treatment for early stage breast cancer: long-term safety analysis of the ATAC trial. Lancet Oncol 2006;7:633-43. 6. Thurlimann B, Keshaviah A, Coates AS et al. For the Breast International Group (BIG) 1-98 collaborative group. A comparison of letrozole and tamoxifene in postmenopausal women with early breast cancer. N Engl J Med 2005;353:2747-57. 7. Coombes RC, Kilburn LS, Snowdon CF et al. Intergroup Exemestane Study. Survival and safety of exemestane versus tamoxifene after 2-3 years’ tamoxifene treatment (Intergroup Exemestane Study): a randomised controlled trial. Lancet 2007;369:559-70. 8. Wasan KM, Goss PE, Pritchard PH et al. The influence of letrozole on serum lipid concentrations in postmenopausal women with primary breast cancer who have completed 5 years of adjuvant tamoxifene (NCIC CTG MA.17L). Ann Oncol 2005;16:707-15. 18 | La Lettre du Sénologue • n° 46 - octobre-novembre-décembre 2009 Séno45dé09.indd 18 15/12/09 14:31