Bilan lipidique et événements cardio-vasculaires : impact du tamoxifène et

16 | La Lettre du Sénologue 46 - octobre-novembre-décembre 2009
Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie)
DOSSIER THÉMATIQUE
L
es causes de mortalité des patientes présentant
un cancer du sein sont multiples. Il peut s’agir
du cancer en lui-même ou de ses complications,
mais également des maladies cardio-vasculaires,
notamment chez les femmes postménopausées.
En effet, la prévalence des maladies cardio-vascu-
laires est inférieure chez les femmes par rapport
aux hommes jusqu’à 40 ans, mais la différence se
réduit entre 40 et 60 ans, pour devenir supérieure
après 60 ans (figure). Ainsi la maladie cardio-vascu-
laire constitue une réelle problématique de santé,
chez les femmes plus âgées, postménopausées, et
cela indépendamment du cancer du sein. Chez les
patientes dont la tumeur contient des récepteurs à
l’estradiol, les thérapeutiques adjuvantes réduisent
les décès liés au cancer et conduisent donc à une
augmentation de ceux d’origine cardio-vasculaire, à
la fois liés aux patientes mais également aux effets
secondaires des thérapeutiques. Ainsi le tamoxifène
reste un composant majeur de la thérapie endocrine
dans le cancer du sein, bien que des essais cliniques
avec des inhibiteurs de l’aromatase (IA), anastrozole,
létrozole et exémestane, suggèrent que ces agents
soient des alternatives plus efficaces et mieux tolé-
rées. Les IA inhibent la conversion d’androgènes
en estrogènes chez les femmes postménopausées
et ont donc des mécanismes d’action différents de
celui du tamoxifène. En revanche, bien que quelques
effets favorables sur le risque cardio-vasculaire soient
observés avec le tamoxifène, comme la réduction
du niveau de cholestérol total, aucun effet n’existe
avec les IA. De plus, certaines études, en particulier
celles comparant les IA au tamoxifène, suggèrent
Bilan lipidique et événements
cardio-vasculaires :
impact du tamoxifène et
des inhibiteurs de l’aromatase
Lipid profile and cardio-vascular events: the impact of tamoxifene
and aromatase inhibitors
Y. Cottin*, G. Molins*, G. Soulat*, A. Gudjoncik*, C. Richard*
* CHU de Dijon.
un impact délétère sur le risque cardio-vasculaire.
Dans cette revue, deux chapitres seront abordés :
l’impact sur le profil lipidique des patientes et l’impact
sur les événements cardio-vasculaires (ECV).
Impact sur le profil lipidique
L’impact des lipides du sérum (cholestérol total,
lipoprotéines de faible densité [LDL-Cs] ou de haute
densité [HDL-Cs] et triglycérides) sur le risque athé-
rogène et donc sur la mortalité cardio-vasculaire est
bien établi. Cependant, les effets du tamoxifène par
rapport aux IA sont différents et peuvent expliquer au
moins en partie des différences sur le risque cardio-
vasculaire observées au cours des essais cliniques.
Toutes les études ont démontré que le tamoxifène
avait un impact favorable sur le profil lipidique des
patients. Ainsi dans le travail randomisé contre
placebo de Love et de son équipe, publié en 1991,
portant sur 140 femmes postménopausées, une
réduction significative du cholestérol total et du LDL-
cholestérol est observée à 2 ans, respectivement de
12 % et 20 % (p < 0,001) [1]. Les auteurs soulignent
que la baisse est plus marquée chez les patientes dont
les seuils initiaux sont les plus élevés et que l’impact
sur le HDL-Cs nest pas constant au cours de l’étude.
Une étude écossaise sur le plus long terme, avec le
tamoxifène en traitement adjuvant, montre égale-
ment une baisse significative du cholestérol total et
du LDL-cholestérol au cours de la prise du traitement
avec un retour aux chiffres initiaux après son arrêt
(2). Ces données suggèrent que le tamoxifène pourrait
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Points forts
prévenir les ECV, mais les études existantes sont contra-
dictoires. Le travail de Hernandez et al. a examiné la
relation entre le tamoxifène et les hospitalisations pour
angor, infarctus du myocarde, insuffisance cardiaque
ou accident vasculaire cérébral (AVC). La population de
l’étude comportait 16 289 femmes du “Danish Breast
Cancer Group, randomisées entre 1990 et 2004, en
stade I ou II pour les cepteurs d’estrogènes et âgées
de 45 à 69 ans. À partir de cette large population,
aucune association nest mise en évidence durant les
5 années après le début du traitement (3).
Les autres antiestrogènes, comme le torémifène,
peuvent présenter des impacts différents sur le
bilan lipidique. Ainsi, chez 49 patientes ménopau-
sées randomisées dans un essai comparant les effets
du tamoxifène et du torémifène sur les lipoprotéines
sériques, à 12 mois, les deux antiestrogènes réduisent
le cholestérol total, le LDL-cholestérol et le niveau
d’apo-B dans les mêmes proportions. En revanche,
le HDL-cholestérol est augmenté de 14 % avec le
torémifène et diminué de 5 % avec le tamoxifène
(p = 0,001) [4].
Impact des inhibiteurs de l’aromatase
sur le bilan lipidique
Dans une étude ouverte randomisée, l’impact de 24
semaines de traitement avec l’anastrozole, le létro-
zole ou l’exémestane a été testé sur les paramètres
lipidiques de femmes ménopausées en bonne santé
(n = 90). Après 12 semaines, seul l’exémestane était
associé à une diminution significative du cholestérol
total par rapport aux valeurs initiales (-5,5 %), mais
il faut souligner également une diminution du ratio
LDL-Cs/HDL-Cs ; ce dernier étant largement médié
par l’augmentation du HDL-Cs. Les seules données
disponibles chez les femmes traitées sont les études
comparant les IA au tamoxifène, en particulier trois
études majeures :
Arimidex Tamoxifene Alone or in Combination
(ATAC) ;
Breast International Group (BIG) 1-98 trial ;
Intergroup Examestane Study (IES).
Dans létude ATAC publiée en 2006 dans le Lancet, parmi
6 200 femmes, les auteurs retrouvent une augmenta-
tion significative des dyslipidémies à 68 mois chez les
femmes traies par anastrazole par rapport au tamoxi-
fène, respectivement 8,9 % versus 3,5 % (p < 0,001) [5].
Mais il faut souligner que le bilan lipidique était lais à
la discrétion des investigateurs et que surtout le recueil
systématique des ECV nétait pas optimisé dans cette
étude. anmoins, ce travail a été l’un des premiers sur
la thématique, ouvrant une nouvelle voie.
Dans l’étude BIG 1-98, l’étude des anomalies lipi-
diques a été clairement définie par une valeur normale
du cholestérol total à l’inclusion avec une augmen-
tation de plus de 50 % sur au moins une analyse à
6 mois, 12 mois ou 24 mois. Les auteurs mettent
en évidence une différence significative entre les
deux groupes, respectivement 5,4 % versus 1,2 %,
(p < 0,001) en faveur du tamoxifène (6).
L’étude IES a évalué l’impact d’un switch par de l’exé-
mestane après 2 à 3 ans de tamoxifène en adjuvant.
Après 60 mois de suivi, une tendance apparaît pour
les hypercholestérolémies dans le bras exémestane
versus le bras tamoxifène, respectivement, 8,8 %
versus 7,6 %, mais non significative (p = 0,14) [7].
L’étude MA 17 a examiné l’impact du létrozole en trai-
tement adjuvant prolongé après 5 années de tamoxi-
fène. Cette étude reste la plus importante pour la
comparaison des IA avec un placebo. Ainsi, à 30 mois,
le pourcentage de nouvelles hypercholestérolémies,
soit 16 %, est comparable entre les deux groupes (8).
Keywords
Lipid profile
Aromatase inhibitors
Cardiovascular diseases
Mots-clés
Bilan lipidique
Inhibiteurs de
l’aromatase
Maladies cardio-
vasculaires
Figure. Prévalence des maladies cardio-vasculaires chez les hommes et les femmes
de plus de 20 ans.
»Impact favorable du tamoxifène sur le profil lipidique des patientes ménopausées.
»
Le risque cardio-vasculaire chez des patientes avec un cancer du sein est identique à celui de la population
générale.
»
Il n’existe aucune preuve actuellement que le risque cardio-vasculaire est accru avec les inhibiteurs de
l’aromatase.
» La prise en charge thérapeutique du risque cardio-vasculaire chez les femmes avec un cancer du sein est
primordiale.
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Les inhibiteurs de l’aromatase (2e partie)
DOSSIER THÉMATIQUE
Impact sur les événements
cardio-vasculaires
Les informations issues de l’essai ATAC sont limitées en
raison de l’absence de recueil systématique des ECV.
Néanmoins, les résultats à 68 mois montrent une
augmentation non significative des crises d’angor
dans le bras traité par l’anastrozole par rapport aux
femmes qui ont reçu du tamoxifène, respectivement
4,1 % versus 3,4 % (p = NS). En revanche, l’incidence
des ECV ischémiques majeurs (infarctus ou décès
d’origine cardio-vasculaire) est similaire entre les
deux groupes.
Dans l’étude IES, à 60 mois de suivi, l’incidence
des ECV est comparable entre les deux groupes,
soit 16,5 % dans le bras exémestane et 15 % dans le
bras tamoxifène. Néanmoins, parmi les patientes du
groupe anastrozole, le taux d’infarctus du myocarde
était de 1,3 % contre seulement 0,8 % dans le groupe
tamoxifène. Bien que la différence ne soit pas signifi-
cative, les auteurs soulignent certaines associations,
en particulier l’association exémestane-hyperten-
sion, avec respectivement 71,1 % d’hypertendues
dans le groupe exémestane contre seulement 31,6 %
dans le groupe tamoxifène. Cela plaide fortement
en faveur de la surveillance régulière de la pression
artérielle chez les patients recevant l’exémestane
en traitement adjuvant.
Contrairement à d’autres essais adjuvants avec les
IA, létude BIG 1-98 a été conçue pour examiner
méthodiquement l’effet potentiel de l’IA sur les
risques cardiaques et une analyse systématique des
ECV a été réalisée. Les résultats, après une période
de 30 mois de suivi, ont démontré que l’incidence
des ECV était similaire dans les groupes létrozole et
tamoxifène, respectivement 4,8 % versus 4,7 %. En
revanche, il existait une tendance pour une augmen-
tation de l’incidence des cardiopathies ischémiques
avec le létrozole par rapport au tamoxifène (1,1 %
versus 0,7% ; p = 0,06) et une augmentation signi-
ficative de l’incidence des insuffisances cardiaques
(0,7 % versus 0,3 % ; p = 0,04).
Dans tous les cas, le nombre d’événements était
faible dans chaque bras et doit être pondéré par
le bénéfice carcinologique et surtout par l’impact
thérapeutique cardio-vasculaire, aussi bien en termes
d’insuffisance cardiaque qu’en termes d’ischémie.
Les comparaisons IA versus placebo représentent
la meilleure voie pour comprendre l’impact cardio-
vasculaire des IA. Dans l’étude MA 17, avec un suivi
de 2,5 ans, chez 5 187 patientes, les ECV sont simi-
laires entre les deux groupes, respectivement 5,8 %
sous létrozole et 5,8 % sous placebo, dont 0,3 %
et 0,4 % pour les infarctus du myocarde. Dans une
sous-analyse des causes de décès de l’étude MA 17,
les auteurs mettent en évidence que 60 % des décès
ne sont pas carcinologiques, et ce taux varie de 72 %,
chez les femmes de plus de 70 ans, à 48 % chez
les femmes de moins de 70 ans. Mais surtout, les
femmes ayant des antécédents cardio-vasculaires
ont un surrisque de décès de cause non carcinolo-
gique (p = 0,02).
En conclusion, les facteurs de risque cardio-vasculaire
présents chez les patientes porteuses d’un cancer
du sein reflètent ceux de la population générale.
L’impact des thérapeutiques sur les ECV se produi-
sant dans ces essais cliniques doit continuer à être
monitoré. Néanmoins, il n’existe à ce jour aucune
preuve d’un risque cardio-vasculaire ouvertement
accru avec les IA par rapport au placebo, mais les
femmes ménopausées qui reçoivent des IA demeu-
rent à risque de complications. En conséquence, les
patientes doivent être réévaluées régulièrement et
une prise en charge thérapeutique du risque cardio-
vasculaire reste un élément majeur pour les femmes
ayant un cancer du sein.
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Références bibliographiques
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