C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 36 3 septembre 2003 843 Du bon et mauvais usage des antibiotiques dans les sinusites Laurent Kaiser Infections des voies respiratoires et abus d’antibiotiques: introduction Correspondance: PD Dr Laurent Kaiser Médecin-adjoint, Privat Docent Division des Maladies Infectieuses Laboratoire Central de Virologie, Hôpitaux Universitaires de Genève 24 Rue Micheli-du-Crest CH-1211 Genève 14 [email protected] Les infections virales des voies respiratoires supérieures sont paradoxalement la première cause de prescription antibiotique à travers le monde. Cette prescription abusive est liée principalement aux difficultés que le clinicien rencontre dans sa démarche diagnostique et n’est que secondairement liée au désir des patients de recevoir un antibiotique. Une large étude récente chez des praticiens américains internistes ou généralistes a analysé la prescription antibiotique chez plus de 1900 sujets souffrant de nasopharyngite ou de rhume (24% des patients examinés), sinusites aiguës (24%), de bronchites aiguës (23%) ou de pharyngites (11%). Des antibiotiques à larges spectre tels que quinolones, céphalosporines, aminopénicillines combinés à des inhibiteurs des bêtalactamases ou des macrolides de nouvelle génération sont prescrits chez plus de 63% de ces cas dont 46% des sujets avec une nasopharyngite aspécifique ou un rhume et 69% des sujets avec des signes cliniques de sinusite [15]. La prescription de ces traitements antibiotiques est deux fois et demi plus fréquente chez les internistes que les généralistes, et de grande différences géographiques existent en terme d’habitude de prescriptions. Bien que des études similaires manquent en Suisse, tout suggère que la situation est similaire. Tableau 1. Sinusites aiguës: fréquence et type des agents retrouvés lors d’une sinusite bactérienne aiguë acquise dans la communauté. Fréquents Occasionnels Streptococcus pneumoniae Bactéries anaérobes Haemophilus influenzae Streptococcus pyogenes Moraxella catarrhalis Autres streptocoques Staphylococcus aureus En cas de pharyngite, grâce à l’usage combiné de signes cliniques et de tests rapides de détection d’antigènes streptococciques, la démarche conduisant à la prescription d’antibiotique est codifiée permettant d’adopter une attitude relativement rigoureuse [5]. En présence d’un rhinosinusite aiguë, par contre, l’évaluation reste empirique. Il n’y a pas de démarches cliniques codifiées et il n’existe pas de tests diagnostiques rapides. Cet article a pour but de revoir les évidences à disposition pour guider une prescription antibiotique adéquate en présence d’une rhinosinusite aiguë chez l’adulte. Sinusite aiguë: comment identifier les patients qui peuvent bénéficier d’un traitement antibiotique? Toutes les infections virales de la muqueuse nasale s’accompagnent rapidement par continuité d’une atteinte de la muqueuses sinusienne. Ainsi, dans les premiers jours suivant le début des symptômes d’un rhume, on peut détecter des anomalies des sinus maxillaires dans la majorité des cas. Après une infection à rhinovirus, près de 80% des patients présentent des images scannographiques compatibles avec une sinusite aiguë. Ces patients ne souffrent pas de sinusite aiguë bactérienne mais présentent une inflammation virale uniquement. On estime que moins de 2,5% des rhumes seront suivis d’une infection bactérienne vraie. Ceci explique pourquoi en présence d’une rhinosinusite aiguë la radiographie standard des sinus est inutile pour décider si une antibiothérapie est nécessaire. Ceci explique également pourquoi le terme de rhinosinusite est à préférer à celui de rhinite ou de sinusite. Une atteinte sinusienne virale sera accompagnée de signes et de symptômes qui ne seront pas différents de ceux que l’on pourraient observer en présence de la plupart des infections bactériennes. Il est donc impossible dans la majorité des cas de distinguer une sinusite bactérienne ou virale sur la seule base de l’examen clinique. Les signes cliniques et symptômes utilisés pour C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 36 3 septembre 2003 prédire la présence d’une sinusite aiguë sont décrits dans le tableau 2 où ils sont séparés entre signes que l’on peut considérer majeurs et d’autres comme mineurs. Même en utilisant ces signes la capacité à prédire une sinusite bactérienne reste mauvaise et ceux-ci ne se révèlent performants que lorsque le tableau clinique est caricatural, par exemple si 4 ou 5 signes cliniques sont présents simultanément (tableau 1) [14]. Les situations où tous ces signes cliniques sont présents simultanément sont rares et la majorité des prescriptions antibiotiques se décident dans une population avec un nombre limité de signes cliniques et la performance de l’examen clinique est médiocre. Efficacité des antibiotiques en cas de sinusite aiguë Dans la littérature, il existe plus de 34 études chez près de 7500 sujets ayant testé l’usage des antibiotiques dans le cadre de sinusites aiguës [1, 8, 13]. La qualité de ces études est modeste et une minorité permet une analyse pertinente de l’effet des antibiotiques. La plupart d’entre elles sont en fait conçues pour au mieux montrer une équivalence à un traitement approuvé, et ainsi pouvoir démontrer qu’un antibiotique donné est utilisable dans cette indication. Ainsi, seule une douzaine de ces 34 études est en double aveugle et une minorité (7 uniquement) compare le traitement antibiotique à un placebo. On note également que le traitement adjuvant n’est décrit que dans un tiers de ces études. Parmi les 7 études comparant l’antibiotique à un placebo, 5 ont été effectuées chez les adultes (dont 2 en Suisse) et de manière surprenante, une seule a montré un effet positif du traitement antibiotique. Pourquoi? L’explication principale réside dans le fait que les patients des études précitées souffraient 844 dans la majorité des cas probablement d’une atteinte virale uniquement. Un autre point important est que près de 60% des sinusites guérissent de manière spontanée après 10 jours [10]. Parmi les études n’ayant pu démontrer un avantage des antibiotiques sur le placebo figurent deux études suisses récentes. Utilisant un réseau de praticien bâlois, H. Bucher et collègues, ont testé l’amoxicilline-clavulanate versus un placebo chez près de 250 patients se présentant avec une histoire d’écoulement nasal purulent et des douleurs frontales ou maxillaires [1]. Le temps nécessaire à la guérison s’est révélé comparable dans les deux groupes sans bénéfice évident sous amoxicilline-clavulanate. Des résultats similaires ont été obtenus dans une étude genevoise chez plus de 230 patients avec une rhinosinusite aiguë [8]. Dans cette étude, le traitement d’azithromycine ne s’est pas révélé supérieur au placebo en terme de guérison lorsque l’ensemble de la population est analysé. Par contre, un point important de cette investigation a été de démontrer que le sous-groupe de patients avec des bactéries pathogènes dans leurs sécrétions (Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae et Moraxella catarrhalis) pouvait bénéficier d’un traitement précoce. Dans ce groupe de patients avec bactéries, la guérison sous antibiotique est accélérée mais surtout le taux de complications conduisant à une prescription antibiotique pour une sinusite sévère ou une bronchite est élevée, de l’ordre de 19%. Malheureusement, cette observation ne permet pas à ce jour des applications cliniques, la culture des sécrétions nasopharyngées pour identifier ces patients nécessitant environ 48 heures. L’identification des patients sur la base d’un score clinique s’est révélé impossible, les valeurs prédictives du score clinique étant insuffisantes pour un usage clinique. Toutes ces études apportent avec raison de Tableau 2. Prédiction du diagnostic de sinusite aiguë basée sur un score clinique incluant 5 signes cliniques différents dans une population ou la prévalence de la maladie serait de 38%. Eléments présents* Rapport de vraisemblance 0 0,1 Probabilité (%) de la maladie 9 1 0,5 21 2 1,1 40 3 2,6 63 4 6,4 81 5 6,4 92 * Eléments présents: douleurs maxillaires irradiant dans les dents, mauvaise réponse aux décongestionnants, écoulement nasal purulent à l’anamnèse ou à l’examen physique et diaphanoscopie asymétrique. (Adapté de [14, 15]) C U R R I C U LU M l’eau au moulin de ceux qui mettent en doute l’efficacité des antibiotiques en cas de rhinosinusite aiguë. Ceci dit, il est très important de souligner qu’une sinusite bactérienne aiguë prouvée expose les patients à des complications très rares mais graves tel que l’abcès cérébral ou la méningite. Le but idéal de l’examen clinique et des éventuelles investigations serait donc de détecter les patients qui pourraient effectivement développer ces complications et donc bénéficier d’un traitement antibiotique précoce. L’usage abusif des antibiotiques permet probablement de prévenir ces complications graves mais au prix d’un nombre énorme de patients traités pour une infection virale. Avec l’émergence de bactéries résistantes, s’agit-il du prix à payer pour prévenir des complications graves? La question reste sans réponse à ce jour. Il n’y a donc pas de recommandations possibles basées sur la preuve si l’on considère la littérature. Les recommandations de comités d’experts se basent sur un ensemble d’éléments convergents et non pas sur des preuves validées dans le cadre d’études cliniques [4, 12]. Afin d’éviter des complications graves le traitement antibiotique est indiqué chez les patients présentant 4 ou 5 signes cliniques considérés comme majeurs (tableau 2). Un traitement antibiotique sera aussi considéré chez des patients qui ont des symptômes persistants de plus de 7 jours accompagnés d’au moins 2 ou 3 signes cliniques majeurs. Cette dernière recommandation ne s’applique évidemment pas au personnes souffrant de rhinosinusite chronique. Quelle doit être la durée du traitement antibiotique? Pour des raisons historiques, la durée préconisée du traitement antibiotique lors d’une sinusite est de 10 jours. Ces dernières années, de multiples études ont montré que le taux de guérison et la résolution des symptômes étaient tout à fait comparables lorsque le traitement était plus court, de l’ordre de 5 ou 7 jours. Ceci a été démontré avec des antibiotiques de la famille des macrolides, des céphalosporines ou des dérivés des pénicillines. Il est donc tout à fait raisonnable, lors d’un premier traitement d’une sinusite aiguë, d’envisager un traitement court de l’ordre de 5 à 7 jours si l’évolution est rapidement favorable. Il n’y a pas de preuve qu’un traitement plus long préviendra le développement d’une sinusite chronique. En terme de risque de sélection de germes résistants, il est aussi préférable d’utiliser des traitements courts, bien dosés et ciblés, plutôt que des traitements longs, à doses plus faibles et à spectres élargis, condition idéale pour favoriser l’émer- Forum Med Suisse No 36 3 septembre 2003 845 gence de germes résistants. Le choix de l’antibiotique doit tenir compte de l’épidémiologie locale. En Suisse, Streptococcus pneumoniae, Haemophilus influenzae et Moraxella catarrhalis restent sensibles à des dérivés des aminopénicilline tel que l’amoxicilline dans environ 80% des cas. Dans certaines régions, 15 à 20% des Streptococcus pneumoniae sont partiellement résistants à la pénicilline (résistance intermédiaire). Si des dérivés de la pénicilline ou des céphalosporines sont utilisés à hautes doses permettant de surmonter cette résistance qui est relative, il n’y a en général pas de répercussion clinique. Environ 15% des Haemophilus influenzae en suisse romande sécrètent des bêtalactamases et sont donc résistants à l’amoxicilline et c’est aussi; le cas pour l’immense majorité des Moraxella catarrhalis. Une association avec l’acide clavulanique est indispensable pour assurer un effet optimal contre ce type de germes. Finalement la résistance aux macrolides est de l’ordre de 20 à 30% pour le pneumocoque. Cette résistance ne peut pas être surmontée par un dosage élevé de macrolides et nécessite d’utiliser d’autres classes d’antibiotiques lorsqu’elle est présente. En résumé, un traitement d’amoxicilline, 3 ou 4 fois par jour, à dose adaptée au poids prescrit pour 7 jours, doit permettre de guérir la plupart des sinusites aiguës à pneumocoque. En présence de germes sécrétant des bêtalactamases une combinaison avec l’acide clavulanique est à préférer. Des céphalosporines, très fréquemment utilisées, ont certains avantages permettant une prescription 2 fois par jour et sont efficaces contre les germes producteur de bêtalactamases. Cependant, ces antibiotiques ont un spectre large qui n’est pas absolument nécessaire dans cette situation. En cas de non réponse au traitement, tout praticien doit envisager de récolter des sécrétions nasopharyngées dans le but d’identifier un germe résistant, par exemple un pneumocoque résistant à la pénicilline. En cas de résistance clinique et microbiologique, les alternatives résident dans l’usage de céphalosporines à haute doses ou de quinolones «respiratoires», voire de macrolides si ceux-ci restent efficaces (car les résistances croisées avec les pénicillines sont fréquentes). Il est important de souligner que les quinolones «respiratoires» (levofloxacine ou moxifloxacine par exemple) ne devraient être utilisées qu’en seconde intention (germes multirésistants ou allergies multiples) afin de préserver l’émergence de pneumocoques résistants, aux quinolones. C U R R I C U LU M Antibiotiques versus antiviraux: l’exemple de la grippe et du rhinovirus Comme décrit auparavant, la plupart des infections respiratoires sont d’origines virales. Il est donc intéressant de revoir les perspectives possibles quant à l’usage des antiviraux pour le traitement d’une infection respiratoire virale. Dans le cas de la grippe en particulier, nous disposons d’un grand nombre d’informations originales concernant la prescription d’antibiotiques faisant suite à une infection prouvée au virus influenza. Il a été démontré qu’un antibiotique est prescrit dans près de 17% des cas chez les adultes présentant une grippe confirmée, c’est à dire chez qui le virus a été isolé au niveau respiratoire [7, 9]. Cette prescription est motivée dans la majorité des cas par des symptômes de bronchite, moins souvent en raison d’une sinusite ou d’une pharyngite et plus rarement en raison d’une otite ou d’une pneumonie. Ces observations démontrent bien, que dans les jours suivant une infection virale, la Tableau 3. Importance des signes et symptômes associés à une sinusite aiguë bactérienne. Signes majeurs Signes mineurs Douleurs maxillaires irradiant dans les dents Congestion nasale Ecoulement nasal purulent (antérieur ou postérieur) Anosmie Ecoulement postérieur persistant Voix nasillarde Ecoulement nasal sanguinolent Céphalées Absence de réponse aux décongestionnants locaux Toux Douleurs maxillaires lors des mouvements Expectorations Diaphanoscopie asymétrique Température Douleurs à la pression des sinus Douleurs pharyngées Quintessence La plupart des sinusites aiguës chez l’adulte font suite à une infection virale. L’examen clinique et la radiographie ne permettent que rarement d’identifier les sujets qui bénéficieront d’une antibiothérapie. L’examen radiologique est donc inutile dans le bilan initial. L’antibiothérapie ne devrait être considérée que chez les sujets avec des symptômes sévères (présence de 4 ou 5 signes cliniques simultanés) ou ceux avec des symptômes persistant plus de 7 jours. Les traitements courts (5 ou 7 jours) avec des antibiotiques avec un spectre restreint et ciblé doivent être privilégiés. Forum Med Suisse No 36 3 septembre 2003 846 prescription d’antibiotiques est fréquente malgré l’absence d’une infection bactérienne prouvée. La preuve supplémentaire est donnée par les observations faites lorsque ces patients reçoivent des antiviraux; l’usage rapide du zanamivir (Relenza®) ou de l’oseltamivir (Tamiflu®) réduit de 40 à 50% l’incidence des complications conduisant à la prescription d’antibiotiques. Il y a en particulier une réduction importante des bronchites aiguës conduisant à la prescription d’antibiotiques, observation qui confirme que la plupart de ces bronchites sont d’origine virale uniquement [7, 9]. Ceci ouvre des perspectives nouvelles sur l’utilisation des antiviraux en pratique clinique mais surtout nous rappellent que la plupart des syndromes respiratoires sont d’origine strictement virale. D’autres antiviraux sont en développement avancés, en particulier, des antiviraux actifs contre le rhinovirus. L’intérêt de cibler le rhinovirus est que celui-ci est considéré comme le responsable d’environ 80% des rhumes observés pendant l’automne chez les adultes. C’est aussi la première étiologie de rhinosinusite chez l’enfant, et une cause majeure d’exacerbation d’asthme ou de bronchite chronique [2]. Dans ce contexte, il y a un intérêt à développer des médicaments qui pourraient avoir une action favorable sur les infections à rhinovirus. Un de ces agents appelé pleconaril a une activité antivirale in vitro contre les picornavirus (entérovirus, cosackies) et l’ensemble des rhinovirus [6]. Cette substance a été testée sur environ 600 adultes qui présentaient une infection à rhinovirus prouvée sous forme d’un rhume de moins de 36 heures. Dans cette circonstance, l’efficacité clinique du pleconaril s’est avérée relativement moyenne avec une réduction de la durée des symptômes de moins de deux jours [3]. D’autre part, on s’est aperçu que cette substance était un inhibiteur également des cytochromes faisant craindre d’importants risques d’interactions médicamenteuses si elle était largement utilisée pour des infections banales. Le développement de ce médicament est donc retardé et des formes différentes, telles que des sprays intra nasaux sont en développement. Chez les enfants, plusieurs données démontrent que l’usage précoce d’antiviraux, en particulier, l’oseltamivir en cas de grippe, a un effet favorable tant sur les symptômes que sur l’incidence secondaire d’otite moyenne aiguë. Un tel effet est extrêmement intéressant considérant que l’otite moyenne aiguë est la première cause de prescription antibiotique chez les enfants. Les données concernant l’usage précoce d’antiviraux en présence d’une rhinosinusite aiguë sont encore limitées et embryonnaires mais il est possible qu’à l’avenir les antiviraux fassent partie de l’arsenal thérapeutique du praticien. C U R R I C U LU M Forum Med Suisse No 36 3 septembre 2003 847 Références 1 Bucher HC, et al. Effect of amoxicillin/clavulanate in clinically diagnosed, acute rhinosinusitis: a placebo controlled double-blind randomised trial in general practice. Arch Intern Med. In press (2003). 2 Greenberg SB. Respiratory consequences of rhinovirus infection. Arch Intern Med 2003;163:278–84. 3 Hayden FG, Coats T, Kim K, Hassman HA, Blatter MM, Zhang B, et al. Oral pleconaril treatment of picornavirus-associated viral respiratory illness in adults: efficacy and tolerability in phase II clinical trials. 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