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Points de repères pour une prise en charge
psychosociale de l’alcoolodépendance
Frédéric Voize*
Le but
L’axe prioritaire
Les moyens
Les principes
éthiques
La citoyenneté
Le sens
Le temps
Cinq stades
La prise en charge psychosociale a pour fonction de faire ressentir les enjeux concrets et immédiats de la démarche de soins, dans une stratégie d’alliance avec le patient. Ce travail de lien se fait sur la durée. L’approche psychosociale doit permettre un diagnostic et une prise en charge précoces
de la maladie alcoolique.
Dans cette “maladie de la relation”, l’intervention, pivot de la prise en charge, se focalise sur la qualité des liens entre le patient et le travailleur
social, fondée sur la confiance et le respect mutuel, l’écoute et le non-jugement ; entre l’alcoolodépendant et la réalité sociale et institutionnelle, réalité rejetante et rejetée par l’alcoolique. Il s’agit de reconnaître à la personne en cours de soins (ou non) sa capacité à se prendre en charge et ainsi lui
restituer sa dignité.
L’alcoolodépendance est une maladie particulière à dimension bio-psychosociale. De ce fait, les dispositifs de prise en charge intègrent :
• les soins médicaux, qui sont assurés par les professions médicales et soignantes ;
• l’écoute et le travail sur soi par des psychiatres et des psychologues ;
• la réinsertion dans une réalité sociale, professionnelle et familiale ainsi que l’accès aux soins par le travailleur social.
L’individu est considéré comme un sujet à part entière et non pas seulement comme le “porteur” d’une pathologie. L’action fait suite à une évaluation globale
interdisciplinaire tenant compte de tous les facteurs contribuant à la santé. Dès cette évaluation initiale, l’organisation des services est centrée sur le patient.
Au cours des premiers entretiens, une relation de confiance doit s’établir avec lui, fondée sur un dialogue véritable n’excluant pas l’alcool. Cela paraît
possible une fois que les représentations personnelles de la maladie alcoolique et du malade alcoolique sont clarifiées. Il est difficile de changer les
mentalités et l’attitude morale stigmatisant les alcooliques dans une population soignante, par delà même une connaissance scientifique poussée de
l’alcoolodépendance (1). “Le travailleur social (et pas seulement lui…) juge trop souvent le malade comme passif, immature, se laissant aller, peu
intelligent, indécis, inconstant. Lorsque les prises en charge se soldent par un échec, cela alimente une idéologie qui justifie l’échec en l’attribuant à
la personnalité de l’usager (2)”.
Les trois axes majeurs seront : citoyenneté, sens et temps. Cette approche permettra d’accompagner globalement le patient en le plaçant au premier
plan de son passé et de son devenir. En une phrase : “Distanciation et temps pour réfléchir, reconstruire une démarche facilitatrice pour les sujets qui
vont reconstruire avec moi.”
Notion fréquemment abordée en santé communautaire et en santé publique, qui considère le patient en citoyen, avec lequel il faut travailler son sens
critique pour susciter chez lui l’envie d’être autonome afin qu’il “investisse” sa maladie (en fréquentant un mouvement d’anciens buveurs, par
exemple). Le respect de cette notion implique que ce soit à partir des besoins ressentis par le patient que l’on mette en œuvre les soins.
L’usager est le maître d’œuvre du projet établi à son intention, le premier partenaire de son projet social. Agir sur le sens permet d’envisager avec l’individu son devenir en tant que sujet, puis acteur de sa santé de manière responsable, en le réhabilitant dans cette capacité. Le sens est un enjeu dans
la prise en charge de l’alcoolodépendance : s’agit-il, seulement, comme il est convenu de le poser aujourd’hui dans un système pourtant “désintégrant”, d’être rentable et productif ? Au travailleur social de rester lucide et conscient pour offrir au patient la capacité de se saisir des moyens de “rester dans” la société tout en interrogeant les processus psychoaffectifs et psychosociaux.
Une logique de temps différente s’impose lorsque l’on accompagne et prend en charge un patient. Clé de fonctionnement à questionner : élaboration
de solution de vie avant le sevrage.
Le facteur temps est indissociable de la maladie : la mise à distance de l’alcool est difficile et longue, émaillée de réalcoolisations, nécessitant d’inscrire le changement dans un projet de réinsertion à long terme. Temps social et temps de la maladie diffèrent (3) :
• le temps sous alcool : c’est le temps devant faire l’objet du travail de deuil, deuil de l’alcool, deuil de soi sous alcool. Temps nécessaire dans la dynamique de reconstruction ;
• le temps sans alcool : tourné encore vers le passé, sur la base d’un présent fragile et dominé essentiellement par le manque, le vide. Temps des
moments difficiles ;
• le temps hors alcool : tourné vers l’avenir, sur la base d’un présent plus solide et ouvrant sur le monde et la vie. Quelle sera demain la manière de
fonctionner sans ce produit ?
Ils caractérisent psychologiquement la prise de conscience et de distance avec l’alcool. Le patient évolue “dans ces stades” grâce à une écoute bienveillante, au non-jugement et à la confiance. Ils permettent de le situer dans l’évolution de sa maladie (3). On peut accompagner le patient tout au
long de ces stades en utilisant l’entretien motivationnel.
1er stade : c’est celui du déni. Le sujet adopte différents subterfuges pour montrer et démontrer qu’il boit normalement. Le déni et la dénégation ne
sont pas le propre des alcooliques, comme on tend souvent à la faire croire. Ce sont des mécanismes assez ordinaires, pouvant cohabiter avec grande
sincérité.
2e stade : c’est celui de la culpabilité, de l’angoisse et de la faiblesse telles que le malade cherchera même à se faire rejeter.
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3e stade : le sujet raconte sa vie, parle de l’alcool et de lui, évoque ses exploits, son invincibilité. Il peut aussi “s’étendre” sur la description de ses
difficultés personnelles, familiales, sociales… et affirmer que l’alcool est sa seule solution.
Pendant ce stade, le sujet sort de son isolement. Il progresse et partage alors ses difficultés.
4e stade : il demande de l’aide : après avoir abordé sa maladie, c’est désormais le sort qui s’acharne contre lui. Il est concerné mais en tant que
victime. Il n’assume pas encore sa responsabilité.
5e stade : le sujet cesse d’ériger une barrière protectrice entre lui et l’alcool. Il se sent responsable, donc prêt à se prendre en main. Le patient comprend qu’il peut s’adapter aux événements sans aide extérieure (alcool et médicaments). Il concrétise immédiatement les solutions adaptées à ses problèmes.
Travailler avec des personnes alcooliques, c’est être au contact direct de la souffrance et du désespoir. Voici des situations qu’il faut
“débrouiller” (4) :
• La santé est une plainte. L’insertion en cours justifie de ne rien avoir et peut, paradoxalement, déresponsabiliser la personne qui prend la mesure de
ce qu’il lui reste à faire. La formulation perturbée des demandes peut faire évoquer des troubles psychiatriques graves alors qu’elle témoigne souvent
d’une pathologie du système relationnel.
En structure d’hébergement (CHRS)
• Les problèmes sociaux (conjugaux, errance, obligation de soins) d’un patient, cumulant troubles somatiques et psychologiques, dérangent l’ordre
public et amènent des tensions au sein du service. Le patient est considéré comme “un hurleur”.
À l’hôpital
• L’incapacité d’investissement accompagne l’absentéisme et alimente la culpabilité qui, à son tour… La promesse d’aller mieux ou la banalisation de
la consommation retardent la prise en charge.
Au travail
Les outils de la prise en charge
Certains sont spécifiques comme les thérapies comportementales qui aideront les patients à affronter plus rapidement leur parcours vers l’abstinence, à accéder à d’autres modalités thérapeutiques, comme les groupes de paroles au sein de la structure de prise en charge, et les activités thérapeutiques (ateliers d’écriture, de jardinage, diététique, de musique, etc.) sont autant d’occasions pour le patient de reprendre confiance en lui, de
redécouvrir des repères temporels.
D’autres relèvent d’une démarche volontaire de différents acteurs qui choisissent de travailler en réseau autour du patient afin de permettre une
réelle prise en charge en mettant à sa disposition des intervenants favorisant la réinsertion sociale et professionnelle, un soutien de l’entourage et
un accès aux mouvements d’anciens buveurs…
Véritable “hôpital éclaté”, le réseau permet de mettre en œuvre une complémentarité des compétences et une coordination des interventions
psychosociales.
Chaque acteur doit savoir patienter car le travail social avec le patient alcoolodépendant est difficile à cause du manque de motivation et de la difficulté à se projeter dans le temps.
Tous favorisent une approche relationnelle permettant la “reprise de confiance en soi” du patient. Sombrer dans l’alcool, c’est fuir les difficultés
relationnelles avec soi et les autres, c’est aussi pousser les compétences de chacun à leur limites. Le malade “teste” ainsi la “capacité” de celui-ci
à faire confiance et la solidité des réponses élaborées au sein du réseau de soins.
Références bibliographiques
1. Taléghani M. Étude des opinions et connaissances des personnels infirmiers face à l’alcoolisme. Une approche titubante. Bulletin du
HCEIA 1986 ; 1 : 59-74.
2. Vallade F. et al. Les théories implicites de personnalité des travailleurs sociaux et des médecins à propos de la personne alcoolique.
Sauvegarde de l’enfance 1993, 3.
3. Hillemand B. Remarques sur l’éthique dans la relation soignant-alcoolodépendant. Alcoologie 1994 ; 16, 4 : 293-7.
4. Rainaut J. Difficultés et joies des lendemains hors alcool. Paris : éd. L’Harmattan, 1997.
* Coordinateur CCAA Sud 92, Département addictions, Établissement de santé Paul-Guiraud, Villejuif.
Le Courrier des addictions (5), n° 3, juillet/août/septembre 2003
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