“Aujourd’hui, je ne boirai pas”

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Sujet d'étude
“Aujourd’hui, je ne boirai pas”
La clinique “Villa-les-Roses”, clinique psychiatrique
lyonnaise de 50 lits, en liaison avec l’association
“Alcooliques anonymes” (AA) applique une méthode
thérapeutique originale qui permet le cheminement
des patients vers l’abstinence.
L
a définition à la fois simple
et pertinente de l’alcoolisme
reste celle de P. Fouquet et de
M. Fontan : « est alcoolique tout
homme (ou femme) qui a, en fait,
perdu la liberté de s’abstenir de
consommer de l’alcool ».
Cette maladie touche toutes les
couches de la population, mais
les manifestations diffèrent selon
les milieux socioprofessionnels,
notamment du fait du souci
des personnes de préserver les
apparences.
Une addiction
La maladie alcoolique, conduite
addictive, témoigne d’une réelle
souffrance psychique de la personne. L’addiction alcoolique suppose une prédisposition d’ordre
éducatif et/ou génétique ainsi
qu’un ou plusieurs événements
déclenchants.
L’alcoolisme est un phénomène
d’ordre psychosocial qui se détermine à partir de deux réalités :
– la réalité psychique individuelle, qui renvoie à l’édification
et à la structuration de l’identité
de chaque individu et à sa capacité relationnelle ;
– la réalité extérieure, qui confronte un sujet donné à un moment
donné de son histoire dans une
société donnée, à un produit mythique : l’alcool.
Selon le Dr Settelen, psychanalyste et alcoologue, les relations
affectives de ces malades avec
leurs parents dans leur enfance
ont été de mauvaise qualité, avec
des traumatismes psychologiques
avant l’âge de deux ans et des dif-
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ficultés d’acquisition du langage.
La défaillance des liens primaires
a entraîné des difficultés de communication et d’utilisation des
mots pour mentaliser, représenter
et exprimer les maux essentiels.
Ces malades présentent une carence narcissique et un vécu dépressif contre lequel il s’agit de
lutter par le comportement. Le
manque de confiance en soi et les
troubles de la communication
sont majeurs. Les malades présentent une pauvreté du fonctionnement imaginaire, ils ne
savent pas dire “non”. L’alcool
permet au sujet de remplir son
incomplétude.
Pourquoi l’alcool ?
La personne a reconnu en l’alcool
des vertus toniques, euphorisantes, anxiolytiques, libératoires.
L’accoutumance s’installe après la
période de tolérance. L’alcool devient un appoint nécessaire à
l’équilibre et, avec l’augmentation des doses, c’est la dépendance psychique. Par la suite, il
n’est pas toujours indispensable
d’augmenter les doses, il est surtout nécessaire de les maintenir.
La personne a alors perdu sa liberté vis-à-vis de l’alcool.
A la clinique “Villa-les-Roses”,
comme aux AA, la prise en
charge s’exerce suivant certains
concepts. Pour le patient, c’est la
prise de conscience de sa maladie, la démarche personnelle
pour se faire soigner à la clinique
ou pour adhérer à une association. Pour les soignants, c’est
l’écoute sans jugement.
Un véritable contrat
de confiance
Le patient est volontaire pour se
faire hospitaliser à la clinique. Il
faut souligner que sa décision a
été généralement difficile à
prendre et s’est souvent faite
après plusieurs avis familiaux
et médicaux. En acceptant le
contrat de soins, le patient s’engage à le respecter. D’emblée, il
est responsabilisé, considéré en
tant que sujet singulier et adulte
car, depuis sa maladie, l’entourage du patient a eu tendance
à ne plus lui faire confiance, à
l’infantiliser. Presque toujours
d’ailleurs, la famille souhaite rencontrer le médecin en l’absence
de son parent, ce qui est refusé
par le soignant. La consultation
en présence du malade est ensuite bien acceptée et tous arrivent à exprimer des choses qu’ils
n’avaient bien souvent jamais pu
se dire jusque-là, chacun se retrouvant au même niveau.
Le patient sevré souffre d’un syndrome anxiodépressif qu’il est
nécessaire de traiter par des antidépresseurs, des anxiolytiques,
par perfusion ou par voie orale.
A ce traitement s’ajoutent une vitaminothérapie (vitamines B1 et
B6) et une réhydratation par voie
orale, ce qui lui permet de mieux
supporter les inconvénients du
sevrage.
L’hospitalisation se déroule en
deux étapes :
– durant les dix premiers jours,
période de régression, le patient
“se laisse aller”, prend de la
distance par rapport à tous ses
soucis. Il n’est pas autorisé à
sortir mais participe aux activités médiatrices de parole et
aux groupes thérapeutiques
psychanalytiques ;
– dans un second temps, il reprend contact avec l’extérieur. Le
médecin lui permet de sortir en
permissions suivant le rythme
autorisé par la clinique, permissions au cours desquelles il s’est
engagé à ne pas boire. Si la tentation de l’alcool est trop forte
durant une permission, il lui est
conseillé de rentrer plus tôt que
prévu. S’il n’a pas pu résister à la
tentation, le médecin lui demande de ne pas sortir à nouveau
pendant quelque temps.
Tout au long du séjour, l’équipe
pluridisciplinaire de la clinique
joue un rôle prépondérant dans
le cheminement du malade alcoolique vers son mieux-être.
Les activités médiatrices de parole proposées sont fondamentales pour aider le patient à
communiquer, ce dernier souffrant d’importants troubles de la
communication.
S’appuyer sur des activités
Des groupes de parole à orientation psychanalytique sont animés par un ou deux psychiatres
en présence de la psychologue,
des stagiaires psychologues, d’infirmières et d’aides-soignants. Ils
permettent aux patients de s’exprimer autour d’un thème intéressant la majorité des personnes
présentes (la solitude, les relations familiales, la dépression, la
confiance en soi...). Si le malade
a beaucoup de difficultés pour
parler, il écoute, tout simplement, ce qui est enrichissant
pour lui et l’amène peu à peu à
s’exprimer.
Ces groupes de parole ont entraîné une dynamique dans l’établissement : les discussions sont
reprises par les patients entre
eux, avec leur médecin et avec
les infirmières.
De nombreuses réflexions personnelles sont suscitées par ces
groupes, le patient dit parfois
“s’y sentir mal”. Il se sent bousculé psychiquement, mais c’est
ce qui lui permet d’avancer.
Un atelier de création artistique
est animé par un artiste peintre.
C’est un atelier de créativité où
règnent la sérénité et la convivialité. Le patient s’exprime librement par le dessin ou la peinture,
se détend, discute avec l’artiste,
“s’évade”. Fréquemment, les patients expriment l’impression
qu’ils ont de ne plus être hospitalisés à ce moment-là. En fin de
séance, un thérapeute psychanalyste passe pour ceux qui souhaitent travailler autour de leur
création.
Une prise en charge par l’équipe
infirmière est faite tout au long
du nycthémère. La relation qui
s’instaure avec le patient est fondée sur la compréhension et
l’écoute. Le patient sait qu’il
peut solliciter les infirmières
pour un entretien s’il éprouve le
besoin de parler, de se confier,
s’il est angoissé.
Les infirmières proposent également des entretiens de relation
d’aide dont l’intérêt est de permettre au patient de :
• clarifier ses difficultés (sans le
protéger ou s’identifier à lui) ;
• trouver les solutions les plus
adaptées aux difficultés rencontrées, qu’elles soient d’ordre matériel ou d’ordre relationnel ;
• traverser une épreuve ;
• trouver un fonctionnement
personnel plus satisfaisant ;
• trouver le sens de son existence
en mettant en place un projet
personnel.
D’autres ateliers sont également
proposés par la psychologue et les
stagiaires psychologues suivant
les périodes : atelier rire/sourire,
atelier écriture, jeu perspective,
jeu de questions en lien avec la vie
quotidienne montrant que dans
une situation donnée, plusieurs
solutions peuvent être possibles.
Outre ces activités, les patients
sont invités à s’aérer et à se détendre dans le parc de la clinique. Il faut souligner également les moments conviviaux
que les patients vivent entre eux :
discussions, jeux de société, jeux
de ping-pong et de boules, etc.
Le malade ne doit pas s’isoler,
car la convivialité, les échanges,
l’écoute, la compréhension sont
des éléments clés pour progresser vers l’abstinence et surtout le
mieux-être.
Au cours d’une réunion mensuelle, tous les patients buveurs et non buveurs sont invités
à rencontrer l’association AA
en présence de l’équipe médicale et infirmière. Ainsi, ils prennent connaissance du fonctionnement de cette association et
aussi de l’expérience même des
animateurs.
Toutes ces activités n’ont de sens
que dans la mesure où elles sont
répétées. Grâce à elles, le patient
évolue, se sent valorisé. Elles lui
permettent de l’aider dans sa recherche de sens quant à son
comportement et à sa vie, elles
lui facilitent sa renarcissisation.
Rose-Marie Champion
Infirmière surveillante,
Clinique “Villa-les-Roses”, Lyon Ve.
Bibliographie
• Gomez H. La personne alcoolique, Paris,
Dunod, 1999.
• Descombey J.P. Précis d’alcoologie clinique. Paris, Dunod, 1998.
• Golse B. Le développement affectif et
intellectuel de l’enfant. Paris, Masson,
1998.
• Donnadieu B., Genthon M., Vial M. Les
théories de l’apprentissage, quel usage
pour les cadres de santé ? Paris, Masson,
1998.
• Dr Settelen. Psychogenèse et symbolique
du lien chez les personnes alcooliques,
Lyon, 1998.
Alcooliques
anonymes
21, rue Trousseau
75011 Paris
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Maison
Berty Albrecht
14, place Grand-Clément
69100 Villeurbanne
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