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ÉDITORIAL
L’interleukine 23 :
le chef d’orchestre de la physiopathologie
des spondyloarthrites ?
Interleukin-23: the conductor of the pathophysiology
of spondyloarthritis?
P
Daniel Wendling
Service de rhumatologie,
CHRU de Besançon,
et université de Franche-Comté,
Besançon.
ressentie depuis quelques années, l’implication de l’interleukine 23 (IL-23)
dans la physiopathologie des spondyloarthrites (SpA) s’est précisée à la lumière
des travaux récents.
L’IL-23 est une cytokine hétérodimérique formée de 2 sous-unités :
1 sous-unité p40 commune à l’IL-12 et à l’IL-23, et 1 sous-unité p19 spécifique
de l’IL-23. La source principale de cette cytokine est représentée par les cellules
dendritiques, les cellules présentatrice d’antigène (CPA) et les macrophages. Sa
production est stimulée par les lipopolysaccharides et par l’activation des récepteurs
Toll (TLR) de l’immunité innée. L’IL-23 induit la polarisation (de concert avec l’IL-6
et le TGFβ) des lymphocytes T CD4 naïfs en Th17 favorisant la production d’IL-17 (1).
Les modèles animaux préalables ont suggéré le rôle de l’IL-23 dans les phénomènes
inflammatoires tissulaires, systémiques, mais également articulaires : les souris
invalidées pour le gène du récepteur de l’IL-23 (IL-23R KO) développent des formes
moins sévères d’entérite ou d’arthrite induite par le collagène dans les modèles
respectifs. En revanche, les souris transgéniques pour l’IL-23 développent des maladies
inflammatoires spontanées. Le “misfolding” de HLA-B27 (mauvais repliement
de la chaîne lourde de B-27 dans le réticulum endoplasmique) et la réponse cellulaire
que ce processus induit (Unfolded Protein Response, ou UPR) augmentent la production
d’IL-23 et sont associés à l’activation Th17 chez les rats transgéniques.
En pathologie humaine, l’IL-23 a été détectée dans la peau de patients atteints
de psoriasis ainsi que dans la lamina propria de l’intestin de patients atteints de maladie
inflammatoire chronique de l’intestin (MICI), maladies proches des SpA. Dans les SpA,
des taux élevés d’IL-23 ont été observés dans le sérum (2) et dans le liquide synovial
(à un taux supérieur au taux synovial, suggérant une production intra-articulaire) [3].
Sur le plan génétique, une association entre la SpA (mais aussi le rhumatisme
psoriasique et les MICI) et l’existence d’un polymorphisme nucléotidique (SNP)
du gène du récepteur d’IL-23a été montrée : la mutation Arg381Gln empêche
l’activation du récepteur de l’IL-23 et a ainsi un effet protecteur vis-à-vis
de la maladie (2).
Des résultats expérimentaux importants et élégants
L’équipe de J.P. Sherlock (4) a montré que, dans l’arthrite induite par les anticorps
anti-collagène de type II (les animaux développent une arthrite, mais également une
enthésite), l’utilisation d’un inhibiteur de l’IL-23 sous forme d’un anticorps dirigé contre
la sous-unité p19 réduisait l’arthrite mais également l’inflammation histologique
de l’enthèse, avec diminution de la production de diverses cytokines (IL-6, IL-1,
RANK ligand), des chimiokines et des métalloprotéases. Ils ont par ailleurs mis
en évidence un type de cellules répondant spécifiquement à l’IL-23. Ces cellules
ont été caractérisées, il s’agit de lymphocytes T : ROR-γt+CD3+CD4–CD8–, IL-23R+.
4 | La Lettre du Rhumatologue • No 393 - juin 2013
ÉDITORIAL
Leur localisation tissulaire par microscopie multiphotonique a été déterminée
précisément dans l’enthèse (pas dans le corps du tendon), mais également dans
la racine de l’aorte (pas le myocarde) et dans la chambre antérieure de l’œil.
Ces cellules résidentes de l’enthèse, une fois activées par l’IL-23, produisent
de l’IL-17 et de l’IL-22 (qui agit sur la phosphorylation de Stat3 des ostéoblastes,
et donc sur la promotion de l’ossification de l’enthèse et du périoste). Ces cellules
produisent également des Bone Morphogenetic proteins : BMP7 (dont l’implication
dans l’ossification locale des enthèses a été montrée antérieurement), mais aussi
du TNF, de IL-6, des chimiokines et des facteurs de transcription : Osterix (facteur
de transcription de différenciation ostéoblastique), Runx2 (facteur de transcription
des ostéoblastes et des chondrocytes).
Cette action inflammatoire sur l’enthèse est indépendante des Th17.
Ces résultats positionnent donc de façon claire l’IL-23 comme une cytokine
importante dans la physiopathologie des SpA (et en amont d’autres cytokines
“vedettes”), avec en particulier la mise en évidence d’une action spécifique locale
au niveau des tissus cibles (enthèse en particulier) et la preuve d’une activation
locale par l’IL-23 de cellules résidentes spécifiques.
Tout est-il résolu pour autant ? Ces cellules résidentes sont-elles restreintes
aux sites de la maladie ou ubiquitaires chez ces animaux ? Il semble bien
qu’une spécificité topographique existe, dans la mesure où elles sont observées
dans l’enthèse, mais pas dans le corps du tendon, et dans la paroi aortique, mais
pas dans le myocarde. La question principale est de savoir si ces résultats sont
totalement extrapolables de ce modèle animal particulier à la maladie humaine.
1. Wendling D. Interleukin 23:
a key cytokine in chronic inflammatory disease. Joint Bone Spine
2008;75:517-9.
2. Wendling D. IL-23 and IL-17
in ankylosing spondylitis. Rheumatol Int 2010;30:1547.
3. Wendling D, Cedoz JP,
Racadot E. Serum and synovial
fluid levels of p40 IL12/23 in
spondylo­arthropathy patients.
Clin Rheumatol 2009;28:
187-90.
4. Sherlock JP, Joyce-Shaikh B,
Turner SP et al. IL-23 induces
spondyloarthropathy by acting
on ROR-γt+ CD3+CD4–CD8–
entheseal resident T cells. Nat
Med 2012;18:1069-76.
L’auteur déclare ne pas avoir
de liens d’intérêts.
Néanmoins, ces constatations ouvrent des perspectives thérapeutiques.
Suffira-t-il de bloquer l’IL-23 pour tout résoudre ? Dans le modèle animal
de J.P. Sherlock et al. (4), l’administration d’un anticorps anti-p19 de l’IL-23
réduit l’évolution inflammatoire, mais elle ne la stoppe pas et n’empêche pas
le développement de la maladie, même lorsqu’elle a lieu en même temps
que l’induction de la maladie. En clinique humaine, nous ne maîtrisons pas
l’initiation de la maladie, et le traitement débute donc plus tardivement. Nous
disposons déjà d’un outil thérapeutique avec l’ustékinumab, anticorps monoclonal
anti-p40 IL-12/­IL-23, déjà utilisable dans le traitement du psoriasis cutané. Ce
biomédicament a fait l’objet d’évaluations dans le rhumatisme psoriasique, avec des
résultats intéressants, et est en cours d’étude dans la spondylarthrite ankylosante.
Cet anticorps inhibe également l’IL-12, et il est possible qu’une partie de ses effets
positifs soit liée à ce ciblage ou à la combinaison de l’inhibition de l’IL-23
et de l’IL-12. Il conviendrait donc de tester l’effet d’un traitement inhibant
spécifiquement l’IL-23 (par exemple, à l’aide d’un anticorps monoclonal anti-p19).
Les résultats de ces investigations, de même que ceux des études de l’inhibition
de l’IL-17 (en cours), sont donc attendus avec une certaine impatience. Il faut
également, dans ce domaine thérapeutique, retenir la leçon des résultats décevants
et négatifs des traitements anti-récepteur de l’IL-6 dans les SpA, avec pourtant
des arguments rationnels préalables à ce ciblage thérapeutique, l’IL-6 polarisant
aussi la différenciation lymphocytaire vers Th17.
Ainsi, les connaissances pathogéniques progressent en ce qui concerne
les mécanismes de développement des SpA et, 40 ans après la mise en évidence
du lien existant entre la maladie et HLA-B27, de nouvelles voies, dont celle
de l’utilisation de l’IL-23, se profilent et font entrevoir de nouvelles perspectives
thérapeutiques.
La Lettre du Rhumatologue • No 393 - juin 2013 | 5
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