L Physiopathologie du psoriasis en plaques Physiopathology of psoriasis

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THÉRAPEUTIQUE
Physiopathologie du psoriasis
en plaques
Physiopathology of psoriasis
H. Bachelez*
L
es progrès dans la compréhension de la physiopathologie du psoriasis, particulièrement les
données concernant les mécanismes de l’inflammation chronique, ont permis des innovations
thérapeutiques majeures, avec la mise au point de
plusieurs agents biologiques à usage thérapeutique
ciblant de manière spécifique un ou plusieurs de ces
mécanismes.
Généralités
Le psoriasis est caractérisé, dans ses atteintes cutanées, par une inflammation chronique dermique
et épidermique, par une prolifération exagérée des
cellules épithéliales, les kératinocytes, à l’origine
d’un épaississement de l’épiderme (acanthose) et
par un trouble de la différenciation de ces mêmes
kératinocytes, à l’origine d’une hyperkératose. Ces
trois éléments histopathologiques expliquent les
lésions cliniques observées, caractérisées par des
plaques plus ou moins épaisses, érythémateuses
et squameuses.
Facteurs génétiques
* Service de dermatologie, hôpital
Saint-Louis, Paris.
Si l’avènement de la génétique moderne et des études
du génome à grande échelle ont permis d’identifier
d’abord des localisations chromosomiques, puis des
polymorphismes associés à la maladie ou semblant
au contraire protéger contre celle-ci, l’identification avec certitude des gènes qui en sont responsables reste encore à réaliser, ce qui est le cas pour
la majorité des maladies à caractère multigénique.
Les loci identifiés incluent pour certains des gènes
d’intérêt, qui ont été ensuite confirmés par les études
de polymorphisme de l’ADN (1). C’est le cas de l’haplotype du complexe majeur d’histocompatibilité
(CMH) de classe I HLA-Cw6, situé au sein du locus
PSORS1 sur le chromosome 6 (2). Compte tenu du
24 | La Lettre du Pharmacologue • Vol. 24 - n° 1 - janvier-février-mars 2010
rôle des antigènes HLA de classe I dans la présentation des antigènes aux lymphocytes T CD8+, ces
études de liaison invitent à reconsidérer également
le rôle des différentes populations lymphocytaires.
Le rôle d’autres gènes, dont le produit intervient dans
la différenciation kératinocytaire, tels que le gène
de la cornéodesmosine, n’a pas été confirmé par
les études menées chez l’homme ou l’animal. Plus
récemment, des études ont montré que certains polymorphismes du gène codant pour la protéine p40
de l’IL-12/IL-23, et de celui codant pour le récepteur
de l’IL-23, semblent au contraire protéger contre la
survenue de la maladie (3, 4). Les études visant à
étudier les conséquences fonctionnelles de ces polymorphismes, et notamment la diminution éventuelle
de fonction du récepteur, restent à réaliser, mais les
similitudes de ces résultats avec ceux obtenus dans
d’autres maladies inflammatoires chroniques, comme
la maladie de Crohn ou les spondy­larthropathies,
plaident en faveur du rôle majeur de l’axe IL-12/
IL-23 dans ces pathologies. En ce qui concerne le
TNF alpha (TNFα), autre cytokine dont la contribution à l’inflammation chronique a été démontrée, des
polymorphismes de gènes codant pour des molécules
régulatrices de cette voie ont également été identifiés, mais, là encore, les conséquences fonctionnelles
de ces variations restent à élucider (5). Enfin, d’autres
variants polymorphiques associés à certaines formes
de psoriasis concernent des gènes exprimés dans les
kératinocytes et non dans les lymphocytes, comme
c’est le cas pour la protéine ZNF750 (6). Il est donc
très probable que certaines mutations affectant de
manière primitive les kératinocytes peuvent avoir
un impact sur la survenue de la maladie.
Facteurs d’environnement
Les infections, notamment pour le psoriasis en
gouttes, les stress neuropsychiques, et certains
médicaments tels que les bêtabloqueurs, les anti-
Résumé
Les récentes avancées majeures dans la compréhension des mécanismes physiopathologiques du psoriasis
ont permis de définir plusieurs nouvelles cibles thérapeutiques, tout particulièrement les cytokines de
l’immunité que sont le TNFα, l’IL-12 et l’IL-23. Ces progrès, ainsi que ceux des techniques de biologie
moléculaire et de génie génétique, ont conduit à la production de molécules biologiques à usage thérapeutique qui ont fait la preuve de leur efficacité dans le psoriasis modéré à sévère. Il en est ainsi des
inhibiteurs du TNF (anticorps monoclonaux anti-TNF comme l’adalimumab et l’infliximab, ou récepteur de
fusion comme l’étanercept) et des anticorps monoclonaux anti-IL-12/IL-23p40 (ustékinumab). De nouvelles
molécules ciblant d’autres cytokines de l’immunité adaptative, comme l’IL-17, sont actuellement en cours
de développement. Ces données témoignent de la pertinence des concepts d’immuno-intervention ciblée
au cours du psoriasis.
paludéens de synthèse ou l’interféron alpha (IFNα)
ou β constituent des facteurs identifiés comme
pouvant induire des poussées, mais à l’exception
des interférons de type I (voir infra), les mécanismes
physiopathologiques qui conduisent au déclenchement des lésions restent très mal connus.
Mécanismes immunologiques
L’efficacité de certains immunosuppresseurs, en
particulier de la ciclosporine, constitue sans doute
à ce jour la démonstration la plus convaincante du
rôle du système immunitaire dans l’inflammation
psoriasique. Ces données cliniques confirment
cependant celles issues d’études menées aussi bien
chez l’homme que chez l’animal, qui ont d’abord
démontré la contribution des lymphocytes T,
effecteurs majeurs de l’immunité dite “adaptative”. Parmi ceux-ci, les lymphocytes T CD4+ auxiliaires de type Th1, qui produisent principalement
comme cytokines l’IFNγ et le TNFα, ont un rôle
pro-inflammatoire important, qui a été notamment
démontré sur des modèles de souris immunodéficientes recevant des xénogreffes de peau humaine
psoriasique (1, 7). Les lymphocytes T pathogènes
semblent être avant tout des cellules résidant dans
la peau, mais des lymphocytes recrutés à partir de la
circulation sanguine jouent certainement également
un rôle (7). En effet, les études des lymphocytes T
in situ ont permis de suggérer que leur activation
était dépendante des stimulations antigéniques,
mais la nature de ces stimuli reste inconnue dans
tous les cas, hormis dans ceux où les antigènes
streptococciques semblent jouer ce rôle. Il a par
ailleurs été montré qu’une source cellulaire principale de la production de TNF dans la peau était
constituée par des cellules dendritiques spécialisées
exprimant le marqueur CD11c mais pas la langerine (8). D’autres lymphocytes T, appelés Th17, sont
également impliqués dans la maladie par l’intermédiaire de la sécrétion prédominante d’IL-17, cytokine
pro-inflammatoire qui active notamment en cascade
les polynucléaires neutrophiles, et d’IL-22, qui est en
partie responsable de la prolifération exagérée des
kératinocytes et de l’acanthose (9). Si la différenciation des lymphocytes Th1 est influencée de manière
positive par l’IL-12, celle des lymphocytes Th17 est
stimulée par l’IL-23, ce qui fait de cette cytokine
une cible thérapeutique privilégiée (1).
En effet, si l’activation des lymphocytes Th1 et Th17
est un élément essentiel de l’inflammation au cours
du psoriasis, les mécanismes initiateurs se situent
sans doute en amont de l’immunité adaptative. C’est
donc assez logiquement que des travaux récents ont
mis en évidence la contribution de l’immunité dite
“innée”, et des mécanismes qui relient fonctionnellement l’immunité innée à l’immunité adaptative,
au cours du psoriasis. Ainsi, l’IFNα a été identifié
comme un élément initiateur important de l’activation lymphocytaire au cours du psoriasis, et est
également impliqué dans les éruptions dites “paradoxales” survenant chez des patients recevant des
traitements inhibiteurs du TNFα (10). La sécrétion
d’IFNα est assurée de manière prédominante par des
cellules dendritiques spécialisées appelées “cellules
dendritiques plasmocytoïdes”, qui sont présentes
dans les lésions cutanées de psoriasis (10).
Parmi les autres cytokines à activité pro-inflammatoire figurent bien sûr le TNFα, qui est la cible thérapeutique de plusieurs agents biologiques inhibiteurs
– adalimumab, étanercept et infliximab – mais aussi
l’IL-12 et l’IL-23. En fait, c’est surtout cette dernière
qui est exprimée de manière prédominante dans
les lésions cutanées du psoriasis en plaques et qui
joue à l’évidence un rôle essentiel dans la réaction
inflammatoire chronique, notamment par la promotion de la différenciation des lymphocytes Th17 (11).
Plus en amont, les événements à l’origine du déclenchement de la cascade inflammatoire restaient mal
connus, jusqu’à l’identification de la combinaison d’un
peptide antibactérien, appelé LL-37, avec l’ADN du soi
en tant que facteur stimulant la production d’IFNα
par les pDC (12). Ces travaux constituent d’ailleurs la
première démonstration de la nature auto-immune
du psoriasis, par le biais de l’immunité innée.
Mots-clés
Psoriasis
Lymphocyte T
TNFα
IL-12
IL-23
Abstract
Recent advances in the understanding of pathogenic mechanisms of psoriasis allowed to
identify several new therapeutic
targets, notably cytokines such
as TNFα, IL-12 and IL-23. These
advances, together with major
progress in molecular biology
and bioengeneering techniques,
led to the production of therapeutic biological drugs showing
efficacy in moderate-to-severe
psoriasis. it is the case for TNF
inhibitors (adalimumab and
infliximab anti-TNF monoclonal antibodies, etanercept
as fusion protein), or anti-IL-12/
IL-23p40 monoclonal antibodies (ustekinumab). New
biologics targeting other adaptive immunity cytokines such
as IL-17 are currently under
development. This set of data
emphasizes the relevance of
targeted immune intervention
concepts in psoriasis.
Keywords
Psoriasis
T lymphocyte
TNFα
IL-12
IL-23
Conclusion : vision intégrée (figure)
Grâce aux nombreuses avancées récentes dans la
compréhension des mécanismes effecteurs qui sont
responsables de l’inflammation cutanée chronique,
des traitements plus ciblés, tels que les inhibiteurs du
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THÉRAPEUTIQUE
Événements déclencheurs
Physiopathologie du psoriasis en plaques
Amplification de l’inflammation
Réponse finale
Vasculaire
Peau
ECGF
VEGF KGF
PDGF
Th17
Environnement
HSPs
TLR agoniste
Cytokines
Infection
Tp1/Tc1
IL-12
IL-23
Lymphocyte T
IL-17
IL-22
PDC
IFNα
IFNγ
TFN
LT
IFNγ
TFN
LT
TGFβ
IL-1
IL-6
IL-20
DC11c DC
(TIP-DC)
+
TNFα
STAT1-P
STAT3-P
NF-kB
Kératinocyte
IFN-response
genes
Genes with composite
IFN and NF- kB
response element
Gènes régulés par NF- kB
STAA1
IL-20
Tissue-resident
Fibroplasie
NF- kΒ
Figure. Rôle du système immunitaire au cours du psoriasis.
TNF et les anticorps monoclonaux anti-p40 bloquant
l’action de l’IL-12/IL-23, ont pu être développés et
montrer une efficacité remarquable. Des anticorps
ciblant l’IL-17 sont en développement.
Il reste que les connaissances concernant les inter­
actions entre kératinocytes et cellules du sytème
immunitaire restent encore très partielles. À cet
égard, les modèles animaux de souris génétiquement
modifiées ne permettent pas de conclure, même s’ils
ont conduit à montrer que des altérations primitives
des kératinocytes étaient susceptibles d’induire une
inflammation générale mais aussi une inflammation
tissulaire en dehors de la peau. Il en est ainsi dans le
modèle de souris invalidées dans les kératinocytes
pour les membres de la famille AP-1, c-Jun et Jun-B, à
l’origine d’une maladie inflammatoire cutanéo-articulaire histologiquement assez proche du psoriasis.
Un tel circuit d’interactions reste à identifier et à
élucider dans la maladie humaine, de même que la
contribution d’autres cytokines pro-inflammatoires
telles que l’IL-1 ou l’IL-6, qui sont exprimées au sein
des lésions psoriasiques (13).
■
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