La Lettre du Psychiatre - vol. II - n° 2 - mars-avril 2006
Mise au point
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Au cours des entretiens que le psychiatre peut avoir avec les
familles, cette souffrance est patente, objective, et bien souvent
mise en avant. Il arrive même que certaines familles lui fassent
part de leur sentiment de dépit, voire de révolte ou d’agressivité,
face à la difficulté qu’elles peuvent avoir à être entendues.
Les difficultés des proches d’un patient dépressif doivent être
considérées avec une attention particulière.
En effet, la famille représente le support social principal. L’indi-
vidu doit pouvoir y trouver soutien, réconfort, chaleur et renfor-
cement. La faillite du groupe familial dans ces différents rôles
peut être extrêmement délétère pour le patient, dans la mesure où
il devient plus vulnérable aux stress de tout ordre.
Par ailleurs, un conflit avec les proches peut constituer en soi un
facteur stressant, susceptible d’induire une déstabilisation de
l’état thymique.
L’entourage d’un patient peut s’avérer un auxiliaire précieux dans
la prise en charge.
Tout d’abord, la famille peut repérer les signes annonciateurs de
l’installation de l’état dépressif. Un désintérêt croissant pour les
activités habituellement appréciées, une humeur maussade, une
tendance à l’isolement, la récurrence de propos pessimistes sont
autant de signaux d’alerte que les proches doivent apprendre à
reconnaître, et que le patient aura parfois du mal à identifier
comme pathologiques.
Par ailleurs, une fois les premiers symptômes repérés, il peut être
difficile de convaincre le patient de consulter. Or, une action thé-
rapeutique dès les prémices de la rechute améliore le pronostic
de l’épisode en cours. Une fois encore, l’entourage peut jouer un
rôle primordial en incitant le patient à consulter, voire en l’ame-
nant jusque dans le bureau du médecin.
Au moment de la consultation, il convient de repérer les difficul-
tés d’interaction entre le patient et son entourage et d’y remédier.
Certains symptômes peuvent être particulièrement pénibles pour
la famille. Il est important de les identifier et de nommer leur
nature pathologique. Par exemple, la présence d’un cortège de
symptômes caractérisés par l’inhibition, tels que le retrait, l’abou-
lie ou la lenteur idéomotrice, peut générer des attitudes d’agace-
ment, de sollicitation stérile, de découragement. L’agressivité et
l’irritabilité sont des symptômes qui peuvent entraîner incom-
préhension, crainte et rejet au sein d’un entourage familial par-
fois décontenancé face à cette attitude hostile. Selon M.C. Hardy-
Baylé et P. Hardy (8), l’agressivité du déprimé témoigne le plus
souvent d’une irritation contre un monde dont il se sent exclu,
contre ceux qui “vont bien” et ne comprennent pas son désarroi,
d’un désir de se cacher en protégeant agressivement sa retraite,
ou de répondre aux critiques de l’entourage, perçu comme plus
ou moins hostile.
Dans un deuxième temps, un travail d’information du patient et
de sa famille doit être réalisé. Le diagnostic doit être annoncé, si
ce n’est déjà fait, et précisé. Il est important de souligner le carac-
tère pathologique de l’état actuel, et d’insister sur le fait que le
malade le subit plus qu’il ne le choisit. Les comportements aggra-
vants sont à rechercher : un excès de sollicitude ou une infantili-
sation constituent autant d’obstacles à l’amélioration. À l’inverse,
un comportement de rejet peut être tout aussi néfaste, car venant
renforcer les cognitions dépressives centrées sur l’autodéprécia-
tion, l’inutilité, l’incapacité.
Il peut être nécessaire de déculpabiliser certaines familles, en
expliquant la multiplicité des causes de la maladie et en souli-
gnant l’importance qu’il y a à prendre du temps pour soi, à “souf-
fler”, le risque étant que la maladie “contamine” l’intégralité du
noyau familial.
Comme nous l’avons vu précédemment, l’entourage a un rôle
primordial à jouer dans le repérage des signes précurseurs d’une
rechute. Au moment de la consultation, ces signes seront repris
et explicités un par un.
Une fois le diagnostic d’épisode dépressif établi, une décision
thérapeutique est prise. Dans la plupart des cas, elle implique une
prescription médicamenteuse. Au moment de la rédaction de
l’ordonnance, il peut être tout à fait judicieux de recevoir l’en-
tourage en même temps que le patient pour expliquer l’intérêt
qu’il y a à prendre un traitement, la nécessité d’une prise régu-
lière, l’existence possible d’effets secondaires. Ces effets seront
relativisés devant le patient et ses proches, afin de prendre de la
distance par rapport à la notice du médicament, dont la lecture est
une incitation à la non-observance.
Le patient déprimé peut avoir le plus grand mal à retenir les infor-
mations, et ce d’autant plus si l’atteinte cognitive est importante.
Ses proches peuvent ainsi l’aider à mémoriser et être, par la suite,
un relais efficace de la parole médicale, ce qui constitue un gage
pour une meilleure observance. Ils peuvent également représen-
ter pour le médecin une précieuse source d’informations en ce
qui concerne l’efficacité et la tolérance des médicaments. Ils sont
en quelque sorte des “experts” du patient ; ils connaissent mieux
que le médecin son fonctionnement habituel et sont ainsi à même
d’identifier toute modification de son état de santé.
Ainsi, il semble primordial d’inclure les proches dans la prise en
charge d’un patient. Au cours d’une consultation, un temps doit
être consacré à l’accueil de la famille. Bien évidemment, cela ne
peut se faire qu’avec l’accord du patient, et il semble préférable
de recevoir ses proches en sa présence. Par ailleurs, ces entretiens
dans le bureau médical revêtent un caractère formel, propice par
moment au dialogue entre patient et famille, certains messages
pouvant passer plus facilement en présence de l’élément neutre
que constitue le médecin.
AU-DELÀ DES ENTRETIENS AVEC LE PSYCHIATRE TRAITANT,
LA PSYCHO-ÉDUCATION, LES ASSOCIATIONS DE FAMILLE,
VOIRE LES FORUMS SUR INTERNET
La psycho-éducation a pour but d’apporter une information
sur la maladie et les traitements, cela afin d’augmenter la capa-
cité du patient et de sa famille à gérer la maladie. Les objectifs
de la psycho-éducation sont plus précisément de prévenir les
rechutes, de réduire le nombre et la sévérité des symptômes ainsi
que le risque suicidaire, d’améliorer le fonctionnement psycho-
social et la qualité de vie, d’augmenter l’adhésion au traitement,
d’éviter l’usage des toxiques et de connaître les facteurs de
décompensation.