PSYCHO TROUBLES BIPOLAIRES: Quand l’humeur régit votre vie… D’ un côté la dépression, de l’autre… l’hyperexcitation… Le patient bipolaire oscille en permanence entre ces deux extrêmes, sans en avoir vraiment conscience. Gros plan sur cette maladie à deux visage avec le Docteur Daniel Souery, psychiatre au Centre Européen de psychologie médicale Psy Pluriel-Pastur. Une maladie de l’humeur Le trouble bipolaire est une maladie qui touche la régulation et l’équilibre de l’humeur. Les personnes qui en souffrent sont sujettes à des variations d’humeur excessives, voire extrêmes - sans qu’il y ait eu d’événement extérieur déclenchant - ou réagissent de façon disproportionnée à cet événement. Dans sa forme la plus caractéristique, la plus bruyante, dite forme 1, le trouble bipolaire (TB) se caractérise par de grandes variations de l’humeur, des hauts et des bas exacerbés, faisant passer alternativement par des semaines de désespoir et tristesse extrême, et des semaines d’exaltation euphorique (état maniaque) où les pensées, la parole, les projets, les actions s’accélèrent. Sans que la personne bipolaire ait conscience de l’anormalité de son état. Entre les deux, il connaît une période de rémission aussi normale que peut l’être la vie après des mois de dépression ou d’excitation. A côté de cette forme typique, il existe des formes atténuées. La dépression y est également désespérante mais les épisodes maniaques, les phases hautes, sont moins hauts et l’on parle alors d’hypomanie. Cette atténuation des symptômes complique le diagnostic, d’autant plus que dans les deux tiers des cas, elle s’accompagne d’une grande consommation d’alcool ou de cannabis. Résultat… la plupart des personnes souffrant d’une forme atténuée passent par une longue errance thérapeutique avant qu’on ne mette un nom sur leur trouble et que leur soit prescrit un traitement approprié. Des hauts et des bas avec des conséquences parfois dramatiques Dans la phase basse, on retrouve différents symptômes: fatigue persistante, tristesse, pleurs, perte d’amour pour ceux qu’on aime, pensées négatives, auto-dévalorisation, sentiment de culpabilité… Un peu comme un cauchemar qui durerait pendant plusieurs mois, cette phase dépressive fait naître les pensées les plus noires, des peurs sans objets, des délires, des angoisses qui peuvent conduire, chez certains malades, au suicide. La phase haute est tout aussi dévastatrice que la dépression. Capable d’abattre d’énormes efforts, très résistant à la fatigue et d’une force physique inhabituelle, la personne en phase maniaque est un bouteen-train qui n’arrête pas de parler… Des paroles qui se transforment parfois en propos grossiers et agressifs, d’autant plus que le malade se sent tout puissant, invulnérable. Les pulsions sexuelles et agressives s’amplifient et s’accélèrent tandis que les inhibitions disparaissent: inhibition de la pudeur, du sens des convenances, des interdits. Le malade est à la recherche de sensations toujours plus intenses, ce qui le pousse vers des substances et des excès tels l’alcool, les drogues ou le cybersexe qui aggravent la maladie et mènent certains bipolaires à des actes très graves. Beaucoup se retrouvent un jour face à la justice, l’endettement ou le départ du conjoint pour qui la vie est devenue impossible! Des personnes à risques Pour référence, la prévalence dans une population serait de 3% en moyenne. Pour la Belgique, sur une base de 11 millions d’habitants, 3% de prévalence équivalent à 330.000 cas de bipolarité! Ce qui signifie qu’un très grand nombre de personnes ne sont pas diagnostiquées. Pour compliquer encore ce dépistage, il faut tenir compte de la population des adolescents dont les symptômes précurseurs sont très difficiles à diagnostiquer, particulièrement s’il y a consommation concomitante de substances (drogues) qui brouillent les pistes en «boostant» l’action de la dopamine. L’affection apparaît généralement entre 15 et 19 ans, avec un autre pic de vulnérabilité qui se situe entre 20 et 24 ans. La maladie débute donc majoritairement avant 30 ans. Néanmoins, dans certains cas, les premiers accès apparaissent soit vers 40 ans, soit plus tôt dans l’enfance. Mais pourquoi cette humeur? A l’heure actuelle, on ne connaît pas avec certitude les causes des troubles bipolaires, mais il apparaît clairement que des facteurs biologiques sont impliqués. Ceux-ci seraient liés aux anomalies dans la production et la transmission de substances chimiques produites par certaines cellules du cerveau. Ces anomalies seraient liées à des facteurs génétiques. En effet, la mala­ die est plus fréquente chez les personnes dont certains membres de la famille souf­ frent de cette maladie. Ce défaut génétique, encore mal connu, serait à l’origine d’une vulnérabilité, c’est-à-dire la possibilité de développer la maladie. On observe que, dans une majorité de cas, cette vulnérabilité se révèle à la suite d’un événement ou d’une histoire de vie bouleversant pour la personne. Le traitement: une approche pluridisciplinaire Et après… La complexité du traitement est due à l’hétérogénéité de la maladie. Chaque patient est différent, et bénéficiera d’un traitement personnalisé. L’évolution du trouble bipolaire sera différente en fonction de la personne, des traitements, du mode de vie et de l’entourage. Lorsque la première crise aura eu lieu, le trouble bipolaire aura tendance à suivre une évolution autonome, les cycles pourront réapparaître spontanément sans qu’aucun événement ni interne, ni externe ne les provoque. Néanmoins, leur réapparition peut être favorisée par certaines situations: événements heureux ou tristes, modifications du rythme de vie, maladies, prise d’alcool ou de drogues. Mieux on est informé, mieux on est armé! «Une prise de sang ne peut révéler un trouble bipolaire: il n’y a pas de tests biologiques pour porter le diagnostic de troubles bipolaires», explique Daniel Souery. «L’entretien est la clé du diagnostic, et cette entrevue avec le patient devra bien souvent être répétée pour confirmer la maladie. Les entretiens avec la famille, le conjoint, les frères et sœurs sont également indispensables.» L’information concernant la maladie et son traitement constitue un soutien et une aide importants pour le patient et son entourage. Les troubles bipolaires font l’objet d’une prise en charge pluridisciplinaire, au cas par cas, associant un traitement médicamenteux, une psychothérapie individuelle ou familiale, et une psychoéducation, qui apprend au patient et à son entourage à mieux gérer la maladie au quotidien. Il n’existe pas un et unique trouble de l’humeur. Chaque patient est différent et peut réagir différemment au traitement proposé. Une étude récente montre que chaque molécule s’adresse plus particulièrement à un type de symptômes rencontrés dans la bipolarité. Comme un trouble de l’humeur varie aussi au cours du temps, il est clair que la recherche du traitement le plus adapté peut prendre beaucoup de temps (6 mois en moyenne) et demande une participation active du patient qui, par ses observations, permettra de mettre le traitement au point. Ajoutons que le psychiatre essayera aussi de minimiser les effets indésirables comme entre autres la prise de poids, la rigidité, l’impatience, la sédation, les troubles de la mémoire et les troubles de libido… «Parmi les médicaments, il y a d’abord les stabilisateurs de l’humeur, comme le lithium», explique le Dr Souery. «Ils permettent de diminuer l’intensité et la fréquence des crises. Mais ils ne suffisent pas: le médecin prescrira aussi des antidépresseurs en cas de dépression sévère, des neuroleptiques pour une phase maniaque, ou des benzodiazépines, pour des troubles anxieux… L’enjeu principal est de faire accepter ce traitement au malade et de l’encourager à le suivre correctement. Les traitements sont longs, et pour certains doivent être pris à vie. Une information claire et correcte représente donc une évidente nécessité.» Les traitements relationnels: les psychothérapies La psychothérapie est une technique de soins non médicamenteux, qui crée les conditions d’une interrogation sur soi grâce à la présence d’une personne qualifiée, le psychothérapeute. Il existe de multiples formes de psychothérapies. Celles qui sont le plus souvent recommandées pour les personnes bipolaires sont la thérapie d’inspiration analytique, la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie systémique familiale. Ce travail est réalisable entre les périodes de crise, ainsi que dans les périodes de dépression mineure. Votre médecin généraliste ou votre psychiatre pourra vous guider dans le choix d’un psychothérapeute. Le médecin de famille est souvent une personne ressource importante par sa connaissance du contexte personnel et familial des patients. La psycho-éducation: un point clé… La psycho-éducation s’adresse aux patients et à leurs proches, pour les aider à mieux vivre et comprendre la maladie. Cette démarche psycho-éducative con­stitue un processus structuré comprenant des informations scientifiques, des échanges d’impressions et d’expériences, des exercices, des situations d’apprentissage. Patients, soignants, entourage se retrouvent et forment des groupes de partage sur différents thèmes: l’hygiène de vie (sommeil régulier, non consommation d’alcool, etc.), la gestion du stress (un facteur déclenchant), l’information sur la maladie… Mais ces groupes sont aussi des lieux d’échange: entre les malades, qui constatent qu’ils ne sont pas seuls à vivre le trouble, et entre proches également, sans la présence du malade, ce qui leur permet de s’exprimer plus facilement. En effet, les proches vivent aussi une situation difficile. Se familiariser avec la maladie, c’est aussi arriver à reconnaître les signes précurseurs d’une crise (moins dormir, dépenser davantage d’argent…) pour permettre une prise en charge rapide et limiter la gravité de la crise. «A mesure que les crises surviennent, la personne est fragilisée, et de nouvelles crises sont susceptibles d’apparaître. Les facteurs extérieurs ont alors de plus en plus d’importance sur l’humeur de la personne, c’est un cercle vicieux. D’où l’intérêt d’une prise en charge le plus tôt possible.» Dès la maladie déclarée, elle accompagnera le patient tout au long de sa vie. «Même stabilisé depuis des mois ou des années», insiste le Dr Souery, «le patient doit continuer à consulter et, dans la majorité des cas, à prendre ses médicaments. Je suis incapable de dire à un patient stabilisé depuis quelques années, qu’il est guéri. Tout au long de sa vie, la maladie peut se ré-enclencher, à n’importe quel âge et face à n’importe quelle situation.» ■