Besoins nutritionnels

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L
Nutrition
T. Cudennec, N. Faucher, L. Teillet*
Besoins nutritionnels
Les apports quotidiens recommandés
par l’OMS sont de 1 800 kcal pour les
femmes et de 2 000 kcal pour les hommes,
soit environ 35 kcal/kg de poids par
jour. Une répartition équilibrée des apports
contient 12 à 15 % de protides, 55 à
60 % de glucides et 30 à 35 % de lipides.
La malnutrition protéino-énergétique
concerne 3 à 5 % des sujets âgés à
domicile, 50 % en hospitalisation aiguë,
et touche de 20 à 60 % des patients qui
résident en institution. Ces chiffres,
considérables s’ils sont exprimés en
nombre absolu, expliquent la nécessité
d’intégrer la prise en charge nutritionnelle dans les priorités thérapeutiques
des unités hébergeant des personnes
âgées.
Étiologies des malnutritions
Elles relèvent de deux mécanismes principaux : les carences par insuffisance
d’apports et celles imputables à un hypercatabolisme. Cette dernière, aussi appelée dénutrition endogène est fréquente,
notamment lors de pathologies à l’origine de syndromes inflammatoires. La
survenue d’une affection aiguë chez
une personne, déjà fragilisée par des
apports énergétiques faibles, va entraîner une dénutrition grave par augmentation des besoins (1). De nombreuses
causes à l’origine d’une carence d’ap-
* Service de médecine gériatrique,
hôpital Sainte-Périne, Paris.
ports peuvent être retrouvées chez les
sujets âgés, comme la solitude et l’isolement, des ressources insuffisantes, une
diminution des capacités physiques et sensorielles, une démence ou une dépression, les hospitalisations, le nombre de
médicaments qu’ils prennent quotidiennement, ou encore les régimes abusifs sur
prescription médicale ou imputables à
leurs propres croyances.
Évaluation
du statut nutritionnel
Le diagnostic et l’évaluation d’une dénutrition reposent sur la connaissance de
plusieurs éléments ou indices comprenant
au minimum une enquête diététique,
rendue parfois difficile lorsque des
troubles mnésiques existent, le relevé de
paramètres anthropométriques, comme
le poids et l’indice de masse corporelle
(IMC) et la mesure de marqueurs biologiques (2). Le BMI ou indice de Quetelet, correspond au poids, en kilogrammes, que divise le carré de la taille
(IMC = P(kg)/T2(m2)). Lorsque l’indice
est inférieur à 21 chez la femme ou
20 chez l’homme, le patient âgé est
considéré comme dénutri. S’agissant des
marqueurs biologiques, ils comprennent
des protéines nutritionnelles comme
l’albumine (seuil pathologique < 35 g/l)
et la pré-albumine (SP < 200 mg/l), et
des protéines de l’inflammation comme
la protéine C réactive (SP > 20 mg/l) et
l’orosomucoïde (SP > 1,2 g/l). Certaines grilles d’évaluation standardisées
comme le Mini Nutritional Assessment
(MNA) (3) prennent en considération
ces différents types de marqueurs
(annexe 1).
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), nos 8-9, nov.-déc. 2003
a population des personnes
âgées de plus de 75 ans
regroupe des patients fragiles
particulièrement exposés au risque
de dénutrition protéino-calorique.
Les problèmes nutritionnels que présentent ces patients sont malheureusement trop fréquemment relégués au second plan alors que le
maintien d’un état nutritionnel
adapté est souvent décisif pour
l’évolution globale de la santé et de
la qualité de vie du sujet âgé fragile,
qu’il se trouve à son domicile, en institution ou, a fortiori, en milieu hospitalier. Les patients dénutris guérissent moins vite, récupèrent plus
lentement et développent davantage de complications. Il paraît alors
fondamental de pouvoir disposer, au
plus vite, d’une évaluation du statut
nutritionnel afin de proposer une
prise en charge adaptée à la situation clinique.
L’évaluation de l’état nutritionnel fait
partie de l’examen clinique du sujet âgé.
Elle est indispensable à l’élaboration
d’une stratégie thérapeutique. Cependant, cette évaluation ne peut être le fait
d’un seul outil car aucun n’a suffisamment de sensibilité et de spécificité pour
permettre le diagnostic du type et de la
sévérité de la dénutrition. L’ensemble
de ces marqueurs doit permettre de
savoir si le patient est dénutri, quel est
son type de dénutrition, et enfin quelle
en est son intensité (4). Ils permettent
également de surveiller l’efficacité d’une
renutrition protéino-énergétique.
Prise en charge
thérapeutique
Le diagnostic de dénutrition étant posé,
son étiologie et sa sévérité connues, le
praticien dispose alors de plusieurs programmes de renutrition parmi lesquels
il choisit celui qui est le plus adapté à la
situation clinique du patient (annexe 2).
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Le sujet âgé
Le sujet âgé
L’alimentation orale, par stimulation et
par restauration de l’appétit, doit toujours être privilégiée. Les régimes stricts
doivent être assouplis, les habitudes alimentaires respectées et la présentation
soignée. Il peut être nécessaire d’y asso-
cier des compléments caloriques enrichis
éventuellement en protéines. Cependant,
certaines situations médico-chirurgicales, ainsi que l’existence de troubles
de la déglutition, rendent ces pratiques
aléatoires ou impossibles.
L’alimentation entérale artificielle est
une alternative. Elle permet l’utilisation
physiologique du tube digestif en administrant les nutriments directement dans
l’estomac ou dans le grêle proximal.
Elle ne contraint pas le sujet à l’alite-
Annexe 1. Une grille d’évaluation rapide du statut nutritionnel, le MNA.
D’après Guigoz Y, Vellas B, Garry PJ. Mini Nutritional Assessment : a practical assessment for grading the nutritional state of elderly
patients. Facts and Research in Gerontology, Nestlé Ltd/Clintec, 1994 (suppl. 2).
Dépistage
J. Combien de véritables repas le patient prend-il par jour ?
(petit déjeuner, déjeuner, dîner > 2 plats)
0 = 1 repas / 1 = 2 repas / 2 = 3 repas
A. Le patient présente-t-il une perte d’appétit ?
A-t-il mangé moins ces 3 derniers mois par manque d’appétit,
problèmes digestifs, difficultés de mastication ou de déglutition ?
0 = anorexie sévère
1 = anorexie modérée
2 = pas d’anorexie
K. Consomme-t-il :
– une fois par jour au moins des produits laitiers ? oui / non
– une ou 2 fois par semaine des œufs ou des légumineuses ? oui / non
– chaque jour de la viande, du poisson ou de la volaille ? oui / non
0,0 = si 0 ou 1 oui
0,5 = si 2 oui
1,0 = si 3 oui
B. Perte récente de poids (< 3 mois)
0 = perte > 3 kg
1 = ne sait pas
2 = perte entre 1 et 3 kg
3 = pas de perte de poids
L. Consomme-t-il 2 fois par jour au moins des fruits et légumes ?
0 = non / 1 = oui
C. Motricité
0 = du lit au fauteuil
1 = autonome à l’intérieur
2 = sort du domicile
M. Combien de verres de boissons consomme-t-il par jour ?
0,0 = < 3 verres
0,5 = de 3 à 5 verres
1,0 = plus de 5 verres
D. Maladie aiguë ou stress psychologique lors des 3 derniers mois ?
0 = oui / 1 = non
N. Manière de se nourrir
0 = nécessité d’une assistance
1 = se nourrit seul avec difficultés
2 = se nourrit seul sans difficultés
E. Problèmes neuropsychologiques
0 = démence ou dépression sévère
1 = démence ou dépression modérée
2 = pas de problème psychologique
O. Le patient se considère-t-il bien nourri ?
0 = malnutrition sévère
1 = ne sait pas ou malnutrition modérée
2 = pas de problème de nutrition
F. Indice de masse corporelle
[IMC = poids/taille2 en kg/m2]
0 = IMC < 19
1 = 19 ≤ IMC < 21
2 = 21 ≤ IMC < 23
3 = IMC ≥ 23
P. Le patient se sent-il en meilleure ou en moins bonne santé
que la plupart des personnes de son âge ?
0,0 = moins bonne / 0,5 = ne sait pas
1,0 = aussi bonne / 2,0 = meilleure
Score de dépistage (sous-total max. 14 points)
12 points ou plus : normal, pas besoin de continuer l‘évaluation
11 points ou moins : possibilité de malnutrition, continuez l’évaluation
Q. Circonférence brachiale (CB en cm)
0,0 = CB < 21
0,5 = 21 ≤ CB ≤ 22
1,0 = CB > 22
Évaluation globale
R. Circonférence du mollet (CM en cm)
0 = CM < 31
1 = CM ≥ 31
G. Le patient vit-il de façon indépendante au domicile ?
0 = non / 1 = oui
H. Prend plus de trois médicaments ?
0 = oui / 1 = non
I. Escarres ou plaies cutanées ?
0 = oui / 1 = non
Évaluation globale (max. 16 points)
Score de dépistage
Score total (max. 30 points)
Appréciation de l’état nutritionnel
De 17 à 23,5 points : risque de malnutrition
Moins de 17 points : mauvais état nutritionnel
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), nos 8-9, nov.-déc. 2003
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Le sujet âgé
Le sujet âgé
Annexe 2. Schéma de décision d’intervention nutritionnelle en fonction du statut et des ingesta.
Ingesta
Statut nutritionnel
Normal
Altéré
(dénutrition modérée,
albumine < 30 g/l
Normaux
Surveillance
Surveillance, conseils Supplémentation orale
réévaluations,
d’emblée
adaptations alimentaires
Diminués
(≤ 1/3)
Surveillance, conseils
Supplémentation orale
réévaluations
d’emblée
adaptations alimentaires
Alimentation entérale,
surtout si affection
cachectisante
Très diminués
(> 1/3)
Supplémentation orale
d’emblée
Alimentation entérale,
d’emblée
Alimentation entérale,
surtout si affection
cachectisante
ment et permet l’administration de médicaments. Des troubles de la déglutition
ou l’observation d’une dénutrition sévère
avec impossibilité ou insuffisance de renutrition par voie orale rendent nécessaire
le recours à une alimentation entérale.
Elle doit s’inscrire dans un projet thérapeutique cohérent, envisagé avec le patient
ou avec son entourage lorsqu’il est incapable de s’exprimer, et ne concerne pas
les situations de fin de vie. Cette alimentation peut se réaliser en gériatrie à
l’aide de deux voies d’abord :
– la sonde naso-gastrique (SNG) est
facile à poser mais peut engendrer différentes complications comme un inconfort nasal et oro-pharyngé, des ulcérations sur son trajet ou des sinusites. De
plus, elle est peu discrète et facile à
arracher pour un sujet confus ou agité.
Cette méthode ne peut être retenue en
milieu gériatrique que pour une courte
période et sa nécessité régulièrement
réévaluée (5) ;
– la gastrostomie per endoscopique (GPE)
est posée au cours d’une endoscopie
digestive haute après insufflation et transillumination de l’estomac qui est ponctionné pour permettre la mise en place de
la canule. Cette méthode a peu de complications et est particulièrement adaptée à une alimentation entérale artificielle
de longue durée qui peut être débutée
Très altéré
(dénutrition sévère,
albumine < 30 g/l)
dès la douxième heure après sa pose (6).
Ses indications, nécessitant une concertation préalable, sont parfois transitoires,
notamment lors d’une perte rapide d’autonomie, d’une prise en charge d’escarres
importantes ou d’une dénutrition sévère
engageant le pronostic vital.
Afin de limiter les complications imputables à ces méthodes, il est nécessaire
d’augmenter progressivement la quantité de nutriments à assimiler. Le débit
d’administration est régulé par une
pompe, le patient doit se trouver en position demi-assise au cours et au décours
immédiat de l’alimentation pour limiter les régurgitations et diminuer ainsi
le risque d’inhalation bronchique. Le
choix du produit de nutrition et sa quantité dépendent de l’objectif nutritionnel
fixé. Conditionnés en flacon de 500 ml,
ces mélanges nutritifs complets contiennent de 500 à 750 kcal. Ces produits
contiennent peu de sodium et il est souvent nécessaire d’y associer un complément de NaCl. En plus de l’alimentation,
ces deux méthodes permettent l’administration de médicaments en prenant
bien soin de rincer à l’eau les sondes pour
éviter qu’elles ne se bouchent.
Cependant, l’attitude des équipes gériatriques françaises a changé concernant
l’alimentation entérale, avec un recours
moins fréquent à ces méthodes chez les
Act. Méd. Int. - Gastroentérologie (17), nos 8-9, nov.-déc. 2003
patients présentant un état démentiel
avancé et lors de contexte de fin de vie (7).
L’alimentation parentérale consiste en
l’administration d’apports nutritionnels
par voie intraveineuse. Cette méthode
ne présente pas d’aspects spécifiques
en médecine gériatrique où elle est peu
employée devant les risques d’hypervolémie, de perturbations de l’équilibre
hydro-électrolytique, de mauvaise tolérance loco-régionale et d’infections.
Une carence en vitamines et en oligoéléments est le plus souvent associée aux
états de dénutrition. Les carences les plus
fréquentes, chez le sujet âgé fragile,
concerne l’acide folique, le calcium et la
vitamine B 12 qu’il faut penser à rechercher et à supplémenter.
L’observation d’une déshydratation est
souvent associée à la malnutrition protéino-énergétique chez la personne âgée.
L’hydratation peut alors se faire soit par
voie orale, soit à l’aide des sondes utilisées pour l’alimentation entérale artificielle, ou encore par voie parentérale
intraveineuse, mais également par hypodermoclyse. Cette dernière technique
consiste à administrer de 500 ml à 1 l de
sérum physiologique ou de glucosée à
5 % par voie sous-cutanée stricte à
l’aide d’une aiguille de type Butterfly®.
Cette perfusion délivrée sur 12 heures,
de nuit, permet au patient de conserver
une bonne autonomie diurne (8).
Conclusion
Le diagnostic des malnutritions protéinoénergétiques, ainsi que leurs évaluations et la mise en place rapide de stratégies thérapeutiques, est une priorité dans
la prise en charge des patients âgés. Elle
permet notamment de réduire l’importance de la morbidité et de la mortalité
qui leur sont associées. Bien qu’il soit
toujours souhaitable de favoriser l’alimentation par voie orale, certaines situations cliniques peuvent nécessiter le
recours à une nutrition artificielle lorsque
l’apport devient insuffisant.
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