H
elicobacter pylori (H. pylori) a été reconnu à Lyon
en 1994 comme un carcinogène de type I par
l’IARC (International Agency for Research on
Cancer). Cette décision faisait suite à la publication de plusieurs
travaux épidémiologiques concluant à un risque majoré d’adé-
nocarcinome gastrique non cardial chez les sujets infectés par
H. pylori. Après un rappel des arguments épidémiologiques et
expérimentaux en faveur de ce lien de causalité, nous nous atta-
cherons à détailler les mécanismes cellulaires et moléculaires
possiblement impliqués dans la carcinogenèse liée à H. pylori.
En effet, bien que la séquence classique de la carcinogenèse gas-
trique (inflammation – gastrite atrophique – métaplasie intesti-
nale – cancer) ait été proposée avant la découverte d’H. pylori,
ce dernier y trouve parfaitement sa place physiopathogénique.
H. pylori semble jouer un rôle important lors des phases initiales
de cette séquence, pour disparaître ensuite au stade d’atrophie
puis de métaplasie intestinale. Cette revue sera donc plus parti-
culièrement focalisée sur les événements initiaux de la carcino-
genèse. Nous verrons également comment H. pylori pourrait, au
contraire, protéger du cancer du cardia.
H. PYLORI ET CANCER DU TIERS DISTAL DE L’ESTOMAC
Arguments épidémiologiques
Plusieurs études de cohorte ainsi que plusieurs méta-analyses ont
clairement démontré que l’infection à H. pylori était associée à
un risque majoré de cancer du tiers distal de l’estomac. Cepen-
dant, ces études ont retrouvé des risques relatifs (RR) très
variables, allant de 1,5 à 13 (1-5). Ces différences ont plusieurs
explications possibles mis à part le fait que les critères utilisés
pour attester de l’infection à H. pylori sont variables d’une étude
à l’autre. Les deux études prospectives concluant à l’absence
d’augmentation du RR de cancer gastrique chez les sujets
H. pylori positifs ont un suivi court, lorsqu’on les compare aux
quatre études concluant à un RR majoré (1-3, 6, 7). Le RR aug-
mente donc avec le suivi pour atteindre plus de 4 après 10 ans de
suivi. D’autre part, mathématiquement, le RR est minoré dans
les pays à forte prévalence de l’infection H. pylori. L’âge des
sujets est également un élément important, puisque le RR est net-
tement plus élevé chez les sujets jeunes. Il est possible que, chez
les sujets plus âgés, tout signe d’infection à H. pylori ait disparu,
y compris dans la sérologie, puisque c’est l’évolution naturelle
de l’infection à H. pylori que de s’éteindre avec le temps et l’appa-
rition de la gastrite atrophique. De même, avec l’âge, l’augmen-
tation de fréquence du portage H. pylori chez les sujets contrôles
tend à faire diminuer le RR. C’est peut-être aussi la raison pour
laquelle le RR est plus élevé dans les formes peu avancées de
cancer gastrique qu’en cas de cancers évolués.
H. pylori favorise les deux types classiques de cancer de l’esto-
mac, le type intestinal et le type diffus, bien que le RR semble
plus élevé pour les cancers de type intestinal. Ce dernier est en
effet associé à la gastrite atrophique, dont on sait qu’elle est
dépendante de la présence d’H. pylori, alors que les cancers
de type diffus pourraient répondre à une séquence différente
de celle proposée par Correa et se révéler chez des sujets plus
jeunes sur une muqueuse souvent peu atrophique, sans méta-
plasie intestinale et avec un aspect cellulaire à cellules isolées
ou indifférenciées.
Il a été suggéré que le risque de développer un cancer de l’esto-
mac était plus important en cas de métaplasie intestinale de
type III (8). Les études à ce sujet sont cependant contradictoires.
De plus, la métaplasie intestinale III est une caractéristique peu
fréquente au sein des tumeurs gastriques (9). Le rôle d’H. pylori
dans la genèse de cette métaplasie intestinale n’est pas bien connu,
mais la métaplasie intestinale des sujets H. pylori positifs serait
moins fréquemment de type III que celle des sujets H. pylori néga-
DOSSIER THÉMATIQUE
Helicobacter pylori et adénocarcinome de l’estomac
M. Cavicchi, D. Lamarque*
149
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - no3 - vol. III - juin 2000
* Service d’hépatogastroentérologie et Unité INSERM 99, hôpital Henri-
Mondor, Créteil.
POINTS FORTS
POINTS FORTS
L’infection par Helicobacter pylori expose de façon claire
à un risque accru de cancer du tiers distal de l’estomac.
Aux stades initiaux de la maladie, H. pylori entraîne une
augmentation de la prolifération des cellules épithéliales,
contrebalancée par l’augmentation de l’apoptose permettant
l’homéostasie cellulaire.
Aux stades tardifs de la maladie, la diminution de l’apop-
tose (peut-être liée à la disparition d’H. pylori), l’interven-
tion de cocarcinogènes alimentaires ou environnementaux
et le développement de mutations somatiques favorisent la
transformation néoplasique.
Les relations entre infection à H. pylori et cancer du car-
dia sont moins claires, mais H. pylori pourrait être un fac-
teur de protection, ce qui expliquerait l’augmentation
actuelle d’incidence de ces cancers.
150
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - no3 - vol. III - juin 2000
DOSSIER THÉMATIQUE
tifs. Là encore, la disparition progressive d’H. pylori au cours de
l’évolution naturelle de la maladie en est peut-être la raison.
Au total, les différents modèles cherchant à évaluer le risque de
développer un cancer de l’estomac distal chez les patients infec-
tés par H. pylori arrivent tous au même résultat de 1 à 2 % de
risque tout au long de la vie (9). Deux méta-analyses récentes
concluent à un risque multiplié par deux (10, 11). Une revue
récente de la littérature, qui a cherché à compiler l’ensemble des
études, tire des conclusions similaires, avec un RR de 2,5 (12).
Des questions demeurent cependant en suspens. En effet, bien
qu’H. pylori soit aussi fréquent chez les deux sexes, le cancer de
l’estomac reste plus fréquent chez l’homme. Par ailleurs, l’inci-
dence du cancer de l’estomac en Afrique noire est similaire à
celle observée en Europe, tandis que la prévalence de l’infection
à H. pylori y est nettement plus élevée. Ces paradoxes apparents
pourraient trouver leur explication dans des facteurs alimentaires
et génétiques, le cancer gastrique n’étant, à l’évidence, pas une
pathologie monofactorielle.
Arguments expérimentaux
Modèles animaux
Les modèles animaux d’infection à Helicobacter se sont beau-
coup développés ces dernières années. Initialement, il parais-
sait impossible d’infecter les animaux par H. pylori, et les
modèles utilisaient principalement Helicobacter felis, dont les
caractéristiques sont sans doute différentes de celles d’H. pylori.
Actuellement, il existe des modèles d’infection à H. pylori chez
la souris, le chien beagle et la gerbille de Mongolie, qui repro-
duisent assez fidèlement la séquence pathogénique proposée
chez l’homme. Ces animaux constituent ainsi, après colonisa-
tion de la muqueuse gastrique par H. pylori, une gastrite atro-
phique pouvant évoluer vers la dysplasie, voire le cancer et le
lymphome.
Modèles cellulaires
En très grande majorité, les lignées cellulaires gastriques dispo-
nibles ont été développées à partir de tissus tumoraux et présen-
tent donc potentiellement des anomalies moléculaires rendant
leur utilisation critiquable dans l’étude des mécanismes initiaux
de la carcinogenèse. Cependant, l’utilisation de systèmes de
coculture avec H. pylori a permis de confirmer in vitro certains
mécanismes suspectés in vivo, comme l’augmentation de la pro-
lifération cellulaire et de l’apoptose par H. pylori. Ces méca-
nismes sont détaillés plus loin.
Les facteurs favorisant la carcinogenèse
Si H. pylori est clairement reconnu comme facteur carcinogène,
la fréquence du cancer de l’estomac reste malgré tout faible par
rapport à la prévalence de l’infection. Il est dès lors raisonnable
de penser qu’il existe des facteurs favorisant la carcinogenèse,
qu’ils soient dépendants ou indépendants d’H. pylori.
Les facteurs liés à H. pylori
Le type d’H. pylori : les souches d’H. pylori porteuses de l’îlot
de pathogénicité CagA seraient associées à un risque majoré
d’atrophie, de métaplasie intestinale, mais aussi de cancer (13).
Pour l’expliquer, il a été suggéré que les souches CagA positives
augmenteraient la prolifération cellulaire sans augmenter l’apop-
tose, ce qui favoriserait le développement du cancer en instituant
un déséquilibre vers une prolifération excessive et un risque muta-
tionnel augmenté. Cependant, des études contradictoires ont éga-
lement été publiées, démontrant que les souches CagA positives
n’exposaient pas davantage au cancer de l’estomac que les
souches CagA négatives (7). Cela pourrait être au moins partiel-
lement expliqué par le fait que CagA ne semble exposer à un
risque accru que chez chez les patients de plus de 40 ans, et qu’un
autre îlot de pathogénicité, le gène VacA, pourrait moduler l’acti-
vité du gène CagA sur la prolifération. Le gène VacA et certains
de ses génotypes seraient également associés à un risque majoré
de cancer gastrique. Récemment, il a été suggéré que le gène
BabA, un gène codant pour une protéine permettant la liaison
d’H. pylori au mucus, favoriserait la survenue des ulcères, mais
aussi des adénocarcinomes.
Les facteurs non liés à H. pylori
Facteurs alimentaires et environnementaux : plusieurs facteurs
alimentaires favorisant le développement du cancer de l’estomac
ont été retrouvés. Il s’agit de la consommation excessive de sel,
d’une consommation insuffisante en fruits et légumes frais, natu-
rellement riches en substances antioxydantes, ou de la consom-
mation de nitrates (secondairement réduits en nitrites, puis se
combinant en composés N-nitrosoaminés, carcinogènes recon-
nus). Ces facteurs pourraient ainsi favoriser l’infection à H. pylori
ou l’une des étapes de la séquence aboutissant au cancer.
Une étude récente a montré qu’une diète riche en sel favorisait
l’infectivité par H. pylori dans un modèle animal et favorisait la
prolifération épithéliale (14). Il a également été montré que les
sujets infectés par H. pylori avaient des taux diminués d’anti-
oxydants et en particulier de vitamine C dans le suc gastrique.
L’administration à l’animal infecté par H. pylori d’antioxydants
limite les effets liés à H. pylori sur un certain nombre de facteurs
potentiellement impliqués dans l’inflammation gastrique dépen-
dante d’H. pylori, dont l’expression de la NO-synthase induc-
tible. Enfin, le rôle d’éventuels carcinogènes environnementaux
reste peu clair mais a été évoqué de façon indépendante
d’H. pylori chez certaines catégories professionnelles.
Le patrimoine génétique de l’hôte : on connaît peu de chose dans
ce domaine, bien que, par analogie avec d’autres cancers notam-
ment digestifs, le rôle du patrimoine génétique du sujet infecté
par H. pylori soit probable. Les apparentés au premier degré de
sujets atteints de néoplasie gastrique ont un risque supérieur à
des sujets témoins de développer une métaplasie intestinale et un
cancer gastrique, en particulier s’ils sont porteurs d’H. pylori (15)
(figure1). Quelques petites séries ont rapporté le rôle de certains
haplotypes HLA, mais cela demande confirmation. Dans les
modèles murins, il est clair que tous les types de souris ne déve-
loppent pas le même type de réaction après infection par Heli-
cobacter, et que certains ne développent jamais de gastrite ; mais
les raisons de ce phénomène ne sont pas connues. Enfin, El-Omar
et al. ont récemment rapporté que certains polymorphismes du
gène de l’interleukine-1 prédisposaient à la gastrite atrophique
ainsi qu’au cancer gastrique (16).
Il nous paraît raisonnable de proposer un dépistage de l’infection
à H. pylori chez les apparentés au premier degré de malades pré-
sentant un cancer de l’estomac et d’éradiquer H. pylori en cas
d’infection. Malgré d’évidentes difficultés méthodologiques, une
telle attitude serait à valider par une étude contrôlée.
Le statut sécrétoire des patients : il est suggéré que les patients
infectés par H. pylori et avec un débit acide élevé seraient plutôt
exposés au risque d’ulcère duodénal, avec une autolimitation de
la gastrite à la région antrale et peu au risque de cancer, alors que
les sujets avec un débit acide bas développeraient plutôt une pan-
gastrite, avec atrophie, et auraient donc un risque augmenté de
cancer gastrique (17).
La découverte récente d’un polymorphisme du gène de l’IL1 chez
des patients à risque de cancer gastrique suggère que l’infection
par H. pylori pourrait provoquer chez ces sujets une libération
excessive d’IL1, dont l’action antisécrétoire pro-inflammatoire
favoriserait la survenue de l’atrophie et de l’achlorhydrie (18).
Mécanismes cellulaires et moléculaires
Les mécanismes physiopathogéniques conduisant au cancer de
l’estomac sont encore très mal connus, bien que la séquence clas-
sique conduisant de la gastrite active à la gastrite atrophique, puis
à la métaplasie, à la dysplasie et enfin au cancer ait été décrite
par Pelayo Correa dès 1975 (figure 2).
Prolifération cellulaire
L’infection à H. pylori s’accompagne in vivo d’une augmenta-
tion de la prolifération épithéliale gastrique (19). Cette hyper-
prolifération est observée lors des stades précoces de l’infection
mais également au stade d’atrophie, de métaplasie intestinale,
puis de cancer. Le taux de prolifération semble d’autant plus élevé
qu’H. pylori est présent et diminue après éradication (19). Les
facteurs responsables de l’augmentation de prolifération sont mal
connus. On évoque le rôle de l’hypergastrinémie induite par
l’hypochlorhydrie, mais aussi, plus directement, par H. pylori, et
de sa fonction trophique sur les épithéliums digestifs. Cette aug-
mentation de prolifération pourrait ainsi être un facteur favori-
sant la cancérogenèse. Cependant, elle est contrebalancée par une
151
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - no3 - vol. III - juin 2000
Figure 1. H. pyloriaccélère la survenue de l’atrophie gastrique chez les
apparentés au premier degré des malades ayant eu un cancer gastrique.
50
40
60
20
10
Cancers gastriques
familiaux
Témoins
D’après El Omar, 2000
0
Hp
+
Hp
Hp
Hp
+
30
Prévalence (%)
Atrophie
Hypochlorhydrie
Figure 2. Les facteurs de la carcinogenèse gastrique.
Facteurs nutritionnels
Instabilité génétique
Augmentation de la prolifération
Mutation de P53 Diminution de l’apoptose
Dysplasie
Cancer
Métaplasie intestinale
Atrophie
Gastrite chronique
Augmentation de la prolifération cellulaire
Muqueuse normale
Infection à
H. pylori
Facteurs génétiques accroissant la réponse inflammatoire
Augmentation de l’apoptose
152
La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - no3 - vol. III - juin 2000
DOSSIER THÉMATIQUE
augmentation nette de l’apoptose, permettant ainsi l’homéosta-
sie tissulaire, du moins aux stades initiaux de l’infection.
Cytotoxicité et apoptose
On sait que H. pylori entraîne une réponse inflammatoire de type
Th1 avec sécrétion de nombreuses cytokines pro-inflammatoires
et surtout d’interféron g(20). Cette réponse Th1 est classique-
ment nécessaire à la lutte contre les infections intracellulaires et
les virus. Il paraît évident que cette réponse échoue dans l’éra-
dication d’H. pylori, puisque, de façon spontanée, les sujets
infectés par H. pylori le restent tant qu’il n’y a pas d’atrophie
sévère. Il a été suggéré que cette réponse immunitaire pourrait
en elle-même favoriser la carcinogenèse. En effet, la réponse
Th1 favorise l’adhésion des bactéries aux cellules épithéliales
en favorisant le recrutement de cellules inflammatoires, et en
particulier de polynucléaires neutrophiles. Ces derniers, par
migration transépithéliale et production de radicaux libres déri-
vés de l’oxygène et du monoxyde d’azote, peuvent induire des
lésions épithéliales et des lésions de l’ADN.
L’adhésion de H. pylori à la muqueuse gastrique est capable
d’induire des phénomènes apoptotiques au sein des cellules épi-
théliales gastriques (21-22). En effet, il existe, aux stades ini-
tiaux de l’infection par H. pylori, une augmentation du niveau
d’apoptose dans ces cellules. L’administration intragastrique de
lipopolysaccharide d’H. pylori entraîne chez l’animal une aug-
mentation de l’apoptose. Cette apoptose accrue n’est pas corré-
lée au degré d’inflammation mais régresse après éradication
d’H. pylori (22).
Les mécanismes de l’apoptose liée à H. pylori commencent à
être compris. La liaison d’H. pylori au MHC II serait un des
éléments essentiels médiant l’apoptose (21). Rudi et al. ont
démontré l’implication du système Fas/Fas-ligand dans l’induc-
tion de l’apoptose lors de l’infection à H. pylori. H. pylori est
également capable d’activer un des effecteurs essentiels de
l’apoptose qu’est la caspase-3. La production de monoxyde
d’azote (NO) lors de l’infection à H. pylori peut aussi réguler
le niveau d’apoptose. Ainsi, on sait que le NO et ses dérivés
peuvent moduler l’apoptose soit vers une augmentation (par
lésion directe de l’ADN, activation des caspases ou diminution
d’expression de gènes antiapoptotiques), soit vers une diminu-
tion, notamment en induisant l’expression de protéines de choc
thermique ou de la cyclo-oxygénase-2. L’infection à H. pylori
entraîne une augmentation de la production de monoxyde
d’azote et une expression de la NO-synthase inductible dans les
cellules épithéliales gastriques. Cela s’accompagne d’une aug-
mentation du stress oxydatif, avec formation de composés réac-
tifs toxiques dérivés de l’oxygène et du NO responsable de
lésions de l’ADN. Ces anomalies régressent après éradication.
Cependant, certains travaux suggèrent que l’expression de
NO-synthase inductible augmenterait dans les gastrites, indé-
pendamment du statut H. pylori.
Une surexpression de NO-synthase inductible est également
rapportée dans les lésions gastriques précancéreuses et dans le
cancer de l’estomac, et cette expression est plus importante
chez les patients H. pylori positifs que chez les patients H. pylori
négatifs (22).
Comme dans beaucoup d’autres cancers, en particulier digestifs,
le gène P53, le “gardien du génome”, semble jouer un rôle pri-
mordial dans cette apoptose. La mutation du gène de la protéine
P53, par exemple, par les radicaux libres formés lors de l’infec-
tion à H. pylori, favorise la carcinogenèse. La mutation de P53
serait un événement tardif dans les cancers gastriques de type dif-
fus et un événement précoce dans ceux de type intestinal qui sont
plus liés à H. pylori (23). D’ailleurs, il a été suggéré que la muta-
tion de P53 pouvait survenir en dehors des zones dysplasiques,
au sein de la métaplasie intestinale, notamment de type III. Des
études animales laissent supposer que P53 (quand il n’est pas
muté) protégerait des anomalies induites par Helicobacter felis.
Chez l’homme, il n’y a cependant pas davantage d’anomalies de
P53 chez les sujets H. pylori positifs que chez les sujets contrôles
en cas de cancer gastrique peu avancé. Enfin, il a été suggéré que
certaines mutations de P53 seraient spécifiques de l’action des
composés N-nitrosoaminés, cocarcinogènes putatifs des cancers
gastriques (18).
Des modifications de l’expression ou de l’activité du gène anti-
apoptotique bcl-2 sont également envisagées, et une surexpres-
sion de ce gène a été démontrée dans les cancers gastriques et
leurs lésions précancéreuses.
Enfin, lors de l’évolution de l’infection à H. pylori et de la gas-
trite, c’est-à-dire après disparition de H. pylori et apparition d’une
métaplasie intestinale, l’apoptose décroît, ce qui facilite l’appa-
rition de néoplasies (24).
Anomalies génétiques
En dehors des mutations de P53 et de bcl-2, que nous avons on
déjà évoquées, de nombreuses autres anomalies génétiques ont
été décrites au sein des lésions précancéreuses et des tumeurs
gastriques. Ces anomalies comprennent, par exemple, des délé-
tions alléliques du gène APC (adenomatous polyposis coli) et du
gène MCC (mutated in colon cancer). Une instabilité des micro-
satellites est retrouvée dans 15 à 50 % des cancers de l’estomac,
mais aussi dans la métaplasie intestinale sans cancer.
D’autres gènes potentiellement impliqués dans la carcinogenèse
ont été étudiés. H. pylori semble entraîner une diminution
d’expression de la cadhérine E, protéine impliquée dans l’adhé-
sion cellulaire et la différenciation, et dont la mutation est fré-
quente au cours des cancers gastriques, notamment du sujet jeune.
HELICOBACTER PYLORI ET CANCER DU CARDIA
Épidémiologie
Toutes les données épidémiologiques sont concordantes pour
conclure à une diminution assez nette de l’incidence du cancer
du tiers distal de l’estomac au cours de ces dernières décen-
nies (9). Comme nous venons de le voir, c’est probablement, au
moins en partie, dû à la diminution de la prévalence de l’infec-
tion à H. pylori dans la population générale.
En parallèle, on observe une augmentation de l’incidence des
cancers du cardia, de la partie proximale de l’estomac, ainsi que
des adénocarcinomes du bas-œsophage (25).
Il a donc été suggéré que H. pylori joue un rôle de protection
contre ces cancers. Hansen et al. ont retrouvé un risque relatif
(RR) de cancer du cardia inférieur à 1 (donc une diminution du
risque) chez les patients infectés par H. pylori, par rapport à des
sujets contrôles avec un RR de 0,4 (intervalle de confiance :
0,2 – 0.8) (26). Une protection par le portage d’une souche CagA
positive a même été rapportée. Le portage d’une souche CagA
positive induit des modifications inflammatoires marquées du
cardia mais n’augmente pas le risque de cancer du cardia. Cette
fréquence moindre de l’infection à H. pylori est également retrou-
vée au cours de l’endobrachyœsophage et du reflux gastro-œso-
phagien, dont l’histoire naturelle peut conduire à l’endobrachy-
œsophage et au cancer du cardia.
Physiopathologie
Les mécanismes en cause dans cette protection ne sont pas élu-
cidés. H. pylori pourrait entraîner une diminution de la sécrétion
acide lors des pangastrites, et donc une diminution du reflux gas-
tro-œsophagien. D’autres hypothèses sont avancées, comme
l’effet tampon lié à la synthèse d’ammoniaque par H. pylori
partir de l’urée), ce qui limiterait l’agression acide locale. Cepen-
dant, certaines études ont insisté sur la fréquence de la cardite,
voire de la métaplasie intestinale cardiale en cas d’infection à
H. pylori (27). On ne sait pas si de telles lésions font ou non le
lit du cancer du cardia, comme cela a été montré pour les can-
cers distaux de l’estomac.
Les mécanismes cellulaires et moléculaires menant au cancer
du cardia et leur relation avec H. pylori n’ont pas été étudiés.
On sait qu’il existe une surexpression de la NO-synthase induc-
tible et de la cyclo-oxygénase de type 2 au cours des adénocar-
cinomes du cardia, mais aucune étude ne s’est attachée à étudier
les relations avec H. pylori. De même, les mutations de P53 sem-
blent plus fréquentes en cas de cancer du cardia que de cancer
du tiers distal.
Mots clés. Helicobacter pylori – Cancer – Dysplasie – Apoptose.
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La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue - no3 - vol. III - juin 2000
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