Endoscopie EVIDENCE-BASED MEDICINE Faut-il surveiller ou traiter un œsophage de Barrett avec dysplasie de bas grade ? Jean-Baptiste Chevaux, Nancy. D Ce qu’il faut retenir L’histoire naturelle de la dysplasie de bas grade (DBG) est peu connue et son diagnostic doit être confirmé par un 2e anatomopathologiste. Le traitement par radiofréquence (RFA) permet l’éradication de la DBG dans 90 % des cas (niveau de preuve 1b). La DBG doit faire l’objet d’une surveillance endoscopique ; les traitements d’éradication, dont la RFA, ne peuvent être recommandés actuellement (grade de recommandation C). niveau de preuve u fait du pronostic redoutable de l’adénocarcinome (ADK) invasif de l’œsophage, associé à une survie globale à 5 ans inférieure à 13 %, l’intérêt s’est porté sur l’œsophage de Barrett (OB), correspondant à une muqueuse prénéoplasique accessible à une surveillance et à un traitement endoscopiques (figure). L’OB est défini par le remplacement de la muqueuse œsophagienne malpighienne normale par une muqueuse glandulaire. La présence d’une métaplasie intestinale (MI) est un critère indispensable pour certains, puisque représentant le seul type de métaplasie prédisposant clairement à la dysplasie (1). La surveillance endoscopique fait partie des recommandations des différentes sociétés de gastroentérologie (ACG, ASGE, AGA, BSG, SFED) et est communément admise. En revanche, le traitement, en particulier celui de la dysplasie de bas grade (DBG), est non consensuel et fait l’objet de nombreux débats médico-économiques. Pourquoi traiter un OB avec DBG ? L’histoire naturelle de la DBG est à ce jour peu connue. Plusieurs revues systématiques et études de population récentes ont estimé l’incidence annuelle globale de la survenue d’un adénocarcinome à 1,4 % en cas de présence d’une DBG (2) et à 6,58 % en cas de dysplasie de haut grade (DHG) [3]. Considérant ce surrisque relatif en présence d’une DBG, et en l’absence d’étude randomisée évaluant l’impact de la surveillance, des traitements endoscopiques se sont développés, avec d’excellents résultats en termes d’efficacité et de tolérance. L’ablation par radiofréquence (RFA) est la technique la mieux évaluée et la plus prometteuse à ce jour. Dans une étude prospective, multicentrique, randomisée et contrôlée, 64 patients présentant une DBG étaient randomisés dans un groupe RFA ou un groupe contrôle (“procédure fantôme”) [4]. À 12 mois, l’éradication complète de la DBG était obtenue chez 90 % des 4 Figure. Vision endoscopique d’un œsophage de Barrett compliqué d’une lésion à 6H classée 0-IIa dans la classification de Paris, correspondant à de la DBG en histologie (remerciements au Pr P. Deprez, service de gastro-entérologie, cliniques universitaires Saint-Luc, Bruxelles). patients du groupe RFA, contre 23 % des patients dans le groupe contrôle (p < 0,001) [4]. L’éradication complète de la MI était atteinte dans 81 % des cas dans le groupe RFA, contre 4 % dans le groupe contrôle (p < 0,001) [4]. Ces excellents résultats étaient sensiblement maintenus à 2 et 3 ans (5). Ces données sont en accord avec les résultats intermé- La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XVII - n° 1 - janvier-février 2014 | 31 EVIDENCE-BASED MEDICINE Questions non résolues » Quel est le bénéfice médico-économique des traitements d’éradication comparativement à la surveillance endoscopique ? » Nécessité de rechercher des facteurs prédictifs d’évolution péjorative (facteurs histologiques, biomarqueurs, etc.) ? @ Retrouvez l’intégralité des références bibliographiques sur www.edimark.fr Endoscopie diaires de l’étude multicentrique européenne (SURF), randomisée et contrôlée, comparant la RFA à la surveillance endoscopique chez 136 patients porteurs d’une DBG, présentée cette année à la Digestive Disease Week (6). Une analyse coût-efficacité récente retrouve un apport bénéfique du traitement de la DBG par RFA, contrairement à l'utilisation de cette dernière dans l’OB non dysplasique (7). Pourquoi surveiller un OB en DBG ? La définition histologique de la DBG est peu spécifique, et une double lecture est indispensable par un anatomopathologiste spécialisé dans la pathologie digestive. Cette relecture peut reclasser la DBG en absence de dysplasie et en aspect indéterminé pour la dysplasie jusque dans 85 % des cas (8). Une étude multicentrique prospective a mis en évidence une régression spontanée de la DBG en OB non dysplasique dans 66 % des cas et l’absence de progression dans 21 % des cas au cours du suivi (9). Malgré un surrisque indéniable de transformation maligne, l’incidence annuelle globale de survenue d’un adénocarcinome œsophagien reste faible en cas de DBG et a probablement été surestimée dans les études antérieures (10). Cette faible incidence n’incite donc pas à traiter mais bien à surveiller nos patients, d’autant plus qu’aucune étude n’a prouvé à ce jour un bénéfice du traitement de la DBG en termes de survie. Par exemple, dans l’essai randomisé et contrôlé de N.J. Shaheen et al. (4), durant toute la période d’étude, aucune différence signifi cative n’a été mise en évidence entre le groupe RFA et le groupe contrôle en termes de progression de la DBG vers la DHG (p = 0,33), et aucun patient présentant une DBG dans les 2 groupes n’a présenté de cancer. Par ailleurs, le traitement d’éradication par RFA nécessite en moyenne 3,5 sessions de traitement par patient pour une éradication complète (4). Bien qu’aucun décès n’ait été décrit, la morbidité de la RFA n’est pas nulle et comprend à court terme la survenue de douleurs thoraciques et d’hémorragies digestives et, à long et à moyen terme, un risque de sténose estimé à 6 % (4). Le taux d’éradication par RFA de la MI et de la DBG n’est pas de 100 % et ne justifie pas l’arrêt de la surveillance endoscopique (11). En effet, 3 cas de récidive néoplasique sous-muqueuse (1 DHG et 2 ADK) ont été décrits dans les suites d’un traitement par RFA (12). Au total, devant un risque de transformation maligne revu à la baisse ces dernières années et l’absence d’études disponibles sur l’intérêt, en termes de survie et de coût-efficacité, des techniques d’éradication endoscopique, une surveillance à 6 mois puis espacée est préconisée par la plupart des sociétés savantes, en attendant les résultats définitifs de larges études randomisées, contrôlées, multicentriques (SURF, étude SFED, etc.). Toutefois, eu égard à l’excellente efficacité et à la faible morbidité de la RFA, les sociétés américaines (AGA et ASGE) proposent la RFA comme option dans le traitement de la DBG. La création de futurs scores de risque d’évolution de la DBG prenant en compte des facteurs prédictifs démographiques, environnementaux, endoscopiques et histologiques (dysplasie, biomarqueurs) permettra de cibler les sous-groupes à traiter. ■ Quelle est la place de la coloration virtuelle en endoscopie ? Gabriel Rahmi, Paris. Ce qu’il faut retenir Les premiers résultats des études sur la coloration virtuelle, dont les principaux avantages sont la simplicité et la rapidité d’utilisation, sont encourageants. Cependant, l’apport de la coloration virtuelle dans le dépistage du cancer du côlon ou de l’œsophage et de la dysplasie sur colite inflammatoire chronique reste à démontrer, notamment vis-à-vis de la chromo-endoscopie standard. 32 | La Lettre de l’Hépato-Gastroentérologue • Vol. XVII - n° 1 - janvier-février 2014 L a détection endoscopique précoce des lésions superficielles précancéreuses du tube digestif est essentielle pour améliorer le pronostic des patients concernés. Les colorations endoscopiques ont pour objectif de détecter et de caractériser les zones suspectes grâce à une meilleure visualisation du réseau vasculaire et des reliefs de la surface muqueuse (figure). Elles sont utilisées dans le bilan des tumeurs colorectales, des colites inflammatoires chroniques, des complications