Vocabulaire
Le don d’organe
Si le verbe donner n’existait pas, il faudrait
l’inventer. Rassurons-nous, donner fait
partie des premiers mots écrits de ce qui allait
devenir le français, dans les Serments de
Strasbourg prononcés en l’an 842 entre des
descendants de Charlemagne. Le latin
donare, d’où vient notre verbe, c’est donum
dare, qui redouble un radical indo-européen
très ancien, existant en sanskrit, et présent
dans doter et douer. L’idée centrale de ces
mots, c’est le transfert d’un bien physique ou
moral à autrui sans contrepartie. Dans la vie
religieuse, le don est frère du sacrifice. Il
s’oppose, dans la vie profane, à l’échange, à
l’achat, à la vente, car il suppose la gratuité
et l’absence de conditions. Il exprime la
générosité, l’abandon et la libre disposition
de ce qui est donné. Avoir un don, être doué,
c’est bénéficier de la générosité du destin.
Or, la possession la plus intime, la plus nécessaire à une vie heureuse est celle
d’organes sains, sans lesquels l’adage latin de l’idéal humain : mens sana in
corpore sano devient une fiction. Aucun don n’est plus profond, plus proche du
sacrifice que le don d’organe, par lequel un être conscient se dépouille d’une
part de son corps, non pas pour entretenir sa mémoire (“ceci est mon corps…”),
mais pour sauver ceux qu’elle ou il aime. La biologie, qui semble s’accorder
avec l’intuition de la sensibilité, accorde une prime de réussite aux transplanta-
tions d’organes génétiquement proches. Dommage que la proximité affective –
que Goethe figurait par les “affinités électives” de la chimie de son temps – ne
permette pas des greffes de cœurs amoureux… Mais la médecine, quels que
soient les progrès et l’affinement de ses techniques, ne peut transgresser les lois
rigoureuses de la vie.
Greffe, transplantation, métaphores de la vie végétale, célèbrent un art – au sens
classique de technique en progrès. Don introduit la dimension morale et affective,
sans laquelle il n’est pas de vraie santé : on le sait depuis Hippocrate.
A. Rey, directeur du Robert, Paris
Le Courrier de la Transplantation - Volume I - n o2 - juillet-août-septembre 2001
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