La place des analyses microbiologiques de denrées alimentaires

publicité
SYNTHÈSE SCIENTIFIQUE
La place des analyses microbiologiques
de denrées alimentaires dans le cadre
d’une démarche d’assurance-sécurité
G. BORNERT
Groupe de Secteurs Vétérinaires Interarmées, B.P. 16, F-35998 Rennes Armées
RÉSUMÉ
SUMMARY
L'évolution récente de la réglementation applicable à l'hygiène des aliments a favorisé la mise en place, dans l'industrie agro-alimentaire, de systèmes d'assurance-sécurité selon les principes de la méthode H.A.C.C.P.
(Hazard Analysis Critical Control Point).
La stratégie de contrôle analytique systématique des produits ayant été
progressivement abandonnée, l'utilité pratique des analyses microbiologiques s'est trouvée remise en cause.
Malgré l'essor de techniques qualifiées de rapides, les examens microbiologiques ne peuvent, le plus souvent, être utilisés comme des moyens de
surveillance des procédés de fabrication, en raison de délais trop importants
d'obtention des résultats des analyses. Ils permettent, par contre, une
approche objective de l'efficacité du plan d'assurance-sécurité et constituent
donc un outil de vérification des systèmes H.A.C.C.P.
Leur emploi implique de mener une réflexion quant aux critères à utiliser
et d'assurer l'interprétation des résultats au cas par cas, sur la base d'une parfaite connaissance du procédé de fabrication et des propriétés intrinsèques
du produit.
The use of microbiological analysis of food-stuff in a safety-assurance
system. By G. BORNERT.
MOTS-CLÉS : microbiologie - aliments - H.A.C.C.P. - analyses - critère.
KEY-WORDS : microbiology - food-stuff - H.A.C.C.P. analysis - criterion.
Introduction
dant à s'interroger sur l'intérêt réel des examens microbiologiques de denrées. Il s'avère nécessaire de prendre en compte
les principes techniques de tels examens et les limites de leur
emploi, pour optimiser leur utilisation dans ce contexte et
parvenir à garantir la protection de la santé du consommateur.
Les micro-organismes présents dans les denrées alimentaires peuvent provoquer des modifications organoleptiques
et altérer les qualités marchandes des produits, ou constituer
un danger pour la santé publique en raison de leur pouvoir
pathogène pour l’homme.
L’examen microbiologique est un outil incontournable
d’évaluation du niveau de contamination des denrées alimentaires et de la nature de leur microflore. Il est très largement
utilisé dans le cadre du contrôle officiel ainsi que des autocontrôles mis en œuvre par les industriels pour garantir la
salubrité des denrées qu'ils commercialisent.
La mise en place progressive des principes de l'assurancesécurité dans l'ensemble de l'industrie agro-alimentaire et
l’évolution récente du cadre réglementaire conduisent cepenRevue Méd. Vét., 2000, 151, 8-9, 805-812
Recent changes in food hygiene regulations promoted the development in
food industry of safety-assurance systems using the H.A.C.C.P. method.
The forsake of the strategy based on systematic end-products analysis has
led to interrogations about the utility of microbiological analysis.
In spite of the rise of technics for quick diagnosis, microbiological analysis cannot be used, most of the time, in order to monitor the production
processes, because results are not obtained within the required time.
Microbiology allows an objective evaluation of the efficiency of safetyassurance systems and constitutes a tool for H.A.C.C.P. verification.
For a good use of microbiology, consideration is required about the criterions to choose and it appears necessary to make an interpretation of each
result in comparison with the production process and the specific characteristics of the food-stuff.
A) CONTEXTE RÉGLEMENTAIRE ACTUEL
Le recours aux examens microbiologiques de lots de produits finis a longtemps constitué l’un des fondements de la
stratégie définie par les pouvoirs publics pour assurer la sécurité alimentaire.
L'Union européenne, dans ses travaux d'harmonisation des
réglementations des pays membres dans le domaine de l'hygiène, a reconnu dès 1985 la nécessité d'une "nouvelle
approche réglementaire", dont les principes ont guidé la
rédaction de l'ensemble des textes européens dits "secto-
806
BORNERT (G.)
riels". Les directives sectorielles ont ensuite été transposées
en Droit français sous forme d'arrêtés ministériels [27] régissant l'ensemble des filières de l'agro-alimentaire, en particulier : les viandes de boucherie en 1993 [1], les aliments remis
directement au consommateur en 1995 [2], la restauration
collective en 1997 [3] et le transport des aliments en 1998 [4].
1) La «nouvelle approche réglementaire» de l’hygiène
Les quatre principes généraux de la "nouvelle approche
réglementaire", sont définis par la directive communautaire
93/43/CEE du 14 juin 1993 [5].
Le premier principe est que la réglementation ne doit fixer
que "des objectifs et des exigences essentielles", les moyens
à mettre en œuvre relevant de documents établis par les professionnels eux-mêmes et d'application volontaire : les
guides de bonnes pratiques hygiéniques. Il apparaît ainsi une
obligation légale de résultat plutôt que de moyens.
Le deuxième principe est la responsabilisation des professionnels de l'agro-alimentaire, chargés de garantir la salubrité
des denrées qu'ils commercialisent. La protection de la santé
publique ne doit plus reposer sur l’action répressive des services officiels mais sur le travail de professionnels compétents et soucieux de la qualité de leurs produits.
Un troisième principe est celui de la proportionnalité des
moyens de maîtrise de l'hygiène par rapport aux risques sanitaires effectifs, de toutes natures, biologiques, chimiques ou
physiques. Pour y parvenir, il faut procéder à une analyse des
dangers.
Il apparaît enfin, comme quatrième principe, l'obligation
d'auto-contrôles.
Cette réglementation a créé des obligations nouvelles pour
les professionnels, qui vont maintenant retenir notre attention.
2) L’analyse des dangers et la maîtrise des procédés
L'idée maîtresse de la «nouvelle approche» est que la protection de la santé publique passe obligatoirement par la maîtrise des procédés au niveau industriel, sur la base d’une
identification des dangers et d'une quantification des risques.
Il en résulte, pour les responsables d'entreprises agro-alimentaires, une première obligation : la mise en place d’un système d’assurance-sécurité reposant sur l’application de procédures opérationnelles dites «de sécurité» [11].
La méthode H.A.C.C.P., pour Hazard Analysis Critical
Control Point, est explicitement recommandée par la réglementation en tant qu’outil méthodologique privilégié dans la
recherche de moyens de maîtrise pertinents adaptés au
risque.
Le Codex Alimentarius définit quatorze étapes pour la mise
en œuvre de l’H.A.C.C.P., mais des adaptations de cette
méthode ont été développées afin d'en simplifier la mise en
œuvre [10], en particulier dans les secteurs d'activités à
caractère artisanal.
L’identification des points critiques pour la maîtrise constitue l’étape clé de la démarche. Les points critiques sont définis comme les points, étapes, facteurs ou procédures dont la
maîtrise est essentielle pour prévenir ou éliminer un danger,
ou pour le réduire à un niveau acceptable. Leur connaissance
constitue le fondement d’une proportionnalité des moyens de
prévention au niveau effectif du risque.
Pour chaque point critique, le plan d’assurance-sécurité est
établi en précisant des limites critiques, des modalités de surveillance et des actions correctives à entreprendre si les
limites critiques sont dépassées. Ces actions permettent
d’éviter que l’anomalie à l’origine de la perte de maîtrise ne
se reproduise.
Une étape de vérification est prévue, qui vise à s’assurer de
l’efficacité du système mis en place.
3) Les auto-contrôles
L’emploi de la méthode H.A.C.C.P. implique inévitablement la mise en place d’un ensemble de moyens de surveillance des points critiques et de vérification de l’efficacité
des procédures définies. Ces moyens sont arbitrairement
regroupés par le législateur sous l'appellation d’autocontrôles.
La réglementation précise, pour chaque type d'activité, les
objectifs majeurs de ces auto-contrôles. En ce qui concerne,
par exemple, la restauration collective [3], il s'agit de :
— vérifier la conformité à la réglementation des installations et du fonctionnement;
— vérifier la conformité des matières premières approvisionnées aux critères microbiologiques réglementaires ;
- vérifier, de même, la conformité microbiologique des préparations culinaires produites.
Il est, en particulier, demandé de procéder à des contrôles
des produits à réception et de l’efficacité du plan de nettoyage et désinfection des locaux et matériels.
C’est l’identification des points critiques qui permet de
préciser les modalités pratiques de ces contrôles, en particulier leur fréquence et leur nature.
4) La validation de la date limite de consommation des
produits
Une autre évolution notable de la réglementation concerne
les modalités de détermination de la date limite de consommation (D.L.C.) des denrées alimentaires.
D’un point de vue réglementaire, la date limite de consommation est la date jusqu’à laquelle la denrée conserve ses propriétés intrinsèques. Placée désormais sous l’entière responsabilité du fabricant du produit, la détermination de cette date
doit reposer sur des études de vieillissement documentées
réalisées par un laboratoire reconnu.
Face à l’ensemble de ces contraintes relativement nouvelles pour le secteur de l'agro-alimentaire, la microbiologie
peut apporter des solutions. Il convient cependant de garder à
l'esprit les principes techniques des examens microbiologiques.
B) PRINCIPES TECHNIQUES DES EXAMENS MICROBIOLOGIQUES
Les examens microbiologiques sont réalisés à partir
d’échantillons, prélevés, transportés et conservés dans des
Revue Méd. Vét., 2000, 151, 8-9, 805-812
LA PLACE DES ANALYSES MICROBIOLOGIQUES DE DENRÉES ALIMENTAIRES
conditions adaptées pour ne pas modifier leur microflore. Ce
sont en général des denrées alimentaires, matières premières,
produits en cours d’élaboration ou produits finis. Il peut aussi
s’agir d’eau, d’air ou d’échantillons constitués à partir de surfaces [21] dont on souhaite apprécier la propreté.
D’un point de vue général, le recours à la microbiologie
suppose d’être en mesure in fine d’interpréter les résultats
d’examens. C’est dans ce cadre que doit être posée la question préalable de l’échantillonnage.
1) Principes d’échantillonnage
La représentativité des résultats obtenus passe par le respect d'un schéma statistique de prélèvement d'échantillons.
Cependant, en microbiologie des aliments, les plans d’échantillonnage ainsi définis sont difficiles à appliquer : l’analyse
est coûteuse et destructive, et la mise en œuvre des tables de
nombres au hasard se révèle fastidieuse [17].
Il est aussi indispensable qu'existe, au préalable, un
ensemble de mesures de maîtrise des procédés, permettant de
garantir une constance de la qualité des produits au cours du
temps. Dans le cas contraire, le résultat d'une série d'analyses
n’est qu’un simple sondage qui ne présume en rien de la qualité des autres lots de fabrication.
Les prélèvements pour examens microbiologiques peuvent
donc être réalisés selon différentes stratégies.
L’application d’un plan d’échantillonnage statistique est
une méthode trop contraignante pour être utilisée de façon
courante.
Quel que soit le plan d’échantillonnage utilisé, il persiste
toujours une incertitude quant à la validité du résultat, d’autant plus faible que le nombre d’échantillons élémentaires est
important. D’apparence très sécurisante, cette méthode n’est
donc pas infaillible.
L’application de plans d’échantillonnage simplifiés, tels
que ceux définis par certains groupes d’experts [6], prenant
en compte la gravité du danger et sa probabilité d’apparition,
permet d’adapter le nombre d'échantillons en fonction du
risque prévisible.
Enfin, la réglementation préconise un plan d’échantillonnage minimum comprenant cinq échantillons par lot.
2) Flores recherchées
Les flores recherchées en microbiologie des aliments sont
de quatre types [7].
Il s’agit tout d’abord de bactéries pathogènes pour
l’homme, agents de toxi-infections alimentaires collectives.
Les recherches courantes concernent Listeria monocytogenes, les salmonelles, Staphylococcus aureus et dans certains cas Bacillus cereus.
Le dénombrement des Clostridium perfringens est souvent
remplacé par celui des bactéries anaérobies sulfito-réductrices.
Les micro-organismes agents d’altérations sont de nature
variable, selon les produits. Longtemps limitée au dénombrement de la flore aérobie revivifiable à +30°C, l’évaluation de
l’altération microbienne des denrées passe de plus en plus par
des recherches très sélectives, par exemple celle des
Revue Méd. Vét., 2000, 151, 8-9, 805-812
807
Pseudomonadaceae pour les produits réfrigérés ou de la flore
lactique dans le cas des produits acides.
Les micro-organismes indicateurs de contamination fécale
utilisés en pratique courante sont les entérocoques, les coliformes thermotolérants et Escherichia coli. Leur présence
dans les denrées ou l’eau est considérée comme le signe
d’une contamination par des matières fécales [15].
Parmi les micro-organismes indicateurs technologiques, il
faut citer les coliformes et les Enterobacteriaceae. Très thermosensibles, ces bactéries ne doivent pas être retrouvées
dans les aliments pasteurisés si le procédé de traitement utilisé est efficace.
Il convient de retenir d’emblée deux points dont l’importance pratique est grande.
Quoique cela relève de l’évidence, l’examen microbiologique ne permet de détecter que les flores microbiennes
effectivement recherchées. Compte tenu de l’extrême diversité des micro-organismes agents de toxi-infection alimentaire, il est impossible de les rechercher tous. Leur liste s'accroît d'ailleurs périodiquement, avec l'émergence de nouveaux dangers [23]. Il faut, en particulier, remarquer l'absence de recherche "en routine" des virus et parasites dans les
produits alimentaires élaborés, alors que des épidémies de
grande ampleur, dues à ces agents, sont périodiquement rapportées [26, 28].
C’est pourquoi, un résultat satisfaisant aux critères définis
n’est jamais une garantie absolue de salubrité d’une denrée.
La signification pratique des indicateurs utilisés a fait l’objet d’une large remise en question. L’interprétation de la présence de ces flores doit donc être effectuée avec la plus
grande prudence, sur la base d’une connaissance des procédés de production utilisés et de l’écologie de chaque groupe
microbien [14].
3) Techniques utilisées en microbiologie des aliments
Il est d’usage de distinguer deux types de techniques en
microbiologie, qualifiées de traditionnelles et de rapides.
a) Les techniques traditionnelles
Les techniques traditionnelles de la microbiologie pasteurienne reposent sur la mise en culture d’un inoculum dans un
milieu spécifique. La composition du milieu, la température
d’incubation et la nature de l’atmosphère dans laquelle est
incubé le milieu permettent de créer une pression de sélection
et de cultiver sélectivement une population bactérienne.
Ces méthodes servent de référence et font l’objet d’une
normalisation au niveau international.
Dans le cas des techniques de dénombrement, la prise d’essai subit des dilutions décimales successives et un inoculum
de chaque dilution est utilisé pour ensemencer un milieu,
liquide ou solide. Après incubation, il est procédé au
comptage des colonies d’aspect caractéristique et à une éventuelle confirmation par des tests biochimiques.
Dans le cas des techniques de recherche, telles que celle
utilisée pour les salmonelles, un ensemble d’étapes de préenrichissement et d’enrichissement permettent d’assurer la
revivification des bactéries stressées [24] puis de favoriser
leur croissance de façon sélective. Il est ensuite réalisé un
808
BORNERT (G.)
isolement sélectif et une caractérisation biochimique à partir
des colonies d’aspect caractéristique.
Les méthodes traditionnelles ont le grand défaut de ne
fournir un résultat qu’après plusieurs jours. Ce constat
explique l’essor des techniques qualifiées de rapides.
b) Les techniques rapides
Les techniques dites rapides permettent, selon les cas, de
réduire le délai de réponse ou de simplifier les manipulations,
ce qui en fait des outils très prisés dans l'industrie agro-alimentaire [25].
Parmi les principales techniques rapides utilisées en microbiologie des aliments, on peut citer :
— les méthodes immunologiques, pour la plupart de type
E.L.I.S.A.;
— les techniques de biologie moléculaire, hybridation sur
colonies ou polymerase chain reaction [20] ;
— l’impédancemétrie [12] ;
— le dosage par bioluminescence de l'adénosine triphosphate (A.T.P.) cellulaire ou A.T.P.métrie;
— les procédés d'analyse d'image après filtration et coloration des échantillons [16] et la cytométrie de flux.
Certaines de ces méthodes font l’objet d’une validation
officielle, lorsque il est démontré que les résultats qu’elles
fournissent présentent une bonne corrélation avec les résultats obtenus par les méthodes de référence. Quelques
exemples, parmi les très nombreux "kits" validés par
l'Association française de normalisation, sont cités dans le
tableau I.
De toutes ces méthodes, seule l’A.T.P.métrie fournit une
réponse quasi-immédiate. Pour les autres techniques, le
résultat est au mieux obtenu en 24 à 36 heures.
4) Interprétation des résultats
L’interprétation des résultats d’examens s’effectue au
regard des limites numériques définies par les critères microbiologiques. Ces critères sont fixés par des arrêtés ministériels.
La réglementation prévoit aussi la conduite à tenir en cas
de dépassement des limites numériques. Lorsque le critère
est un standard impératif, le lot de produit analysé doit faire
l’objet d’un retrait de la consommation et des actions correctives sont à mettre en place.
TABLEAU I — Exemples de méthodes microbiologiques validées pour la recherche des salmonelles dans
les aliments.
Revue Méd. Vét., 2000, 151, 8-9, 805-812
LA PLACE DES ANALYSES MICROBIOLOGIQUES DE DENRÉES ALIMENTAIRES
Dans le cas d’un standard indicatif, seules les actions correctives sont rendues obligatoires.
Il est aussi possible d’utiliser des critères propres à chaque
entreprise, qualifiés de lignes directrices, ou des critères fixés
par un cahier des charges [9].
Destinés à devenir des outils de la maîtrise de la qualité, les
critères microbiologiques réglementaires font l’objet d’une
révision progressive, mais on applique encore actuellement
des critères définis en 1979, qui apparaissent discutables.
Ainsi, le dénombrement des anaérobies sulfito-réducteurs
dans les viandes de boucherie est préconisé par la réglementation pour évaluer le niveau de contamination par
Clostridium perfringens. La pratique du laboratoire montre
que ce sont en réalité, dans de nombreux cas, des Bacillus qui
se développent dans les conditions de culture utilisées. Il
serait donc beaucoup plus pertinent de procéder au dénombrement de Clostridium perfringens, afin d'accéder à une
information sur le risque réel pour le consommateur.
Dans le même ordre d'idée, il faut constater que les critères
réglementaires ne prennent pas assez clairement en compte la
nature des ingrédients mis en œuvre. Lorsque des matières
premières conditionnées sous vide ou des fromages tels que
l'emmental sont incorporés à des préparations culinaires, ils
apportent une quantité importante de micro-organismes,
constitutifs de leur flore naturelle et sans aucune incidence
pour la santé publique. Les analyses du produit final risquent
cependant de révéler la présence d'une "flore totale" hors
normes, résultat qui devra être interprété avec nuance.
Pour certains produits, il existe un vide juridique dans ce
domaine [22]. Dès qu'un mélange d'ingrédients est réalisé, il
n'existe plus de critères réglementaires. La quasi-totalité des
entrées froides, telles qu'une assiette de charcuteries variées
ou une salade associant des végétaux et une denrée animale,
sont ainsi concernées. En théorie, pour de tels mélanges, il est
préconisé d'effectuer une analyse séparée de chaque type
d'ingrédient, puis une interprétation globale prenant en
compte les transferts de contamination entre ingrédients. Le
choix de critères adaptés est très délicat à réaliser et requiert
toute l'expérience et la compétence du responsable du laboratoire.
C) INTÉRÊTS ET LIMITES DE L’ANALYSE MICROBIOLOGIQUE DANS UNE STRATÉGIE DE MAÎTRISE DE
LA SALUBRITÉ DES PRODUITS ALIMENTAIRES
Pour comprendre l’intérêt actuel de l’examen microbiologique, il convient de le replacer dans le contexte réglementaire.
1) Place des examens microbiologiques dans un système
H.A.C.C.P.
a) Examens microbiologiques et surveillance des procédés
La notion de surveillance des points critiques implique une
capacité de détection rapide de tout dépassement des limites
critiques et de réaction immédiate sous forme d’actions correctives. La surveillance, outil de pilotage des procédés, doit
permettre d’intervenir avant même d’avoir atteint le seuil de
non conformité.
Revue Méd. Vét., 2000, 151, 8-9, 805-812
809
Le facteur limitant un recours à la microbiologie à cette
étape est donc, de toute évidence, l’absence de techniques
suffisamment rapides. Le produit non conforme risque d’être
commercialisé, voire consommé, avant que le résultat des
analyses soit connu.
Seule l’A.T.P.métrie, qui fournit une réponse en quelques
minutes, peut être considérée comme un moyen de surveillance. Au plan pratique, la seule application de cette technique est le suivi de la propreté des surfaces. Plusieurs laboratoires commercialisent des A.T.P.mètres portables, utilisables en temps réel dans les ateliers de production pour s’assurer de l’efficacité des opérations de nettoyage et de désinfection (figure 1). Tout constat de contamination des surfaces
amène la réalisation d’un nouveau nettoyage à titre d’action
corrective avant même le début des fabrications.
b) Examens microbiologiques et vérification de système
H.A.C.C.P.
La vérification consiste à porter un jugement sur le bienfondé et la cohérence des choix techniques et à observer la
concordance entre les procédures choisies et le fonctionnement réel de la production.
Le constat de la conformité des produits aux critères microbiologiques fixés est l’un des moyens permettant de démontrer l’efficacité des mesures prises et le respect des procédures, en particulier celles relevant des bonnes pratiques
hygiéniques.
Les examens microbiologiques peuvent donc être utilisés
dans la phase de vérification d’un système H.A.C.C.P. En cas
de non conformité, des investigations complémentaires doivent être menées, permettant d’en identifier la cause et de
modifier les procédures en conséquence.
Sur la base de ce constat, il est possible de distinguer quatre
types d’applications pratiques des examens microbiologiques.
2) Applications au contrôle des matières premières
La salubrité des matières premières utilisées est indispensable à la maîtrise de la qualité d'une fabrication. Il n’est
cependant pas envisageable pour une entreprise agro-alimentaire de réaliser systématiquement des analyses de chaque lot
de produits qu’elle achète.
D’un point de vue pratique, la sécurité des approvisionnements repose en fait sur un ensemble de trois catégories de
mesures :
— la validation des procédures d’assurance-sécurité des
fournisseurs, dans le cadre d'une procédure de référencement
de produits ;
— la vérification des produits à la livraison ;
— la réalisation d’examens microbiologiques.
Les analyses microbiologiques sont généralement réalisées
au titre de la vérification du système H.A.C.C.P. des différents fournisseurs de denrées. Ce ne sont alors que l’un des
éléments de l’expertise effectuée lors du référencement des
produits.
Pour optimiser l’utilisation de l’outil analytique, la
meilleure stratégie consiste en la mise en place d’études
810
BORNERT (G.)
FIGURE 1 — Principe du contrôle de l'efficacité des opérations de nettoyage et désinfection par A.T.P.métrie.
Revue Méd. Vét., 2000, 151, 8-9, 805-812
LA PLACE DES ANALYSES MICROBIOLOGIQUES DE DENRÉES ALIMENTAIRES
ciblées [19]. Ces études privilégient soit une famille de produits à risques, soit une provenance précise des produits.
Elles permettent de disposer d’un observatoire des filières
d'approvisionnement. Toute non conformité motive une
remise en question de la pertinence du système H.A.C.C.P.
du fournisseur concerné.
Le contrôle analytique lot par lot, selon un plan d’échantillonnage statistique, trouve par contre peu d’applications,
pour des raisons de coût. Il pourrait présenter un intérêt dans
le cas de produits d’importation pour lesquels les conditions
de production ne sont pas connues ou face à un lot de produits dont la qualité est douteuse. Il s’agit alors d’un contrôle
libératoire, la mise en œuvre de la denrée n’intervenant
qu’après analyse.
3) Applications au suivi de la qualité des productions
De la même façon que pour les matières premières, il est
impossible de procéder à des contrôles libératoires systématiques de chaque lot de produits mis sur le marché.
Les examens microbiologiques ne doivent être considérés
que comme des outils destinés à s’assurer de l’efficacité du
système H.A.C.C.P. en place. Ils concernent les denrées alimentaires mais aussi les surfaces et matériels, dans le cadre
de la validation des plans de nettoyage et désinfection. Il
n'existe pas de plan d'échantillonnage type, utilisable dans
toutes les entreprises. Il convient cependant de privilégier
l'analyse de produits "sensibles", identifiés en fonction de
leur nature et de leur procédé de fabrication [18].
L'important est aussi de veiller à une complète exploitation
des résultats d'analyses, chaque non conformité aux critères
microbiologiques fixés devant donner lieu à une remise en
cause des procédures en place.
Les principales difficultés rencontrées actuellement dans
ce domaine, en particulier en restauration collective, découlent d’une mauvaise compréhension par les responsables
d’entreprises du sens réel de la réglementation.
Dans le cadre d’un système d’assurance-sécurité en place,
le recours à la microbiologie se justifie pleinement en tant
que moyen d’investigation permettant de disposer d’une
information objective sur la réalité de la maîtrise des risques.
Les critiques formulées plus haut quant à la validité des plans
d’échantillonnage utilisés n’ont alors qu’une importance
secondaire, dans la mesure où les analyses de lots de produits
ne constituent plus le fondement de la prévention des toxiinfections alimentaires. Celle-ci est assurée par la mise en
œuvre des actions préventives définies pour la maîtrise des
points critiques.
Actuellement, il faut regretter que les plans d’analyses de
produits, rendus obligatoires par la réglementation, soient
trop souvent mis en œuvre en priorité, alors que le plan
H.A.C.C.P. n’existe pas encore ou reste «embryonnaire». Ces
analyses-alibis n’ont aucune utilité dès lors que des actions
évidentes de maîtrise des procédés ne sont pas en place. Il en
résulte des dépenses inutiles pour les entreprises et une
fausse sécurité.
Outils de vérification de système H.A.C.C.P., les plans
d’analyses n’interviennent en toute logique qu’à l’ultime
étape de la mise en place de l’assurance-sécurité.
Revue Méd. Vét., 2000, 151, 8-9, 805-812
811
Le second écueil à éviter est une interprétation simpliste
des résultats obtenus. Trop de laboratoires rendent des
conclusions hasardeuses sur l’origine des contaminations
identifiées et les actions correctives à mettre en œuvre, sans
connaître précisément les procédés et les conditions de production. La présence de coliformes thermotolérants est automatiquement associée à une mauvaise hygiène corporelle des
personnels. Trop souvent, les coliformes «totaux», cultivés à
+30°C, sont considérés à tort comme des contaminants d’origine fécale. Pour les produits à composition complexe,
mélanges de denrées animales et végétales crues ou cuites,
les critères utilisés sont souvent inadaptés par méconnaissance des caractéristiques de chaque ingrédient [8].
Pour être raisonnée, l’interprétation des résultats d’analyses doit être confiée à des experts, microbiologistes disposant d’une information complète quant à la nature exacte des
échantillons. C’est à ce prix que le travail du laboratoire peut
être valorisé, la microbiologie constituant alors un outil
irremplaçable.
4) Analyses microbiologiques et validation de la date
limite de consommation des produits réfrigérés
En ce qui concerne la validation de la date limite de
consommation des produits réfrigérés, les examens microbiologiques sont incontournables. L’obligation minimale du
fabricant est, en effet, de prouver qu’à D.L.C. atteinte le produit qu'il commercialise est encore, au minimum, conforme
aux critères microbiologiques réglementaires [13]. La microbiologie prévisionnelle fournit des présomptions, mais seuls
des tests de vieillissement permettent de disposer d'une information fiable.
Pour ce type de test, il apparaît indispensable de prendre en
compte l’évolution de la flore d’altération spécifique de
chaque produit. Il est, par exemple, préférable de procéder à
la recherche de Pseudomonas marginalis ou de la flore lactique dans des produits végétaux de quatrième gamme, plutôt
que de chercher à en apprécier la qualité sanitaire au travers
du dénombrement de la flore aérobie à +30°C. Des challenge-tests sont aussi souhaitables en ce qui concerne les bactéries pathogènes psychrotrophes, telles que Listeria monocytogenes.
5) Examens microbiologiques et toxi-infections alimentaires collectives
Lors de la survenue d'une toxi-infection alimentaire collective, une enquête épidémiologique est effectuée par les pouvoirs publics, utilisant en particulier comme outil d'investigation l'examen microbiologique d'échantillons des denrées
consommées par les personnes malades.
Dans ce type de circonstance, c'est l'isolement de l'agent
pathogène qui importe. L'identité de l'agent responsable est
certaine lorsque cet agent peut être isolé d'une part des selles
des malades, d'autre part de l'aliment consommé. Pour le
laboratoire, le choix des critères est alors fondamental. Le
dénombrement des flores d'altération ou des bactéries indicatrices revêt peu d'intérêt. Par contre, les données épidémiologiques et cliniques doivent déterminer la mise en œuvre d'une
recherche spécifique du ou des micro-organismes pathogènes
suspectés. L'examen microbiologique doit donc être utilisé
812
BORNERT (G.)
de manière réfléchie, et non par simple référence à des critères réglementaires.
Conclusion
L’évolution récente de la réglementation applicable en
agro-alimentaire implique de replacer l’analyse microbiologique dans le cadre d’un système H.A.C.C.P.
Les délais d’analyse rendent exceptionnel un recours à cet
outil en tant que moyen de surveillance des procédés. Par
contre, la microbiologie alimentaire reste indispensable à la
vérification de l’efficacité d’un système d'assurance-sécurité.
La représentativité des résultats d’analyses passe par un
choix judicieux de plan d’échantillonnage, mais suppose
aussi des garanties techniques. La démarche progressive
d’accréditation des laboratoires doit être complétée par une
application rigoureuse de règles de prélèvement ainsi que par
une interprétation raisonnée des résultats d’examens, sur la
base de la connaissance de la technologie des aliments et de
l’écologie microbienne.
Bibliographie
1. — Arrêté du 22 janvier 1993 relatif aux conditions hygiéniques et sanitaires de production, de mise sur le marché et d'échanges de produits
à base de viande. Journal Officiel de la République Française du 16
mars 1993, 4083-4094.
2. — Arrêté du 09 mai 1995 réglementant l’hygiène des aliments remis
directement au consommateur. Journal Officiel de la République
Française du 16 mai 1995, 8219-8223.
3. — Arrêté du 29 septembre 1997 fixant les conditions d’hygiène applicables dans les établissements de restauration collective à caractère
social. Journal Officiel de la République Française du 29 octobre
1997, 15437-15444.
4. — Arrêté du 20 juillet 1998 fixant les conditions techniques et hygiéniques applicables au transport des aliments. Journal Officiel de la
République Française du 06 août 1998, 12044-12051.
5. — Directive n° 93/43/CE du Conseil du 14 juin 1993, relative à l’hygiène des denrées alimentaires. Journal Officiel des Communautés
Européennes du 19 juillet 1993, L 175, 1-11.
6. — ANONYME : Micro-organisms in foods (2) ; Sampling for microbiological analysis, principles and specific applications, 213 pages,
University of Toronto Press Editeur, Toronto, 1974.
7. — ANONYME : Micro-organisms in foods (1) ; Their significance and
methods of enumeration, 434 pages, University of Toronto Press
Editeur, Toronto, 1978.
8. — ANONYME : Denrées alimentaires mélangées ; microbiologie.
Option Qualité, 1996, 136, 4.
9. — ANONYME : La qualité microbiologique des aliments, 563 pages,
Polytechnica Editeur, Paris, 1996.
10. — ANONYME : Démarche H.A.C.C.P. en restauration. Guide pour
l’analyse des dangers, 71 pages, B.P.I. Editeur, Paris, 1998.
11. — BOLNOT F.H. : La méthode H.A.C.C.P. Application au domaine de
la restauration collective. Bull. Soc. Vét. Prat. de France, 1998, 82,
203-228.
12. — BOMBE D., DELEBECQUE O. et LE BA D. : Méthode rapide de
contrôle de la stabilité des produits appertisés par impédancemétrie.
Viandes Prod. Carnés, 1997, 18, 227- 233.
13. — BORNERT G. : Viandes fraîches de boucherie : détermination de la
date limite de consommation. Bull. Soc. Vét. Prat. de France, 1996,
80, 69-81.
14. — BORNERT G. : Les micro-organismes indicateurs de contamination
fécale de l’eau et des aliments. Rev. Méd. Vét., 1998, 149, 727-738.
15. — BORNERT G. : Intérêt pratique des indicateurs de contamination
fécale de l’eau et des aliments. Bull. Soc. Vét. Prat. de France, 1998,
82, 525-540.
16. — BRAILSFORD M. : Real-time microbial analysis of pharmaceutical
water. Microbiology Europe, 1996, 4, 3, 18-20.
17. — CATSARAS M.V. : Principes pour assurer le suivi de la qualité
microbiologique dans les restaurants de collectivité. Bull. Acad. Vét.
de France, 1980, 53, 357-364.
18. — CATSARAS M.V. : Maîtrise microbiologique en restauration collective. Bull. Soc. Vét. Prat. de France, 1997, 81, 233-240.
19. — CORREGE I. : Plan de contrôle microbiologique en viandes de porc;
mieux connaître la qualité hygiénique des produits. Viandes Prod.
Carnés, 1998, 19, 87-92.
20. — COURTEILLE N., FORET J., DOREY F. et MALAS J.P. : Test d’une
nouvelle méthode rapide de détection des Salmonella par PCR :
ProbeliaTM Salmonella sp. Bull. Soc. Vét. Prat. de France, 1997, 81,
405-411.
21. — GARRY P., GENSDARMES F., GONZALEZ R. et VENDEUVRE
J.L. : Étude comparative de différentes techniques de contrôle microbiologique de surface. Bull. Liaison CTSCCV, 1997, 7, 429-433.
22. — GLEDEL J. : Les critères microbiologiques. R.T.V.A., 1981, 166,
24-27.
23. — LEGRAND I. : E.coli O157:H7 et autres E.coli producteurs de vérotoxines : des bactéries mortelles. Viandes Prod. Carnés, 1997, 18,
213-221.
24. — RAY B. : Sublethal injury, bacteriocins and food microbiology. ASM
News, 1993, 59, 285-291.
25. — SAVATIER F. : Les tests bactériologiques rapides se multiplient.
L’usine nouvelle, 1998, 2623, 60-61.
26. — SELLWOOD J. et WYN-JONES P. : Viruses in water ; present knowledge and future opportunities. Microbiology Europe, 1996, 4, 10-16.
27. — STAÏNER F. : Hygiène des aliments ; comment la «nouvelle
approche» s’inscrit dans les textes réglementaires. Rev. Gén. Froid,
1998, 987, 59-64.
28. — TOURATIER L., BOIREAU P., DUPOUY-CAMET J. et PAGES J.P. :
La Trichinellose du cheval et son importance en Santé Publique
Vétérinaire. Faits et conséquences. Bull. Soc. Vét. Prat. de France,
1999, 83, 223-264.
Revue Méd. Vét., 2000, 151, 8-9, 805-812
Téléchargement