DOSSIER Hémorragie de la délivrance (1re partie) Conduite médicale à tenir en cas d’hémorragie du post-partum Medical management of postpartum haemorrhage M. Dreyfus*, P. Lefevre* U * Gynécologie obstétrique et médecine de la reproduction, CHRU de Caen, avenue de la Côte-de-Nacre, 14033 Caen Cedex 9. ne fois le diagnostic d’hémorragie du post-partum (HPP) posé, quelles sont les premières mesures à prendre ? Les recommandations pour la pratique clinique publiées par le CNGOF en 2004 (1), notre référence ici, comportent la description des différentes étapes : diagnostic, appréciation de la gravité, communication entre les acteurs, gestes immédiats et premières thérapeutiques (2), en esquissant les grands principes de la prise en charge anesthésique de première ligne (3). Puis, nous aborderons la question du traitement médical de seconde ligne (4) en laissant de côté l’embolisation et la chirurgie, qui font l’objet de développements spécifiques. • Prévenir tous les intervenants potentiels Diagnostic de l’hémorragie Délivrance effectuée Révision utérine sous anesthésie sans délai (annuaire téléphonique spécifique disponible) • Prise en charge conjointe et simultanée • Mise en place du monitorage Délivrance non effectuée Délivrance artificielle sous anesthésie • Ocytocine 5 à 10 UI i.v. lente puis 20 UI en perfusion pendant 2 heures • Sondage vésical, massage utérin • Examen du col et du vagin si doute • Antibioprophylaxie (pouls, PA, SpO2) • Bonne voie d’abord veineuse • Remplissage (cristalloïdes) • Vérifier le groupe sanguin (et RAI < 3 jours) Si l’hémorragie persiste plus de 15 à 30 mn malgré cette prise en charge initiale, voir la figure 2 Figure 1. Prise en charge initiale d’une hémorragie du post-partum immédiat (2). 16 | La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 L’hémorragie du post-partum peut survenir de façon inopinée et mettre en jeu le pronostic vital. La prise en charge repose sur un diagnostic le plus précoce possible et sur une bonne collaboration entre obstétriciens, sages-femmes, anesthésistes et équipe paramédicale entraînés. L'absence de médecin anesthésiste sur place ainsi qu’un nombre annuel d'accouchements inférieur à 500 constituent deux facteurs indépendants associés à une prise en charge insuffisante (5). Diagnostic et premiers gestes (figure 1) [2] Le diagnostic La qualité de la prise en charge dépend de la précocité du diagnostic et de la rapidité d’action des différents intervenants entre lesquels la communication est fondamentale. Cette action combinée des obstétriciens, sages-femmes et anesthésistes n’est optimale qu’avec l’existence de protocoles connus et régulièrement réactualisés (6). Si la définition classique d’une HPP correspond à des pertes sanguines supérieures à 500 ml, de nombreux auteurs ont montré que le retentissement sur l’état maternel n’était réel que pour une hémorragie supérieure à 1 000 ml. Lors d’une césarienne, l’hémorragie est dite significative si les pertes dépassent 1 000 ml. En fait, ces définitions très livresques ne correspondent pas à la réalité. La définition “pratique” correspond plutôt à la reconnaissance et au diagnostic réel d’HPP. Classiquement, ce diagnostic est posé de façon subjective lorsque la personne ayant en Mots-clés Ocytociques Prostaglandines Évaluation Keywords Ocytocin Prostaglandins Assessment Références bibliographiques 1. Recommandations pour la pratique clinique - Hémorragies du post-partum immédiat. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004: volume 4S1-136. 2. Dreyfus M, Beucher G, Mignon A, Langer B. Prise en charge obstétricale initiale en cas d’hémorragie du post-partum. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004;33(Suppl.8): 4S57-64. 3. Mignon A, Dreyfus M, Ozier Y. Prise en charge initiale par l’anesthésiste en cas d’hémorragie du post-partum. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004;33(Suppl.8): 4S65-4S72. 4. Langer B, Boudier E, Haberstich R, Dreyfus M. Prise en charge obstétricale en cas d’hémorragie du post-partum qui persiste malgré les mesures initiales ou qui est grave d’emblée. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004;33(Suppl.8):4S73-4S79. 5. The management of postpartum haemorrhage. Scottish Executive Committee of the RCOG. Scottish Obstetric Guidelines and Audit Project. Scottish Programme for Clinical Effectiveness in Reproductive Health. June 1998. www.show. scot.nhs.uk/spcerh. 6. Rizvi F, Mackey R, Barrett T, McKenna P, Geary M. Successful reduction of massive postpartum haemorrhage by use of guidelines and staff education. Br J Obstet Gynaecol 2004;111:495-8. 7. Descargues G, Pitette P, Gravier A, Roman H, Lemoine JP, Marpeau L. Les hémorragies non diagnostiquées du post-partum. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2001;30:590-600. 8. Razvi K, Chua S, Arulkumaran S, Ratnam SS. A comparison between visual estimation and laboratory determination of blood loss during the third stage of labour. Aust N Z J Obstet Gynaecol 1996;36:152-4. 9. Tourné G, Collet F, Lasnier P, Seffert P. Intérêt de l’utilisation d’un sac de recueil dans le diagnostic des hémorragies de la délivrance. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2004;33:229-34. Résumé La prise en charge adéquate d’une hémorragie du post-partum (HPP) nécessite la connaissance parfaite d’un protocole régulièrement réactualisé et accessible à tout moment, ainsi qu’une dotation suffisante en équipement adapté et en personnel. Le temps initial comporte la détection rapide de l’hémorragie, facilitée par la mise en place de sacs de recueil placés après l’expulsion fœtale. Dès le diagnostic, sa communication doit être immédiate à tous les intervenants potentiels (obstétriciens, sages-femmes, anesthésistes), la prise en charge optimale étant multidisciplinaire. La cause des saignements doit être recherchée sans délai. La palpation abdominale détecte l’atonie utérine, cause la plus fréquente d’HPP. Dès le diagnostic, deux attitudes sont possibles : délivrance artificielle ou révision utérine. D’autres origines évidentes peuvent être exclues : épisiotomie ou plaie de la filière génitale, trouble de la coagulation et thrombus vulvovaginal. Parallèlement, l’emploi d’utérotoniques est indispensable. Les ocytociques en intraveineux direct sont les plus utilisés. En parallèle à cette prise en charge obstétricale immédiate, les premiers gestes de réanimation doivent être effectués. Trente minutes après le diagnostic d’HPP, si les premières mesures thérapeutiques se sont révélées inefficaces, il faut débuter sans retard une perfusion de sulprostone. Néanmoins, après 30 mn de perfusion sans amélioration ou si la situation s’aggrave, il faut envisager d’autres stratégies thérapeutiques (embolisation, chirurgie). L’utilisation du misoprostol en intrarectal n’est pas validée en curatif. charge la surveillance de l’accouchée dans les instants qui suivent la naissance, habituellement la sage-femme, constate des pertes sanguines plus abondantes que la normale. Cette appréciation visuelle sous-estime généralement les pertes (7). Un autre travail prospectif a comparé l’estimation visuelle des pertes avec leur quantification biologique. L’estimation visuelle surestimait les pertes inférieures à 100 ml et sous-estimait les pertes supérieures à 300 ml. Seule une des 9 HPP (> 500 ml) avait été diagnostiquée visuellement (8). Un travail français a démontré la valeur du sac de recueil sous-fessier en tant que moyen de diagnostic des hémorragies de la délivrance en salle d’accouchement (9). Les auteurs ont étudié de façon prospective 253 patientes accouchant par les voies naturelles après 37 semaines d’aménorrhée. Ils ont comparé les taux d’hémoglobine et d’hématocrite à l’admission en salle de travail avec ceux mesurés au troisième jour du post-partum. La médiane des pertes était de 190 ml. La chute du taux d’hématocrite était en moyenne de 2,7 ± 4 g/dl et celle du taux d’hémoglobine de 1,2 ± 1,4 g/dl. Les auteurs concluaient que les sacs gradués installés immédiatement après la naissance permettaient une quantification précise et efficace des pertes sanguines (9). Une communication immédiate Le premier intervenant, le plus souvent la sagefemme, doit impérativement s’assurer de l’arrivée la plus rapide possible de l’obstétricien et de l’équipe d’anesthésie. Une information aussi rapide que claire doit être apportée à la patiente et/ou à son conjoint, selon la situation clinique. L’évaluation de l’état clinique de la patiente (pouls, pression artérielle) est conduite parallèlement à la mise en route des premières mesures de réanimation. Dès le début de la prise en charge, il est fondamental de noter l’horaire du diagnostic de l’hémorragie (T0), car les actions entreprises sont chronophages et les délais de réponse aux différents traitements peuvent influer sur les stratégies thérapeutiques. Une feuille de surveillance simple comportant les différentes phases de la prise en charge et le recueil des constantes sera débutée et complétée ultérieurement. La phase initiale de la prise en charge des HPP ne devrait pas dépasser 30 minutes à partir de T0. 18 | La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 Des mesures immédiates Avant d’agir sur l’utérus, il faut éliminer une cause évidente de saignement, l’épisiotomie, parfois négligée et responsable de pertes importantes après l’accouchement (hémostase rapide par une pince avant la suture). L’observation des pertes (absence de caillots) évoque un trouble sévère de la coagulation. Une délivrance naturelle exige la normalité des quatre mécanismes suivants : la coagulation, l’insertion placentaire, la dynamique utérine et la vacuité utérine. Les rétentions placentaires et les atonies utérines étant les principales causes d’HPP, la prise en charge initiale doit traiter les anomalies ayant trait à ces deux facteurs. ➤➤ Si la délivrance n’a pas eu lieu, une délivrance artificielle doit être réalisée le plus rapidement possible. Parfois, il n’existe aucun plan de clivage : le diagnostic de placenta accreta sera alors évoqué. La délivrance sera menée selon les règles de l’art, avec une parfaite asepsie et après vidange vésicale. Le plus souvent, le geste est effectué par l’obstétricien, averti par la sage-femme dès le diagnostic. Toutefois, en cas d’urgence vitale, la sage-femme procédera elle-même directement ; à défaut, l’abstention pourrait être interprétée comme une non-assistance à personne en danger. Ce geste se fait sous anesthésie locorégionale si ce mode d’analgésie est utilisé ou sous anesthésie générale dans le cas contraire. En l’absence d’anesthésiste, l’urgence vitale prime et le geste pourra être effectué exceptionnellement sans anesthésie, d’autant plus facilement qu’il intervient rapidement après l’accouchement. ➤➤ Si l’hémorragie survient alors que la délivrance a déjà eu lieu, une révision utérine doit toujours être effectuée pour s’assurer de la vacuité utérine, de l’absence de rétention placentaire méconnue et de l’intégrité de la cavité utérine pour exclure une rupture utérine, diagnostic d’autant plus évoqué si la patiente avait un utérus cicatriciel. Si ce geste endo-utérin doit toujours être effectué pour faciliter la contraction utérine, sa répétition éventuelle ne doit pas retarder la prise en charge adaptée à la gravité de la situation. Le plus souvent, une seule révision utérine suffit à s’assurer de la vacuité utérine. Dans le même temps, un massage intense et constant du DOSSIER fond utérin doit être effectué par la main abdominale de l’opérateur. Ce massage permet d’obtenir une rétraction utérine et un globe de sécurité. Il ne doit en aucun cas être interrompu précocement. De façon concomitante, une injection d’utérotoniques doit être effectuée. Dans certains cas, une compression bimanuelle peut être efficace : la main vaginale refoule le corps utérin contre la main abdominale qui empaume le fond utérin, permettant de plaquer une paroi utérine contre l’autre. ➤➤ Parmi les complications des gestes endo-utérins, la principale est l’endométrite. Une étude rétrospective de 14 années portant sur 25 687 femmes ayant accouché comparait 1 052 délivrances artificielles à 1 085 contrôles. L’odds-ratio (OR) était de 2,9 (IC95 : 1,7-4,9) après ajustement. Dans le sous-groupe des délivrances artificielles effectuées pour hémorragie (n = 71), la fréquence d’endométrite était de 5,6 % contre 1,8 % dans le groupe contrôle (OR = 3,2 ; IC95 : 0,9-9, NS) [10]. Dans une série plus récente, le taux d’endométrite était de 3,5 % après délivrance artificielle (n = 114) versus 0,9 % pour les contrôles (n = 113), différence non significative. Les auteurs constataient que la majorité des femmes délivrées artificiellement avait pourtant bénéficié d’une antibiothérapie (11). Si la littérature n’apporte pas de réponse sur la nécessité de couvrir un geste endo-utérin pendant une délivrance artificielle, la conclusion de cette étude montre que l’association à une anémie accroît le risque infectieux et qu’il semble logique d’envisager systématiquement une antibioprophylaxie à large spectre. Persistance des saignements Après s’être assuré de la vacuité utérine (surveillance de la hauteur utérine) et de l’absence de rupture utérine, l’examen de la filière génitale doit être effectué au moindre doute à l’aide de valves, sous anesthésie et avec l’aide d’un assistant. Pour certains, cet examen est systématique. Pour d’autres, il sera exécuté si l’accouchement a été traumatique (avec ou sans extraction instrumentale), s’il a été particulièrement rapide, s’il s’agissait de l’accouchement d’un macrosome ou si la suture de l’épisiotomie était difficile. L’inspection de la filière génitale permet de diagnostiquer jusqu’à 9 % des causes d’HPP (6) et de proposer le traitement chirurgical des déchirures vaginales et/ou cervicales à l’origine de saignements abondants méconnus lors de la révision utérine. Ces déchirures sont responsables de 20 % des transfusions (12). À ce stade, l’existence d’un thrombus vulvo-vaginal peut être découverte. Son traitement doit être immédiat (embolisation et/ou chirurgie). Les utérotoniques Références bibliographiques Aucune étude rigoureuse, randomisée ou non, n’a permis de déterminer quel était l’utérotonique de choix, sa dose et sa durée d’utilisation optimale. En France, l’ocytocine est la molécule la plus utilisée en première intention. 10. Ely JW, Rijhsinghani A, Bowdler NC, Dawson JD. The association between manual removal of the placenta and postpartum endometritis following vaginal delivery. Obstet Gynecol 1995;86:1002-6. 11. Titiz H, Wallace A, Voaklander DC. Manual removal of the placenta: a case control study. Aust N Z J Obstet Gynaecol 2001;41:41-4. 12. Goffinet F, Haddad B, Carbonne B, Sebban E, Papiernik E, Cabrol D. Utilisation pratique du sulprostone dans le traitement des hémorragies de la délivrance. J Gynecol Obstet Biol Reprod 1995;24:209-16. 13. Goffinet F. Hémorragies de la délivrance. Gynécol Obstet Fertil 2000;28:141-51. 14. Gabriel R, Harika G, Napoleone C, Palot M, Quereux C, Wahl P. Hémorragies de la délivrance. In : Mises à jour du Collège national des gynécologues obstétriciens de France. Vigot ed., Paris, 1994:205-27. 15. Mousa HA, Alfirevic Z. Treatment for primary postpartum haemorrhage. Cochrane Database Syst Rev 2003;(1):CD003249. 16. Lokugamage AU, Sullivan KR, Niculescu I et al. A randomized study comparing rectally administered misoprostol versus Syntometrine combined with an oxytocin infusion for the cessation of primary post partum hemorrhage. Acta Obstet Gynecol Scand 2001;80:835-9. 17. Winikoff B, Dabash R, Durocher J et al. Treatment of post-partum haemorrhage with sublingual misoprostol versus oxytocin in women not exposed to oxytocin during labour: a double-blind, randomised, non-inferiority trial. Lancet on line 2010;6736(09)61924-3. 18. Sarna MC, Soni AK, Gomez M, Oriol NE. Intravenous oxytocin in patients undergoing elective cesarean section. Anesth Analg 1997;86:753-6. 19. Fuchs AR, Husslein P, Sumulong L, Fuchs F. The origin of circulating 13,14-dihydro-15-keto-prostaglandin F2alpha during delivery. Prostaglandins 1982;24:715-22. 20. Takagi S, Yoshida T, Togo Y et al. The effects of intramyometrial injection of prostaglandin F2 on severe post-partum hemorrhage. Prostaglandins 1976;12:565-79. 21. Sarkar PK, Mamo J. Successful control of atonic primary postpartum haemorrhage and prevention of hysterectomy, using i.v. prostaglandin E2a. BJCP 1990;44: 756-7. 22. Phuapradit W, Saropala N, Rangsipragarn R. Treament of atonic postpartum hemorrhage with a prostaglandin E2 analogue. J Med Assoc Thai 1993;76:303-7. ◆◆ Les ocytociques L’ocytocine, analogue synthétique de l’ocytocine post-hypophysaire, agit sur des récepteurs utérins spécifiques. Son action est quasi immédiate et dure près d’une heure. Ce médicament n’a pas de contreindications. Pour des doses supérieures à 80 UI, non utilisées en clinique, il peut avoir un effet antidiurétique et une saturation des récepteurs peut survenir, à l’origine d’une atonie secondaire. Il est totalement impossible et illusoire de vouloir décrire tous les modes d’administration de ces molécules (intraveineuse lente de 5 UI ou de 5 à 10 UI) [13]. Certains auteurs contre-indiquent l’utilisation des ocytociques par voie intraveineuse directe en raison du risque hypotenseur potentiel (14). Ce risque d’hypotension ou de choc est décrit depuis de longues années (15). Pour ces auteurs, seule l’utilisation en perfusion doit être préconisée (10 à 20 UI dans 500 ml de Ringer ou de sérum glucosé ou dans 1 000 ml de Ringer) [14], ce qui éviterait l’effet hypotenseur. Aucune de ces études n’est randomisée : il s’agit uniquement de conduites personnelles rapportées par les investigateurs. Les doses maximales ne doivent pas dépasser 30 à 40 UI. L’intérêt d’une perfusion d’entretien n’a pas été démontré, bien que la plupart des publications décrivent cette pratique. L’injection intramyométriale n’est pas conseillée et retarde l’utilisation en seconde intention de thérapeutiques plus appropriées telles que les prostaglandines. Quelle que soit la voie d’utilisation, après 15 à 30 mn d’inefficacité de cette thérapeutique, les traitements de seconde intention doivent être envisagés. ◆◆ Les dérivés de l’ergot de seigle Ils ne devraient plus être utilisés car ils ne sont pas plus efficaces que l’ocytocine et retardent l’utilisation des traitements de seconde intention. Ils agissent sur les récepteurs alpha-adrénergiques du myomètre ; leur action commence entre 2 et 5 mn et se poursuit pendant 4 à 6 heures (13). Ces thérapeutiques sont contre-indiquées chez les patientes hypertendues, chez celles prsentant une pathologie cardiaque ou coronarienne, ou en association avec des macrolides. Leur utilisation ne doit se concevoir qu’en intramusculaire. La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 | 19 DOSSIER Hémorragie de la délivrance (1re partie) Références bibliographiques 23. Kilpatrick AWA, Thorburn J. Severe hypotension due to intramyometrial injection of prostaglandin E2. Anaesthesia 1990;45: 848-9. 24. 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Surg Gynecol Obstet 1989;169:543-5. ◆◆ Les prostaglandines Il s’agit de décrire ici leur utilisation, exceptionnelle, en traitement curatif de première intention en alternative à l’ocytocine (15), et non en préventif ou en traitement de seconde intention dans les hémorragies persistantes. Ces molécules ont l’avantage d’agir sur le myomètre de façon plus précoce et plus rapide que les autres utérotoniques. Le misoprostol, analogue de synthèse des prostaglandines E1, a montré des avantages sur les autres prostaglandines du fait de l’absence de contre-indications et de ses voies d’administration plus aisées (orale ou rectale). La première étude randomisée sur le sujet a comparé l’utilisation de Syntométrine® en intramusculaire suivie d’une perfusion de 10 UI d’ocytocine dans 500 ml de sérum salé, à l’utilisation de 800 µg de misoprostol administrés par voie intrarectale (16). Cette étude sud-africaine a inclus 32 patientes dans chaque groupe. Les auteurs ont montré une réduction de 28 % des HPP dans le groupe misoprostol (p = 0,01). Le biais majeur concernant cette étude de très faible puissance est qu’elle n’a pas été réalisée en double aveugle, les obstétriciens connaissant les drogues utilisées. Un autre biais correspond aux critères de jugement, puisque les pertes n’étaient pas quantifiées et que les taux d’hémoglobine n’étaient pas connus. En janvier 2010, le Lancet publiait une étude randomisée comparant le misoprostol per os et les ocytociques (étude réalisée dans les pays en développement). Bien que les résultats restent en faveur de l’ocytocine pour traiter l’HPP, les auteurs concluent qu’en l’absence de cette molécule, on obtient des résultats peu différents avec le misoprostol (différence de 6 %) en première intention (critères de jugement : durée et pertes > 300 ml après diagnostic) [17]. Autres situations Les césariennes La fermeture rapide de l’hystérotomie et la réparation des déchirures limitent les pertes sanguines. La dose optimale d’ocytociques à injecter n’a pas été définie, mais une étude comparant quatre doses de bolus n’a pas montré de différence entre les taux d’atonie utérine identifiée par l’échelle analogique : 5 UI pour la dose la plus faible et 10 à 20 UI pour les doses supérieures (18). Le massage du fond utérin associé à l’injection de 5 à 10 UI d’ocytocine par voie intraveineuse lente arrête souvent les saignements persistants. Si l’hémorragie se poursuit à ventre 20 | La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 ouvert ou reprend lorsque la paroi abdominale est déjà suturée, le recours à une thérapeutique mieux adaptée (médicamenteuse, radiologique ou chirurgicale) est nécessaire. Les hémorragies incoercibles La prise en charge doit être rapide et immédiate. Elle doit être multidisciplinaire et le nombre d’intervenants doit être suffisant. Un bilan biologique de départ (numération, coagulation…) est indispensable et les mesures de réanimation seront adaptées à l’état maternel. Après un contrôle systématique de la vacuité utérine et de la filière génitale, les thérapeutiques seront choisies en fonction de la sévérité de l’hémorragie. Si les ocytociques sont insuffisants, les prostaglandines (sulprostone) peuvent enrayer une atonie utérine. Devant l’échec de ces traitements, qui seront instaurés bien avant les 30 minutes théoriques et après avoir éliminé une rupture ou un trouble primitif de la coagulation, une radiologie interventionnelle ou une chirurgie sera entreprise. Prise en charge d’une hémorragie persistante ou grave d’emblée (figure 2) [4] Avant d’envisager l’embolisation ou en attendant la chirurgie, différentes thérapeutiques ont été proposées pour traiter les situations d’HPP si l’hémorragie persiste. Parmi elles, la perfusion de sulprostone en i.v. est un traitement efficace, à condition de la mettre en place à temps. Les prostaglandines La concentration en prostaglandines endogènes présente un pic au moment de la délivrance, en rapport avec le développement de la rétraction utérine (19). Sur le plan clinique, leur action est plus puissante et plus précoce que celle de l’ocytocine (12). Trois molécules ont été proposées pour le traitement de l’atonie utérine. ◆◆ La PgF2α Takagi et al. ont comparé l’effet d’injections intramyométriales de PgF2α à son administration par voie systémique dans le traitement des HPP (20). La voie intramyométriale paraissait plus efficace en termes de rapidité d’obtention d’une contraction utérine continue et de quantité de pertes de sang DOSSIER après 2 heures. Mais cette molécule a une courte durée d’action nécessitant la répétition des doses et de nombreux effets indésirables. ◆◆ La sulprostone En France, la sulprostone (Nalador®) est la prostaglandine la plus utilisée pour le traitement des HPP sévères (12). Les premières séries publiées ont montré une très bonne efficacité avec très peu d’effets indésirables, mais elles portaient sur de faibles effectifs (21, 22). Par la suite, ces voies d’administration ont été contre-indiquées du fait d’arrêts cardiaques liés au pic plasmatique survenu après injection intramusculaire ou intramyométriale (23). À la lecture du Corporate Core Text, on apprend que l’HPP par atonie utérine est une indication de la sulprostone dans 18 des 23 pays où elle est commercialisée (24). Cela a participé à l’obtention de l’AMM en France pour cette molécule dans le traitement des HPP (24). Goffinet et al. ont rapporté une série de 91 cas et citent une étude de Gödicke et al. portant sur 87 cas traités par voie i.v. (12). Ils décrivent une efficacité de 89 % ; dans 11 % des cas, une transfusion sanguine et/ou une hystérectomie d’hémostase ont été nécessaires. Dans 71 % des cas, 1 à 2 ampoules ont suffi. Le débit moyen était de 2,1 à 2,9 µg/mn. Parmi les effets indésirables, 11 % des patientes ont présenté une hyperthermie à plus de 39° C. Dans 5,5 % des cas, on a observé des diarrhées, des vomissements ou des douleurs utérines. Parmi les 10 échecs, 6 patientes présentaient en plus de l’atonie une autre cause d’hémorragie (prééclampsie, placenta praevia, déchirure cervico-isthmique…). Le résultat majeur était que le risque d’échec était accru lorsque le délai de prescription de la sulprostone était supérieur à 30 mn (OR = 8,3 ; IC95 : 2,2-31,7). Pour être le plus efficace possible et entraîner le moins d’effets indésirables graves, ce traitement doit donc être initié dans les 30 mn suivant le diagnostic (12). En pratique, il faut diluer une ampoule de 500 µg de sulprostone dans 50 ml de sérum physiologique pour pouvoir l’administrer avec un pousse-seringue sans poursuivre la perfusion d’ocytocine. Selon l’AMM, la sulprostone doit être perfusée en i.v. stricte à la seringue électrique, à un débit continu de 8,3 µg/mn de façon à ne pas dépasser une ampoule en 1 heure. Actuellement, il est recommandé de débuter la perfusion plus prudemment, avec un débit de 1,7 µg/mn (10 ml/heure), et de n’augmenter que si nécessaire sans dépasser 8,3 µg/mn (50 ml/heure). En règle générale, un débit de 20 ml/heure permet de traiter la plupart des situations. Une fois l’hémor- Prévenir tous les intervenants sans délai Prise en charge conjointe et simultanée • Révision col/vagin si voie basse et si non réalisée auparavant • Sulprostone : 100 à 500 µg/h par voie i.v. + relais par ocytocine 10 à 20 UI en perfusion dans les 2 heures Persistance de l‘hémorragie plus de 30 mn sous sulprostone • Radiologie interventionnelle accessible • État hémodynamique • Pose d’une 2 e voie veineuse • Prélèvement sanguin : NFS plaquettes, TP, TCA, fibrinogène • Surveillance : scope, TA régulière, oxymétrie de pouls, sondage vésical à demeure • Remplissage (colloïdes), oxygénation • Prévenir le site transfusionnel et commander si nécessaire des CG et PFC • Si hémodynamique instable : traitement de choc Non stable EMBOLISATION ARTÉRIELLE Indication préférentielle dans l'accouchement par voie basse et la lésion cervico-vaginale CHIRURGIE Échec • Ligatures vasculaires ± hystérectomie • Indication préférentielle au cours d’une césarienne NFS : numération formule sanguine. TP : taux de prothrombine. TCA : temps de céphaline activé. CG : culot globulaire. PFC : plasma frais congelé. Figure 2. Prise en charge d’une HPP persistante au-delà de 15 à 30 mn (4). ragie contrôlée, le débit sera maintenu ou diminué à 1,7 µg/mn jusqu’à la fin de l’ampoule. Habituellement, une seule ampoule suffit. Au maximum, on peut administrer 3 ampoules. Par la suite, un relais sera systématiquement réalisé avec une perfusion d’ocytocine (10-20 UI dans un sérum glucosé à 5 % à passer en 6 heures). Il est impossible de donner un délai pour l’efficacité de ce traitement, car il dépend de l’importance de l’hémorragie, de l’état clinique de la patiente et des moyens mis en œuvre pour la réanimer. Cependant, en l’absence d’amélioration après 30 mn de perfusion de sulprostone ou en cas d’aggravation, il faut envisager d’autres solutions (embolisation, chirurgie). Les contre-indications les plus fréquentes sont notamment l’asthme, la bronchite spastique, les affections cardio-vasculaires (angine de poitrine, maladie de Raynaud, troubles du rythme, insuffisance cardiaque, HTA) et les antécédents thromboemboliques. Toutefois, les HPP étant des urgences vitales, il faut soigneusement évaluer le rapport bénéfice/risque de ce traitement. Entre 1982 et avril 2000, moins de 200 effets indésirables ont été rapportés pour 1,4 million de patientes traitées (24). Certains effets peu sévères ont été décrits : nausées, vomissements, spasmes abdominaux, diarrhées, plus rarement obnubilation ou céphalées et, dans des cas isolés ou chez les sujets prédisposés, une bronchoconstriction (surveillance accrue chez les grands fumeurs). Des accidents cardiovasculaires graves (arrêt cardiaque, angor) ont été Références bibliographiques 36. Maier RC. Control of postpartum hemorrhage with uterine packing. Am J Obstet Gynecol 1993;169:317-21. 37. Kastesmark M, Brown R, Raju KS. Successful use of a Sengstaken-Blakemore tube to control massive postpartum haemorrhage. Br J Obstet Gynaecol 1994;101:259-60. 38. Condous GS, Arulkumaran S, Symonds I, Chapman R, Sinha A, Razvi K. The “tamponade test” in the management of massive postpartum hemorrhage. Obstet Gynecol 2003;101:767-72. 39. Johanson R, Kumar M, Obhrai M, Young P. Management of massive postpartum haemorrhage: use of a hydrostatic balloon catheter to avoid laparotomy. Br J Obstet Gynaecol 2001;108:420-2. 40. Combs CA, Murphy EL, Laros RK Jr. Factors associated with postpartum hemorrhage with vaginal birth. Obstet Gynecol 1991;77:69-76. 41. McNulty SE, Torjman M, Grodecki W, Marr A, Schieren H. A comparison of four bedside methods of hemoglobin assessment during cardiac surgery. Anesth Analg 1995;81:1197-202. 42. Recommandations de Pratique Clinique SFAR 1997 : hypovolémie au bloc opératoire. Ann Fr Anesth Réanim 1997;16:8-14. La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 | 21 DOSSIER Hémorragie de la délivrance (1re partie) Références bibliographiques 43. Wilkes MM, Navickis RJ. Patient survival after human albumin administration. A meta-analysis of randomized, controlled trials. Ann Intern Med 2001;135:149-64. 44. Weiskopf RB, Kramer JH, Viele M et al. Acute severe isovolemic anemia impairs cognitive function and memory in humans. Anesthesiology 2000;92:1646-52. 45. Searle E, Pavord S, Alfirevic Z. Recombinant factor VIIa and other pro-haemostatic therapies in primary postpartum haemorrhage. Best Pract Res Clin Obstet Gynaecol 2008;22:1075-88. 46. Audureau E, Deneux-Tharaux C, Lefèvre P et al. Practices for prevention, diagnosis, and management of postpartum haemorrhage: impact of a regional multifaceted intervention . BJOG 2009;116:1325-33. 47. Lefèvre P, Brucato S, Mayaud A et al. Évaluation de la mise en place d’une prise en charge régionale des hémorragies du postpartum par un audit des cas graves : étude avant-après (2002-2005). J Gynecol Obstet Biol Reprod 2009;38:209-19. 48. Deneux-Tharaux C, Dreyfus M, Goffinet F et al. Politiques de prévention et de prise en charge précoce de l’hémorragie du post-partum immédiat dans six réseaux de maternités françaises. J Gynecol Obstet Biol Reprod 2008;37:237-45. 49. Winter C, Mac Farlane A, Deneux-Tharaux C et al. Variations in policies for management of the third stage of labour and the immediate management of postpartum haemorrhage in Europe. Bjog 2007; 114:845-54. 50. Brace V, Kernaghan D, Penney G. Learning from adverse clinical outcomes: major obstetric haemorrhage in Scotland, 2003-2005. Bjog 2007;114:1388-96. 51. Cameron CA, Roberts CL, Bell J, Fischer W. Getting an evidencebased post-partum haemorrhage policy into practice. Aust NZJ Obstet Gynaecol 2007;47:169-75. 52. Foy R, Penney G, Greer I. The impact of national clinical guidelines on obstetricians in Scotland. Health Bull 2001;59:364-72. rapportés. De Koning et al. ont rapporté une ischémie sévère du membre supérieur alors que la sulprostone avait été perfusée par voie i.v. ; le vasospasme était vraisemblablement lié à une infusion sous-cutanée accidentelle (25). Léone et al. ont rapporté un arrêt cardiaque après perfusion par voie i.v. de 500 µg de sulprostone chez une patiente en collapsus après une HPP (26). Bayoumeu et al. ont décrit une douleur angineuse après administration i.v. de sulprostone à un débit de 200 µg/h (27). Une étude observationnelle de 55 patientes présentant une HPP sévère et traitées majoritairement par sulprostone a mis en évidence une ischémie myocardique au cours de la prise en charge (28). Vingt-huit patientes (51 %) présentaient un taux élevé de troponine et 17 (31 %) avaient des signes électrocardiographiques d’infarctus du myocarde. Ni l’administration de sulprostone ni la quantité de sulprostone administrée n’étaient des facteurs de risque significativement corrélés à la survenue d’accidents ischémiques coronariens. Ainsi, l’HPP sévère est sans aucun doute une situation à risque d’accident ischémique coronarien par l’association d’hypotension, de tachycardie et d’anémie grave qu’elle génère. Plusieurs des accidents cardiovasculaires rapportés sont survenus lors d’administration par voie intramusculaire ou intramyométriale, voies d’administration aujourd’hui formellement contre-indiquées (23). Lorsqu’on utilise la sulprostone par voie i.v., la surveillance doit être conjointe avec l’anesthésiste : correction de l’hypotension et de l’anémie, surveillance étroite de tous les paramètres cardio-vasculaires et poursuite de cette surveillance en réanimation. ◆◆ La PgE1 (misoprostol) L’utilisation de misoprostol (Cytotec®) par voie rectale ou intravaginale a été plusieurs fois rapportée (29, 30). L’idée qui prévalait était que cette molécule avait moins d’effets secondaires que la sulprostone, notamment sur le plan cardio-vasculaire. Cette thérapeutique était souvent couronnée de succès, sauf dans la série la plus importante portant sur 41 cas, où le misoprostol seul n’a été efficace que dans 63 % des cas (31). Khan et al. ont étudié la pharmacocinétique du misoprostol administré par voie rectale et par voie orale en post-partum (32). Après 7,5 mn, les taux sériques observés lors de la prise orale étaient plus importants. Par voie rectale, les pics sériques étaient moins importants, mais le délai d’action était prolongé et les effets secondaires étaient moins fréquents. Une étude de très faible qualité méthodologique (cohorte rétrospective, effectifs minimes) a rapporté 22 | La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 une efficacité équivalente entre dérivés de l’ergot de seigle (maléate de méthylergonovine) et prise de misoprostol intrarectal après échec du traitement ocytocique de première intention (33). Notre équipe vient de terminer un programme hospitalier de recherche clinique (PHRC) régional (travail soumis) comparant de façon randomisée en double aveugle misoprostol intrarectal et placebo dans le traitement des hémorragies persistant après traitement initial par ocytociques. Nous n’avons pas montré de bénéfice à utiliser le misoprostol dans cette situation (volume des pertes, nécessité d’utilisation de la sulprostone). À ce jour, il n’existe pas d’arguments pour recommander l’utilisation du misoprostol par voie rectale ou vaginale en substitution de la sulprostone dans le traitement des HPP. ◆◆ L’irrigation intra-utérine par prostaglandines Kupferminc et al. ont rapporté une série de 18 patientes présentant une HPP grave par atonie (34). Sa technique consistait à introduire en intra-utérin une sonde de Foley dont le ballonnet était gonflé avec 5 ml de sérum physiologique. Puis, il infusait par cette sonde une solution saline de 500 ml contenant 20 mg de PgF2α. Chez 17 patientes, l’hémorragie s’est arrêtée après quelques minutes. Cette méthode aurait le gros avantage d’éviter l’administration de prostaglandines par voie générale. Cependant, sur le plan pharmacocinétique, il n’existe pas de preuve quant à l’efficacité de cette voie d’administration. La traction sur le col et la compression utérine manuelle Il s’agit de placer sur les lèvres antérieure et postérieure du col utérin deux pinces pour pouvoir tordre le col utérin par rapport au corps utérin dans le but de réduire le flux sanguin au niveau des artères utérines. La compression bimanuelle associée à un massage continu de l’utérus a également été proposée. Elle peut être réalisée dans un premier temps après la révision utérine ou après la délivrance artificielle en attendant l’effet des diverses thérapeutiques. Ces deux méthodes n’ont cependant fait l’objet d’aucune évaluation. Le tamponnement intra-utérin par méchage, ballon ou sonde Druzin et al. ont rapporté les cas de 4 patientes présentant une HPP sur placenta praevia (dont 2 DOSSIER accreta) résistant à la ligature uni- ou bilatérale des artères utérines (35). Le tamponnement avec de la gaze mis en place par voie abdominale après incision utérine a permis d’arrêter l’hémorragie. Maier et al. ont décrit une série de 9 patientes traitées avec un système (Torpin) permettant d’introduire dans l’utérus une bande de gaze de 4,5 m par voie vaginale (36). Cette gaze a été laissée jusqu’à 4 jours. Chez 2 patientes, ce traitement a échoué, conduisant à une hystérectomie. Par la suite, divers systèmes de compression intrautérine ont remplacé la gaze. Plusieurs auteurs ont eu recours à la sonde de Sengstaken-Blakemore, utilisée en gastro-entérologie pour traiter les hémorragies digestives (37, 38). Cette sonde peut être remplie avec 300 ml de sérum salé. Dans une série de 16 patientes présentant une hémorragie persistante, le tamponnement a été efficace chez 14 d’entre elles, 2 ayant dû subir un geste chirurgical en raison d’un placenta praevia (38). Johanson et al. ont proposé une sonde à ballonnet, utilisée en urologie (sonde de Rüsch), qui peut être gonflée jusqu’à 400-500 ml (39). Prise en charge par l’anesthésiste (3) Nous traitons ici de la prise en charge de l’HPP par l’anesthésiste, depuis les premières mesures jusqu’à l’échec des thérapeutiques médicamenteuses utérotoniques de première ligne. Notons que ce propos repose toutefois principalement sur des études de faible niveau de preuve. Il est parfois difficile de poser à temps le diagnostic d’HPP, d’où un retard à la prise en charge qui grève le pronostic maternel. Il est donc indispensable de travailler par anticipation et ne pas hésiter à traiter énergiquement sur une simple suspicion, parfois de manière exagérée a posteriori. Les étapes ultérieures du traitement seront largement influencées par la composante temps. Une fois détectée, l’HPP doit être surveillée et traitée selon un algorithme défini au préalable par les différents acteurs en charge (obstétriciens, anesthésistes). Aux premiers les gestes diagnostiques et thérapeutiques, aux seconds le soin de permettre le plus vite possible et dans les meilleures conditions de sécurité la réalisation de ces gestes (par des techniques anesthésiques adaptées à l’état hémodynamique), tout en corrigeant l’hypovolémie, l’anémie, les troubles possibles de l’hémostase, et en anticipant les différentes étapes ultérieures (transfert pour embolisation ou gestes chirurgicaux). Le diagnostic clinique et biologique La surveillance des parturientes dans les minutes qui suivent la naissance est un point capital qui fait parfois défaut. Un accord professionnel établit qu’une parturiente ne doit pas être laissée seule dans les deux premières heures suivant l’accouchement. Le monitorage non invasif peut permettre à lui seul de détecter l’hypovolémie secondaire à l’HPP. Ainsi, tachycardie, malaise, hypotension sévère ou réfractaire au remplissage signent l’hypovolémie en cours d’installation. Ces éléments simples de monitorage peuvent cependant être pris en défaut, en particulier en l’absence d’anesthésie locorégionale. Toute hypotension artérielle persistant malgré un remplissage, ou récidivant après la réalisation d’une expansion volémique, ou nécessitant l’emploi de faibles doses de sympathomimétiques comme l’éphédrine, est jusqu’à preuve du contraire un signe d’hémorragie, devant faire évoquer des saignements non extériorisés (rupture utérine, thrombus vaginal, utérus distendu et atone). Sur le plan biologique, une chute de plus de 10 % de l’hématocrite ou de plus de 3 g/100 ml d'hémoglobine constitue pour l’ACOG un élément du diagnostic de l’HPP. Néanmoins, ces valeurs peuvent être faussées par la dilution induite par un très grand volume de remplissage, voire une transfusion initiée très rapidement, et/ou par l’absence ou le retard à l’obtention de données biologiques en pratique courante (40). Ainsi, toute maternité doit pouvoir disposer en urgence d’une mesure du taux d’hémoglobine et de tests de coagulation 24 heures sur 24. En attendant les résultats de laboratoire, l’utilisation des appareils de mesure de l’hémoglobine capillaire (type HemoCue®) est impérative en salle de travail. Les résultats sont relativement fiables, à condition de multiplier les prélèvements et de respecter les règles (41). La présence d’anomalies de la coagulation est toujours un signe de gravité. La gravité de l’hémorragie peut donc être appréciée sur un ou plusieurs des critères suivants : saignement extériorisé persistant spontanément ou lors de l’expression utérine ; persistance d’un collapsus malgré une expansion volémique, recours à des sympathomimétiques type éphédrine puis transfusion ; mauvais rendement transfusionnel ; apparition ou aggravation de troubles de l’hémostase. Une fois le diagnostic établi, la présence au minimum de l’obstétricien et d’un aide (sage-femme ou infirmière) est indispensable, et l’horaire du diagnostic de l’HPP (T0) sera soigneusement noté. La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 | 23 DOSSIER Hémorragie de la délivrance (1re partie) La prise en charge initiale Le groupe sanguin et le rhésus sont immédiatement vérifiés, tout comme la présence d’au moins une voie d’abord veineuse fonctionnelle de bon calibre. Une deuxième voie veineuse périphérique de gros calibre peut être posée en cas de voies veineuses de mauvaise qualité, ou en cas d’hémorragie sévère d’emblée. Dans cette situation ou si aucun bilan préalable à l’accouchement n’est disponible, un bilan biologique initial est prélevé, comprenant une numération globulaire et plaquettaire, un bilan d'hémostase simple (TP, TCA, fibrinogène) et une recherche d'agglutinines irrégulières (RAI) si celles-ci ne sont pas à jour. En cas d’HPP massive d’emblée ou survenant chez une patiente présentant une situation à haut risque de transfusion (anomalies d’insertion placentaire, anémie ou troubles de l’hémostase préalables à l’accouchement), la structure transfusionnelle est prévenue. On s’assure de la disponibilité et de la mise en réserve de culots globulaires, en particulier en cas de groupe peu fréquent ou de RAI positives. Au stade initial de l’HPP, le sondage urinaire permanent n’apparaît pas obligatoire. Il peut permettre de maintenir la vacuité vésicale et la surveillance horaire de la diurèse. C’est en cas d’HPP très grave d’emblée ou persistante qu’il doit être envisagé. Le remplissage est commencé le plus souvent sans produits sanguins ; il vise à limiter la diminution aiguë du volume sanguin circulant et à maintenir une pression de perfusion suffisante pour assurer les besoins énergétiques tissulaires. Plusieurs produits (solutions cristalloïdes ou substituts colloïdaux du plasma) sont disponibles. Chacun d’eux a des avantages et des inconvénients. Il n’existe pas d’étude de haut niveau de preuve permettant de privilégier l’un par rapport à l’autre dans le traitement de l’HPP. Dans ces situations, les recommandations pour la pratique clinique (RPC) de la Société française d’anesthésie et de réanimation (1997, www.sfar. org) recommandent les cristalloïdes (Ringer lactate® ou sérum physiologique) lorsque la perte sanguine est estimée à moins de 20% de la masse sanguine. Au-delà ou si la pression artérielle moyenne est d'emblée inférieure à 70 mmHg, l'utilisation combinée de cristalloïdes et de colloïdes est recommandée (42). Il n’y a pas d’indication spécifique de l’albumine dans cette situation (43). La transfusion sanguine n’est pas la règle à la phase initiale de l’hémorragie. L'indication 24 | La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 doit tenir compte avant tout du contrôle ou non de l'hémorragie et du débit de saignement. La transfusion devient incontournable en cas d'hémorragie très importante ou chez une patiente au préalable anémiée, car elle seule est capable de maintenir le transport en oxygène. En situation d'urgence, l'indication transfusionnelle ne repose que partiellement sur le taux d'hémoglobine. Un taux supérieur à 5 g/dl est capable de maintenir un transport de l’oxygène compatible avec l’absence de dysoxie tissulaire chez un sujet sain au préalable (44). Le taux seuil d’hémoglobine avant une transfusion est très influencé par le niveau de remplissage (phénomène d’hémodilution). Il n’est pas exclu à l’avenir que certains facteurs de la coagulation (fibrinogène de synthèse, facteur VIIa recombinant) puissent améliorer la prise en charge des HPP sévères (45). Situation particulière : HPP en cours de césarienne Le risque d’HPP est accru en cas de césarienne. Il convient donc, au moins pour les césariennes électives, de disposer d’une carte de groupe sanguin et de recherche d’agglutinines irrégulières à jour. En cas de césarienne élective à haut risque d’hémorragie prévisible (anomalies d’insertion placentaire), une stratégie particulière doit être mise en place. L’expansion volémique est initiée par cristalloïdes et/ou colloïdes. La persistance d’une hémorragie dans le champ opératoire ou sous le champ (l’anesthésiste doit aussi estimer la possible présence de saignement par voie vaginale) associée à une atonie ne réagissant pas rapidement à l’ocytocine, ou l’installation d’un état hémodynamique instable ou stabilisé grâce à d’importants volumes d’expansion plus ou moins associés à de l’éphédrine, imposent le recours à une thérapeutique plus adaptée (médicamenteuse, radiologique ou chirurgicale). Exemple d’une évaluation régionale de la prise en charge initiale des HPP Nous avons vu jusqu’ici la conduite médicale optimale à tenir dans les HPP. Elle se doit d’être multidisciplinaire. Chaque institution médicale de naissancedoit avoir un protocole de prise en charge adapté à son fonctionnement propre, même si les différentes étapes de la gestion de ces situations critiques doivent toujours être respectées. Les réseaux de périnatalité ont pour mission de superviser l’organisation régionale de cette prise en charge en s’assurant que chaque centre possède un protocole adapté, DOSSIER PROTOCOLE DE L’HÉMORRAGIE DE LA DÉLIVRANCE Bilans à prévoir : vérifier carte groupe sanguin et RAI < 3 jours ACCOUCHEMENT (mise en place systématique d’une poche de recueil) ▾ ▾ Si poche de recueil entre 500 et 1 000 ml ▾ ▾ 5 à10 U d’ocytocine aux épaules systématiquement Appel obstétricien Remplissage : et/ou équipe anes- cristalloïdes (RL) et Sous ALR ou AG thésie (ARE ou IADE) colloïdes (amidon, gélatine) Révision utérine ou délivrance artificielle + 10 U d’ocytocine à 5 mn + 10 U d’ocytocine à 5 mn ☛ ☚ ☚ ☛ Examen sous valves ▾ 30 min ▾ HemoCue® + 1 bilan** Sulprostone* (1 ampoule - seringue électrique) Scope et SpO NFS, plaquettes, ▾ ▾ Contre-indication ▾ Amélioration TP, TCA et 1 h Échec fibrinogène ▾ Sulprostone* - 2 ampoule ▾Stabilité▾ PDF et CS Massage utérin re er 2 e Complexe prothrombinique : facteurs V, X, II ▾ ▾ hémodynamique ? Procédés mécaniques (tractions) Oui ▾ connu et utilisable par tous les intervenants. L’autre préoccupation des réseaux est d’évaluer l’efficacité de cette prise en charge. Nous rapportons l’expérience de la région Basse-Normandie, qui s’est dotée d’un protocole régionale de prise en charge des HPP dès 2003 (avant la publication des RPC nationales). Le protocole, édité sous forme d’affiches plastifiées, a été diffusé dans toutes les maternités de la région sans exception dès février 2004. Ces affiches étaient destinées à être placées en salle d’accouchement et au bloc opératoire (figure 3). Notre région, en collaboration avec l’unité 953 de l’Inserm, a pu évaluer ainsi les pratiques régionales dans cette situation d’urgence. Il s’agissait d’une étude avant-après (étude Sphere 2002/2005) [46] dont l’une des composantes était un audit clinique de tous les cas d’HPP graves (47). Son objectif était d’évaluer la qualité de la prise en charge des HPP graves et la conformité des actes au protocole régional. Un audit clinique a été mis en œuvre portant sur tous les cas d’HPP grave identifiés dans l’ensemble des maternités de la région au cours des années 2002 et 2005. Les HPP étaient considérées comme graves lorsqu’elles étaient associées à un ou plusieurs des événements suivants : transfusion sanguine, embolisation des artères utérines, chirurgie d’hémostase conservatrice ou non, perte d’au moins 4 g/dl d’hémoglobine, décès. Pour tous les cas potentiels ainsi identifiés, l’existence d’une HPP et la conformité à la définition de l’HPP grave définie pour l’étude étaient vérifiées par l’examen du contenu du dossier obstétrical. Tous les cas d’HPP grave ont été analysés, à l’exception de ceux définis a posteriori uniquement par le delta d’hémoglobine. Les cas d’HPP grave inclus ont été rendus anonymes et répartis au hasard entre 10 experts de la région, constitués en 5 binômes anesthésiste-réanimateur/gynécologue obstétricien. La qualité de prise en charge était jugée par les auditeurs selon 4 niveaux : adaptée, insuffisante, inadéquate, non évaluable. Cinq items permettaient de préciser les défauts de la prise en charge : retard au diagnostic, retard aux soins, grande sous-estimation de l’importance de l’HPP, traitement non adapté, défaut d’équipement. En fin de journée, les dossiers sujets à discussion au sein d’un binôme étaient présentés en séance plénière à l’ensemble du groupe d’experts. L’analyse a porté sur la qualité de la prise en charge, la conformité au protocole et le degré de gravité de l’hémorragie, jugée modérée ou extrême sur des arguments cliniques. Pour les deux années, le nombre d’accouchements en Basse-Normandie est resté stable (17 664 en 2002 et 17 722 en 2005). Pour l’année 2002, 143 HPP graves ont été identifiées, contre 152 pour 2005, soit des préva- Non Chirurgie : - Ligatures utérines étagées ou hypogastriques - B-Lynch - Hystérectomie d’hémostase 2e bilan 1h 2e bilan** NFS, plaquettes, TP, TCA et fibrinogène, PDF et CS Complexe prothrombinique : facteurs V, X et II et dosage antithrombine Embolisation Contacter le standard du CHU et demander le radiologue vasculaire interventionnel Joindre le régulateur SAMU qui s’occupera du transport et de l’accueil de la patiente en contactant le médecin anesthésiste réanimateur du pôle tête-cou (nuit et jour), de la réanimation du niveau 6 ou des urgences. Prévenir le gynécologue obstétricien de garde à la maternité du CHU * Préparation sulprostone : utiliser une seringue électrique (100 γ à 500 γ/h en fonction de l’importance, le plus souvent 250 γ en 20 mn et 250 γ en 40 mn). 2e ampoule : 500 γ en 6 à 8 heures. Ne pas dépasser 3 ampoules par 24 heures. Si pas de rétraction utérine favorable à la fin de la première ampoule,penser embolisation. En effet, la seconde ampoule doit maintenir la rétraction et non l’obtenir. ** Conduite à tenir en fonction du bilan : – si hématocrite ≤ 28 % → culots globulaires : – si TP < 50 % ou TCA > 2,5 fois témoin → PFC : 20 ml/kg (facteur V > 30 %) ; – s i plaquettes ≤ 30 000 → 1 unité/10 kg (1 unité = augmentation du nombre de plaquettes de 5 à 10 000/mm3) ; – antithrombine III < 80 % → antithrombine III : 50 unités/kg. Figure 3. Protocole régional de prise en charge des HPP en Basse-Normandie. La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 | 25 DOSSIER Hémorragie de la délivrance (1re partie) Tableau I. Prise en charge globale et selon la voie d’accouchement des HPP graves avant et après la mise en place du protocole régional. Toutes les HPP graves Accouchements par voie basse Césariennes 2002 n = 34 (%) 2005 n = 63 (%) p 2002 n = 23 (%) 2005 n = 41 (%) 2002 n = 11 (%) 2005 n = 22 (%) Délivrance dirigée* 29 (85) 47 (71) NS 18 (78) 28 (68) 11 (100) 19 (86) Heure du diagnostic de l’HPP notée 32 (94) 58 (92) NS 22 (97) 37 (90) 11 (100) 21 (96) Quantification du saignement initial 9 (27) 28 (44) 0,08 5 (22) 21 (51) 4 (36) 8 (36) Atonie utérine Injection d’ocytociques Délai de 15 mn respecté 31 (91) 28 (90) 21 (75) 56 (89) 50 (89) 43 (86) NS NS 20 (87) 18 (90) 12 (67) 36 (88) 33 (92) 28 (84) 11 (100) 10 (91) 9 (90) 20 (91) 17 (85) 15 (88) 16 (70) 29 (71) NS 22 (97) 38 (93) 11 (100) 21 (96) 13 (57) 27 (66) DA.RU ou RU dans les 15 mn Remplissage 33 (97) 59 (94) Examen avec valves si saignement > 20 mn Bilan biologique Délai respecté 33 (97) 20 (61) 58 (92) 38 (66) NS 22 (97) 12 (55) 39 (95) 24 (62) 11 (100) 8 (73) 19 (86) 14 (74) Hémorragie par atonie utérine > 30 min Injection sulprostone Délai < 30 min respecté 27 (79) 24 (89) 11 (46) 45 (71) 40 (89) 28 (70) NS 0,05 16 (70) 13 (81) 4 (31) 28 (68) 26 (93) 17 (65) 11 (100) 11 (100) 7 (64) 17 (77) 14 (82) 11 (79) Transfusion Modalités correctes 30 (88) 29 (97) 58 (92) 47 (81) NS 0,05 21 (91) 21 (100) 38 (93) 31 (82) 9 (82) 8 (89) 20 (91) 16 (80) Embolisation Modalités correctes 12 (35) 12 (100) 16 (25) 15 (94) NS 7 (30) 7 (100) 11 (27) 11 (100) 5 (46) 5 (100) 5 (23) 4 (80) Chirurgie d’hémostase Modalités correctes 7 (21) 7 (100) 21 (33) 19 (91) NS 2 (8) 2 (100) 7 (17) 7 (100) 4 (36) 4 (100) 14 (63) 12 (86 *Administration préventive d’ocytociques, sans indication ni sur le moment du clampage ni sur la traction contrôlée du cordon. Tableau II. Évaluation de la qualité de prise en charge des HPP graves. 2002 n (%) 2005 n (%) p Total HPP graves n = 34 n = 63 0,05 Prise en charge adaptée 21 (62) 48 (76) Prise en charge insuffisante 11 (32) 8 (13) Prise en charge inadéquate 2 (6) 7 (11) Voie basse n = 23 n = 41 Prise en charge adaptée 12 (52) 30 (73) Prise en charge insuffisante 9 (39) 6 (15) Prise en charge inadéquate 2 (9) 5 (12) Césarienne n = 11 n = 22 Prise en charge adaptée 9 (82) 18 (82) Prise en charge insuffisante 2 (18) 2 (9) Prise en charge inadéquate 0 (0) 2 (9) NS NS 26 | La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 lences d’HPP grave de 0,80 % en 2002 et 0,86 % en 2005 (différence non significative). Il n’y avait pas de différence significative de la sévérité, jugée extrême dans 44 % des HPP graves en 2002 contre 38 % en 2005. Aucun décès maternel lié à une HPP n’est survenu durant la période d’étude. Concernant les étiologies, nous n’avons pas mis en évidence d’augmentation du nombre de placentas praevia ou accreta responsables d’HPP graves. La proportion globale d’atonie était stable, légèrement au-dessus de 60 %, mais celle des lésions de la filière génitale responsables d’HPP graves a chuté de plus de 50 % (17,6 % en 2002 et 7,9 % en 2005 ; p = 0,06). Trente-quatre HPP graves ont été auditées en 2002 et 63 en 2005. La qualité de la prise en charge s’est améliorée, avec 32 % de prises en charge jugée insuffisantes en 2002 contre 13 % en 2005 (p < 0,02). Le protocole était bien respecté dans l’ensemble de la région, la plupart des points analysés par l’audit étant conformes au protocole dans près de 90 % des cas en 2005. Cependant, la prise en charge active de la troisième phase du travail était réalisée dans seulement 71 % des cas. Le tableau I rapporte les résultats de l’audit concernant la conformité au protocole régional de la prise en charge des HPP graves avant et après l’intervention. La sulprostone a été instaurée dans les 30 mn suivant le diagnostic d’HPP dans 70 % des cas, soit une augmentation significative de plus de 50 % en 2005. Globalement, la qualité de prise en charge des HPP graves a été significativement améliorée (tableau II), mais, par voie d’accouchement, on n’a pas mis en évidence de différence significative. En 2002, le principal reproche était un retard au diagnostic et/ou aux soins, qui touchait près de 40 % des HPP. En 2005, ce retard n’était noté que pour 12 cas sur 63, soit moins de 20 % des cas. Deux prises en charge ont été jugées inadaptées ou inadéquates (une en 2002 et une en 2005). La qualité globale de prise DOSSIER en charge des HPP graves a progressé entre 2002 et 2005 dans l’ensemble de la région (tableau III), sans différence significative selon la voie d’accouchement. Ni l’administration d’ocytociques, ni leur utilisation dans un délai de 15 mn en cas d’atonie utérine, ni la DA/RU, ni le remplissage, ni l’examen avec valves n’ont progressé significativement. Signalons que l’administration d’ocytociques était déjà largement pratiquée en 2002 (90 %) : les pratiques déclarées en France sont de l’ordre de 80 % (48). Après accouchement par voie basse, la vérification de la vacuité utérine dans les 15 mn qui suivaient le diagnostic d’HPP n’a pas progressé après l’instauration du protocole. Pourtant, dès le diagnostic posé, il s’agit d’un point essentiel de la prise en charge initiale. Des efforts restent à faire pour développer les volets préventifs et diagnostiques de la prise en charge des HPP, en les adaptant aux conditions locales des établissements. L’insuffisance de la délivrance dirigée au sens complet du terme, ou de la quantification des pertes sanguines est-elle à mettre en relation avec une moindre disponibilité du personnel soignant ou avec des problèmes d’organisation ? Il ressort de l’étude que certaines pratiques de prévention et de prise en charge des HPP ont été améliorées, mais de façon très variée selon les aspects considérés du protocole, selon les établissements et selon la voie d’accouchement. Ces disparités pourraient expliquer l’absence d’effet d’une amélioration générale de la prise en charge sur le nombre des HPP graves, qui ont été au contraire mieux dénombrées du fait de l’étude elle-même. En reprenant la littérature, quelques expériences nationales ou régionales ont montré l’intérêt de pratiques partagées, soit sous forme d’audit (49, 50), soit sous forme de questionnaire avec rétroinformation des professionnels participants (51, 52). L’audit participe à l’amélioration des pratiques par une prise de conscience des praticiens. La notion de spécificité locale doit également être prise en considération : une étude australienne relevait en effet que la mise en pratique des recommandations nationales dépendait beaucoup des ressources de chaque unité et qu’il était utopique de vouloir faire appliquer les mêmes recommandations à tous les centres sans tenir compte de leurs capacités en personnel et de leurs structures (51). Cet aspect explique peut-être certaines divergences de pratique entre le CHU de Caen et d’autres sites de naissance de la région, concernant notamment les taux de délivrance dirigée. Nous avions l’impression que Tableau III. évaluation de la qualité de prise en charge des HPP graves au CHU de Caen et dans le reste de la région. CHU Caen Hors CHU 2002 n (%) 2005 n (%) Toutes HPP graves n = 17 n = 20 Prise en charge adaptée 12 (71) 17 (85) Prise en charge insuffisante 4 (24) Prise en charge inadéquate p 2002 n (%) 2005 n (%) n = 17 n = 43 9 (53) 31 (72) 2 (10) 7 (41) 6 (14) 1 (6) 1 (5) 1 (6) 6 (14) Voie basse n = 10 n=9 n = 13 n = 32 Prise en charge adaptée 5 (50) 7 (78) 7 (54) 23 (72) Prise en charge insuffisante 4 (40) 2 (22) 5 (39) 4 (13) Prise en charge inadéquate 1 (10) 0 (0) 1 (8) 5 (16) Césarienne n=7 n = 11 n=4 n = 11 Prise en charge adaptée 7 (100) 10 (91) 2 (50) 8 (73) Prise en charge insuffisante 0 (0) 0 (0) 2 (50) 2 (18) Prise en charge inadéquate 0 (0) 1 (9) 0 (0) 1 (9) NS NS NS p 0,06 NS NS notre protocole régional, défini en concertation et qui anticipait les RPC nationales, était simple d’emploi, permettant de ce fait à tout praticien de chaque site de naissance de le comprendre et de l’adopter en pratique. Il semble qu’il faille vraisemblablement davantage de recul pour analyser finement ces freins inattendus. L’originalité de notre travail réside dans le fait que l’intervention visant à améliorer les pratiques de prise en charge de l’HPP a été mise en œuvre à l’échelle d’un réseau régional de soins (47). L’audit réalisé a montré que la qualité de la prise en charge des HPP graves a progressé sur l’ensemble de la région, mais qu’une amélioration est encore possible. Il en résulte deux questions : faut-il amplifier la formation médicale continue qui doit jouer un rôle majeur en rappelant régulièrement les bonnes pratiques, notamment l’importance de respecter les délais recommandés ? Faut-il revoir les méthodes d’évaluation de la qualité des soins ? Outre les évolutions techniques, les mentalités sont à prendre en considération et les ressources en personnel doivent être analysées afin de contribuer à l’amélioration de la prise en charge. L’audit clinique est à la fois l’un des moteurs de l’évolution des pratiques et l’un des outils de l’évaluation. ■ La Lettre du Gynécologue • n° 352 - mai 2010 | 27