La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 8 - octobre 1999
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ÉDITORIAL
eux tiers des personnes infectées par le VIH présen-
tent dans les deux à six semaines qui suivent la conta-
mination des manifestations cliniques liées à un syndrome rétro-
viral aigu dont la symptomatologie s’apparente généralement
à un syndrome grippal, mais peut également avoir une expres-
sion à prédominance digestive, pulmonaire ou neurologique
(1). Dans la grande majorité des cas, les symptômes s’amen-
dent spontanément en deux à quatre semaines. Les seuls patients
chez qui il est impératif d’initier un traitement sont les rares
malades qui présentent une symptomatologie neurologique
majeure pouvant aller jusqu’au coma profond.
Dans les autres circonstances, nous ne disposons pas de résul-
tats d’études contrôlées ni de certitudes absolues quant à l’op-
portunité d’initier un traitement antiviral immédiat. Il s’agit en
fait d’une question dont les éléments de réponse sont multiples,
avec en premier lieu l’attitude du malade face à un traitement
complexe, de longue durée et non dénué d’effets secondaires, la
disponibilité d’une structure de soutien pour le suivi, un pari sur
le développement de médicaments plus efficaces et l’évolution
des concepts concernant la pathogenèse de l’infection à VIH.
Il y a trois ans, une vague d’enthousiasme a suivi le dévelop-
pement des inhibiteurs de protéases dont l’utilisation, en
conjonction avec des inhibiteurs de la transcriptase inverse, a
laissé entrevoir la possibilité théorique d’éradiquer l’infection
à VIH par un traitement d’une durée de trois ans (2). Il est cepen-
dant devenu évident qu’une baisse rapide de la virémie à des
niveaux indétectables ne s’accompagnait pas de l’élimination
des cellules infectées à longue durée de vie (demi-vie des cel-
lules CD4 infectées quiescentes de six mois) et que, de ce fait,
le traitement devrait être poursuivi pour des durées s’échelon-
nant entre 6 et 60 ans pour mener à une éradication théorique
de l’infection. L’expérience clinique a d’ailleurs démontré qu’à
de rares exceptions près, l’interruption du traitement s’accom-
pagne systématiquement d’un rebond de la virémie. Cependant,
il semble que le réservoir de cellules infectées soit d’une taille
plus restreinte au moment de l’infection aiguë qu’au stade chro-
nique de la maladie, ce qui représenterait un argument en faveur
du traitement précoce (3, 4). Un autre argument en faveur du
traitement des primo-infections est de maintenir intact le sys-
tème immun, et, en particulier, les réponses spécifiques diri-
gées contre le virus. Cela pourrait revêtir une importance crois-
sante dans le contexte du développement de traitements
associant des antiviraux à un renforcement des réponses
immunes par des vaccins ou à des interventions visant spécifi-
quement à l’élimination des cellules infectées à longue durée
de vie. Dans les deux cas, il pourrait s’avérer plus facile soit de
contrôler la reprise d’une infection à faible niveau, soit d’éli-
miner un petit nombre de cellules infectées. Le développement
de nouveaux antiviraux plus efficaces, avec moins d’effets
secondaires associés, pouvant être administrés une fois par jour,
devrait également faciliter l’adhésion des malades au traite-
ment, et rapprocher celui-ci des traitements utilisés en méde-
cine pour les maladies chroniques. De ce fait, les contraintes
du traitement commencé aujourd’hui ou ces dernières années
pourraient progressivement s’alléger.
Les arguments en faveur d’un traitement différé sont liés à la
survenue d’effets secondaires induits par le traitement tels que
les lipodystrophies, l’élévation des lipides plasmatiques avec
le potentiel d’une incidence augmentée d’accidents cardiovas-
culaires, les polyneuropathies et les complications hématolo-
giques. Par ailleurs, la plupart des antiviraux actuels ont une
demi-vie courte et une marge thérapeutique relativement faible,
ce qui implique la nécessité d’une adhésion au traitement de
plus de 95 % pour la poursuite de leur efficacité à long terme.
Une adhésion partielle se traduit par l’émergence de virus résis-
tant non seulement aux médicaments utilisés, mais souvent à
l’ensemble des médicaments de la même classe, ce qui réduit
considérablement les possibilités thérapeutiques pour le futur.
Il ressort de ces éléments que l’attitude du malade en ce qui
concerne l’acceptation d’un traitement à long terme est le fac-
teur décisif pour l’initiation d’un traitement lors d’une primo-
infection.
Finalement, la mise en évidence d’une infection aiguë est habi-
tuellement associée à des manifestations cliniques qui amènent
le malade à la consultation médicale. L’intensité des manifes-
tations cliniques accompagnant la primo-infection et leur durée
sont liées à la rapidité subséquente de la progression clinique
de l’infection à VIH en l’absence de traitement. De ce fait, les
malades chez qui l’on diagnostique une primo-infection sont
ceux chez qui le traitement est le plus justifié en théorie. !
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
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N Engl J Med 1999 ; 340 : 1605-13.
Faut-il traiter l’infection aiguë due au VIH ?
"
L. Perrin*
* Division des maladies infectieuses, hôpital Cantonal universitaire, Genève.
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