Lettre bimensuelle n° 67 (16-31 octobre 2011) Le but de SIDABLOG est d’exposer, par le biais de lettres d’informations bimensuelles accessibles à tous, le contenu d’articles scientifiques récemment publiés dans les plus importantes revues internationales. Les jeux en ligne contre le SIDA On cherche depuis de nombreuses années à connaître la structure d’une protéine du virus de singe Mason-Pfizer (M-PMV)1, proche de la protéase du VIH. Après plusieurs échecs, des chercheurs ont sollicité des joueurs en ligne de Foldit (ce jeu existe depuis 2008). Des joueurs par équipe, dont la plupart n’ont pas de culture scientifique, recherchent la structure en 3D de protéines afin de trouver la plus proche possible de la forme finale à partir d’éléments fournis par les chercheurs. Curieusement, l’ingéniosité de nombreux joueurs amateurs non-scientifiques permet en effet de résoudre des problèmes de prédiction de structures de protéines complexes ne pouvant pas être résolus par les moyens informatiques. La prestigieuse revue scientifique Nature avait déjà consacré en 20102 un article sur la manière dont ce jeu avait permis de révéler plusieurs structures de protéines qui échappaient aux scientifiques. La structure complexe de la protéine du M-PMV non résolue par les chercheurs vient de la même façon d’être découverte. 1 2 Virus provoquant une forme de SIDA chez le singe. Predicting protein structures with a multiplayer online game. Cooper S and col. Nature. 2010 Aug 5;466(7307):756-60. Les protéases ont en effet un rôle essentiel pour la maturation et la prolifération des virus et sont ainsi des cibles de choix dans le développement de drogues antirétrovirales. Ces protéases doivent s’associer deux à deux3 pour fonctionner correctement. Mais, depuis plusieurs décennies, aucun scientifique n’a pu décrire leur structure. Les équipes ont alors donné rapidement plusieurs solutions permettant une résolution de la structure cristalline de la protéase du M-PMV. Plusieurs joueurs ont proposé des modèles révolutionnaires : le modèle de départ (rouge) a rapidement été amélioré (en jaune) par un premier joueur grâce à l’outil mis en place. Ensuite, un second coéquipier a amélioré le cœur de celle-ci (magenta). Finalement un dernier a encore augmenté sa précision en modifiant les extrémités de la protéine (vert). Grâce à ces propositions, on remarque un réarrangement considérable au niveau du corps de la protéine avec des extrémités entièrement désordonnées. Ce travail pourrait permettre de grandes avancées pour la conception de médicaments antirétroviraux. De plus, il montre la puissance des jeux en ligne pour canaliser l'intuition humaine. Crystal structure of a monomeric retroviral protease solved by protein folding game players. Khatib F, Dimaio F; Foldit Contenders Group; Foldit Void Crushers Group, Cooper S, Kazmierczyk M, Gilski M, Krzywda S, Zabranska H, Pichova I, Thompson J, Popović Z, Jaskolski M, Baker D. Nat Struct Mol Biol. 2011 Sep 18;18(10):1175-7. APOBEC3G active l’immunité précoce Suite à l’infection, on observe une phase rapide de multiplication du VIH, caractérisée par de hautes charges virales qui seront neutralisées par la réponse immunitaire précoce ou innée. Des secrétions de cytokines (molécules de communication du système immunitaire) augmentent alors l’expression de certains facteurs spécifiques de cette réponse immunitaire innée comme APOBEC3G (A3G). Cette protéine est connue pour limiter la prolifération et la reproduction du virus en le parasitant et en l’inhibant directement. On vient de montrer qu’il augmente aussi la reconnaissance et la destruction par les cellules Natural Killer (NK) des cellules infectées. 3 Sous forme de dimères. Dans les cellules infectées, A3G est empaqueté dans les particules du VIH et l’attaquerait par deux mécanismes différents : il entraînerait des modifications qui inactivent son ADN, en remplaçant les résidus cytosines en résidus uraciles, et il perturberait la reverse transcription de l’ARN viral en ADNc. Cependant le VIH possède des armes pour contrecarrer les actions d’A3G. La protéine virale Vif4 dirige A3G vers un site spécifique de dégradation5 et la protéine virale Vpr est capable de réparer l’ADN modifié via l’enzyme UNG26. Des chercheurs de l’Université du Michigan ont cherché à comprendre les relations qui pourraient exister entre les protéines A3G, Vif et Vpr et la reconnaissance des cellules infectées par les cellules NK. Ces cellules jouent également un rôle critique au tout début de l’infection, avant que ne se mette en place la réponse immunitaire spécifique. Elles sont capables de détruire les cellules infectées grâce à une batterie de récepteurs qui leur permet de les reconnaître. Ces chercheurs ont étudié principalement le récepteur activateur NKG2D présent à la surface des cellules NK. Ils ont alors montré dans un premier temps que les protéines du VIH Vpr et surtout Vif réduisent la quantité de ligands de NKG2D au niveau des cellules T. En revanche, l’expression d’A3G entraîne une surexpression de ces ligands. Ainsi, A3G permettrait aux cellules infectées par le VIH d’être plus aisément détruites par les cellules NK. Les effets de Vif sur la dégradation d’A3G expliquent ses effets protecteurs. Ces chercheurs ont également montré qu’A3G agirait par plusieurs médiations résultant de la dégradation de l’ADN. C’est la transformation des cytosines en uraciles provoquée par A3G qui faciliterait la destruction des cellules T infectées. Vpr bloquerait cette voie en diminuant les transformations en uracile. Cependant l’action de vif n’est pas absolue : des mutations du génome du VIH peuvent influencer son évolution et surtout le développement de résistance aux drogues ou à la réponse immunitaire. 5 Par le protéasome. 6 Vpr permet l’incorporation dans les virions de l’enzyme cellulaire uracyl ADN glycosylase qui répare l’ADN. 4 Ainsi des stratégies thérapeutiques visant à augmenter l’activité d’A3G pourraient être particulièrement efficaces contre le virus : en agissant directement contre lui ou en stimulant la dégradation par les cellules NK des cellules infectées. The antiviral factor APOBEC3G enhances the recognition of HIV-infected primary T cells by natural killer cells. Norman JM, Mashiba M, McNamara LA, Onafuwa-Nuga A, Chiari-Fort E, Shen W, Collins KL. Nat Immunol. 2011 Aug 28;12(10):975-83.