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D I T O R I A L
Syndrome lipodystrophique et inhibiteurs de protéase :
une imputabilité discutable
" E. Caumes*
L
des inhibiteurs de la protéase (IP) du virus
’ apparition
de l’immunodéficience humaine (VIH) a fait naître de
grands espoirs chez les patients atteints de sida. Malheureusement, l’intérêt de ces traitements est limité par la description de nouveaux effets indésirables et d’interactions médicamenteuses, qui font l’objet de la mise au point publiée par
H. Peyrière et coll. dans ce numéro.
La description de modifications morphologiques (syndrome
lipodystrophique) et métaboliques chez les patients traités par
l’association de plusieurs médicaments antirétroviraux, dont
des IP, doit être discutée à la lumière des critères d’imputabilité médicamenteuse. L’imputabilité médicamenteuse est le lien
de causalité entre un événement clinique (ici, le syndrome lipodystrophique) et un médicament. En l’absence de critères cliniques, biologiques ou histologiques spécifiques, cette imputabilité s’appuie sur un faisceau d’arguments “intrinsèques” et
“extrinsèques” (1).
L’imputabilité extrinsèque repose sur la connaissance d’accidents identiques avec un médicament donné : c’est l’argument
de “notoriété”. Mais cet argument ne saurait s’appliquer à des
médicaments nouvellement commercialisés, car ces derniers
peuvent avoir au départ une notoriété nulle ou faible, et, de plus,
les médicaments antirétroviraux brûlent souvent les étapes de
leur développement. Ainsi, d’autres effets indésirables (ostéopénie, ostéoporose, fractures...) sont maintenant imputés aux IP.
inverse (INNTI) ne s’accompagnent pas d’une disparition des
signes de lipodystrophie, seules les anomalies métaboliques
semblant s’améliorer.
Sur le plan sémiologique, ces anomalies morphologiques associent une lipoatrophie périphérique et/ou une lipohypertrophie
centrale et/ou un syndrome “rétinoïde-like” et/ou des anomalies métaboliques (hypertriglycéridémie, hypercholestérolémie,
hyperglycémie, insulinorésistance). Des signes semblables sont
observés dans des maladies mitochondriales d’origine génétique. Or, la cible principale des INTI est la polymérase gamma
de la mitochondrie. Pour certains auteurs, le syndrome lipodystrophique fait donc partie des formes cliniques de la cytopathie mitochondriale, due aux INTI, avec les neuropathies périphériques, les myosites, les pancréatites, les cardiopathies,
l’acidose lactique, etc.
Les lois de l’imputabilité médicamenteuse sont donc loin de
plaider en faveur de la responsabilité exclusive des IP, pas plus
d’ailleurs que de celle des INTI. L’hypothèse la plus probable
est celle d’un (voire de plusieurs) syndrome(s) d’étiologie multifactorielle, les principaux facteurs de risque étant l’âge, le
sexe, la durée de l’infection par le VIH, la durée de traitement
par INTI, la durée de traitement par IP, la durée du traitement
antirétroviral hautement efficace (HAART), l’importance de la
baisse de la charge virale et la durée écoulée depuis la restauration immunitaire (2).
Ce syndrome est devenu, par sa fréquence et sa particularité,
L’imputabilité intrinsèque repose sur des critères sémiologiques et chronologiques, qui varient en fonction des médicaments et de la forme clinique de l’effet indésirable.
Sur le plan chronologique, les effets indésirables sont survenus
chez des malades qui recevaient une association d’IP et d’analogues nucléosidiques inhibiteurs de la transcriptase inverse
(INTI). Comme leur apparition a coïncidé avec la mise à disposition des IP, la tentation était grande d’attribuer aux IP la
responsabilité de ces effets indésirables. Mais ces modifications morphologiques ont également été observées chez des
patients seulement traités par INTI, obligeant ainsi à reconsidérer la force du lien chronologique entre IP et syndrome lipodystrophique. En outre, l’arrêt de l’antiprotéase et son remplacement par un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase
un véritable stigmate clinique de l’infection par le VIH correctement traitée, comme la maladie de Kaposi était autrefois
un marqueur de sida non traité. Et comme stigmate, ce syndrome débouchera inéluctablement vers une mauvaise adhérence thérapeutique, des abandons de traitement, voire un refus
de traitement. Envisager et évaluer les traitements de ce syndrome est indispensable, mais il est encore plus urgent de comprendre, pour mieux le prévenir, ce marqueur clinique de l’infection VIH traitée.
!
R
É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Bégaud B., Evreux J.C., Jouglard J., Lagier G. Imputabilité des effets inattendus ou toxiques des médicaments. Thérapie 1985 ; 40 : 111-8.
* Service des maladies tropicales et infectieuses, hôpital Pitié-Salpêtrière,
75013 Paris.
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2. Powderly W. The clinical impact of metabolic dysfunction and the future of
antiretroviral therapy. 7th Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections, 30 janvier-2 février 2000, San Francisco, États-Unis. Abstract S24.
La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 2 - février 2000
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