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La Lettre du Pharmacologue - Volume 14 - n° 2 - février 2000
ÉDITORIAL
apparition des inhibiteurs de la protéase (IP) du virus
de l’immunodéficience humaine (VIH) a fait naître de
grands espoirs chez les patients atteints de sida. Mal-
heureusement, l’intérêt de ces traitements est limité par la des-
cription de nouveaux effets indésirables et d’interactions médi-
camenteuses, qui font l’objet de la mise au point publiée par
H. Peyrière et coll. dans ce numéro.
La description de modifications morphologiques (syndrome
lipodystrophique) et métaboliques chez les patients traités par
l’association de plusieurs médicaments antirétroviraux, dont
des IP, doit être discutée à la lumière des critères d’imputabi-
lité médicamenteuse. L’imputabilité médicamenteuse est le lien
de causalité entre un événement clinique (ici, le syndrome lipo-
dystrophique) et un médicament. En l’absence de critères cli-
niques, biologiques ou histologiques spécifiques, cette impu-
tabilité s’appuie sur un faisceau d’arguments “intrinsèques” et
“extrinsèques” (1).
L’imputabilité extrinsèque repose sur la connaissance d’acci-
dents identiques avec un médicament donné : c’est l’argument
de “notoriété”. Mais cet argument ne saurait s’appliquer à des
médicaments nouvellement commercialisés, car ces derniers
peuvent avoir au départ une notoriété nulle ou faible, et, de plus,
les médicaments antirétroviraux brûlent souvent les étapes de
leur développement. Ainsi, d’autres effets indésirables (ostéo-
pénie, ostéoporose, fractures...) sont maintenant imputés aux IP.
L’imputabilité intrinsèque repose sur des critères sémiolo-
giques et chronologiques, qui varient en fonction des médica-
ments et de la forme clinique de l’effet indésirable.
Sur le plan chronologique, les effets indésirables sont survenus
chez des malades qui recevaient une association d’IP et d’ana-
logues nucléosidiques inhibiteurs de la transcriptase inverse
(INTI). Comme leur apparition a coïncidé avec la mise à dis-
position des IP, la tentation était grande d’attribuer aux IP la
responsabilité de ces effets indésirables. Mais ces modifica-
tions morphologiques ont également été observées chez des
patients seulement traités par INTI, obligeant ainsi à reconsi-
dérer la force du lien chronologique entre IP et syndrome lipo-
dystrophique. En outre, l’arrêt de l’antiprotéase et son rempla-
cement par un inhibiteur non nucléosidique de la transcriptase
inverse (INNTI) ne s’accompagnent pas d’une disparition des
signes de lipodystrophie, seules les anomalies métaboliques
semblant s’améliorer.
Sur le plan sémiologique, ces anomalies morphologiques asso-
cient une lipoatrophie périphérique et/ou une lipohypertrophie
centrale et/ou un syndrome “rétinoïde-like” et/ou des anoma-
lies métaboliques (hypertriglycéridémie, hypercholestérolémie,
hyperglycémie, insulinorésistance). Des signes semblables sont
observés dans des maladies mitochondriales d’origine géné-
tique. Or, la cible principale des INTI est la polymérase gamma
de la mitochondrie. Pour certains auteurs, le syndrome lipo-
dystrophique fait donc partie des formes cliniques de la cyto-
pathie mitochondriale, due aux INTI, avec les neuropathies péri-
phériques, les myosites, les pancréatites, les cardiopathies,
l’acidose lactique, etc.
Les lois de l’imputabilité médicamenteuse sont donc loin de
plaider en faveur de la responsabilité exclusive des IP, pas plus
d’ailleurs que de celle des INTI. L’hypothèse la plus probable
est celle d’un (voire de plusieurs) syndrome(s) d’étiologie mul-
tifactorielle, les principaux facteurs de risque étant l’âge, le
sexe, la durée de l’infection par le VIH, la durée de traitement
par INTI, la durée de traitement par IP, la durée du traitement
antirétroviral hautement efficace (HAART), l’importance de la
baisse de la charge virale et la durée écoulée depuis la restau-
ration immunitaire (2).
Ce syndrome est devenu, par sa fréquence et sa particularité,
un véritable stigmate clinique de l’infection par le VIH cor-
rectement traitée, comme la maladie de Kaposi était autrefois
un marqueur de sida non traité. Et comme stigmate, ce syn-
drome débouchera inéluctablement vers une mauvaise adhé-
rence thérapeutique, des abandons de traitement, voire un refus
de traitement. Envisager et évaluer les traitements de ce syn-
drome est indispensable, mais il est encore plus urgent de com-
prendre, pour mieux le prévenir, ce marqueur clinique de l’in-
fection VIH traitée. !
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Bégaud B., Evreux J.C., Jouglard J., Lagier G. Imputabilité des effets inatten-
dus ou toxiques des médicaments. Thérapie 1985 ; 40 : 111-8.
2. Powderly W. The clinical impact of metabolic dysfunction and the future of
antiretroviral therapy. 7th Conference on Retroviruses and Opportunistic Infec-
tions, 30 janvier-2 février 2000, San Francisco, États-Unis. Abstract S24.
Syndrome lipodystrophique et inhibiteurs de protéase :
une imputabilité discutable
* Service des maladies tropicales et infectieuses, hôpital Pitié-Salpêtrière,
75013 Paris.
"
E. Caumes*
L
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