Laurent Derex : Pourriez-vous résumer les
mécanismes de l’atteinte cérébrale en cas
d’hématome intracérébral ? Quels sont les
rôles respectifs de l’effet de masse, de
l’œdème, de la toxicité du sang, de l’ischémie
et de l’inflammation ? Existe-t-il des preuves
de l’existence d’une ischémie significative
autour de l’hématome ?
JJoosseepphh BBrrooddeerriicckk::
Le mécanisme essentiel de
l’atteinte cérébrale initiale en cas d’hématome
intracérébral (HIC) est probablement l’at-
teinte mécanique des neurones et des axones
par l’hématome en cours d’extension. Il a été
démontré que le volume de l’HIC est le princi-
pal facteur prédictif de mauvaise évolution cli-
nique et de mortalité, que l’hématome soit
lobaire ou profond. Le volume de l’hémorragie
intraventriculaire, lorsqu’elle est associée, est
également un facteur influençant fortement
l’évolution clinique.
Le processus de l’atteinte cérébrale secondaire
est probablement plus complexe. Les modèles
animaux d’HIC ont montré que la cascade de la
coagulation (coagulation du sang et, par consé-
quent, des protéines de la coagulation comme
la thrombine) joue un rôle important dans le
développement précoce de l’anneau liquidien
de faible densité entourant l’hématome et que
l’on appelle œdème. Par exemple, les HIC qui
surviennent après administration d’agents thé-
rapeutiques qui bloquent le processus de coa-
gulation (comme les thrombolytiques) présen-
tent souvent un niveau liquide et ont peu ou
n’ont pas d’œdème périlésionnel sur le scanner
initial. Des données contradictoires ont été
publiées concernant le degré d’hypoperfusion
initiale dans la région péri-hématique où
l’œdème est observé. Cependant, les données
de l’imagerie cérébrale pratiquée en cas d’HIC
suggèrent que l’hypoperfusion n’est habituelle-
ment pas sévère et probablement pas une
cause majeure de l’atteinte cérébrale initiale
chez la plupart des patients. Après ajustement
pour le volume de l’hématome, le volume
d’œdème précoce n’apparaît pas comme un
facteur de mauvaise évolution clinique.
Dans les modèles animaux, les protéines de la
coagulation comme la thrombine apparaissent
toxiques pour les neurones et les axones situés
dans la zone entourant l’hématome et qui n’ont
pas été endommagés par l’atteinte mécanique
initiale. Il n’est pas clairement établi que l’on
puisse bloquer les effets toxiques de ces pro-
téines de la coagulation.
Après les premières heures de l’hémorragie, on
observe une rupture de la barrière hémato-
encéphalique associée à la présence de ces
protéines de la coagulation, ainsi que l’afflux
de cellules inflammatoires et des protéines qui
leur sont associées. Ces cellules inflamma-
toires participent à la résorption des produits
de dégradation du sang, mais peuvent aussi
avoir des effets toxiques sur les neurones et les
axones qui ont survécu dans la région qui
entoure l’hématome.
L.D. : Envisagez-vous des avancées dans le
domaine de la génétique des hématomes
intracérébraux ? Quel est le rôle de l’apolipo-
protéine E ? L’hypocholestérolémie est-elle un
facteur de risque d’hémorragie cérébrale ?
Sept questions sur les
hématomes intracérébraux
Entretien
avec le Pr J. Broderick*
Questions posées par
L. Derex
**
32
Correspondances en neurologie vasculaire - n° 1-2 - Vol. III - 1er et 2etrimestres 2003
entretien
* Service de neurologie, université
de Cincinnati, États-Unis.
** Unité neuro-vasculaire,
hôpital neurologique de Lyon.
J. Broderick
L. Derex
Quel est le risque d’hémorragie cérébrale
associé à la prise de phénylpropanolamine ?
J.B. :
Certains variants de l’apolipoprotéine E
(allèles 2 et 4) ont été associés à un risque
accru d’hématome lobaire. Dans la mesure où
ces allèles sont relativement fréquents, ils
pourraient être responsables d’un pourcentage
significatif d’hématomes lobaires du sujet âgé.
Le mécanisme conduisant à ce risque hémorra-
gique n’est pas connu, mais pourrait faire inter-
venir la formation et le dépôt de fibrilles amy-
loïdes insolubles dans les vaisseaux corticaux.
Une étude pilote financée par le National
Institute of Neurological Disorders and Stroke
(NINDS) et l’industrie pharmaceutique est en
cours ; elle vise à évaluer l’impact d’une molé-
cule (le cerebril) qui empêche la formation de
fibrilles à partir de la protéine amyloïde. Ce
traitement sera administré de façon randomi-
sée à des sujets âgés aux antécédents d’héma-
tome lobaire pour évaluer son action préventive
sur le risque de récidive hémorragique, fré-
quemment observée chez les patients ayant eu
un hématome lobaire et chez lesquels on sus-
pecte l’existence d’une angiopathie amyloïde.
Des taux sériques élevés de cholestérol sont
associés à une diminution du risque d’HIC et
des taux élevés à une augmentation de ce
risque. Le mécanisme de cette association n’est
pas connu. Par ailleurs, l’étude cas-témoins du
Greater Cincinnati/Northern Kentucky n’a pas
montré d’augmentation du risque d’HIC chez
les personnes prenant des statines pour le trai-
tement d’une hypercholestérolémie.
Le
Hemorrhagic Stroke Project
, vaste étude multi-
centrique cas-témoins, a effectivement montré
une relation entre la prise de médicaments conte-
nant de la phénylpropanolamine et la survenue
d’accidents hémorragiques (HIC et hémorragies
sous-arachnoïdiennes). Cependant, une relation
significative avec les HIC pris isolément n’a pas
été établie. Par ailleurs, le mécanisme de cette
association n’est pas clairement défini. Il a été
récemment démontré de façon formelle que la
consommation de cocaïne est associée au risque
d’HIC dans l’étude
Hemorrhagic Stroke Project
.
L.D. : Pensez-vous que l’abaissement des
chiffres tensionnels à la phase aiguë de l’hé-
matome intracérébral puisse limiter l’augmen-
tation de volume de l’hématome (fréquem-
ment observée en pratique clinique) sans
abaisser le débit sanguin cérébral dans la
région périhématique ?
J.B. :
Les études en tomographie par émission
de positons et en scanner xénon, évaluant le
débit sanguin après abaissement modéré des
chiffres tensionnels à la phase aiguë de l’HIC,
n’ont pas montré d’effet ischémique délétère
du traitement hypotenseur dans la région péri-
hématique. Par ailleurs, aucune étude n’a mon-
tré qu’un traitement hypotenseur réduisait
l’augmentation du volume de l’hématome
durant les premières heures de l’accident.
Des valeurs cibles “raisonnables” ont été
publiées dans les recommandations de
l’American Heart Association concernant le
contrôle des chiffres tensionnels à la phase
aiguë de l’HIC (Stroke 1999 ; 30 : 905-15). À
noter que ces recommandations concernant le
traitement hypotenseur ne sont pas établies
d’après les résultats d’essais randomisés.
L.D. : Comment gérez-vous le dilemme théra-
peutique observé chez les patients victimes
d’une hémorragie intracérébrale qui ont par
ailleurs une indication formelle d’anticoagu-
lants (sujets porteurs d’une valve cardiaque
mécanique, par exemple) ?
J.B. :
Il s’agit d’une des questions les plus déli-
cates du traitement des accidents vasculaires
cérébraux. La réponse à cette question n’est
donnée par aucun essai clinique, mais dépend
de la cause et de la taille de l’hématome et du
type et de l’état de la valve cardiaque.
Certains des accidents hémorragiques sont en
fait des infarctus hémorragiques, ce qui peut
inciter à réintroduire précocement les anticoa-
gulants. Il est capital de savoir rapidement si la
valve cardiaque est infectée, pour mettre en
place le traitement approprié à court terme
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Correspondances en neurologie vasculaire - n° 1-2 - Vol. III - 1er et 2etrimestres 2003
(antibiotiques par voie intraveineuse) et rééva-
luer l’état de la valve. Même en l’absence de
preuve d’infection, l’état de la valve doit être
évalué soigneusement. L’HIC peut aussi surve-
nir à l’occasion d’un surdosage du traitement
anticoagulant ou bien être favorisé par un trau-
matisme crânien mineur. La cause de l’hémor-
ragie guide les décisions qui doivent être prises
concernant le traitement anticoagulant.
En général, j’arrête le traitement anticoagu-
lant durant les premières semaines de l’héma-
tome, car le risque d’aggravation de l’hémorra-
gie est plus important que le risque embolique.
On peut envisager de donner un traitement par
héparine sous-cutanée au titre de la prévention
thromboembolique veineuse si le patient pré-
sente un déficit sévère empêchant la marche.
Je conseille de réaliser de fréquents scanners
les premiers jours afin de déterminer si le
volume de l’hématome est stable. Le délai
avant de reprendre le traitement anticoagulant
dépend, selon moi, de la cause de l’hémorragie
et de l’état de la valve. Je pense qu’une anti-
coagulation à plus faible dose peut être envisa-
gée après quelques semaines.
L.D. : Quels sont les patients victimes d’un
hématome intracérébral spontané chez les-
quels une artériographie cérébrale doit être réa-
lisée ? Quelle place accordez-vous à l’IRM, en
particulier aux séquences en écho de gradient ?
J.B. :
Je pense que l’artériographie cérébrale
conventionnelle est la plus utile chez les
patients présentant un hématome de topogra-
phie péri-sylvienne ou dont le scanner montre
des signes en faveur d’une lésion sous-jacente
(présence de structures vasculaires, de calcifi-
cations ou d’une hémorragie sous-arachnoï-
dienne associée).
Cependant, l’IRM est un excellent moyen de
dépistage pour évaluer l’existence d’une cause
sous-jacente, une de ses limites essentielles
étant la difficulté à visualiser les petits ané-
vrismes intracrâniens. Les séquences en écho
de gradient représentent une modalité d’explo-
ration particulièrement intéressante chez les
patients âgés victimes d’un hématome lobaire,
à la recherche de microhémorragies anciennes
(microbleeds). La présence de multiples
microhémorragies anciennes de topographie
corticale renforce la suspicion diagnostique
d’angiopathie amyloïde. Des microhémorragies
profondes sont également visibles chez les
patients ayant présenté un hématome intracé-
rébral profond. Cependant, ces microhémorra-
gies sont probablement dues à des modifica-
tions de nature dégénérative des artérioles
perforantes et ne sont pas en relation avec l’an-
giopathie amyloïde elle-même.
L.D. : Pratiquez-vous une biopsie lepto-ménin-
gée dans le cadre du diagnostic différentiel de
l’angiopathie amyloïde ? Que recommandez-
vous sur le plan thérapeutique en cas de sus-
picion d’angiopathie amyloïde ?
J.B. :
Nous réalisons rarement une biopsie céré-
brale pour confirmer le diagnostic en cas de
suspicion d’angiopathie amyloïde. L’angéite iso-
lée du système nerveux central, par exemple,
est une cause extrêmement rare d’HIC. Si un
traitement préventif efficace sur le risque de
récidive hémorragique était développé chez les
patients porteurs d’une angiopathie amyloïde,
la biopsie apparaîtrait plus raisonnable, bien
que non dénuée de risque. Il serait bien
entendu préférable de disposer d’un marqueur
fiable de la maladie qui puisse être obtenu de
façon non invasive (même issu du liquide
céphalorachidien).
Le traitement des patients porteurs d’un héma-
tome lobaire dont la cause présumée est l’an-
giopathie amyloïde repose, à l’heure actuelle,
sur le contrôle des chiffres tensionnels, la
contre-indication des traitements antiagré-
gants plaquettaires et un régime alimentaire
riche en fruits et légumes.
L.D. : Le traitement chirurgical des hématomes
intracérébraux demeure controversé. Dans
quels cas discutez-vous une intervention chi-
34
Correspondances en neurologie vasculaire - n° 1-2 - Vol. III - 1er et 2etrimestres 2003
entretien
rurgicale en urgence ? Pensez-vous que l’éva-
cuation chirurgicale par voie stéréotaxique
puisse améliorer le pronostic comparative-
ment à la craniotomie ? Quel serait pour vous
l’essai thérapeutique randomisé le plus utile
dans l’hémorragie intracérébrale ?
J.B. :
Dans la mesure où le volume sanguin, par
ses effets mécaniques et toxiques, est la princi-
pale cause d’atteinte cérébrale, les stratégies
thérapeutiques visant à arrêter l’hémorragie ou
à évacuer l’hématome apparaissent logiques.
L’essai Novo-7, par exemple, évalue l’effet du
facteur VII activé dans les premières heures de
l’HIC. Son utilisation vise à arrêter l’hémorra-
gie initiale et à réduire le volume final de l’hé-
matome. Il reste à démontrer que cette
approche thérapeutique peut réellement blo-
quer le processus hémorragique à partir d’une
artériole cérébrale rompue.
Les essais thérapeutiques chirurgicaux, avec
ou sans instillation d’un agent thrombolytique,
visent à évacuer l’hémorragie dans les 24 à
48 premières heures de l’accident. Cependant,
un traitement plus précoce a probablement
plus de chances d’être efficace, dans la mesure
où l’effet délétère des produits de dégradation
du sang est clairement lié au temps.
En l’état actuel des choses, on ne dispose pas
de preuve évidente de l’efficacité de l’évacua-
tion chirurgicale des HIC. La chirurgie par voie
stéréotaxique présente le grand avantage de
minimiser les dégâts cérébraux liés à la chirur-
gie elle-même, bien que l’évacuation de l’hé-
morragie ait moins de chances d’être complète
que par craniotomie. L’effet bénéfique d’une
chirurgie précoce dans les premières heures
de l’hémorragie reste à démontrer, bien que ce
type d’approche réponde à une certaine
logique sur le plan physiopathologique.
Actuellement, je serais en faveur d’un essai
thérapeutique réalisé chez des patients por-
teurs d’un hématome de volume modéré ou
important et qui évaluerait l’effet d’une éva-
cuation chirurgicale réalisée en hyperurgence
par voie stéréotaxique (facilitée par l’instilla-
tion d’un agent thrombolytique ou par l’utilisa-
tion d’un procédé mécanique permettant l’as-
piration du caillot). La sélection des patients
inclus dans un tel essai est évidemment un élé-
ment crucial. Sans l’apport d’essais chirurgi-
caux randomisés bien conçus, il est peu pro-
bable que l’on assiste à des progrès
significatifs, à l’avenir, dans cette pathologie.
Dans l’intervalle, il est probable que certains
patients ne sont pas de bons candidats à la chi-
rurgie. Les patients victimes de petits héma-
tomes (de volume < 10 cm3) ou porteurs d’un
déficit neurologique minime relèvent plutôt
d’un traitement médical. Par ailleurs, les
patients dont le score de Glasgow (Glasgow
Coma Scale) est inférieur ou égal à 4 ne sont
pas non plus de bons candidats à la chirurgie,
car ils ont constamment une mauvaise évolu-
tion clinique et décèdent pratiquement tous.
Une exception éventuelle serait représentée
par les patients dont le score de Glasgow est
bas mais qui ont un hématome cérébelleux
avec compression du tronc cérébral. Les
patients porteurs d’un hématome cérébelleux
dont l’état neurologique se détériore, qui pré-
sentent une compression du tronc cérébral ou
une hydrocéphalie sont des candidats “raison-
nables” à la chirurgie. Par ailleurs, les patients
jeunes ayant un hématome lobaire modéré ou
volumineux et dont l’état clinique se détériore
représentent aussi des candidats potentiels à
la chirurgie, car même des variations de
volume modérées peuvent entraîner une éléva-
tion majeure de la pression intracrânienne et
conduire à l’engagement cérébral dans ce cas.
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