OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Cancers gynécologiques - Coordonnateur : C. Tournigand Cancer du col de l’utérus Y. Ansquer, L. Bengrine-Lefevre, C. Tournigand, B. Carbonne État des lieux n x r LR 368 JAN 2011 ) Le cancer du col utérin est la deuxième cause de cancer féminin dans le monde. En 2002, on estimait à 493 000 le nombre de cancers invasifs, 83 % de ces cancers étant observés dans les pays en voie de développement. Grâce au dépistage mis en place dans les pays occidentaux, l’incidence des cancers du col utérin a diminué de 75 %. En France, en 2000, 3 400 cas de cancers invasifs du col utérin ont été diagnostiqués. Il est au huitième rang des cancers féminins et est au cinquième rang par sa mortalité. C’est dans les années 1980 qu’un lien a été établi entre cancers du col et les papillomavirus (human papillomavirus [HPV]). Il existe plus de 100 génotypes de HPV, parmi lesquels les HPV 6, 11, 16 et 18 sont impliqués dans la survenue de dysplasies de haut grade et de cancers du col utérin. Les HPV 16 et 18 sont responsables de 70 % des cancers du col utérin dans le monde (1). Le type 16 représente 26,3 % des lésions intra-épithéliales de bas grade et 45 % des lésions intra-épithéliales de haut grade. Il a été montré que le risque de développer une néoplasie intra-épithéliale (cervical intraepithelial neoplasia [CIN]) de grade 3, ou un cancer à 10 ans est de 17,2 % pour l’infection à HPV 16 et de 13,6 % pour le HPV 18. Transmis par voie sexuelle, le virus pénètre les cellules basales de la jonction pavimento-cylindrique. Les lésions intra-épithéliales de haut grade, précurseurs des cancers du col, sont associées aux HPV à risque. Quatre-vingt-quatre pour cent des CIN 2 ou 3 sont associés aux HPV à risque. HPV 16 n’est présent que dans 26,6 % des lésions de bas grade. Les HPV à risque sont également responsables de cancer de l’anus et de certains cancers du vagin et de la vulve. L’infection à HPV disparaîtra dans plus de 90 % des cas sans entraîner de symptômes. C’est le cas dans la majorité des infections à HPV de la jeune femme âgée de moins de 30 ans. Après 30 ans, l’infection évolue plus volontiers vers le maintien du virus, pouvant aboutir à des lésions de type CIN de haut grade puis au cancer. La persistance de l’ADN viral au-delà de 12 à 18 mois d’intervalle est un bon indicateur de la transformation vers des lésions de haut grade. Cela est particulièrement vrai pour les génotypes HPV 16 et 18. Le dépistage par frottis cervico-vaginal a permis une réduction significative du nombre de cancers du col. Cependant, ces dernières années, l’incidence a tendance à stagner. L’une des raisons est la carence en couverture du dépistage. Le dépistage individuel touche 55 % à 60 % des femmes et, selon une enquête nationale, 67 % des femmes n’avaient jamais eu de dépistage, ou le rythme de leur dépistage n’avait pas été adéquat. La deuxième raison est l’imperfection du frottis cervico-vaginal : la sensibilité du test est estimée à 58 %. Compte tenu de la fréquence de l’infection à HPV dans la survenue de lésions du col utérin, la recherche de l’ADN viral au niveau des voies génitales a été proposée : se faisant par PCR, elle ne se prête pas au dépistage, eu égard au risque de faux positifs, de la lourdeur technique et de la nécessité d’avoir recours à un laboratoire habitué à la technique. Des tests plus simples et plus rapides sont actuellement commercialisés, et sont indiqués dans le cadre des atypical squamous cells of undetermined significance (ASCUS). Ils sont cependant moins spécifiques que la cytologie et ne sont pas recommandés en dépistage primaire. Actuellement, au-delà de la prévention secondaire par le dépistage, une prévention primaire fondée sur la vaccination anti-HPV doit faire partie intégrante de la prévention du cancer du col utérin. La difficulté à établir un vaccin contre l’HPV réside dans le fait que ce virus ne se reproduit pas en culture cellulaire (1). L’originalité du vaccin anti-HPV est que la protéine du vaccin ne contient aucun matériel génétique du virus, mais est en fait un leurre pour le système immunitaire. En effet, le vaccin est élaboré à partir de virus like particules (VLP) qui ne sont pas infectantes mais qui ressemblent à l’enveloppe du virus (capside). Ces VLP induisent une forte réaction de l’immunité humorale. Lorsque le vaccin est administré à une jeune fille avant les premiers rapports, les anticorps neutralisants produits se concentrent à la surface du col utérin, empêchant tout HPV de franchir et d’infecter les cellules basales du col. Il est donc important que la vaccination soit réalisée avant les premiers rapports, avant toute exposition au virus. Chez les femmes exposées au virus, mais sans lésions, le vaccin est peu, voire n’est pas efficace. Enfin, il est prophylactique et non thérapeutique, puisqu’il n’a aucune efficacité chez les femmes présentant des lésions issues d’une infection à HPV. La vaccination contre les virus oncogènes HPV représente une avancée majeure dans le domaine de la prévention du cancer du col de l’utérus. C’est l’aboutissement de plusieurs années de recherche marquées par des étapes importantes : la découverte de l’HPV et de son implication dans la survenue de lésions pré cancéreuses, l’identification des génotypes HPV les plus oncogéniques, la mise au point d’une technique vaccinale efficace et non dangereuse. Toutefois, la nouveauté que constitue la vaccination ne devra pas faire oublier l’intérêt primordial du dépistage par frottis cervicovaginal, y compris pour les femmes vaccinées. Il demande à être mieux organisé mais demeure nécessaire pour dépister les lésions du col non liées aux types d’HPV couverts par les vaccins. La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2011 | 261 OBJECTIFS D’ENSEIGNEMENT PROFESSIONNEL CONTINU Cancers gynécologiques Faits nouveaux Plusieurs essais de phase III randomisés comparant une vaccination à un placebo ont été réalisés. Le Gardasil® est un vaccin tétravalent dirigé contre les HPV 6, 11, 16 et 18. Son efficacité a été évaluée dans quatre études portant sur plus de 21 000 jeunes femmes âgées de 16 à 26 ans (2-4) qui ont été ensuite suivies pendant 27 à 44 mois en moyenne. Elles pouvaient avoir été infectées par l’HPV, mais elles ne devaient pas avoir d’antécédent de lésions intraépithéliales ou de dysplasie du col. La meilleure efficacité vaccinale a été retrouvée chez les femmes ayant reçu les 3 injections avant d’être infectées par les types d’HPV ciblés par le vaccin : 100 % de prévention des dysplasies cervicales de haut grade CIN 2 ou 3 et des adénocarcinomes in situ dus au HPV 16 ou 18, 100 % de prévention des dysplasies de la vulve de haut grade (néoplasie intra-épithéliale vulvaire [vulvar intraepithelial neoplasia ou VIN] 2 ou 3) et des condylomes acuminés dus aux HPV 6, 11, 16 et 18. Les données relatives à la réduction de l’incidence du cancer du col n’ont pas pu être évaluées dans ces études. L’immunogénicité du Gardasil® a été évaluée chez 8 900 femmes entre 16 et 26 ans, ainsi que chez 2 000 filles de 9 à 15 ans. Le taux d’anticorps anti-HPV est élevé après la troisième dose, et ce dans tous les groupes étudiés. Les réponses immunogènes anti-HPV sont retrouvées à 7 mois aussi bien chez les femmes de 16 à 26 ans que chez les filles ayant entre 9 et 15 ans. Concernant la durée de protection après les trois doses de vaccin, le recul n’est pas suffisant pour pouvoir l’évaluer, puisque dans les études de phase III, la période d’observation allait de 18 mois à 3 ans. Cependant, des femmes ayant reçu une nouvelle dose à 5 ans ont pu avoir une réponse immunitaire rapide et élevée, supérieure à celle observée 1 mois après la troisième dose. Au-delà de 5 ans, aucune donnée n’est disponible. L’injection de Gardasil® n’entraîne pas de toxicité notable, hormis des réactions locales au site d’injection (82,9 % de réactions dont 4,5 % sévères, contre 73,3 % et 1,9 % dans le groupe placebo). Une surveillance nationale dont fait état un registre français a été mise en place par l’Afssaps afin de détecter d’éventuels cas de manifestations auto-immunes. Le Comité technique des vaccinations et le Conseil supérieur d’hygiène publique de France recommandent de limiter l’utilisation de Gardasil® aux jeunes filles de 14 ans et, en rattrapage, aux jeunes filles et femmes âgées de 15 à 23 ans n’ayant pas eu de rapports sexuels, ou au plus tard dans l’année suivant leur premier rapport (5). Références bibliographiques 1. Monsonego J. Prevention of cervical cancer (II): prophylactic HPV vaccination, current knowledge, practical procedures and new issues. Presse Med 2007;36(4 Pt 2):640-66. 2. FUTURE II Study Group. Quadrivalent vaccine against human papillomavirus to prevent high-grade cervical lesions. N Engl J Med 2007;356(19):1915-27. 3. Garland SM, Hernandez-Avila M, Wheeler CM et al. Quadrivalent vaccine against human papillomavirus to prevent anogenital diseases. N Engl J Med. 2007;356(19):1928-43. 4. http://www.cngof.asso.fr/D_TELE/rpc_prev-K-col2007.pdf 5. http://www.hcsp.fr/hcspi/docspdf/cshpf/a_mt_090307_papillomavirus.pdf 262 | La Lettre du Cancérologue • Vol. XX - n° 4 - avril 2011 Chimiothérapie intrapéritonéale dans le cancer de l’ovaire S. Watson, L. Bengrine-Lefevre, C. Tournigand État des lieux Le cancer de l’ovaire est un des cancers féminins les plus graves. En 2000, on estimait à 4 500 le nombre de nouveaux cas, ce qui place ce cancer au dix-septième rang de tous les cancers (hommes et femmes), et représente 3,8 % de l’ensemble des nouveaux cas de cancer chez la femme (cinquième rang). Le nombre annuel de décès est de 3 508, soit la quatrième cause de mortalité parmi les cancers féminins (1). Le traitement standard doit comporter une résection chirurgicale initiale optimale, suivie d’une chimiothérapie comprenant un sel de platine. La qualité du geste chirurgical initial (exérèse optimale, c’est-à-dire résidu tumoral en fin d’intervention de moins de 1 à 2 cm) reste un facteur pronostique majeur. Lorsque la résection chirurgicale optimale n’a pas pu être effectuée initialement, il est proposé une chimiothérapie “néo-adjuvante” (3 cycles) suivie d’une laparotomie d’intervalle (ou cytoréduction précoce) dont le but est, là encore, de réaliser une exérèse optimale des lésions tumorales. La chimiothérapie intrapéritonéale (i.p.) est une technique étudiée depuis de nombreuses années dans le cancer de l’ovaire mais peu développée. Des données publiées récemment ont démontré un avantage en survie chez les patientes ayant un cancer de l’ovaire de stade III. La chimiothérapie i.p. a été étudiée depuis plus de cinquante ans. Ce traitement régional a été surtout développé dans le cancer de l’ovaire en raison de la fréquence des rechutes péritonéales (75 %), même chez les patientes en réponse complète (RC) pathologique. Son principe consiste à augmenter l’exposition cellulaire à de fortes concentrations de cytotoxiques sans augmenter les effets toxiques systémiques. La première publication historique, dans les années 1950, rapporte l’injection i.p. de moutarde à l’azote ou d’or colloïdal dans des épanchements de séreuses (2, 3). L’objectif était d’obtenir un effet antitumoral direct sur de larges masses tumorales. Vingt ans plus tard, des données pharmacocinétiques ont renforcé ce concept de chimiothérapie i.p. grâce aux modèles mathématiques indiquant que les molécules administrées dans le péritoine dans un grand volume de distribution pouvaient atteindre des concentrations plus élevées dans la cavité péritonéale que dans le plasma (4). Une des limites de la chimiothérapie i.p. est que les fortes concentrations de médicaments cytotoxiques ne sont obtenues que pour une maladie microscopique ou des résidus tumoraux de très petite taille. Les données expérimentales mentionnent en effet que la pénétration du médicament au sein de la tumeur ne se fait que sur 1 à 2 mm de profondeur (5).