(Il est étonnant de constater que l’on n’évoque jamais la violence
que peut constituer pour le médecin l’évolution de la science, et
comment, pour lui aussi, il existe une déshumanisation de la rela-
tion au médical. Ce sujet demanderait à être plus largement exploré.)
Certaines de ces médecines valorisent le pouvoir du psychisme
comme force toute-puissante de l’individu. Elles incitent à vouloir
guérir à tout prix par la force et la détermination du psychisme du
patient.
On ne peut douter de l’importance du désir de vie dans l’évolution
de la maladie, mais cela impose deux remarques.
Premièrement, le désir de vie appartient au domaine de l’incons-
cient et il paraît bien difficile “d’apprécier” simplement ce désir de
vie, pour le patient lui-même.
Il ne suffit pas de dire : “Je dois guérir !” ou “Tu dois guérir, tu vas
y arriver !” pour que cela fonctionne…
Deuxièmement, donner au psychisme et à l’effort de volonté un tel
pouvoir est non seulement de l’ordre du fantasme, mais s’avère
néfaste pour le patient.
N’oublions pas que c’est avant tout le pronostic de la maladie qui
conditionne son cours, même si les caractéristiques psychiques de
chaque individu ont une influence dans une certaine mesure.
Le sujet a aussi le droit de ne pas vouloir se battre en permanence
contre la maladie. Il a le droit de se sentir déprimé, de s’en remettre
aux médecins qui décideront pour lui, tout comme il a le droit de
vouloir garder la maîtrise de soi ou de se révolter ou d’adapter toutes
sortes d’attitudes face à la maladie, qui constituent autant de méca-
nismes de défense pour affronter ce traumatisme, mécanismes
propres à chaque individu et évoluant au cours du temps.
Ces mécanismes sont importants à respecter par les soignants.
On rencontre trop souvent des patients qui se culpabilisent et
s’angoissent de se sentir fatigués, de ne pas avoir envie de se battre :
“On me dit que je dois me battre, je n’y arrive pas et je perds mes
chances de guérison, je suis nul…”
Constater que les patients acteurs dans la prise en charge de leur
maladie, et donc partenaires des soins, affrontent mieux l’épreuve,
signifie qu’il faut leur donner une information adaptée et humani-
sée pour qu’ils puissent “faire avec”, en fonction de leurs caracté-
ristiques individuelles. Cela ne signifie pas qu’ils doivent en per-
manence garder un moral d’acier sous peine de voir leurs chances
de guérison disparaître. Un tel discours peut être d’une grande vio-
lence.
Donner au psychisme le pouvoir absolu, c’est restaurer la pensée
magique de la petite enfance et le fantasme de maîtrise sur la vie et
la mort. Il existe dans l’idéologie de beaucoup de médecines paral-
lèles une pensée que l’on peut qualifier de régressive, qui divise le
monde de façon manichéenne entre le Bien, la nature (le retour aux
origines, à la mère ?) et le Mal qui vient de la science et de la cul-
ture, de ce que l’homme a modifié dans la nature.
Ce constat mitigé impose-t-il pour autant de diaboliser les méde-
cines parallèles et de les condamner ? À notre avis, en aucun cas, à
la condition qu’elles s’exercent avec des praticiens sérieux et res-
ponsables.
L’observation montre qu’il est exceptionnel que des patients “rom-
pent” avec la médecine traditionnelle et interrompent leurs traite-
ments au profit des médecines douces.
Ces médecines peuvent apporter une aide à un instant du parcours
du malade. Elles peuvent lui permettre de renouer avec sa culture,
à un moment où cela prend un sens particulièrement important pour
lui : ainsi, certains malades d’origine africaine éprouvent le besoin
de renouer avec leurs traditions ancestrales. Les traitements à base
de plantes leur permettent ce lien symbolique essentiel pour eux à
ce moment de leur existence.
Les patients ne doivent pas se sentir jugés par leur médecin s’ils
recourent à ce type de médecine, mais, au contraire, se sentir auto-
risés à en parler.
C’est une opportunité pour le thérapeute d’échanger autour de cette
démarche et de tenter de comprendre le sens qu’elle revêt.
Ce qui compte avant tout est de préserver la relation et d’éviter la
rupture avec le malade.
Le “passage” par les médecines dites “douces” constitue le plus
souvent un soutien temporaire.
CONCLUSION
Même avec la meilleure médecine du monde, personne n’empê-
chera jamais certains malades de recourir à la pensée magique, à
l’illusion, à la superstition…
Pour conclure, nous dirons qu’aujourd’hui les médecines parallèles
ne s’adressent pas plus au sujet que la médecine traditionnelle, même
si elles revêtent un aspect plus “humain”.
Elles sont porteuses d’une idéologie qui peut être trompeuse pour
le sujet, car justement, par définition, toute idéologie nie le sujet,
cet être pensant et désirant, siège de la connaissance.
Ni toutes bonnes, ni toutes mauvaises, elles peuvent jouer un rôle
bénéfique pour le malade à la condition qu’elles ne se substituent
pas à la médecine classique.
Cependant, le recours croissant aux médecines parallèles doit
conduire la médecine actuelle à s’interroger sur son insuffisance à
répondre aux attentes du malade.
Tout malade possède un savoir sur son rapport au médical et au
médicament. C’est ce savoir du malade, en tant que sujet, qu’il est
indispensable d’écouter.
L’enjeu pour la médecine d’aujourd’hui est de redéployer la part
de l’humain dans la thérapeutique et dans la prescription et de redon-
ner place à la parole du sujet dans toute la complexité de son rap-
port au médical.
“Aucune théorie de la médecine qui ne fait pas sa part à la vie secrète
de l’homme malade et de son entourage de vie et de mort n’est viable,
et une théorie qui ne fait pas leur part aux acquisitions des sciences bio-
logiques positives et des effets objectifs des produits de leur laboratoire
ne peut paraître que comme une aberration” (4).
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RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Laplanche J, Pontalis JB. Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : Puf,
2002.
2. Jeammet PH, Reynaud M, Consoli SM. Psychologie médicale. Paris : Mas-
son, ABRÉGÉS 1979, 1996.
3. Breton C. Croyances médicamenteuses : aller contre ou faire avec. In : La
relation médecin-malade, EMC référence. Paris : Elsevier, 2004.
4. Benoît P. Chroniques médicales d’un psychanalyste. Collection Rivages,
1988:p 216.
TRIBUNE
6
La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no302 - janvier-février 2006