La Lettre du Cancérologue - Suppl. Les Actualités au vol. XIV - n° 6 - décembre 2005
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Les mots
&les hommes
C’est cette demande, que le malade adresse au médecin au-
delà de ses indispensables compétences techniques.
Il serait absurde de réduire les compétences techniques du
médecin à la partie congrue de la demande du patient.
Celles-ci sont toujours essentielles à ses yeux, mais il
attend bien plus du thérapeute, cet être supposé savoir.
À se centrer exclusivement sur le discours scientifique qui
apprécie objectivement les effets thérapeutiques (à partir
d’une méthodologie indispensable pour valider la qualité et
la pertinence d’un médicament ou d’un examen complé-
mentaire), on rend inévitable le malentendu dans la rela-
tion médecin-malade.
Quand la médecine néglige la part d’irrationnel de la rela-
tion du malade au médical, elle se révèle insuffisante à
répondre à la demande du sujet malade qui se tourne vers
des médecines dites parallèles, douces ou alternatives.
Cette démarche correspond à une revendication de la part
humaine dans la thérapeutique, liée au langage, à la parole,
au corps humanisé et non pas seulement biologique. La part de
l’humain, c’est, aussi, celle qui tient compte de l’irrationnel.
Que penser des médecines parallèles ?
L’écoute de la part irrationnelle de l’individu
Les médecines dites parallèles, douces, alternatives prennent
la place d’un Idéal, idéal de la médecine, une médecine
“holistique” qui tient compte de l’individu dans sa globalité
et s’adresse à son corps, son esprit, son “âme”.
Il est vrai que les thérapeutes des médecines parallèles
consacrent généralement beaucoup de temps à l’écoute des
patients qui se sentent mieux compris et entendus dans leurs
dimensions humaines, émotionnelles, spirituelles.
Confronté à la violence de l’annonce d’un cancer ou d’une
maladie grave, face à une médecine de plus en plus tech-
nique qui multiplie les interlocuteurs et devient, par la force
des choses, de plus en plus avare de son temps, le malade
peut se sentir profondément perdu, dépourvu de points de
repère, notamment quand il n’existe pas de soutien familial.
Si la relation avec son médecin se limite à un échange
rationnel et pragmatique sur le diagnostic et les traitements,
le malade se retrouve confronté à l’intolérable, la terrifiante
et abyssale crudité de la maladie qui le renvoie à sa mort.
S’il n’existe pas de médiation dans son rapport au médical,
si fait défaut la parole d’un Autre qui vient humaniser le vécu
du sujet, entendre sa part d’irrationnel, c’est-à-dire ses émo-
tions, ses croyances, sa culture, créer un lien d’humanité par-
tagée, le malade ne pourra pas affronter la maladie.
Parce que la maladie inflige au sujet une profonde blessure
narcissique, celui-ci a plus que jamais besoin du regard de
l’Autre pour se reconnaître encore et toujours dans l’ordre de
l’humain.
Les malades qui se tournent vers les médecines parallèles
expriment souvent ce besoin d’un “supplément” d’humanité.
Une idéologie à discuter
Mais la motivation et les raisons qui conduisent des patients
vers les médecines parallèles peuvent être multiples : rejet
du médicament biologique vécu comme contraire à la part
humaine, à la nature, fantasme de toute-puissance psychique
qui annulerait la fragilité organique, éliminant plus ou moins
la nécessité d’un médicament, besoin “d’y croire encore” alors
que tout semble perdu, manipulation psychique de personnes
fragilisées (même si ce n’est pas fréquent, on ne peut ignorer
l’existence d’un certain nombre de charlatans dans ce
domaine)…
Une idéologie sous-tend, nous semble-t-il, ces pratiques paral-
lèles, idéologie qu’il convient de connaître pour com-
prendre la démarche des patients.
Ces médecines se définissent comme “douces” car proches de
la “nature” (comme si la nature était par définition douce…).
Elles peuvent recourir aux plantes, à différentes sortes de trai-
tements non agressifs, respectueux de l’équilibre biologique
et psychologique du sujet, et relever dès lors d’une médecine
qui se situerait du côté d’Éros et s’opposerait à Thanathos, la
destruction et la mort, représenté par la médecine tradition-
nelle, la science, la chimie, et la violence qui s’y rattache.
(Il est étonnant de constater que l’on n’évoque jamais la vio-
lence que peut constituer pour le médecin l’évolution de la
science, et comment, pour lui aussi, il existe une déshumani-
sation de la relation au médical. Ce sujet demanderait à être
plus largement exploré).
Certaines de ces médecines valorisent le pouvoir du psy-
chisme comme force toute-puissante de l’individu. Elles
incitent à vouloir guérir à tout prix par la force et la déter-
mination du psychisme du patient.
On ne peut douter de l’importance du désir de vie dans l’évo-
lution de la maladie, mais cela impose deux remarques.
Premièrement, le désir de vie appartient au domaine de l’in-
conscient et il paraît bien difficile “d’apprécier” simplement ce
désir de vie, pour le patient lui-même.
Il ne suffit pas de dire : “Je dois guérir !” ou “Tu dois guérir,
tu vas y arriver !” pour que cela fonctionne…
Deuxièmement, donner au psychisme et à l’effort de volonté
un tel pouvoir est non seulement de l’ordre du fantasme,
mais s’avère néfaste pour le patient.
N’oublions pas que c’est avant tout le pronostic de la maladie
qui conditionne son cours, même si les caractéristiques psy-