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Correspondances en Risque CardioVasculaire - Vol. III - n° 4 -octobre-novembre-décembre 2005
Cette spécificité humaine passe par la parole.
Quand le sujet, confronté à la détresse de la
maladie, n’a plus sa place dans la parole, il en
appelle à l’illusion de théories multiples pour
tenir à distance son désespoir et sa souffrance.
L
ADEMANDE DU MALADE
N
’
ESTPAS SEULEMENT
UNE DEMANDE DE GUÉRISON
,
MAIS AUSSI CELLE D
’
UN SAVOIR SUR LUI
-
MÊME
Le malade est un sujet qui s’adresse aux méde-
cins et à la médecine, c’est-à-dire un individu
dans toute sa singularité.
Si on limite la demande du malade à une demande
de guérison, fût-elle éperdue, on risque fort de
passer à côté de la demande du sujet, qui est,
aussi et de façon intriquée, celle d’un savoir sur
lui-même, demande particulièrement prégnante
face à la maladie grave et lorsque le pronostic
vital est en jeu.
“Guérissez-moi, docteur, et dites-moi aussi
comment faire avec ça, ce mal, cette souffrance,
avec ma vie, dans mon rapport au monde.
Donnez-moi un savoir sur moi-même qui donne
du sens à tout ça” !
La maladie fait voler en éclats les points de repère
du sujet sur son être et le sens de sa vie. Elle le ren-
voie violemment à ses limites et à ses man-
ques, et soumet le malade à la question de sa
capacité à être, à son histoire, à son désir, à sa
vie et à sa mort.
Le malade a besoin des paroles de l’autre pour
se parler à lui-même, donner (re-donner) du
sens à son être, un sens à sa vie, traverser
l’épreuve, se reconstruire.
C’est cette demande, que le malade adresse au
médecin au-delà de ses indispensables compé-
tences techniques.
Il serait absurde de réduire les compétences
techniques du médecin à la partie congrue de la
demande du patient. Celles-ci sont toujours
essentielles à ses yeux, mais il attend bien plus
du thérapeute, cet être supposé savoir.
À se centrer exclusivement sur le discours scien-
tifique qui apprécie objectivement les effets théra-
peutiques (à partir d’une méthodologie indispen-
sable pour valider la qualité et la pertinence d’un
médicament ou d’un examen complémentaire),
on rend inévitable le malentendu dans la rela-
tion médecin-malade.
Quand la médecine néglige la part d’irrationnel
de la relation du malade au médical, elle se révèle
insuffisante à répondre à la demande du sujet
malade qui se tourne vers des médecines dites
parallèles, douces ou alternatives.
Cette démarche correspond à une revendication
de la part humaine dans la thérapeutique, liée au
langage, à la parole, au corps humanisé et non pas
seulement biologique. La part de l’humain, c’est,
aussi, celle qui tient compte de l’irrationnel.
Q
UE PENSER DES MÉDECINES PARALLÈLES
?
L’écoute de la part irrationnelle de l’individu
Les médecines dites parallèles, douces, alterna-
tives prennent la place d’un Idéal, idéal de la mé-
decine, une médecine “holistique” qui tient
compte de l’individu dans sa globalité et s’adresse
à son corps, son esprit, son “âme”.
Il est vrai que les thérapeutes des médecines
parallèles consacrent généralement beaucoup de
temps à l’écoute des patients qui se sentent
mieux compris et entendus dans leurs dimen-
sions humaines, émotionnelles, spirituelles.
Confronté à la violence de l’annonce d’un cancer
ou d’une maladie grave, face à une médecine de
plus en plus technique qui multiplie les interlocu-
teurs et devient, par la force des choses, de plus
en plus avare de son temps, le malade peut se
sentir profondément perdu, dépourvu de points
de repère, notamment quand il n’existe pas de
soutien familial.
Si la relation avec son médecin se limite à un
échange rationnel et pragmatique sur le diagnos-
tic et les traitements, le malade se retrouve
confronté à l’intolérable, la terrifiante et abyssale
crudité de la maladie qui le renvoie à sa mort.
S’il n’existe pas de médiation dans son rapport au
médical, si fait défaut la parole d’un Autre qui
vient humaniser le vécu du sujet, entendre sa
part d’irrationnel, c’est-à-dire ses émotions, ses
croyances, sa culture, créer un lien d’humanité
partagée, le malade ne pourra pas affronter la
maladie.
Parce que la maladie inflige au sujet une profonde
blessure narcissique, celui-ci a plus que jamais
besoin du regard de l’Autre pour se reconnaître