Éléments de pharmacologie de la morphine
La morphine base agit en 5 minutes par voie intraveineuse (i.v.),
en 20 minutes par voie sous-cutanée et en 60 minutes par voie
orale. Sa durée d’action est de 4 heures. Elle est appelée morphine
à libération immédiate (LI). Il existe une forme à libération pro-
longée (LP), administrée par voie orale, active en 2 heures et pen-
dant 12 heures. La morphine est métabolisée par le foie en deux
principes dont l’activité globale et les effets indésirables cumulés
sont équivalents à la morphine initiale. L’élimination est rénale,
faisant de l’insuffisance rénale la seule difficulté d’utilisation.
Les tabous
Il n’existe aucune contre-indication absolue de la morphine en
dehors de l’allergie exceptionnelle. On rappelle, en effet, que la
morphine est un dérivé naturel analogue aux endorphines secré-
tées par le système nerveux central. Il existe, en revanche, cer-
taines précautions d’emploi liées aux insuffisances viscérales qui
doivent faire majorer la surveillance. La principale précaution
participe de l’insuffisance rénale exposant au risque de surdo-
sage. La morphine est dialysable et peut être utilisée en cas
d’insuffisance rénale terminale. Il convient de diminuer la fré-
quence et la posologie des administrations. L’insuffisance respi-
ratoire terminale majeure justifie une surveillance stricte et régu-
lière de la fréquence respiratoire. L’insuffisance hépatocellulaire
requiert une vigilance quant à la tolérance psychodysleptique.
Les adaptations thérapeutiques sont plus progressives et la rota-
tion est plus fréquente (cf. infra). La douleur se comporte comme
un “aspirateur à morphine” prévenant le risque de toxicomanie.
Une accoutumance conduit à proposer une rotation.
Les règles de prescription de la morphine
1. Préférer la voie orale : elle facilite l’autonomie du patient et
est la plus physiologique.
2. Préférer la morphine en première intention. Les autres ago-
nistes ont l’AMM en deuxième intention.
3. Proposer un traitement efficace le plus précocement possible.
Lorsqu’une douleur nociceptive persiste malgré des antalgiques
de classe II à posologie maximale, on initie le traitement mor-
phinique par la morphine LP 30 mg matin et soir. La posologie
d’attaque sera de 20 mg x 2/j en cas de douleur modérée, d’insuf-
fisance rénale ou chez la personne âgée.
4. Prendre le traitement de fond (morphine LP) à heure fixe. La
morphine LI est prise toutes les 4 heures en cas de douleur.
5. Toujours associer un traitement des recrudescences doulou-
reuses par morphinique LI au traitement de fond par morphinique
LP. La morphine LP s’oppose à la douleur de fond. Celle-ci est
émaillée de recrudescences douloureuses qui sont corrigées par
des interdoses de morphine LI, dont la posologie s’élève à un
sixième de la posologie quotidienne de morphine LP.
6. Prévenir les effets secondaires (tableau II) : toute prescription
de morphinique doit comporter une prévention systématique de
la constipation (laxatif osmotique ± péristaltique) et prévenir
éventuellement des nausées (halopéridol 2 ‰ : 5 gouttes sublin-
guales x 3/j). Tous les morphiniques agonistes purs présentent
les mêmes effets indésirables, mais à des intensités diverses et
de façon variable selon les individus.
7. Rechercher la posologie minimale efficace. L’absence d’inter-
dose consommée et de douleur pendant plusieurs jours doit
conduire à baisser la posologie LP de 10 à 20 %.
13
La Lettre d’Oto-rhino-laryngologie et de chirurgie cervico-faciale - no304-305 - mai-août 2006
Tableau I. Les différents antalgiques de l’OMS.
Antalgiques Antalgiques Antalgiques
de classe I de classe II de classe III
•AINS •Codéine ± paracétamol •Morphine
•Acide salicylique •D-propoxyphène ± paracétamol •Hydromorphone
•Paracétamol •Poudre d’opium ± paracétamol •Oxycodone
•Néfopam •Fentanyl
•Kétamine •Méthadone
Tableau II. Effets indésirables des morphiniques et leur prévention.
Effets indésirables Traitement préventif ou curatif
Constipation (99 % des cas) Régime, laxatifs osmotiques
± prokinétiques
Nausées, vomissements : transitoires Halopéridol 2 ‰ 3 à 5 gouttes
à l’introduction du traitement sublinguales x 3/j
(40 % des cas) hyoscine butylbromide,
rotation d’opioïde
Allergie et prurit Cétirizine, paroxétine
Rétention urinaire Sondage vésical
ou diminution de posologie
Psychodyslepsie : Hydratation, halopéridol,
transitoire à l’introduction rotation d’opioïde si persiste
Somnolence : n’est pas un surdosage si le patient réagit à la stimulation
et FR > 12/mn => mêmes posologies
Dépression des centres de la toux
(l’insuffisance respiratoire n’est pas une contre-indication)
Myoclonies, myosis, somnolence Prudence, risque de surdosage :
peu stimulable mêmes posologies + surveillance
accrue
Bradypnée < 8/mn Naloxone par titrage progressif
fondé sur la clinique (une trop grosse
dose provoquera un syndrome
de manque et une recrudescence
de douleurs intolérables)
L’évaluation du traitement morphinique
Elle concerne la tolérance et l’efficacité. Si un effet indésirable
persiste malgré une correction maximale, cela justifie une rota-
tion pour un autre morphinique. L’efficacité est mesurée par le
biais d’une échelle d’évaluation et en fonction du nombre d’inter-
doses prises quotidiennement. Il faut évaluer chaque douleur indé-
pendamment. Toute reprise de douleur fait craindre une pro-
gression de la pathologie.
L’adaptation du traitement
La consommation régulière d’interdoses de morphine LI signi-
fie que la posologie de fond (morphine LP) est insuffisante. Il
convient d’intégrer la dose globale de morphine LI consommée