court terme ; que peut-on savoir en fait des remanie-
ments que notre intervention provoque dans leur esprit ?
Aéviter : «nous arrivons trop tard »:
Il n’y a pas lieu d’introduire ainsi la notion de temps.
La duréedel’ACR et les délais avant RCP non-
médicaliséeetmédicalisé, ne sont pas, pour la popula-
tion générale comme pour nous, un argument définitif
nous permettant de ne pas entreprendre de RCP. Le
corollaire de ce type d’argument est du registre de la
culpabilitéchez les proches (voir infra). Lorsqu’à l’évi-
dence nous ne comptons pas initier de RCP (au vu de
l’âge du patient, d’une néoplasie au stade terminal, etc.),
la pose des palettes du scope défibrillateur interrompt les
gestes secouristes et, confirmant l’asystolie, doit
conduire immédiatement àl’annonce du décès.
Lorsque la RCP est entreprise, l’idéed’un délai
d’abandon de la réanimation ne doit être formulée
qu’avec précaution.
Le concept selon lequel la situation est au delàde
toute ressource thérapeutique (et la RCP non souhaita-
ble) implique d’être préciséavec des arguments sans
appel et doit être opposéàtout l’entourage, y compris
parfois médical.
Dans le cas particulier des MSN, il est bien difficile
de trouver le courage d’annoncer clairement le décès aux
parents. L’enfant est découvert en règle fortuitement ; le
traumatisme est maximal mais les parents sont toutefois
àmême de réaliser chez le nourrisson la présence de
signes positifs de mort : la rigidité, la froideur et la
lividitédu tégument, et ils peuvent admettre rapidement
avec nous le décès si nous faisons immédiatement le
choix de ne pas entreprendre de réanimation au seul vu
de ces signes. La simple éthique médicale doit nous faire
résister impérativement àmettre en scène un simulacre
de réanimation voire, pis, àsimuler la persistance de la
RCP lors du transfert en milieu hospitalier !
–Ne pas dire : «le patient, le malade, l’enfant, le
bébé».
–Dire : «Monsieur X, votre père, votre mari, votre
enfant Y ».
Afin que notre annonce n’ait pas de caractère imper-
sonnel, on utilisera chaque fois que faire se peut le nom
du défunt, et si possible son lien avec les proches :
«votre mari »,«votre père », on prononcera le prénom
des très jeunes enfants. Cette reconnaissance du sujet est
essentielle pour la famille qui verra dans cette attention
une relation autre que celle portéeàun «malade-
objet. ».
Ace stade de l’approche relationnelle, ilyanécessité
d’accorder àson interlocuteur, mais également àtous les
proches, un temps pour dissiper le choc de la révélation
du décès. C’est un temps pour le silence, oùil est permis
d’être physiquement au contact de ses interlocuteurs.
Ceux-ci doivent ressentir cette présence comme un
partage. Il faut admettre avec eux que leur épreuve est
insupportable, ce qui se révèle alors d’un bien plus grand
secours que nos mots de consolation.
Dans le cas précis des MSN, vouloir consoler va
conduire inévitablement àformuler alors des mots à
proprement parler inaudibles par les parents. La compas-
sion est un risque pour le soignant face àla mort, au
même titre que l’identification. Le professionnel doit
garder une position de thérapeute.
Pire encore, certains ont pu introduire une notion de
temps pour prédire une atténuation de la souffrance :
«vous allez reprendre le dessus »,«vous aurez d’autres
enfants »,«pensez aux plus grands », ce qui est propre-
ment insupportable aux parents qui pourraient légitime-
ment réagir avec violence àces propos. Toute consola-
tion est àcet instant inenvisageable. Un parent submergé
par la souffrance qu’engendre une MSN ne peut être
réconfortépar un discours de consolation ! Le seul
discours qui tienne alors sur la souffrance est celui de la
personne qui l’éprouve, et nous devons nous en tenir là
(Jean Clavreul).
Sauf si cela paraît alors indispensable, évitons tout
questionnement ou mise en doute des proches ou de
l’entourage. Si un interrogatoire des proches est inévita-
ble (àla recherche d’un problème médico-légal et surtout
dans le cas d’une MSN), il doit être très prudent dans la
formulation des questions et surtout éviter toute suspi-
cion ou jugement de principe. Les proches sont très
sensibles àce moment précis àce qui peut apparaître
comme une arrière-pensée de notre part. Ainsi, certaines
phrases ou attitudes malheureuses vont aggraver la
détresse psychologique et resteront gravées àvie dans la
mémoire des familles. Aussi, en attendant les change-
ments nécessaires, il n’est pas àl’ordre du jour de
reprocher aux témoins d’un ACR (surtout s’ils sont déjà
submergés par la douleur) leur ignorance des premiers
maillons de la chaîne de survie, en particulier les gestes
élémentaires de réanimation qui suffisent souvent à
préserver le patient. On doit, au minimum, insister sur le
fait que déclencher les secours appropriésétait le mieux
de ce qu’ils pouvaient entreprendre.
Sans doute est-il préférable de passer sous silence le
détail des gestes de réanimation, l’éventuelle récupéra-
tion d’une activitécardiaque transitoire. Parfois il est
possible de renseigner les proches sur le mécanisme
probable ou avérédu décès. Il est de même possible
d’expliquer les actions secouristes (défibrillateur semi-
automatique) ou médical s’il a pu causer un trouble aux
témoins de la réanimation.
Lorsque le patient est inclus dans un protocole de
RCP (il en existe de très invasifs, d’autres impliquant des
renforts humains ou matériels particuliers), il faut secon-
dairement recueillir l’accord des familles et c’est alors
8J.-M. LABORIE ET COLLABORATEURS