Myocardiopathies rythmiques : mythe ou réalité ? D P

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Myocardiopathies rythmiques : mythe ou réalité ?
● S. Manot, P. Attuel*
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■ Myocardiopathies d’origine rythmique : une définition
fondée sur l’évolution clinique.
■ Fibrillation auriculaire rapide et dysfonction ventriculaire
gauche : le contrôle de la fréquence cardiaque permet de
normaliser la fraction d’éjection chez certains patients.
■ Fréquence cardiaque élevée et ancienneté du trouble du
rythme : deux facteurs favorisant l’apparition d’une dysfonction ventriculaire gauche.
■ Les mécanismes cellulaires et moléculaires : encore des
inconnues.
DÉFINITION
Les myocardiopathies d’origine rythmique sont définies par une
altération de la fonction systolique et une dilatation du ventricule
gauche secondaire à un trouble du rythme supraventriculaire.
Cette définition exclut donc les myocardiopathies dilatées primitives compliquées de fibrillation auriculaire (FA), qu’elles
soient d’origine ischémique, énolique, iatrogène... ou idiopathique ; le problème en clinique est de répondre à la question :
cause ou conséquence ? C’est l’évolution qui peut les différencier : les myocardiopathies rythmiques peuvent régresser après
contrôle ou régularisation de la fréquence ventriculaire. Il est en
fait classique de définir les myocardiopathies rythmiques comme
des dysfonctions réversibles du ventricule gauche secondaires à
une tachycardie chronique ou paroxystique récidivante d’origine
supraventriculaire. Cette définition découle des observations
cliniques que nous allons voir, étayées par les données échographiques. Mais les mécanismes responsables de ce phénomène
restent pour l’instant incomplètement élucidés.
FAITS CLINIQUES
Cette entité, pressentie dès 1913 (1), a été décrite par Phillips et
Levine en 1949 (2). Plus récemment, la surveillance échogra* Service de cardiologie B, Centre chirurgical du Val-d’Or, 92210 Saint-Cloud.
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phique de patients ayant une FA avec fréquence ventriculaire
rapide et une dysfonction ventriculaire gauche a permis d’authentifier une amélioration de la fonction systolique et diastolique
du ventricule gauche après traitement médical visant à contrôler
la fréquence cardiaque. En 1992, une équipe de la Mayo Clinic
(3) rapporte une série de 10 patients âgés de 22 à 80 ans admis
pour insuffisance cardiaque, considérés initialement comme ayant
une myocardiopathie idiopathique compliquée de FA. Chez tous
les patients, le contrôle de la fréquence cardiaque a été possible ;
5 d’entre eux étaient en rythme sinusal. L’ amélioration clinique
et échographique n’a pas été immmédiate, mais progressivement
croissante entre un mois et douze mois après contrôle thérapeutique, ce qui confirme que ce n’est pas la fréquence ventriculaire
élevée qui fausse le calcul de la fraction d’éjection, mais qu’il
s’agit plutôt d’une dysfonction ventriculaire gauche secondaire
à une arythmie rapide. Dans cette étude, le suivi était supérieur à
un an chez 9 patients sur 10.
Trois patients ont eu une récidive de FA entraînant de nouveau
une décompensation cardiaque, ce qui suggère un lien de causalité.
À titre d’exemple, l’évolution de la fraction d’éjection chez une
femme de 55 ans en fonction de la fréquence cardiaque est indiquée (figure 1).
FE (%)
70
61
60
52
50
40
30
20
20
20
10
0
Initiale
FA150
3 mois
FA 75
51 mois
FA 140
56 mois
RS 80
Fréquence cardiaque (bpm)
Figure 1. Différentes fractions d’éjection (FE) observées chez une
femme de 55 ans en fonction de la fréquence cardiaque. Initialement, la
fréquence cardiaque est égale à 150 bpm en fibrillation auriculaire (FA)
et la FE à 20 %. Trois mois après contrôle de la fréquence cardiaque,
toujours en FA, la FE se normalise. Quatre ans plus tard, la FE est de
nouveau altérée lors d’un passage en FA à 140 bpm, le retour en rythme
sinusal (RS) cette fois-ci, à 80 bpm, permet également une normalisation
de la FE en quelques mois (Am J Cardiol 1992 ; 69 : 1570-3).
La Lettre du Cardiologue - n° 307 - février 1999
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Cette étude suggère que la rapidité de la fréquence ventriculaire
est le déterminant principal de l’apparition d’une dysfonction
ventriculaire, mais que l’irrégularité de rythme ventriculaire, si
la fréquence est basse, n’est pas délétère. En revanche, il n’a pas
été possible de préciser le rôle de l’ancienneté de l’arythmie non
ressentie chez ces patients dont le symptôme majeur était l’insuffisance cardiaque.
L’ablation du nœud auriculoventriculaire par radiofréquence
avec mise en place d’un stimulateur cardiaque est une technique plus récente permettant de régulariser et de ralentir la fréquence cardiaque. Elle est proposée en dernier recours aux
patients ayant une arythmie rebelle après échec du traitement
médical. Plusieurs équipes (4-6) ont suivi l’évolution des paramètres échographiques de patients traités par cette méthode, en
isolant un sous-groupe de sujets ayant une dysfonction ventriculaire gauche initale.
Toutes ont constaté une amélioration globale de la fonction ventriculaire gauche. L’équipe d’Edner (6) a réalisé une étude prospective incluant 29 patients ; 14 avaient une dysfonction ventriculaire gauche associée. Parmi eux, 11 ont eu une amélioration
significative de la fraction d’éjection durant les mois suivant la
procédure. Cependant, chez un patient qui avait bénéficié d’un
remplacement valvulaire mitral, la fraction d’éjection est inchangée ; enfin, pour deux patients porteurs d’une cardiopathie ischémique, on constate une dégradation de la fonction VG.
D’autres équipes comme celles de G. Heinz (4) et M.L. Rodriguez (5) ont retrouvé, pour de petites séries, des résultats comparables : amélioration de la fraction d’éjection dans les mois suivant l’ablation de la jonction auriculoventriculaire chez environ
80 % des patients ayant une myocardiopathie dilatée hypokinétique.
MODIFICATION DES PARAMÈTRES ÉCHOGRAPHIQUES
Cette amélioration est d’autant plus importante que les paramètres
échographiques initiaux sont altérés. Ces études concordent pour
montrer que l’amélioration de la fonction ventriculaire gauche
est due à une augmentation de la contractilité (majoration de la
fraction de raccourcissement), mais que le volume télédiastolique varie peu : altération irréversible du myocarde ou suivi clinique insuffisant ? Seule l’étude de Rodriguez (5), dont le suivi
moyen est supérieur à un an, montre une diminution significative
de la moyenne des diamètres télédiastoliques mesurés chez les
différents patients avant et après ablation, mais cela est essentiellement expliqué par la spectaculaire régression de ce paramètre chez un seul sujet.
D’autre part, la fonction diastolique étudiée par Edner (6) montre
un allongement du temps de décélération du flux transmitral sans
modification de la vitesse maximale ni du temps de relaxation
isovolumétrique après ablation du nœud auriculoventriculaire,
aussi bien chez les patients ayant une dysfonction ventriculaire
que chez ceux ayant un ventricule gauche normal. Cette amélioration est plus rapidement significative chez les premiers que chez
les seconds.
La Lettre du Cardiologue - n° 307 - février 1999
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Mais ces études soulèvent une interrogation : parmi ces patients,
tous inclus pour le même motif (trouble du rythme supraventriculaire rebelle au traitement médical), pourquoi certains ont-ils
développé une dysfonction ventriculaire gauche secondaire ?
L’étude rétrospective de Rodriguez ne retrouve qu’un seul paramètre différenciant ces deux groupes : ce n’est ni l’âge, ni le sexe,
ni le stade fonctionnel selon la NYHA, ni le type de FA (paroxystique ou chronique), mais l’ancienneté du trouble du rythme qui
est plus grande, en moyenne onze ans pour les sujets ayant une
dysfonction ventriculaire gauche contre cinq ans pour les autres.
L’équipe d’Edner n’a pas retrouvé ces résultats. Par ailleurs, si le
chiffre de la fréquence cardiaque lors de l’examen avant ablation
est comparable entre les deux groupes, il n’est pas rapporté de
données holter ECG : fréquence maximale, fréquence moyenne
et variabilité de RR.
D’autres formes de tachycardies plus rares que la FA, comme
les tachycardies de Coumel (7), peuvent entraîner une dysfonction ventriculaire gauche, notamment chez l’enfant. C’est une
cause beaucoup plus anecdotique chez l’adulte, mais là encore
un traitement efficace permet une régression des signes cliniques
et une amélioration de la fraction d’éjection (8). Il faut, pour cela,
savoir les reconnaître, et ne pas les interpréter a priori comme des
troubles du rythme secondaires à une dysfonction ventriculaire
gauche.
LES FAITS EXPÉRIMENTAUX ET LES MÉCANISMES
À partir de ces données cliniques, la stimulation ventriculaire à
fréquence rapide a été utilisée pour induire chez différents
modèles animaux une dysfonction myocardique réversible. Chez
le chien, une stimulation à environ 200 battements par minute
pendant trois à quatre semaines entraîne une dilatation ventriculaire, un amincissement des parois, une augmentation des
contraintes pariétales responsable d’une insuffisance cardiaque,
semblable à celle observée chez l’homme. L’étude anatomopathologique (9) montre l’apparition de multiples points de fibrose
représentant environ 6 % du myocarde, une destruction de la
matrice collagène, une perte de plus de 30 % du nombre de myocytes, compensée par une hypertrophie des cellules restantes avec
une augmentation plus importante de la longueur que de l’épaisseur. Une élévation du taux d’ARNm codant pour les protéines
du cytosquelette est corrélée au degré d’altération de celui-ci (10).
Différents mécanismes ont été évoqués comme l’ischémie myocardique, l’activation des systèmes nerveux sympathique et
rénine-angiotensine, ou encore la baisse du facteur natriurétique
auriculaire.
Il est probable que le remodelage électrique joue également un
rôle dans l’apparition des myocardiopathies rythmiques. Le remodelage électrique est mieux connu à l’étage auriculaire chez
l’homme (11) : diminution des périodes réfractaires lors des stimulations à fréquences croissantes, la perte de l’adaptation des
périodes réfractaires favorisant le déclenchement de FA.
À l’étage ventriculaire chez le chien (12), il a été récemment montré qu’une stimulation rapide d’un myocarde ayant un rythme de
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base lent entraîne un allongement de la durée du potentiel d’action, des périodes réfractaires et du QT favorisant les torsades de
pointe. On sait que l’augmentation de la fréquence modifie les
courants calciques, augmente la concentration calcique intracellulaire, mais l’ensemble des mécanismes responsables du remodelage électrique reste mal connu ; d’autres travaux permettront
certainement à l’avenir d’éclaircir ce mécanisme et peut-être son
implication dans l’apparition des myocardiopathies rythmiques
chez certains patients.
EN RÉSUMÉ
Il semble donc qu’une tachycardie d’origine supraventriculaire
peut entraîner chez certains patients une dysfonction ventriculaire gauche réversible après contrôle de la fréquence cardiaque.
Est-ce une véritable atteinte du muscle cardiaque ou simplement
la conséquence de modifications réversibles au niveau cellulaire,
tel le remodelage électrique ? Les données expérimentales font
état d’une perte de cellules myocardiques, mais elles ne sont pas
recueillies dans des conditions comparables aux observations cliniques chez l’homme.
On peut simplement conclure que, devant un tableau clinique
associant dysfonction ventriculaire gauche et tachycardie supraventriculaire, le contrôle de la fréquence cardiaque est essentiel,
même si les myocardiopathies rythmiques sont rares par rapport
aux troubles du rythme secondaires aux dysfonctions ventriculaires gauches primitives, et justifie l’emploi de techniques aussi
agressives que l’ablation du nœud auriculoventriculaire, avec mise
en place d’un stimulateur cardiaque chez certains patients dont
la seule cause de dysfonction ventriculaire gauche identifiée est
le trouble du rythme d’origine supraventriculaire. À l’avenir, la
meilleure connaissance des mécanismes mis en jeu apportera
■
peut-être une orientation thérapeutique différente.
AUTOQUESTIONNAIRE
FMC
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É F É R E N C E S
B I B L I O G R A P H I Q U E S
1. Gossage A.M., Hicks J.A.B. On auricular fibrillation. Q J Med 1913 ; 6 : 435-40.
2. Phillips E., Levine S.A. Auricular fibrillation without other evidence of heart
disease : a cause of reversible heart failure. Am J Med 1949 ; 7 : 478-89.
3. Grogan M., Smith H.C., Gersh B., Wood D. Left ventricular dysfunction due to
atrial fibrillation in patients initially believed to have idiopathic dilated cardiomyopathy. Am J Cardiol 1992 ; 69 : 1570-3.
4. Heinz G., Siostrzonek P., Kreiner G., Gössinger H. Improvement in left ventricular systolic function after successful radiofrequency His bundle ablation for
drug refractory chronic atrial fibrillation and recurrent atrial flutter. Am J
Cardiol 1992 ; 69 : 489-92.
5. Rodriguez L.M., Smeets J.L.R.M., Xie B., de Chillou C., Cheriex E., Pieters F.
et coll. Improvement in left ventricular function by ablation of atrioventricular
nodal conduction in selected patients with lone atrial fibrillation. Am J Cardiol
1993 ; 72 : 1137-41.
6.
Edner M., Caidahl K., Berfeldt L., Darpö B., Edvardsson N., Rosenqvist M.
Prospective study of left ventricular function after radiofrequency ablation of
atrioventricular junction in patients with atrial fibrillation. Br J Heart 1995 ; 74 :
261-7.
7. Coumel P., Attuel P., Mugica J. Junctional reciprocating tachycardia : the permanent form. In : Kulbertus H.E., ed. Reentrant Arrhythmias. Lancaster : MTP,
1977 : 170-83.
8. Cruz F.E.S, Cheriex E.C., Smeets J.L.R.M., Atle J., Peres A.K., Penn O.C.K.M.
et coll. Reversibility of tachycardia-induced cardiomyopathy after cure of incessant supraventricular tachycardia. J Am Coll Cardiol 1990 ; 16 : 739-44.
9. Kajstura J., Zhang X., Liu Y., Szoke E., Cheng W., Olivetti G. et coll. The cellular basis of pacing-induced dilated cardiomyopathy. Circulation 1995 ; 92 :
2306-17.
10. Eble D.M., Spinale F.G. Effects of chronic supraventricular tachycardia on
contractile and non contractile mRNA expression : relation to changes in myocyte structure and function. Am J Physiol 1995 ; 268 : H2426-39.
11. Attuel P., Childress R.W., Cauchemez B., Proveda J., Mugica J., Coumel P.
Failure in rate adaptation of the atrial refractory period : its relation to vulnerability. Int J Cardiol 1982 : 179-97.
12. Satoh T., Zipes D.P. Rapid rates during bradycardia pacing prolong ventricular refractoriness and facilitate ventricular tachycardia induction with cesium
in dogs. Circulation 1996 ; 94 : 217-27.
Vrai ou faux ?
Parmi les propositions suivantes concernant les dysfonctions ventriculaires gauches secondaires à un trouble du
rythme supraventriculaire, lesquelles sont exactes ?
a . l’âge est un facteur qui détermine l’apparition de ce type de dysfonction ventriculaire gauche
b . la notion de myocardiopathie d’origine rythmique exclut toutes les formes primitives d’altération du muscle cardiaque
c . le suivi échographique permet en quelques jours de quantifier l’amélioration de la fonction ventriculaire gauche après
contrôle de la fréquence cardiaque
d . chez le chien, on observe une perte de cellules myocardiques lors de la survenue d’une dysfonction ventriculaire gauche
secondaire à une stimulation à fréquence élevée
RÉPONSES
a. Faux, des observations cliniques ont été faites chez des enfants et chez des personnes âgées.
b. Vrai, la définition inclut la notion de réversibilité de la dysfonction ventriculaire gauche, incompatible avec une atteinte primitive du
myocarde.
c. Faux, l’amélioration échographique n’est sensible qu’après quelques semaines, significative à environ trois mois ; elle peut se poursuivre
au-delà de six mois.
d. Vrai, une perte d’environ 30 % du nombre de cellules myocardiques a été observée.
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