La Lettre du Cardiologue - n° 359 - novembre 2002
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CAS CLINIQUE
Un traitement par aspirine à forte dose (3 g/24 h) est instauré,
mais l’évolution est défavorable, avec une aggravation de la
dyspnée et l’apparition d’un signe de Kussmaul au 7ejour. L’écho-
cardiographie confirme l’apparition d’une tamponnade avec
aggravation de l’épanchement, notamment au contact du VG
(figure 4), compression diastolique des cavités droite et inspira-
toire du ventricule gauche. La fonction systolique ventriculaire
gauche est conservée (60 %).
Un drainage chirurgical par voie sous-xiphoïdienne, avec biop-
sie péricardique, est effectué en urgence, permettant l’évacuation
de 500 ml d’un liquide séro-hématique. L’examen cytochimique
identifie un exsudat avec une formule inflammatoire et la biop-
sie révèle un péricarde fibrineux avec prolifération fibroblastique,
sans signe de malignité ni argument en faveur d’une tuberculose.
Les suites opératoires sont simples.
Après un intervalle libre de 3 mois, Mme V. présente une asthé-
nie marquée, avec un amaigrissement, une dyspnée d’effort en
relation avec un épanchement pleural droit modéré sans péricar-
dite récidivante associée, et des arthralgies migratrices avec signes
inflammatoires locaux touchant les mains, les coudes et les che-
villes. Le bilan inflammatoire montre une réascension de la VS
à 84/115 mm et de la CRP à 80 mg/l, la présence d’anticorps anti-
nucléaires (1/640, fluorescence de type moucheté, homogène-IFI
sur cellules Hep 2), anti-SSA (> 80 Uarb), anticardiolipines
(23 U GPL/ml), alors que la recherche d’anticorps anti-DNA est
négative et que le complément sérique reste normal. Le diagnos-
tic de lupus érythémateux disséminé est posé. L’évolution est
rapidement favorable, avec disparition de la pleurésie et norma-
lisation du bilan inflammatoire 3 mois après l’instauration d’une
corticothérapie per os (1 mg/kg/j), permettant une décroissance
rapide des doses sur 8 mois avec relais par Plaquenil®(2 cp/j).
Discussion
Nous décrivons ici un cas de tamponnade, manifestation initiale
d’un lupus érythémateux, ayant nécessité un drainage chirurgi-
cal en urgence, le traitement anti-inflammatoire étant inefficace.
Le bilan biologique initial n’est pas contributif.
Le diagnostic initial était orienté vers une péricardite virale, en
l’absence d’argument en faveur d’une maladie systémique, d’une
tuberculose ou d’une affection néoplasique. Le diagnostic de
lupus n’est posé que 3 mois plus tard, lors d’une phase de réac-
tivation de la maladie sur les critères suivants : polyarthrite non
érosive, épanchements des séreuses (pleurésie récidivante, péri-
cardite récente), anomalies hématologiques (anémie, lymphopé-
nie) et immunologiques (présence d’anticorps antinucléaires, anti-
SSA, anticardiolipines).
Dans cette observation, les signes immunologiques apparaissent
de façon retardée par rapport aux manifestations cliniques ini-
tiales. Il semble donc utile de refaire un bilan d’auto-immunité
en cas de péricardite d’évolution inhabituelle.
La péricardite est la manifestation cardiaque la plus fréquente du
lupus, et sa fréquence varie selon les critères diagnostiques rete-
nus : clinique 20-30 %, échographique 30-55 %, autopsique 60-
80 % (1-4).
En revanche, la tamponnade est une complication rare et excep-
tionnellement révélatrice (5,6).Sa fréquence est estimée à moins
de 10 % et à 1 % pour la forme révélatrice (3).
Cette rareté, contrastant avec la fréquence de l’atteinte péricar-
dique, pourrait être due à la large utilisation des corticoïdes et des
AINS dans le traitement de la maladie (2).La péricardite survient
généralement lors des phases d’activation de la maladie ; la tam-
ponnade est souvent associée à une pleurésie et à des manifesta-
tions graves telles que l’anémie hémolytique, la néphropathie
étant notée dans 50 % des cas (3, 7).
Les facteurs responsables de l’apparition de tamponnade sont
l’inflammation, l’insuffisance rénale et le sepsis (3).
Cette complication peut être présente dans les lupus spontanés,
mais aussi induits. Les observations rapportées concernent la
procaïnamide, l’isoniazide, l’hydralazine, la carbamazépine,
la salazopyrine. Leur caractéristique biologique principale est la
présence d’anticorps anti-histone (2, 8, 9).
Le traitement de la tamponnade repose sur la corticothérapie, sur
la péricardiocentèse sous-xiphoïdienne sous contrôle échocar-
diographique ou la péricardiotomie (3). Le risque iatrogène de la
péricardiocentèse (lacération myocardique et ponction coronaire)
étant considéré comme important, certains la réservent aux tam-
ponnades engageant le pronostic vital et en cas de suspicion de
péricardite purulente (2-4). Des doses massives de corticoïdes
administrées par voie parentérale seraient efficaces et constitue-
raient une alternative à la péricardiocentèse (2, 4).
L’évolution est presque constamment favorable. La récidive de
péricardite est rare et reste sensible aux anti-inflammatoires. Dans
les formes récidivantes avec épanchement abondant, certains
auteurs préconisent l’injection intrapéricardique de corticoïde
après péricardiocentèse, mais il est parfois nécessaire de recou-
rir à une péricardectomie ou à une fenêtre péricardique (2). Cer-
tains auteurs recommandent un traitement par colchicine (1 mg/j)
pendant un à deux ans pour prévenir les récidives ; il permettrait
la diminution, et même l’arrêt, de la corticothérapie (en l’absence
de signes d’activité du lupus) (2).
L’évolution vers la constriction est exceptionnelle (2).
Figure 4. Échocardiogramme bidimensionnel à J7. Coupe apicale 4 cavi-
tés : aggravation de l’épanchement au contact du ventricule gauche.