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La Lettre de l’Infectiologue - Tome XIV - n° 10 - décembre 1999
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MALADIE DES LÉGIONNAIRES ET ANTIGÈNES URINAIRES
L’absence de signes cliniques spécifiques de la maladie des
Légionnaires et la mortalité élevée de celle-ci en l’absence de
traitement précoce adapté justifient la nécessité d’un diagnos-
tic rapide. La détection dans les urines des antigènes de Legio-
nella pneumophila de sérotype 1 (Lp1), responsable de plus
de 80% des cas de légionelloses, est une méthode diagnostique
rapide, qui paraît sensible et spécifique. E. de Carolis et coll.
(Montréal, Canada [522]), à l’occasion d’une étude prospec-
tive multicentrique menée de janvier 1996 à octobre 1997, ont
cherché à évaluer l’incidence des pneumonies à Legionella,
chez 822 patients âgés de plus de 16 ans hospitalisés pour pneu-
monie communautaire (signes cliniques de pneumonie plus
infiltrat pulmonaire radiologique), en réalisant systématique-
ment une détection d’antigène urinaire Lp1 (ELISA), une séro-
logie de légionelle (IF et ELISA) à la phase aiguë et lors de la
convalescence, et une culture de prélèvements respiratoires.
Vingt et un cas de pneumonies à Legionella (2,6 %) ont ainsi
été diagnostiqués : Lp1 dans 18 cas (86 %), dont 17 révélés par
la présence d’antigènes urinaires et 1 par la culture, Lp2 dans
2 cas (9 %) identifiés par la culture d’un lavage broncho-alvéo-
laire, et 1 cas à Legionella micdadei diagnostiqué par culture.
La sensibilité de la recherche d’antigènes urinaires de Lp1 dans
cette étude est de 81 %. Dix-sept des 18 pneumonies à Lp1
n’auraient pas été détectées sans la recherche des antigènes
urinaires.
Cependant, les antigènes peuvent persister dans les urines même
après un traitement antibiotique spécifique, et leur présence
pourrait témoigner d’une infection antérieure. La durée
d’excrétion des antigènes est encore mal connue. N. Sopena et
coll. (Barcelone, Espagne [225]) ont suivi la cinétique d’éli-
mination des antigènes urinaires Lp1 chez 42 patients chez qui
cette recherche (méthode immunoenzymatique) avait été posi-
tive. Les prélèvements urinaires ont été contrôlés une fois par
mois pendant quatre mois puis tous les trois mois jusqu’à la
négativation. L’antigénurie se négative dans les deux mois qui
suivent le diagnostic chez 28 patients (66,6 %), dans 7 cas entre
le deuxième et le troisième mois (16,6 %) et, dans les 7 der-
niers cas, après le troisième mois (plus de 6 mois dans deux
cas, et plus d’un an chez un patient) (figure 1). L’étude des
caractéristiques épidémiologiques et cliniques des patients
montre que l’excrétion urinaire prolongée au-delà de 60 jours
est corrélée de façon significative à un délai d’apyrexie supé-
rieur à 48 heures et une séroconversion plus fréquente.
PNEUMONIES D’INHALATION
La place des pneumonies d’inhalation communautaires est
diversement appréciée dans la littérature (3 à 9 %) et proba-
blement sous-estimée. B. Rosonet et coll. (Barcelone, Espagne
[521]) ont trouvé une incidence de 6 % dans une série de
847 patients hospitalisés entre février 1995 et décembre 1998
pour pneumonie communautaire. L’enquête microbiologique
comportait des hémocultures, un examen cytobactériologique
des crachats, des sérologies et, pour certains patients, des
méthodes invasives ont été réalisées. Le diagnostic de pneu-
Pneumonies communautaires
0
5
123456789101112
10
15
20
25
Nombre de patients
Mois
Dédl éi d iè i i L1
Figure 1. Durée de l’excrétion des antigènes urinaires Lp1. .../...
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monie d’inhalation (PI ) certaine est défini par l’isolement de
germes de la flore oropharyngée aérobie/anaérobie dans un pré-
lèvement non contaminé, et la PI est probable en présence de
facteurs prédisposant à l’inhalation, de signes cliniques haute-
ment évocateurs et d’atteinte radiologique concordante. Ainsi
définie, une PI a été identifiée chez 52 patients, soit 6 % :
11 PI certaines (21 %), 41 probables (79 %). Il s’agit de la troi-
sième cause de pneumonie identifiée après Streptococcus pneu-
moniae (24 %) et Legionella pneumophila (8 %). Haemophi-
lus influenzae et les autres germes atypiques sont en cause dans
5% des pneumonies, alors qu’aucune cause n’a été identifiée
dans 49 % des cas. Les 11 PI certaines sont toutes polymicro-
biennes et comportent une flore uniquement anaérobie dans
9%,aérobie seule dans 45 % et mixte dans 46 % des cas. Les
principaux facteurs prédisposant à l’inhalation sont les troubles
neurologiques (21 cas), un cancer cervico-facial (6 cas), une
tentative de suicide médicamenteuse et l’ivresse (6 cas). Les
patients atteints de PI sont plus souvent des hommes, ont plus
fréquemment des facteurs prédisposant à l’inhalation et une
altération de la conscience, des abcès et empyèmes. Clinique-
ment, le début est moins brutal, les patients ont moins souvent
de frissons, de douleurs pleurales, de myalgies et de céphalées
que dans les autres pneumonies. Dans cette série, la mortalité
évaluée à J30 est de 21 % en cas de PI contre 11 % dans les
autres pneumonies.
GERMES ATYPIQUES
J.T. Summersgill et coll. (Louisville, États-Unis [523]) ont
présenté les résultats d’une enquête microbiologique de
413 pneumonies communautaires au cours de laquelle ils ont
tenté d’identifier un germe atypique par toutes les méthodes
diagnostiques actuellement diponibles : analyse bactériologique
des crachats par coloration de Gram et cultures, y compris pour
la recherche de Legionella pneumophila (Lp), de Chlamydia
pneumoniae (Cp), de Mycoplasma pneumoniae (Mp). La
recherche de Cp, Mp et Lp a aussi été faite par PCR dans le
prélèvement oropharyngé. Étaient associées deux séries d’hé-
mocultures, la sérologie de Cp, Mp, Lp à la phase aiguë et lors
de la convalescence, enfin la recherche d’antigènes Lp1 dans
les urines. Le diagnostic de pneumonie à Mp était probable en
présence d’un titre d’IgM 16, ou d’IgA 32, certain en pré-
sence d’IgM et/ou d’une séroconversion IgG ou d’une baisse
du taux d’anticorps après traitement, ou d’une PCR positive,
ou d’une culture positive. L’infection à Cp était probable pour
des taux d’IgM 10 ou d’IgA 512, certaine en présence d’IgM
et/ou d’une séroconversion IgG ou d’une baisse du taux d’an-
ticorps après traitement, ou d’une PCR positive, ou d’une cul-
ture positive. L’infection à Lp était certaine en cas de sérocon-
version, en présence d’antigène urinaire, de PCR positive ou
de culture positive. Aucun germe n’a pu être identifié dans 47 %
des cas. Un germe “typique” est trouvé chez 141 patients
(34 %), et un germe atypique chez 110 patients (26 %). Le
diagnostic de pneumonie atypique a été porté de façon certaine
dans 35 % des cas. Les germes atypiques sont seuls respon-
sables de la pneumonie dans 74 des 110 cas identifiés, et asso-
ciés à d’autres germes dans 36 cas (tableau I). Cette étude
montre la place significative des germes dits atypiques comme
agent étiologique aussi bien isolé qu’associé dans les pneumo-
nies communautaires. L’identification d’un germe dit typique
ne doit pas exclure la possibilité d’une association à un germe
atypique copathogène, et inversement. Ces résultats pourraient
inciter, en cas d’échec d’une antibiothérapie probabiliste d’une
pneumonie communautaire, à réaliser une association active
sur les deux catégories de germes plutôt que d’effectuer un
changement de classe thérapeutique.
T.J. Marrie et coll. (Halifax, Canada [524]) ont étudié la place
des différentes espèces de Chlamydia au cours des pneumonies
communautaires. Cinq cent trente-cinq patients ont été inclus
entre janvier 1996 et septembre 1997 dans quinze centres. Tous
ont bénéficié de la recherche d’anticorps (IF) dirigés contre
C. pneumoniae (Cp), C. psittaci (souche aviaire, souche féline,
souche turque et souche du pigeon), C. percorum et C. tracho-
matis. Quarante-deux patients (7,8 %) présentaient les critères
d’infection récente à Cp ( séroconversion > 4, ou IgM 16, ou
IgG 512 ou IgA 64). Deux patients présentaient une infec-
tion à C. psittaci souche féline (0,3 %). Il n’y a eu aucun cas
d’infection par les autres souches de Chlamydia. Cp est asso-
cié dans 26 cas (62 %) à 39 copathogènes (un seul autre patho-
gène dans 16 cas, 2 autres pathogènes dans 10 cas) : Strep-
tococcus pneumoniae :13 (33 %), virus Influenza :7 (17,9 %),
VRS : 5 (12,8 %), Mp : 2 (5,1 %), Lp : 2 (5,1 %). La compa-
raison entre les patients atteints de pneumonie à Cp et les autres
ne montre pas l’existence de signes propres à ce germe. Comme
le montre l’étude précédente, Cp est le plus souvent associé à
d’autres germes.
MORTALITÉ DES PNEUMONIES À PNEUMOCOQUE SEN-
SIBLE OU RÉSISTANT : APPLICATION DES CRITÈRES PRÉDIC-
TIFS DE FINE
D.R. Hinthom et coll. (Kansas City, États-Unis [2249]), comme
dans la plupart des études précédentes, n’ont retrouvé aucune
association entre la mortalité des pneumonies à pneumocoque
et la résistance aux antibiotiques. L’originalité est ici d’avoir
appliqué les critères prédictifs de Fine pour démontrer qu’ils
restent valables quelle que soit la sensibilité du pneumocoque
Tableau I. Les germes “atypiques” au cours des pneumonies
communautaires : seuls ou associés ?
Germes atypiques seuls 74/110
Germes atypiques associés 36/110
Mp + Cp 5
Mp + Lp 3
Cp + Lp 1
Mp + germe “typique” 14
Cp + germe “typique” 9
Lp + germe “typique” 4
MP : Mycoplasma pneumoniae ; Cp : Chlamydia pneumoniae ; Lp : Legionella pneu-
moniae.
.../...
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aux antibiotiques. Cent soixante-deux patients (95 hommes,
67 femmes) atteints de pneumonie (communautaire ou nosoco-
miale) à pneumocoque ont été inclus. Les patients ont été ensuite
répartis selon les classes à risque de Fine et la résistance aux
différentes classes d’antibiotiques (tableau II). Aucun des
patients des trois premières classes de Fine ne décède, contre 4
(12 %) et 10 (40 %), respectivement, de ceux des classes IV et
V. Ces différences de pronostic ne sont pas corrélées à des dif-
férences de répartition des souches résistantes de pneumocoque.
Le taux de mortalité est même légèrement supérieur dans le
groupe des patients atteints d’infection à pneumocoque sensible
(figure 2). La prise en charge des pneumonies doit être pour-
suivie sur la base des critères de Fine, déjà largement validés.
P. Lecocq
Paramètre Total Classe I Classe II Classe III Classe IV Classe V
Nombre de patients 162 23 55 25 34 25
Nombre de décès (%) 14 (9) 0 0 0 4 (12) 10 (40)
Nombre pneumo. noso. (%) 22 (14) 3 (13) 7 (13) 3 (12) 5 (15) 4 (16)
Nombre traités par 1 AT (%) 17 (11) 6 (26) 4 (7) 3 (12) 3 (9) 1 (4)
% souches péni-R
CMI* > 0,12 46 43 49 56 44 32
CMI 2 12 4 18 12 12 2
% souches ceftriaxone-R
CMI 2 9 4 20 4 3 0
% souches érythro-R :
CMI > 0,5 23 8 25 20 24 36
CMI 2 < 128 15 8 15 12 21 16
CMI 128 6 0 5 8 3 12
% souches TMP-SMX-R
CMI 1/19 27 30 33 36 12 24
Tableau II. Pneumonies à
pneumocoque : répartition
des patients et des souches
selon les classes de risque de Fine
et leur résistance aux antibiotiques.
Pneumo. noso. : pneumonie nosocomiale ; AT : antibiotique ; péni : pénicilline G ; R : résistant ; érythro : érythromycine ; TMP-
SMX : triméthoprime-sulfaméthoxazole ; * mg/l.
100
83
79
9
5
0
Nombre de patients
11% de mortalité
attribuable
6% de mortalité
attribuable
Pneumocoque résistant
Pneumocoque sensible
Patients décédés
Pneumonies à pneumocoque (1996-1998) : répartition des décès selon la sensibilité
aux antibiotiques
Figure 2. Mortalité des pneumonies à pneumocoque sensible ou résistant : application des critères prédictifs de Fine.
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