La poussée abdominale La dyssynergie recto-sphinctérienne ! A.M. Leroi* Figure A : Effort de poussée avec relaxation du sphincter anal et diminution des pressions anales. DÉFINITION La dyssynergie recto-sphinctérienne est également nommée asynchronisme abdomino-périnéal, anisme ou syndrome du périnée spastique. Normalement, les muscles du plancher pelvien, qui ont une activité tonique permanente en dehors de la défécation, se relâchent complètement durant la défécation. Or, certains patients contractent de façon paradoxale, ou ne relâchent pas, les muscles du plancher pelvien et, en particulier, le sphincter anal externe et le muscle pubo-rectal, lors de la défécation. C’est cette anomalie qui correspond à la dyssynergie recto-sphinctérienne ou anisme (1). Le terme d’anisme a été choisi par analogie au vaginisme qui correspond également à un spasme, mais qui cette fois s’oppose à la pénétration et non plus à l’expulsion (1). Le terme d’anisme est plus volontiers réservé aux pathologies fonctionnelles d’origine comportementale, par opposition aux pathologies organiques et neurologiques. COMMENT METTRE EN ÉVIDENCE UNE DYSSYNERGIE RECTO-SPHINCTÉRIENNE ? La démonstration d’une dyssynergie rectosphinctérienne peut être faite par différents moyens. La manométrie anorectale * Groupe de recherche de l’appareil digestif, environnement et nutrition (ADEN), hôpital Charles-Nicolle, CHU Rouen, 76031 Rouen Cedex. e-mail : [email protected] La dyssynergie recto-sphinctérienne est diagnostiquée en enregistrant les pressions anales au cours d’une manœuvre de Valsalva. L’augmentation des pressions anales, au lieu de leur diminution, témoigne d’une contraction paradoxale du sphincter anal externe (figure 1). D’autres anomalies sont fréquemment associée à la dyssynergie recto-sphinctérienne. La première anomalie est la contraction du sphincter anal externe au milieu du réflexe recto-anal inhibiteur obtenu après distension rectale Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. II - janvier/février/mars 2002 Figure B : Augmentation des pressions anales et de l’électromyogrammes témoignant d’une dyssynergie recto-sphinctérienne au cours d’un effort de poussée. PV = effort de poussée volontaire PHC = pression haute du canal anal PR = pression rectale PBC = pression basse du canal anal Figure 1. Tracés manométriques correspondant à un effort de poussée normal à une dyssynergie recto-sphinctérienne. (figure 2) (2). Cette contraction sphinctérienne peut contrarier le réflexe recto-anal inhibiteur et, si elle est importante, masquer sa présence lors de l’examen. Cette anomalie, observée chez 45 % des enfants encoprétiques présentant une dyssynergie recto-sphinctérienne, contribue probablement à leurs difficultés d’exonération des matières (3). La deuxième anomalie est l’incapacité d’expulser un ballonnet intrarectal rempli par 50 ml d’eau (4). Les conditions d’examen, peu “physiologiques”, peuvent induire un faux diagnostic de dyssynergie recto-sphinctérienne. Il est donc important de vérifier la présence de cette anomalie à plusieurs reprises, en particulier après que le patient se soit habitué à la présence de la sonde. Un autre moyen d’éviter le biais induit par les 29 d o s s i e r Figure A : Tracé manométrique d’un réflexe recto-anal inhibiteur normal pour une distension de 50 ml. des efforts de défécation. Il peut parfois être plus fermé qu’au repos (figure 3). Le patient est le plus souvent incapable d’expulser le produit baryté (6). Figure B : Tracé manométrique d’un réflexe recto-anal inhibiteur perturbé par une contraction réflexe du sphincter anal externe. a = Pression intrarectale b = Pression de repos à la partie haute du canal anal c = Pression de repos à la partie basse du canal anal * = Renforcement de l’activité électromyographique ** = Élévation de pression au cours du relachement Figure 2. Exemple d’interruption d’un réflexe recto-anal inhibiteur par une contraction inappropriée du sphincter anal externe. conditions d’examen, est de recourir à l’enregistrement ambulatoire. Celui-ci permet d’étudier la fonction exonératrice du patient dans son propre environnement et donc dans des conditions plus physiologiques que l’étude manométrique dans un laboratoire. Cette technique a permis de corriger le diagnostic de dyssynergie recto-sphinctérienne dans certains cas (5). L’électromyographie Lorsqu’il existe une dyssynergie recto-sphinctérienne, l’électromyographie permet d’enregistrer une augmentation, ou l’absence de diminution, de l’activité musculaire périnéale au cours d’un effort de défécation (figure 1, p. 29). L’électro-myogramme est réalisé avec des électrodes cutanées disposées de part et d’autre de l’anus ou des électrodes aiguilles placées dans le sphincter anal ou le muscle pubo-rectal (1). La défécographie S’il existe une dyssynergie recto-sphinctérienne, la défécographie montrera la persistance d’un angle ano-rectal fermé, au lieu de son ouverture normalement observée au cours 30 Figure 3. Dyssynergie recto-sphinctérienne au cours d’une défécographie. La descente périnéale marquée et la concavité du mur rectal antérieur témoignent des efforts d’évacuation effectués par le patient pour évacuer le contenu rectal. Mais le canal anal est peu ouvert avec 1 forme en V et le délai d’évacuation est supérieur à 30 secondes (9). L’examen clinique Un autre moyen de rechercher l’existence d’une dyssynergie recto-sphinctérienne est de faire un toucher rectal au patient et de lui demander de faire un effort de défécation. Cependant, l’inhibition psychologique possible au cours de l’examen rend difficile son interprétation. L’imagerie par résonance magnétique (IRM) L’IRM est un examen attractif compte tenu de la qualité des images et de l’absence d’irradiation. Cependant, à moins qu’une évacuation du contenu intra-rectal soit possible, elle est moins performante pour le diagnostic de dyssnergie recto-sphinctérienne que les examens précédemment cités. Le diagnostic de dyssynergie recto-sphinctérienne peut être surestimé car il requiert des études physiologiques effectuées soit pendant la défécation, soit pendant une défécation simulée, mais toujours dans des conditions les plus proches possible de la réalité. Afin d’améliorer la spécificité des tests pour le diagnostic Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. II - janvier/février/mars 2002 La poussée abdominale de dyssynergie recto-sphinctérienne, certains ont proposé le recours à des explorations combinées (7). Cela nécessite une batterie d’examens utilisant le recueil des pressions anales, de l’activité électromyographique associé à la radiographie. Quoi qu’il en soit, le diagnostic de dyssynergie recto-sphinctérienne ne sera porté que si l’anomalie, quel que soit le moyen d’exploration utilisé, a été confirmée à plusieurs reprises et n’a pas cédé lors d’une ou deux séances de rééducation périnéale par biofeedback. QUELLE EST LA RESPONSABILITÉ DE LA DYSSYNERGIE RECTO-SPHINCTÉRIENNE DANS LA CONSTIPATION TERMINALE ? La dyssynergie recto-sphinctérienne est fréquemment observée lorsque les patients se plaignent de constipation terminale (ralentissement du transit recto-sigmoïdien) qui se traduit par un besoin exonérateur de fréquence normale, le plus souvent quotidien, impossible à satisfaire en l’absence de poussée abdominale très intense et parfois le recours à des manœuvres digitales. Toutefois, la dyssynergie recto-sphinctérienne ne constitue pas une anomalie spécifique de la constipation. Ainsi, elle est fréquemment associée à d’autres pathologies périnéales telles que l’ulcère solitaire du rectum, le syndrome du périnée descendant, mais aussi les douleurs périnéales (8). Il existe un lien entre dyssynergie recto-sphinctérienne, ulcère solitaire et syndrome du périnée descendant. Les patients qui ont un ulcère solitaire ont fréquemment une procidence interne rectale associée et souffrent de constipation. Il est probable que ce sont les efforts de poussée abdominale, intenses, répétés, effectués pour lutter contre la fermeture du canal anal, qui sont à l’origine de la descente du plancher pelvien, et de la procidence rectale (figure 4). Par ailleurs, un tiers des sujets normaux auraient une dyssynergie recto-sphinctérienne (9). On peut supposer que le sujet qui ne souffre pas de constipation, mais qui présente une dyssynergie recto-sphinctérienne, doit développer une pression abdominale plus importante pour déféquer que ceux qui n’ont pas de dyssynergie recto-sphinctérienne. De la même façon, les sujets constipés avec une dyssynergie recto-sphinctérienne ont besoin de Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. II - janvier/février/mars 2002 Figure 4. Les difficultés d’évacuation induites par la constipation terminale vont faire entrer le patient dans un cercle vicieux (20). plus de temps et d’une pression intra-abdominale plus importante que les sujets contrôles pour évacuer le contenu rectal (4). Ainsi, la dyssynergie recto-sphinctérienne n’est pas la seule cause de constipation terminale mais sa présence doit être prise en considération dans l’étude de la fonction périnéale des patients. QUELLES CAUSES ? Cause neurologique La dyssynergie recto-sphinctérienne, au même titre que la dyssynergie vésico-sphinctérienne, est observée chez les patients présentant une pathologie neurologique centrale (atteinte médullaire, maladie de Parkinson, sclérose en plaques...). Le contrôle nerveux de la défécation étant très proche de celui de la miction, les pathologies susceptibles de léser les voies neurologiques impliquées dans la miction peuvent également léser les voies de la défécation. Cause fonctionnelle Il existe également des arguments en faveur d’une origine fonctionnelle ou comportementale à l’origine de la dyssynergie recto-sphinctérienne. L’un de ces arguments est la fréquence de la dyssynergie chez les patient(e)s victimes 31 d o s s i e r d’agression sexuelle et/ou physique (10). Plus de 40 % des patients interrogés souffrant de troubles fonctionnels intestinaux rapportent des antécédents d’agression sexuelle (11). La constipation est le symptôme le plus fréquemment rapporté par ces patients. Trente-neuf patientes sur 40 victimes d’agression sexuelle ont une dyssynergie recto-sphinctérienne (anisme) diagnostiquée à la manométrie anorectale. Ces résultats montrent que si tout patient présentant un anisme n’a pas été victime d’agression sexuelle, en revanche, lorsqu’on a été victime d’une telle agression, le risque d’avoir un anisme est très élevé. Un autre argument en faveur de l’origine comportementale de l’anisme est l’efficacité du traitement par rééducation, qui suggère que l’anisme correspond à un apprentissage sphinctérien déficient plutôt qu’à une maladie. Ainsi, beaucoup d’enfants constipés et encoprétiques poussent lorsqu’on leur demande de serrer leur sphincter anal et, au contraire, serrent leur sphincter, lorsqu’on leur demande de pousser. Ce dysfonctionnement appelé syndrome du sphincter désobéissant, peut être corrigé par la rééducation périnéale. De la même façon que chez les patients neurologiques, les patients ayant une dyssynergie recto-sphinctérienne d’origine comportementale présentent fréquemment des symptômes urinaires (dysurie, infection) traduisant un dysfonctionnement périnéal plus global (12). QUELLES CONSÉQUENCES ? Hormis la constipation terminale, l’existence d’une dyssynergie recto-sphinctérienne, par les efforts de poussée abdominale qu’elle impose, peut être responsable de troubles de la statique pelvienne (procidence rectale, rectocèle, ulcère solitaire) avec descente périneale (voir infra). Les efforts de poussée abdominale chroniques, répétés exposent également les patients à la survenue d’une incontinence anale ultérieure (13). QUELS TRAITEMENTS ? Traitements médicamenteux Dans notre expérience, les résultats des traitements myorelaxants sont décevants lorsqu’il 32 existe une dyssynergie recto-sphinctérienne. Les traitements médicamenteux reposent sur l’utilisation de laxatifs, de suppositoires et de lavements à l’eau qui, en ramollissant les selles, rendent les exonérations plus faciles. Les injections de toxine botulique dans le sphincter strié de l’anus semblent donner de bons résultats, bien que transitoires, chez les patients souffrant de constipation terminale secondaire à une dyssynergie recto-sphinctérienne (14, 15). L’efficacité de l’infiltration s’accompagne d’une chute des pressions anales. Biofeedback Le biofeeback est une technique de rééducation instrumentale qui a pour objectif d’apprendre au patient à laisser s’ouvrir l’anus au moment des poussées. Le biofeedback peut permettre de corriger une dyssynergie recto-sphinctérienne lorsque celle-ci est d’origine comportementale. Dans ces conditions, son taux de réussite avoisine les 70 % (16). Il est efficace quels que soient l’âge du sujet et l’ancienneté des troubles. Le biofeedback est l’approche la plus logique pour corriger un sphincter anal désobéissant chez l’enfant encoprétique. Si la dyssynergie est secondaire à une pathologie neurologique, les résultats du biofeedback sont plus aléatoires et dépendent du caractère complet ou non de la lésion des voies de la commande motrice périnéale. Cependant, il est souvent difficile d’apprécier le rôle propre du biofeedback sur la constipation terminale car il est rarement dissocié des règles hygièno-diététiques habituelles (présentation régulière aux toilettes, régime riche en fibres...), du traitement laxatif et des lavements évacuateurs. Le mode d’action exact du biofeedback dans la constipation reste à préciser. L’incidence de la personnalité du sujet sur la réussite du biofeedback (17), l’importance de l’échange verbal entre le patient et le thérapeute chargé de la rééducation (18), les agressions sexuelles et/ou physiques parfois subies par les patients présentant un anisme, laissent penser que le biofeedback agirait davantage comme une thérapie comportementale. Le biofeedback deviendrait ainsi un moyen de communication non verbale pour des sujets chez qui l’apparition des symptômes constitue une demande d’aide mais qui sont incapables de verbaliser leur souffrance. Correspondances en pelvi-périnéologie - n° 1, vol. II - janvier/février/mars 2002 La poussée abdominale CONCLUSION La dyssynergie recto-sphinctérienne est responsable de constipation terminale nécessitant des efforts de poussée chroniques susceptibles de se compliquer de descente périnéale, de troubles de la statique pelvienne et d’incontinence anale. Le diagnostic est manométrique, radiologique et/ou électromyographique. Que la dyssynergie soit secondaire à une pathologie neurologique ou soit fonctionnelle d’origine comportementale, elle est très fréquemment associée à des troubles urinaires et sexuels témoignant d’un dysfonctionnement plus global du périnée. 9. Barnes PRH, Lennard-Jones JE. 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