La Lettre du Neurologue - n° 4 - vol. II - août 1998 191
QUELLES SONT LES PRINCIPALES MALADIES NEURO-
LOGIQUES AVEC TROUBLES COLO-RECTAUX?
Les atteintes spinales s’accompagnent quasiment toujours de
troubles du fonctionnement colo-rectal, dès lors que des lésions
ont une certaine étendue topographique, et ce quelle que soit la
nature de la lésion. Hormis ces pathologies, du fait du grand
nombre de structures spinales et supraspinales intéressées dans
le contrôle nerveux de la motricité colo-rectale, la sclérose en
plaques est probablement l’autre maladie neurologique où les
troubles colo-rectaux sont le plus fréquemment constatés, jus-
qu’à 68 % des cas selon l’étude de Hinds et coll. (1). Ces
troubles sont le plus souvent associés aux troubles vésico-
sphinctériens, mais ils peuvent les précéder, et leur prise en
charge thérapeutique peut en être parfois plus difficile. La perte
d’autonomie engendrée par les troubles colo-rectaux, chez les
sujets atteints de sclérose en plaques, est quelquefois plus
importante que celle résultant des troubles vésico-sphinctériens.
Selon la localisation des plaques, on sera confronté à un ralen-
tissement colique droit ou gauche, ou bien à une dyssynergie
ano-rectale (5). De plus, les atrophies multisystémiques avec
atteinte du tronc cérébral s’accompagnent fréquemment de
troubles colo-rectaux qui peuvent précéder de plusieurs années
les signes neurologiques caractéristiques de l’affection neurolo-
gique (10). Enfin, les neuropathies périphériques, en particulier
diabétiques, sont fréquemment associées à des troubles colo-
rectaux du fait de l’atteinte des nerfs du système nerveux végé-
tatif. La constipation est le symptôme le plus fréquent, lié à un
ralentissement des transits coliques droit et gauche (11). On
note également des anomalies fréquentes de la manométrie ano-
rectale, notamment de nature sensitive, corrélées avec des
symptômes d’incontinence fécale.
UN TROUBLE ANO-RECTAL PEUT-IL ÊTRE RÉVÉLATEUR
D´UNE PATHOLOGIE NEUROLOGIQUE ?
Il est bien connu que les troubles urinaires peuvent révéler une
pathologie neurologique jusqu’à présent méconnue. Peut-on
dire la même chose des troubles ano-rectaux ? Le lien existant
entre lésion neurologique, troubles urinaires et ano-rectaux lais-
se présager que les troubles ano-rectaux, au même titre que les
troubles urinaires, sont susceptibles de révéler une pathologie
neurologique. Les données de la littérature semblent confirmer
cette hypothèse. Dans leur étude concernant les troubles ano-
rectaux des patients atteints d’une sclérose en plaques, Hinds et
coll. soulignaient que la constipation avait précédé le diagnostic
de sclérose en plaques dans 45 % des cas (1). Il n’est alors pas
impossible que la constipation soit l’un des premiers symp-
tômes de la maladie neurologique. Au vu des résultats mano-
métriques observés chez des patients présentant une pathologie
neurologique connue, Sun et coll. ont suggéré qu’une patholo-
gie neurologique pouvait être suspectée chez 10 % des patients
adressés pour manométrie ano-rectale, en raison d’une inconti-
nence fécale isolée, et cela malgré un bilan radiologique neuro-
logique normal (12). Enfin, nous avons récemment exposé le
cas de quatre patients dont la maladie neurologique a été révé-
lée par des difficultés d’évacuation des matières et/ou une
incontinence fécale (10). Dans notre expérience, ces quatre cas
représentaient moins de 2% des patients consultant pour les
mêmes symptômes pendant la même période. Cependant, il est
très probable que ce chiffre soit sous-estimé, d’une part parce
que nous n’avons pas recherché de façon systématique l’exis-
tence d’une maladie neurologique, et, d’autre part, parce qu’il
existe parfois un intervalle de temps très long entre les premiers
symptômes et la confirmation de la pathologie neurologique.
DEVANT UN TROUBLE ANO-RECTAL, SUR QUELS
ARGUMENTS DOIT-ON SUSPECTER UNE PATHOLOGIE
NEUROLOGIQUE RESPONSABLE ?
Parfois, l’association de troubles ano-rectaux avec d’autres
troubles périnéaux, tels qu’une dysurie, une incontinence uri-
naire ou une impuissance, orientent d’emblée vers une patholo-
gie neurologique. Ces troubles doivent être systématiquement
recherchés, car ils ne sont pas forcément signalés spontanément
par le patient. L’examen clinique apporte parfois des arguments
en faveur d’une pathologie neurologique. Ainsi, dans l'étude de
Bardoux et coll. (10), parmi les quatre patients étudiés, deux
présentaient des signes cliniques périnéaux ou généraux très
évocateurs de pathologie neurologique. Un patient avait une
hypoesthésie périnéale, une absence de commande volontaire
périnéale et des réflexes périnéaux absents (neurinome en
regard de la première vertèbre lombaire) ; le second patient pré-
sentait une amyotrophie sévère des quatre membres ainsi
qu’une fatigabilité musculaire (neuropathie à la Cordarone®).
La manométrie ano-rectale peut apporter des arguments en
faveur d’un trouble ano-rectal d’origine neurologique. D’après
Sun (12), l’absence de contraction volontaire du sphincter anal
externe, l’augmentation de l’amplitude de la réponse réflexe du
sphincter anal externe à la distension rectale ou à la toux, et
l’absence de perception rectale pendant la distension sont évo-
cateurs d’une lésion neurologique suprasacrée. À l'inverse, l’ab-
sence de perception rectale, associée à une absence de réponse
réflexe du sphincter anal externe, orientent davantage vers une
pathologie neurologique sacrée. Parmi les quatre patients étu-
diés par Bardoux et coll. (10), les deux anomalies manomé-
triques les plus constantes consistaient en l’absence de contrac-
tion volontaire du sphincter anal externe (pour la totalité des
patients), ainsi que l’altération de la sensibilité rectale à la dis-
tension (augmentation du seuil de perception de la distension
rectale et du volume maximum tolérable, pour les 3/4 des
patients). La présence d’une dyssynergie recto-sphinctérienne
(5), surtout si la contraction volontaire du sphincter anal exter-
ne est faible ou absente, de même que l’absence de corrélation
entre, d’une part, l’amplitude et la durée des réflexes recto-
anaux inhibiteurs, et, d’autre part, le volume de distension rec-
tale (6, 12), doivent également nous conduire à évoquer l’exis-
tence d’une pathologie neurologique sous-jacente.
Ainsi, une contraction volontaire du sphincter anal externe
absente ou très faible, en l’absence d’anomalie morphologique