S La fréquence cardiaque de repos est un facteur A

publicité
Acteurs & partenaires
A cteurs & partenaires
La fréquence cardiaque de repos est un facteur
de pronostic à long terme
#J.C. Tardif*
S
ur la base d’une accumulation
d’arguments tirés d’études de
prévention primaire ou secondaire, le contrôle de la fréquence cardiaque pourrait devenir l’un des paramètres essentiels de la prise en charge du
coronarien en pratique clinique.
En prévention primaire, une relation
directe et continue entre la fréquence
cardiaque de repos et la mortalité a été
observée dans les grandes études épidémiologiques, avec un recul allant jusqu’à
36 ans dans celle de Framingham (1). Avec
un recul de 23 ans, le profil de fréquence
cardiaque à l’effort a aussi été identifié
comme un marqueur important de mort
subite (hors infarctus du myocarde [IDM])
et, à un moindre degré, de mortalité totale
dans l’Étude Prospective Parisienne (2).
En prévention secondaire, la fréquence
cardiaque a aussi été identifiée comme
un facteur prédictif important chez des
patients ayant diverses formes d’insuffisance coronaire ou d’insuffisance cardiaque. Après IDM, les études évaluant
l’administration chronique de bêtabloquants, dont l’un des principaux effets
est de réduire la fréquence cardiaque, ont
montré, dès le début des années 1980,
qu’ils étaient efficaces pour diminuer la
mortalité avec un recul de 2 à 3 ans (3).
Une méta-analyse de 14 essais thérapeutiques suggère que l’effet bénéfique des
bêtabloquants administrés après un IDM
pendant une période pouvant aller de
9 mois à 2 ans est dû à la réduction de la
fréquence cardiaque et que le bénéfice est
proportionnel au degré de cette réduction,
une baisse de 10 bpm s’accompagnant
d’une réduction de 26 % de la mortalité
cardiaque (4).
* Institut de Cardiologie de Montréal.
Toutefois, cet effet bénéficierait essentiellement aux patients à haut risque, en
particulier du fait de l’existence d’une insuffisance cardiaque (5). Des données récentes,
tirées de l’étude EPHESUS chez des patients
ayant une insuffisance cardiaque avec dysfonction ventriculaire gauche 3 à 14 jours
après un IDM, vont dans ce sens en montrant la valeur prédictive indépendante de
la fréquence cardiaque pour les risques de
décès toutes causes confondues, de décès
cardiovasculaire ou de mort subite (6).
Dans l’insuffisance cardiaque tout venant,
le bénéfice des traitements est corrélé
positivement à la réduction de la fréquence cardiaque obtenue sous traitement, que ce soit dans les études ayant
évalué les bêtabloquants ou d’autres classes thérapeutiques dans cette pathologie
(7). La valeur pronostique de la fréquence
cardiaque et de ses variations chez les
insuffisants cardiaques a récemment été
confirmée grâce aux données de l’étude
CIBIS II (8).
Chez les patients devant subir une
chirurgie majeure non cardiaque, il a
aussi été montré que toute augmentation
de 10 bpm de la fréquence cardiaque sur
l’ECG préopératoire augmente la mortalité à long terme (jusqu’à 24 mois) de
60 % et le risque d’événements cardiaques
majeurs de 70 % (9). Enfin, la fréquence
cardiaque et son évolution, 6 mois après
la découverte d’une hypertension artérielle (HTA) de stade I chez des adultes
de moins de 45 ans sont des facteurs
prédictifs indépendants de l’installation
d’une HTA soutenue dans les années suivantes (10).
Plusieurs pistes ont été explorées pour
élucider la relation entre la fréquence cardiaque et le pronostic cardiovasculaire.
On sait que les singes ayant une fréquence
cardiaque basse (spontanée ou par abla-
La Lettre du Cardiologue - n° 399 - novembre 2006
tion) ont moins d’athérosclérose que leurs
congénères à fréquence cardiaque plus
élevée. Une corrélation positive a été établie chez le singe entre un profil psychologique dominant (notamment agressif),
l’importance des plaques athéromateuses
et le blocage de la réponse au stress par
l’administration d’un bêtabloquant (11).
En clinique humaine, une relation a pu
aussi être établie entre le degré d’athérosclérose coronaire et la fréquence cardiaque chez de jeunes adultes victimes
d’un IDM (12). La fréquence cardiaque est
aussi corrélée à la sévérité et à la progression des plaques d’athérosclérose chez les
adultes de moins de 45 ans ayant survécu
à un premier IDM (13).
Les données du registre de l’étude CASS
(Coronary Artery Surgery Survey) ont
été reprises à l’Institut de cardiologie
de Montréal pour évaluer l’effet à long
terme de la fréquence cardiaque dans
une vaste population de 24 959 patients
avec insuffisance coronaire suspectée ou
prouvée (14). Le statut vital de 95,8 % des
patients a pu être connu avec un recul
médian de 14,7 ans. Ce travail a montré
une relation directe entre la fréquence
cardiaque à l’inclusion et les mortalités
totale et cardiovasculaire (figure) ainsi
qu’avec le risque d’hospitalisation pour un
événement cardiovasculaire, en particulier
pour insuffisance cardiaque.
La progression rapide de l’athérosclérose
sous l’effet d’une fréquence cardiaque élevée peut s’expliquer à la fois par des facteurs
mécaniques (le stress pariétal engendrant
une dysfonction endothéliale) et des facteurs métaboliques (notamment du fait
du rôle de l’hyperactivité sympathique
dans le métabolisme lipido-glucidique).
La seule preuve de l’effet favorable d’un
ralentissement de la fréquence cardiaque
sur l’athérosclérose tient pour l’instant aux
33
Acteurs & partenaires
A cteurs & partenaires
6. Deedwania P, Carbajal E, Dietz R et al. Heart rate
Mortalité cardiovasculaire
Mortalité totale
63-70
63-70
71-76
71-76
77-82
77-82
≥ 83
≥ 83
0,9
1,0
1,1
1,2
1,3
1,4
1,5
Rapport de risque
0,9
1,0
1,1
1,2
1,3
1,4
1,5
1,6
Rapport de risque
Figure. Risque en termes de mortalité totale et de mortalité cardiovasculaire en fonction de
la fréquence cardiaque de repos à l’entrée dans le registre de l’étude CASS (14).
données de l’étude BCAPS, dans laquelle
il a été possible de montrer un ralentissement de la progression de l’épaisseur
médio-intimale carotidienne sous l’effet
d’un traitement bêtabloquant (15).
La relation entre fréquence cardiaque et
ischémie myocardique n’est pas surprenante puisque la tachycardie est responsable à la fois d’une augmentation de la
consommation d’oxygène et d’une diminution de la perfusion myocardique. Les
données de l’étude ASIS ont bien montré
qu’avec une fréquence cardiaque basale de
repos basse (< 60 bpm), le risque de survenue d’un épisode ischémique occasionné
par une accélération de la fréquence cardiaque n’est que de 8,7 % alors qu’il est
de 18,5 % pour une fréquence cardiaque
élevée (> 90 bpm) [16]. Cet effet pourrait
passer par une dysfonction endothéliale
avec excès de risque de rupture de plaque
(17). Heidland et al. ont en effet montré
qu’une fréquence cardiaque supérieure
à 80 bpm triple le risque de trouver des
plaques rompues en coronarographie dans
les 6 mois suivant un premier examen qui
n’en avait pas montré (18).
Ainsi la fréquence cardiaque doit-elle être
considérée comme un facteur important
du pronostic cardiovasculaire. Nous man-
quons encore d’études prospectives pour
confirmer que sa seule diminution sous
l’effet d’un traitement médicamenteux a
un effet favorable sur le pronostic, ce qui
en ferait alors un facteur de risque cardiovasculaire à part entière et ouvrirait
la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques.
RÉFÉRENCES
BIBLIOGRAPHIQUES
1. Gillman MW, Kannel WB, Belanger A, D’Agostino RB. Influence of heart rate on mortality among
persons with hypertension: the Framingham Study.
Am Heart J 1993;125(4):1148-54.
2. Jouven X, Empana JP, Schwartz PJ et al. Heartrate profile during exercise as a predictor of sudden
death. N Engl J Med 2005;352(19):1951-8.
3. Hjalmarson A, Elmfeldt D, Herlitz J et al. Effect
on mortality of metoprolol in acute myocardial infarction. A double-blind randomized trial. Lancet
1981;2(8251):823-7.
4. Relationship between heart rate lowering and
benefits on cardiac and sudden death observed with
beta-blockers in post MI patients. A meta-regression
of randomized clinical trials. ESC & World Congress
of Cardiology, Barcelona 2006.
5. Hjalmarson A, Gilpin EA, Kjekshus J et al. Influence of heart rate on mortality after acute myocardial infarction. Am J Cardiol 1990;65(9):547-53.
is a powerful predictor of mortality in post-AMI patients with heart failure: results from the EPHESUS
trial. Eur Heart J 2006;27(Abstract Suppl.):590.
7. Kjekshus J. Heart rate reduction - a mechanism of
benefit? Eur Heart J 1987;8(Suppl. L):115-22.
8. Lechat P, Hulot JS, Escolano S et al. Heart rate
and cardiac rhythm relationships with bisoprolol
benefit in chronic heart failure in CIBIS II Trial.
Circulation 2001;103(10):1428-33.
9. Jeger RV, Probst C, Arsenic R et al. Long-term prognostic value of the preoperative 12-lead electrocardiogram before major noncardiac surgery in coronary artery disease. Am Heart J 2006;151(2):508-13.
10. Palatini P, Dorigatti F, Zaetta V et al. Heart rate
as a predictor of development of sustained hypertension in subjects screened for stage 1 hypertension: the
HARVEST Study. J Hypertens 2006;24(9):1873-80.
11. Kaplan JR, Manuck SB, Adams MR, Weingand
KW, Clarkson TB. Inhibition of coronary atherosclerosis by propranolol in behaviorally predisposed monkeys fed an atherogenic diet. Circulation
1987;76(6):1364-72.
12. Perski A, Hamsten A, Lindvall K, Theorell T.
Heart rate correlates with severity of coronary atherosclerosis in young postinfarction patients. Am
Heart J 1988;116(5 Pt 1):1369-73.
13. Perski A, Olsson G, Landou C et al. Minimum heart rate and coronary atherosclerosis:
independent relations to global severity and rate
of progression of angiographic lesions in men with
myocardial infarction at a young age. Am Heart J
1992;123(3):609-16.
14. Diaz A, Bourassa MG, Guertin MC, Tardif JC.
Long-term prognostic value of resting heart rate in
patients with suspected or proven coronary artery
disease. Eur Heart J 2005;26(10):967-74.
15. Hedblad B, Wikstrand J, Janzon L, Wedel H,
Berglund G. Low-dose metoprolol CR/XL and fluvastatin slow progression of carotid intima-media thickness: main results from the Beta-blocker Cholesterol-Lowering Asymptomatic Plaque Study (BCAPS).
Circulation 2001;103(13):1721-6.
16. Andrews TC, Fenton T, Toyosaki N et al. Subsets of ambulatory myocardial ischemia based on
heart rate activity. Circadian distribution and response to anti-ischemic medication. The Angina and
Silent Ischemia Study Group (ASIS). Circulation
1993;88(1):92-100.
17. Steiner S, Strauer B. Heart rate and plaque
disruption. Medicographia 2006;28:254-7.
18. Heidland UE, Strauer BE. Left ventricular
muscle mass and elevated heart rate are associated with coronary plaque disruption. Circulation
2001;104(13):1477-82.
Les articles publiés dans “La Lettre du Cardiologue” le sont sous la seule responsabilité de leurs auteurs.
Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction par tous procédés réservés pour tous pays.
EDIMARK SAS © mai 1983 - Imprimé en France - Differdange SAS - 95110 Sannois - Dépôt légal : à parution
34
La Lettre du Cardiologue - n° 399 - novembre 2006
Téléchargement