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La Lettre du Cardiologue - n° 399 - novembre 2006
La fréquence cardiaque de repos est un facteur
de pronostic à long terme
#J.C. Tardif*
* Institut de Cardiologie de Montréal.
Sur la base d’une accumulation
d’arguments tirés d’études de
prévention primaire ou secon-
daire, le contrôle de la fréquence cardia-
que pourrait devenir l’un des paramè-
tres essentiels de la prise en charge du
coronarien en pratique clinique.
En prévention primaire, une relation
directe et continue entre la fréquence
cardiaque de repos et la mortalité a été
obsere dans les grandes études épidé-
miologiques, avec un recul allant jusqu’à
36 ans dans celle de Framingham (1). Avec
un recul de 23 ans, le profi l de fréquence
cardiaque à l’eff ort a aussi été identifi é
comme un marqueur important de mort
subite (hors infarctus du myocarde [IDM])
et, à un moindre degré, de mortalité totale
dans l’Étude Prospective Parisienne (2).
En prévention secondaire, la fréquence
cardiaque a aussi été identifi ée comme
un facteur prédictif important chez des
patients ayant diverses formes d’insuf-
sance coronaire ou d’insuffi sance car-
diaque. Après IDM, les études évaluant
l’administration chronique de bêtablo-
quants, dont l’un des principaux eff ets
est de réduire la fréquence cardiaque, ont
montré, dès le début des années 1980,
qu’ils étaient effi caces pour diminuer la
mortalité avec un recul de 2 à 3 ans (3).
Une méta-analyse de 14 essais thérapeu-
tiques suggère que l’eff et bénéfi que des
bêtabloquants administrés après un IDM
pendant une période pouvant aller de
9 mois à 2 ans est dû à la réduction de la
fréquence cardiaque et que le bénéfi ce est
proportionnel au degré de cette réduction,
une baisse de 10 bpm s’accompagnant
d’une réduction de 26 % de la mortalité
cardiaque (4).
Toutefois, cet eff et bénéfi cierait essen-
tiellement aux patients à haut risque, en
particulier du fait de l’existence d’une insuf-
sance cardiaque (5). Des données récentes,
tirées de l’étude EPHESUS chez des patients
ayant une insuffi sance cardiaque avec dys-
fonction ventriculaire gauche 3 à 14 jours
après un IDM, vont dans ce sens en mon-
trant la valeur prédictive indépendante de
la fréquence cardiaque pour les risques de
décès toutes causes confondues, de décès
cardiovasculaire ou de mort subite (6).
Dans l’insuffi sance cardiaque tout venant,
le bénéfice des traitements est corrélé
positivement à la réduction de la fré-
quence cardiaque obtenue sous traite-
ment, que ce soit dans les études ayant
évalué les bêtabloquants ou d’autres clas-
ses thérapeutiques dans cette pathologie
(7). La valeur pronostique de la fréquence
cardiaque et de ses variations chez les
insuffi sants cardiaques a récemment été
confi rmée grâce aux données de l’étude
CIBIS II (8).
Chez les patients devant subir une
chirurgie majeure non cardiaque, il a
aussi été montré que toute augmentation
de 10 bpm de la fréquence cardiaque sur
l’ECG préopératoire augmente la mor-
talité à long terme (jusqu’à 24 mois) de
60 % et le risque d’événements cardiaques
majeurs de 70 % (9). Enfi n, la fréquence
cardiaque et son évolution, 6 mois après
la découverte d’une hypertension arté-
rielle (HTA) de stade I chez des adultes
de moins de 45 ans sont des facteurs
prédictifs indépendants de l’installation
d’une HTA soutenue dans les années sui-
vantes (10).
Plusieurs pistes ont été explorées pour
élucider la relation entre la fréquence car-
diaque et le pronostic cardiovasculaire.
On sait que les singes ayant une fréquence
cardiaque basse (spontanée ou par abla-
tion) ont moins d’athérosclérose que leurs
congénères à fréquence cardiaque plus
élevée. Une corrélation positive a été éta-
blie chez le singe entre un profi l psycho-
logique dominant (notamment agressif),
l’importance des plaques athéromateuses
et le blocage de la réponse au stress par
l’administration d’un bêtabloquant (11).
En clinique humaine, une relation a pu
aussi être établie entre le degré d’athé-
rosclérose coronaire et la fréquence car-
diaque chez de jeunes adultes victimes
d’un IDM (12). La fréquence cardiaque est
aussi corrélée à la sévérité et à la progres-
sion des plaques d’athérosclérose chez les
adultes de moins de 45 ans ayant survécu
à un premier IDM (13).
Les données du registre de l’étude CASS
(Coronary Artery Surgery Survey) ont
été reprises à l’Institut de cardiologie
de Montréal pour évaluer l’eff et à long
terme de la fréquence cardiaque dans
une vaste population de 24 959 patients
avec insuffi sance coronaire suspectée ou
prouvée (14). Le statut vital de 95,8 % des
patients a pu être connu avec un recul
médian de 14,7 ans. Ce travail a montré
une relation directe entre la fréquence
cardiaque à l’inclusion et les mortalités
totale et cardiovasculaire
(fi gure)
ainsi
qu’avec le risque d’hospitalisation pour un
événement cardiovasculaire, en particulier
pour insuffi sance cardiaque.
La progression rapide de l’athérosclérose
sous l’eff et d’une fréquence cardiaque éle-
vée peut s’expliquer à la fois par des facteurs
mécaniques (le stress pariétal engendrant
une dysfonction endothéliale) et des fac-
teurs métaboliques (notamment du fait
du rôle de l’hyperactivité sympathique
dans le métabolisme lipido-glucidique).
La seule preuve de l’eff et favorable d’un
ralentissement de la fréquence cardiaque
sur l’athérosclérose tient pour l’instant aux
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71-76
63-70
≥ 83
77-82
0,9 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5
Rapport de risque
Mortalité totale
71-76
63-70
≥ 83
77-82
0,9 1,0 1,1 1,2 1,3 1,4 1,5 1,6
Rapport de risque
Mortalité cardiovasculaire
Figure. Risque en termes de mortalité totale et de mortalité cardiovasculaire en fonction de
la fréquence cardiaque de repos à l’entrée dans le registre de l’étude CASS (14).
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données de l’étude BCAPS, dans laquelle
il a été possible de montrer un ralentis-
sement de la progression de l’épaisseur
médio-intimale carotidienne sous l’eff et
d’un traitement bêtabloquant (15).
La relation entre fréquence cardiaque et
ischémie myocardique nest pas surpre-
nante puisque la tachycardie est respon-
sable à la fois d’une augmentation de la
consommation d’oxygène et d’une dimi-
nution de la perfusion myocardique. Les
données de l’étude ASIS ont bien montré
qu’avec une fréquence cardiaque basale de
repos basse (< 60 bpm), le risque de surve-
nue d’un épisode ischémique occasionné
par une accélération de la fréquence car-
diaque nest que de 8,7 % alors qu’il est
de 18,5 % pour une fréquence cardiaque
élevée (> 90 bpm) [16]. Cet eff et pourrait
passer par une dysfonction endothéliale
avec excès de risque de rupture de plaque
(17). Heidland et al. ont en eff et montré
qu’une fréquence cardiaque supérieure
à 80 bpm triple le risque de trouver des
plaques rompues en coronarographie dans
les 6 mois suivant un premier examen qui
nen avait pas montré (18).
Ainsi la fréquence cardiaque doit-elle être
considérée comme un facteur important
du pronostic cardiovasculaire. Nous man-
quons encore d’études prospectives pour
confi rmer que sa seule diminution sous
l’eff et d’un traitement médicamenteux a
un eff et favorable sur le pronostic, ce qui
en ferait alors un facteur de risque car-
diovasculaire à part entière et ouvrirait
la voie à de nouvelles stratégies théra-
peutiques.
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