Personnalité psychopathique
Tout semble avoir été dit sur les rapports étroits entre
dangerosité et personnalité psychopathique, entendue comme
une altération du caractère et du comportement, ne trouvant
pas sa place dans une organisation psychopathologique stable et
bien définie. La violence est, chez le psychopathe, une véritable
modalité d’être au monde et un recours privilégié, voire exclusif,
lors de difficultés existentielles. De plus, il n’a pas accès à la
culpabilité ou si peu. Il en est préservé par le mécanisme de la
projection psychique qui l’amène à se positionner en tant que
victime ; position encore exacerbée s’il est exposé à la sanction
pénale.
Sur le plan psychique, il n’est jamais le même, apparaissant
tantôt névrosé, tantôt psychotique, tantôt pervers, sans jamais
être vraiment l’un ou l’autre. Sa vie est émaillée de décompen-
sations variées et, au-delà de son instabilité, de son impulsivité,
de son irritabilité et de son intolérance à la frustration, ce sont
plus souvent ces décompensations qui induisent des passages à
l’acte. Plus profondément, le psychopathe est un être blessé, un
écorché affectif au narcissisme chancelant. Confronté à des
situations existentielles traumatisantes entrant en résonance
avec son vécu abandonnique primitif, son narcissisme peut
s’effondrer dans l’éclatement psychotique. Pour autant, la
violence du psychopathe n’est que rarement incohérente ou
déconnectée de la réalité.
Perversion
« L’étude des perversions est encore ouverte. La question de
leur nature, pathologique ou non, persiste de nos jours. De plus,
un même mot recouvre des plans d’analyse différents. S’agit-il
de comportements sexuels aberrants où le partenaire perd sa
qualité de sujet pour n’être qu’un seul objet de plaisir, à travers
une mise en scène plus ou moins élaborée, ou s’agit-il d’une
organisation psychique particulière ? »
[6]
. La perversion, en tant
que structure, entretient des rapports étonnamment étroits avec
la psychose. Le pervers est fixé à un mode exclusif d’obtention
du plaisir et ne peut s’en défaire, ce dont il ne souffre d’ailleurs
pas. Il utilise sans angoisse et sans conflit intrapsychique cet
outil qu’est pour lui sa fixation prégénitale à une violence
primitive.
Il peut ainsi agresser l’autre, non pas simplement pour le faire
souffrir, mais aussi pour le dominer et le réduire à l’état d’objet.
Il agit comme s’il avait peur de l’intersubjectivité, et quoi de
plus rassurant alors pour lui que d’élaborer et utiliser à satiété
le rituel immuable du scénario pervers. La clinique semble
indiquer que, même s’il n’a pas accès à la culpabilité, le pervers
redoute l’émergence de ses pulsions agressives, comme s’il se
sentait chaque fois en danger d’effondrement psychique. Le
pervers a un besoin vital de tout contrôler, dans le calme, avec
froideur et de façon rationnelle, afin de transgresser la loi,
comme il l’entend. La recrudescence des agir pervers est
particulièrement à redouter durant les périodes de déstabilisa-
tion psychique au gré des aléas de la vie.
La connaissance psychiatrique de ces « malades » est encore
balbutiante. En premier lieu, sont-ils authentiquement mala-
des ? Beaucoup en doutent, même si leurs actes sont mons-
trueux et proprement anormaux. Ils sont capables, en toute
lucidité, des pires atrocités. Mais alors, s’ils ne sont pas malades,
pourquoi se délectent-ils de l’horreur qu’ils lisent dans le regard
des soignants qui écoutent le récit de leurs actes violents ?
Dissociation schizophrénique
Le problème de la dangerosité du dissocié (donc du schizoph-
rène) est de toute première importance. Les données épidémio-
logiques sont innombrables, mais les plus valides ont été
réalisées dans la population générale. Par exemple, Swanson
[12]
estime que le risque de comportement violent est multiplié par
six en cas de diagnostic de schizophrénie et par dix s’il s’y
associe une comorbidité. Mais Lachaux, à juste titre, tempère
cette affirmation : « Cependant, dans l’analyse de cette question,
il faut faire la part de la fantasmagorie et du réel :
• d’une part, car le risque de crime violent, chez les patients
souffrant de schizophrénie, le risque de dangerosité, restent
faibles ;
• d’autre part, le risque de dangerosité, chez les patients
souffrant de schizophrénie, est beaucoup plus faible que le
risque de dangerosité lié, dans la population générale, à
l’usage de toxiques et aux troubles de la personnalité ;
• enfin, le risque de criminalité, chez les patients souffrant de
schizophrénie, est majoré (de sept à 17 fois plus) par l’usage
de toxiques »
[13]
.
La dissociation psychique (au sens classique), notamment
lorsqu’elle atteint la sphère affective, confère à l’agression du
schizophrène des caractères particuliers. En apparence domine le
caractère incompréhensible et immotivé de l’acte. Le schizoph-
rène agresse avec une froide détermination. Après l’acte, il
choque par son absence de culpabilité, par sa froideur et son
indifférence. Pourtant, ce stéréotype clinique superficiel semble
recouvrir deux types d’agressions, selon qu’il existe ou non un
lien affectif entre le schizophrène, auteur de l’agression, et sa
victime. Lorsque la victime n’a aucun lien affectif avec l’agres-
seur, il existe un acte singulier, fortement révélateur de troubles
dissociatifs chez son auteur. « La victime ne l’est que parce
qu’elle croise par hasard la vie du schizophrène dans ses
déambulations. Elle est un passant anonyme, n’ayant aucune
caractéristique particulière. Plusieurs patients dissociés ayant
commis ce type d’agression nous ont révélé l’importance de
l’échange d’un regard. Ils ont agressé la personne avec laquelle
leurs regards se sont croisés et ils ont tous eu l’impression
fulgurante de leur néantisation dans le regard de leurs victimes.
Aucun de ces patients n’a pu expliquer plus avant cette impres-
sion de mort imminente »
[10]
.
Lorsque la victime a un lien affectif avec l’agresseur (la
victime est le plus souvent un membre de l’entourage familial,
notamment la mère), c’est l’ambivalence affective dans sa forme
la plus primitive qui s’exprime dans l’acte agressif. Bien plus, cet
acte a une dimension profonde de nature sexuelle. Le matricide
psychotique serait une forme de rejet absolu d’un désir inces-
tueux inacceptable. Mais la réalité clinique est loin d’être aussi
dichotomique. Bien plus, le lien entre pathologie schizophréni-
que et violence est plus ou moins fort. Un patient dissocié peut
commettre une agression en toute lucidité et hors du champ de
sa pathologie, dans un but utilitaire par exemple. Un acte
commis par un schizophrène peut aussi n’avoir qu’une motiva-
tion psychologique et non psychopathologique, comme dans le
cas d’un meurtre passionnel.
Délire
Le délire est, à juste titre, souvent cité comme facteur
criminogène majeur. Le syndrome délirant, dans sa forme, peut
être situé entre les deux extrêmes que seraient le délire simple,
facile à saisir, compréhensible du paranoïaque et le délire
polymorphe, complexe du schizophrène. Dans un cas, la
dangerosité qui s’y rattache est elle-même simple à compren-
dre ; dans l’autre, elle devient complexe et le plus souvent, par
là même, totalement imprévisible car incompréhensible. Le
délire du paranoïaque est structuré. Cela n’a pas une importance
criminogène majeure, mais tout simplement aide à la compré-
hension du passage à l’acte ce qui, tout de même, peut avoir
une valeur prédictive de la dangerosité dans certains cas.
L’agression est, chez le paranoïaque, en cohérence totale avec
ses idées délirantes.
Le thème du délire revêt une importance criminologique
essentielle. Le délire de persécution est particulièrement à
prendre au sérieux. Mais la réaction du patient aux persécutions
dont il est victime est fortement dépendante de la structuration
prémorbide de sa personnalité. Le caractère paranoïaque au sens
fort prédispose à l’action, alors que le caractère sensitif pousse
à la résignation et à la passivité. Le délire d’influence est
rarement criminogène, sauf s’il comprend une dimension
mystique. En revanche, le délire érotomaniaque est une réalité
qu’il ne faut surtout pas méconnaître. L’être aimé puis haï est
potentiellement en danger. Le délire de jalousie est tout autant
Notion de dangerosité en psychiatrie médico-légale
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