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Mises au point
Mises au point
Intoxications éthyliques aiguës massives
ou répétées à l’hôpital de Mâcon
Massive or repeated acute alcoholic intoxication
at the hospital of Mâcon
P. Menecier*, L. Rotheval**, D. Lefranc***, S. Plattier**, L. Ploton****
Les hôpitaux et leurs services des urgences sont régulièrement confrontés à l’accueil
d’intoxications éthyliques aiguës (IEA), et à leurs traductions cliniques sous forme
d’ivresses alcooliques. Dans un centre hospitalier non universitaire de moyenne importance, une procédure de rencontre systématique au lendemain de l’ivresse est en
place depuis quinze années.
Une étude a considéré les épisodes survenus dans les dix dernières années (de janvier
2000 à décembre 2009). Les IEA les plus répétées (dix fois ou plus en dix ans) et les
plus importantes (dosages d'alcoolémie au-delà de 5 g/l) ont été observées. Les patients concernés sont des hommes pour les deux tiers, d’âge moyen, avec une part
importante de comorbidités psychiatriques, et une mortalité à distance élevée. Ces
résultats renforcent le niveau des besoins en soins de cette population particulière
alors qu'elle génère à l’opposé plutôt défaitisme ou rejet.
Hospitals and their emergency rooms are often confronted with acute alcoholic intoxications (AAI),
and with their clinical manifestations as drunkenness. A systematic procedure of meeting the day after
drunkenness is available in a non university general hospital since fifteen years.
A study considered the episodes arising during the last ten years (from 2000 January to 2009 December. The most repeated AAI (ten times or more in ten years) and the most important one (alcohol blood levels over 5 g/l) were observed. Thirty percent of cases were men, middle aged, with an
important part of psychiatric co-morbidity and a remote high mortality. These data strengthen the
the needs of care for this particular population which generates in the opposite, rather defeatism or
rejection.
L
es intoxications éthyliques aiguës (IEA)
représentent l’une des premières modalités d’accès à l’hôpital de patients en difficulté avec l’alcool. Cette expression bruyante
de l’alcoolisation justifie une approche qui dépasse la seule toxicologie ou la répulsion. L’unité
d’addictologie du centre hospitalier de Mâcon a
envisagé la place des IEA depuis plus de 15 ans
(1-3), notamment avec la promotion d’un discours du lendemain de l’ivresse (4). Ainsi une
procédure de rencontre systématique des IEA
hospitalisées est en cours. Elle permet un recueil
prospectif de données. Le recul de la procédure
et l’analyse continue des résultats offrent une
base de données, dans laquelle on a voulu observer la place des situations les plus extrêmes.
* Praticien hospitalier, unité d’addictologie, hôpital
des Chanaux ,71018 Mâcon Cedex. ** Psychologue
clinicienne, même adresse. ***Infirmière, même adresse.
**** Psychiatre, professeur de gérontologie, laboratoire
Santé, individus, société (E.A. 4129), institut de psychologie, université Lyon-2, 5, avenue Pierre-Mendès-France,
69676 Bron Cedex.
Qu’en est-il des IEA avec alcoolémies très élevées et des sujets rencontrés de manière particulièrement répétée à l’hôpital pour IEA ?
Rencontre systématique
avec les IEA
Le centre hospitalier de Mâcon comprend 519
lits de court séjour de médecine, chirurgie,
obstétrique, et psychiatrie dont 10 lits d’unité
d'hospitalisation de courte durée (UHCD) attenants au service des urgences qui enregistre
34 000 passages annuels. Depuis 1991, il existe
une équipe d’addictologie pluridisciplinaire
qui intervient selon trois axes conformes à
une unité de niveau 2 (5) : hospitalisation spécifique, consultations externes et activité de
liaison (dont le développement de la prise en
considération des IEA est un aspect particulier).
Ce travail repose sur une procédure de rencontre systématique des IEA admises au
centre hospitalier, en place depuis 1997, qui
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Mots-clés : Alcool, Intoxication aiguë,
Ivresse, Hôpital.
Keywords : Alcohol, Acute intoxication,
Drunkenness, Hospital.
considère l’ensemble des dosages d’alcoolémie
réalisés par le laboratoire de biologie de l’hôpital. Chaque matin des jours ouvrés, les résultats non nuls des dernières 24 heures sont recueillis, conduisant à rechercher si les patients
ont été hospitalisés, dans la perspective de leur
proposer un temps d’entretien clinique avec un
des membres de l’équipe d’addictologie (psychologue, infirmière ou médecin). Un recueil
systématique et prospectif de données est
donc fait pour chaque épisode, qu’il ait débouché sur une rencontre ou non. La procédure
ne fait qu’exploiter des données existantes,
sans induire d’autres mesures d’alcoolémie que
celles habituellement indiquées dans le fonctionnement d’un service des urgences.
L’étude a considéré les dosages d’alcoolémie
des dix dernières années, du 1er janvier 2000
au 31 décembre 2009, pour se concentrer sur
les situations les plus extrêmes : les dosages
d'alcoolémie au-dessus de 5 g/l et les patients
rencontrés dix fois ou plus en dix ans. Les éléments analysés proviennent du recueil prospectif continu, qui a été complété par des données
rétrospectives à propos de la survie ou de la recherche de comorbidités psychiatriques.
Les résultats
Durant la période de l’étude, 9 972 dosages
d’alcoolémie ont été retrouvés positifs chez
5 676 individus différents. Ils concernent des
femmes pour 23 %, et des hommes pour 76 %,
d’un âge moyen de 45,4 ans (déviation standard [SD] : 15,6 ; médiane : 46 ans). Les alcoolémies vont de 0,10 à 6,89 à g/l, pour une
moyenne de 2,11 g/l (SD : 1,21 ; médiane : 2,13
g/l), seuls 0,4 % (38) des épisodes dépassent 5
g/l d’alcoolémie.
La répétition des épisodes concerne 26 % des
patients, avec un nombre d’occurrences pouvant aller jusqu’à 93 fois dans la période, parmi
lesquels seuls 1,3 % (73) ont été rencontrés
10 fois ou plus en 10 ans (tableau). Ces deux
sous-groupes ont été décris plus particulièrement.
Parmi les 9 972 dosages, 38 dépassaient les
5 g/l (0,38 %). Ils concernent 12 femmes et 24
hommes (33 %-67 % versus 24 %-76 % pour les
autres dosages de moins de 5 g/l, Chi2 : 0,10
NS), d’un âge moyen de 43,7 ans (SD : 8,2 ; médiane : 44,5 ans) [figure 1]. Tous les patients
concernés présentent une alcoolodépendance
12
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Mises au point
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Tableau. Nombre d’épisodes d’IEA objectivé par patient en 10 ans.
Nombre d’occurences
1
2à4
5 à 9 10 à 14 15 à 19 20 à 24 25 à 29 30 à 34 35 à 39 40 et plus
Effectif
4 210
1 167
226
33
20
6
5
2
3
4
Proportion (%)
74,17
20,5
3,98
0,58
0,35
0,11
0,09
0,04
0,05
0,07
Femmes
Hommes
18
16
14
12
10
8
6
4
2
0
20-29
30-39
50-59
40-49
60-69
Âges
Figure 1. Répartition en âge et sexes des patients avec des alcoolémies au-delà de 5 g/l.
Femmes
Hommes
35
30
25
20
15
10
5
0
20-29
30-39
40-49
50-59
60-69
70-79 Âges
Figure 2. Répartition en âge et sexes des patients rencontrés 10 fois ou plus.
avérée, et tous ont été hospitalisés dans les
suites de cet épisode. Si 13 % (5) sont passés
par un service de réanimation, 68 % (26) sont
passés dans l’UHCD attenante au service des
urgences, et seuls 18 % (7) ont directement été
admis dans un autre service hospitalier.
Au final, le lieu d’hospitalisation est l’UHCD
(46 %), l’unité d’addictologie (32 %), un service
de psychiatrie (13 %) ou des services non spécifiques (9 %).
Les durées de séjour vont de 1 à 18 jours, avec
une moyenne de 5,3 jours (SD : 5,2 jours).
Parmi ces patients, 45 % (17) ne sont restés
hospitalisés qu’une seule journée. Les diagnostics principaux reliés aux séjours sont les
IEA elles-mêmes pour 79 %, dont assez peu
sont associés à des traumatismes (chutes ou
accidents de la voie publique pour 10 % seulement), et pour 21 % (8) des tentatives de
suicide exprimées et identifiées comme telles
(7 fois avec intoxications médicamenteuses
volontaires, et une fois comme tentative de
suicide par seule absorption d’alcool).
Au terme des hospitalisations, une comorbidité psychiatrique patente, justifiant des soins
spécifiques non addictologiques est retenue
13
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chez plus de la moitié (53 %), alors que deux
tiers (67 %) ont pu être rencontrés par un des
membres de l’équipe d’addictologie.
Aucun décès n’est survenu au décours des ces
hospitalisations, mais 6 mois après la fin de la
période d’observation, 5 patients sont décédés
à l’hôpital (13 %), tous avec des alcoolémies
au-delà de 5,5 g/l. Plus particulièrement si on
ne considère que ces alcoolémies au-delà de
5,5 g/l (14 épisodes), la mortalité hospitalière
observée à distance est de 36 %.
Parmi les 5 676 individus globalement rencontrés dans l’étude, 73 (1,3 %) ont été vus dix fois
ou plus, c'est-à-dire au moins une fois par an
en moyenne.
Les plus grands records de répétition des IEA
concernent une femme vue 93 fois, un homme
84 fois, un autre 54 fois et une autre 40 fois…
Parmi ces 73 patients, on compte 23 femmes
et 50 hommes (32 %-68 % versus 25 %-75 %
pour les patients rencontrés moins de 10 fois,
Chi2 = 0,10 ; NS), d’un âge moyen de 48,6 ans
(SD : 11,0 ; médiane : 47 ans), significativement plus âgés que les personnes rencontrées
moins de 10 fois (âge moyen : 43,8 ans; SD :
17,6 ; médiane : 44 ans ; T = 2,32 ; p < 0,05)
[figure 2]. La moyenne de toutes les alcoolémies des patients rencontrés plus de dix fois
est aussi significativement plus élevée que
chez les autres patients de l’étude : 2,73 g/l (SD
: 0,70 ; médiane : 2,74 g/l versus 1,82 g/l ; SD :
1,11 ; médiane : 1,83 g/l ; T = 6,26 ; p < 0,001).
Parmi ces patients, tous ont été rencontrés au
moins une fois par un des membres de l’équipe
d’addictologie de liaison, le plus souvent de
manière répétée. Une comorbidité psychiatrique patente, justifiant des soins spécifiques
non addictologiques est retenue chez près de
la moitié (48 %). À 6 mois de la fin de la période d’observation, 13 patients sont décédés à
l’hôpital (18 %), 3 femmes et 10 hommes, d’un
âge moyen de 54,9 ans (SD : 12) significativement plus âgés que les patients non décédés
(47,2 ans ; SD : 10,4 ; T = 2,32 ; p < 0,05).
Entre ces deux sous-populations particulières,
10 sujets avec des alcoolémies au-delà de 5 g/l
(29 %) ont aussi été rencontrés 10 fois ou plus
sur la période d’étude (14 %) : 3 femmes et 7
hommes sans caractéristique spécifique par
rapport aux autres personnes.
Pourquoi ces trÈs hautes
alcoolÉmies ?
Ces rares épisodes d’alcoolisation massive
concernent des hommes d’âge moyen, mais
aussi un tiers des femmes. Pour la moitié des
patients ressortant après une journée passée
à l’hôpital, il faut s’interroger sur les valeurs
d’alcoolémie à leur sortie par rapport à celles
de leur arrivée. Ces patients repartent, après
une nuit ou quelques heures en UHCD, avec
des alcoolémies le plus souvent de plusieurs
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grammes par litre… L’objectif de l’hospitalisation n’est pas d’annuler leur alcoolémie, ni
de les contraindre à un sevrage alcoolique,
mais de leur permettre de repartir de l’hôpital après récupération d’un statut mental
suffisant (2). La sortie peut alors se faire avec
une alcoolémie toujours élevée, pas forcément ressentie ni envisagée. Une information
éclairée de ce patient est indispensable pour
lui éviter de se retrouver immédiatement
dans des situations à risque (activité professionnelle exposée, conduite automobile, travail en hauteur…). Beaucoup n’imaginent pas
la réalité de la décroissance d’alcoolémie ni le
temps requis.
Dans 1 de ces cas sur 7 seulement, l’accueil
des patients a mobilisé un milieu de réanimation alors que de tels niveaux d’alcoolémie
peuvent toujours engager le pronostic vital.
Ne pas négliger ces patients et ne pas minimiser les risques de complications de l’IEA
justifient de maintenir une médicalisation
initiale et une surveillance attentive de ces
intoxications massives. La place d’une UHCD
attenante à l’urgence est utile, en offrant un
temps de surveillance et de soins toxicologiques, mais aussi un lien avec les ressources
en addictologie (équipe de liaison recommandée dans tout établissement disposant
d’un service d’urgences) [5].
La mise en danger volontaire de soi et le caractère suicidaire de telles alcoolisations ne
sont pas majoritairement exprimés ni reconnus. Pour autant, l’ivresse même massive
n’est pas seulement le comportement d’une
recherche mortifère (6). Cependant, à l’opposé, un cinquième des situations ainsi reliées à
un geste suicidaire ne doit pas non plus faire
négliger la dimension psychopathologique,
et le besoin potentiel de soins psychiatriques
comme lors de toute tentative de suicide arrivant à l’hôpital. L’intégration et la coordination des soins addictologiques et psychiatriques est une nécessité, simplifiée lorsque
ce sont les mêmes intervenants, mais, dans
bon nombre d’établissements, la distinction
existe et le travail en collaboration se développe. Cette nécessité est d’autant plus essentielle pour ces situations extrêmes, où l’importance des comorbidités psychiatriques
requiert un travail intégré entre addictologie
et psychiatrie.
La mortalité à distance des ces épisodes est
très élevée, et s’accroît encore davantage avec
les niveaux d’alcoolémie. Le passage hospitalier avec un dosage d’alcoolémie supérieur à
5 g/l est un marqueur de gravité dans l’alcoolodépendance (1 sur 3 a aussi été rencontré
plus de 10 fois en 10 ans), le pronostic vital
est engagé tant pour des raisons somatiques
que psychiatriques. Prendre soin dans tous les
sens du terme de ces patients est encore plus
justifié.
Les récidivistes :
1 patient sur 4
La répétition des IEA concerne seulement 1
patient sur 4 (vu plus d’une fois), et la forte
répétition (10 fois ou plus) 1 sur 77. Cette répétition est un des premiers facteurs d’épuisement et de désintérêt des soignants, qui ont,
d'ailleurs, d’autres motifs d’épuisement, davantage en lien avec la présentation de l’ivresse
et du sujet ivre.
Même si ce n'est pas significatif, ces grands
récidivistes des IEA sont surtout des femmes
(1 sur 3), quadragénaires ou quinquagénaires.
La part des plus âgés ne peut être négligée
avec plus de 1 fois sur 10 des sexagénaires ou
plus (7). Ces patients, tous alcoolodépendants,
ont rencontré au moins un des membres de
l’équipe d’alcoologie au cours de leurs divers
séjours hospitaliers. Ceux qui ont des dosages
d’alcoolémie plus élevés montrent une tolérance accrue à l’alcool et une progression dans
l’alcoolodépendance.
Pour ce groupe aussi, les comorbidités psychiatriques patentes, requérant des soins spécifiques non addictologiques, sont fréquentes
(1 fois sur 2), tout autant que la mortalité à distance apparaît élevée pour un groupe d’adulte
de cet âge. On ne doit pas considérer simplement la répétition comme une mise en échec
des soins, mais comme un marqueur de risque
d’évolution défavorable ou de comorbidité (8).
Plutôt qu’épuiser les soignants qui se détournent parfois de ces patients trop connus des
services d’urgences, notamment les nuits et les
week-ends (2), il reste à les convaincre que la
répétition justifie encore plus d’attention, de
présence, de soins qu’un rejet désabusé.
Si l’ivresse pose problème à l’hôpital, sa répétition est un obstacle supplémentaire à sa prise
en considération (9, 10), alors qu’elle devrait
au contraire favoriser la prise en charge des
soins. Ni triviale, ni vulgaire, elle est une manifestation clinique du mésusage d’alcool, et
lorsqu’elle arrive jusque devant des soignants
rien ne prouve que ce soit seulement fortuit.
Une demande d’aide informelle peut être envisagée dans un mode de communication archaïque, comportemental, dans le sens où il
peut être envisagé l’existence d’ivresses d’appel au même titre qu’il existe des tentatives
de suicide (2). Ce rapprochement entre IEA
et intoxication médicamenteuse volontaire
(IMV) a déjà été fait depuis des décennies
(9), d’autant plus qu’elles ont des prévalences
similaires dans le service des urgences (1, 9).
Le tout est alors de pouvoir parler d’alcool
avec une personne qui ne demande pas forcément d’aide mais qui, par son comportement,
montre la place que prend l’alcool dans sa vie
(11). Une des bases de cette considération est
d’intégrer le fait qu’une alcoolémie élevée à
l’entrée à l’hôpital est un indicateur pertinent
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de mésusage d’alcool (3, 12), et que ce temps
hospitalier, souvent bref et même répété, est
un moment propice pour aborder la relation
à l’alcool (2, 13).
Leur difficile prise
en charge à l’hôpital
Si elles sont communes, les intoxications éthyliques aiguës ne sont pas (toujours) bienvenues
à l’hôpital. C’est surtout leurs manifestations
cliniques sous la forme d’ivresse alcoolique qui
confrontent les soignants de première ligne,
essentiellement les services d’urgences, à un
exercice atypique, où les repères du soin sont
parfois difficiles à maintenir. L’accueil de l’IEA
à l’hôpital justifie d’abord un diagnostic positif
assuré, même si la clinique est connue de tous.
Les faux positifs de la seule évaluation clinique
exposent à des risques majeurs d’évolution
de pathologies sévères pouvant prendre un
masque comportemental pris à tort pour une
ivresse (2, 3). Ensuite une phase toxicologique
est requise, parfois qualifiée de dégrisement,
qui ne devrait pas se limiter à attendre sans
surveillance la disparition des troubles somato-psychiques pour obtenir la récupération
(parfois relative) d’un statut mental satisfaisant
(14, 15).
Puis vient le temps essentiel de la rencontre
clinique d’après ivresse (2, 4) afin de proposer
une médicalisation (16). Celle-ci ne veut pas
renforcer la désapprobation sociale des personnes dans des situations de vulnérabilité et
de conduite à risque, mais leur offrir un minimum de soins adaptés. Pour cela, il convient
de mettre en application les recommandations
existantes (17) et promouvoir l’addictologie de
liaison déclinée dans le cas particulier des IEA
hospitalisées (18).
Pour autant, rester des professionnels du soin
avec des patients qui arrivent agités, ou somnolents, désinhibés et parfois opposants, n’est
pas simple. Certains facteurs de réassurance
des soignants sont parfois mis en avant, à tort,
comme un faible taux d’alcoolémie, qui ne
présage pas d’une simple coïncidence, mais
qui concerne, pour des valeurs inférieures à
0,5 g/l, des sujets en difficulté avec l’alcool dans
au moins 70 % des cas (19).
À l’opposé, des valeurs élevées d’alcoolémies
sont associées à une réduction non explicable
des durées de séjours hospitalières en orthopédie/traumatologie (20). Les plus fortes valeurs
d’alcoolémie amènent certes à un regard plus
médicalisé, mais aussi à une incompréhension
face à de telles absorptions ou devant la tolérance physiologique induisant une certaine
admiration narquoise de la part des soignants,
qui est une autre forme d’évitement.
Ces situations extrêmes – dosage élevée d’alcoolémie ou nombreuse répétition des épisodes – mettent les soignants en difficulté, car
14
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Mises au point
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ils n’y trouvent plus leurs repères professionnels et se sentent souvent en échec. Alors ils
qualifient parfois ces patients de malades "difficiles, sévères, résistants aux soins, non compliants ou peu motivés au changement", voire
de "grands alcooliques" (8). Le rejet sur leurs
personnes des difficultés globales du soin est
probablement partial et projectif. Ces patients
dits "résistants" posent avant tout des problèmes aux thérapeutes, et ils doivent d’abord
être identifiés comme ayant un mauvais pronostic et un risque mortel à court terme (8).
Leur comorbidité psychiatrique fréquente a
aussi été identifiée, notamment dans le risque
suicidaire (8). Décrire et mieux connaître les
situations vécues par ces patients peut aider
ensuite à repenser l’accueil et les soins dont
ils pourront bénéficier, afin de favoriser leur
abord dans une perspective d’accompagnement et d’aide, prévenir les attitudes de rejet,
voire de maltraitance. Et faire pièce au fatalisme voire à "l’à-quoi-bonisme" démissionnaire des soignants.
Conclusion
Les ivresses alcooliques, envisagées comme
les manifestations cliniques des IEA, font partie des pathologies fréquentes en service d’urgences et confrontent les organisations hospitalières à un exercice particulier. À l’extrême
parmi ces situations, les plus répétées comme
les plus massives désignent avant tout une
catégorie de patients encore plus redevables
de soins addictologiques, somatiques et psychiatriques.
v
Références bibliographiques
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Presse Med 1997;26(27):1292-3.
vvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvvv
La fumée du tabac augmente
le métabolisme des estrogènes
contrôler. Une équipe de l’université McGill de Montréal vient de tester la réaction de 21 malades chroniques à une utilisation de cannabis.
Ils ont utilisé des capsules de 25 mg de marijuana américaine, fournie
à différents dosages de THC (2,5 %, 6 % et 9,4 %) et en ont comparé
les effets avec ceux d’un placebo. Selon leurs résultats, il semblerait
qu’une posologie de 25 mg de THC à 9,4 % 3 fois par jour, 5 jours
par semaine, diminuerait ces douleurs et permettrait de recouvrer en
partie le sommeil. Ces résultats confirment ceux de nombreuses observations antérieures, mais à l’issue d’une étude rigoureuse cannabis
versus placebo.
v
Les éléments cancérigènes de la fumée de tabac modifient l’expression des gènes des souris femelles, en particulier le gène
du cytochrome P4501b1, qui joue un rôle clé dans le métabolisme des estrogènes et la destruction des toxines. Les auteurs de cette
étude ont trouvé un lien entre le cancer du poumon et les hormones
via ce gène et montré, sur ce modèle de cancer du poumon induit par
le tabac chez la souris, que le tabagisme pouvait accélérer le métabolisme de ces hormones à l’intérieur des poumons.
Meireles SI, Esteves GH, Hirata R Jr et al. Early changes in gene expression induced by tobacco smoke: evidence for the importance of estrogen within lung tissue. Cancer Prev Res. In press.
Ware MA, Wang T, Shapiro S et al Smoked cannabis for chronic neuropathic
pain: a randomized controlled trial. CMAJ 2010;182:E694-701.
Le cannabis soulage les douleurs
neuropathiques
300 millions de fumeurs en Chine
v
Tout dans la démesure : 1 fumeur sur 3 dans le monde est
Chinois, soit 300 millions de fumeurs, a reconnu récemment
le vice-ministre chinois de la Santé. Les maladies induites par
le tabac sont désormais à l’origine de 12 % de la totalité des décès en
Chine, soit davantage que l’addition de ceux provoqués par la tuberculose, le sida, les accidents de la route et les suicides.
v
Les douleurs neuropathiques, occasionnées par une atteinte
du système nerveux central ou périphérique, consécutives
à une maladie (zona, sclérose en plaques, diabète, sida…),
une intervention chirurgicale (hernie discale, amputation) ou à un
traumatisme (section nerveuse), sont très invalidantes et difficiles à
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Le Courrier des addictions (12) ­– n ° 4 – octobre-novembre-décembre 2010
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