Le Courrier des addictions (12) – n ° 4 – octobre-novembre-décembre 2010 14
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grammes par litre… L’objectif de l’hospitali-
sation n’est pas d’annuler leur alcoolémie, ni
de les contraindre à un sevrage alcoolique,
mais de leur permettre de repartir de l’hô-
pital après récupération d’un statut mental
suffisant (2). La sortie peut alors se faire avec
une alcoolémie toujours élevée, pas forcé-
ment ressentie ni envisagée. Une information
éclairée de ce patient est indispensable pour
lui éviter de se retrouver immédiatement
dans des situations à risque (activité profes-
sionnelle exposée, conduite automobile, tra-
vail en hauteur…). Beaucoup n’imaginent pas
la réalité de la décroissance d’alcoolémie ni le
temps requis.
Dans 1 de ces cas sur 7 seulement, l’accueil
des patients a mobilisé un milieu de réani-
mation alors que de tels niveaux d’alcoolémie
peuvent toujours engager le pronostic vital.
Ne pas négliger ces patients et ne pas mini-
miser les risques de complications de l’IEA
justifient de maintenir une médicalisation
initiale et une surveillance attentive de ces
intoxications massives. La place d’une UHCD
attenante à l’urgence est utile, en offrant un
temps de surveillance et de soins toxicolo-
giques, mais aussi un lien avec les ressources
en addictologie (équipe de liaison recom-
mandée dans tout établissement disposant
d’un service d’urgences) [5].
La mise en danger volontaire de soi et le ca-
ractère suicidaire de telles alcoolisations ne
sont pas majoritairement exprimés ni re-
connus. Pour autant, l’ivresse même massive
n’est pas seulement le comportement d’une
recherche mortifère (6). Cependant, à l’oppo-
sé, un cinquième des situations ainsi reliées à
un geste suicidaire ne doit pas non plus faire
négliger la dimension psychopathologique,
et le besoin potentiel de soins psychiatriques
comme lors de toute tentative de suicide ar-
rivant à l’hôpital. L’intégration et la coordi-
nation des soins addictologiques et psychia-
triques est une nécessité, simplifiée lorsque
ce sont les mêmes intervenants, mais, dans
bon nombre d’établissements, la distinction
existe et le travail en collaboration se déve-
loppe. Cette nécessité est d’autant plus essen-
tielle pour ces situations extrêmes, où l’im-
portance des comorbidités psychiatriques
requiert un travail intégré entre addictologie
et psychiatrie.
La mortalité à distance des ces épisodes est
très élevée, et s’accroît encore davantage avec
les niveaux d’alcoolémie. Le passage hospita-
lier avec un dosage d’alcoolémie supérieur à
5g/l est un marqueur de gravité dans l’alcoo-
lodépendance (1 sur 3 a aussi été rencontré
plus de 10 fois en 10 ans), le pronostic vital
est engagé tant pour des raisons somatiques
que psychiatriques. Prendre soin dans tous les
sens du terme de ces patients est encore plus
justifié.
Les récidivistes :
1 patient sur 4
La répétition des IEA concerne seulement 1
patient sur 4 (vu plus d’une fois), et la forte
répétition (10 fois ou plus) 1 sur 77. Cette ré-
pétition est un des premiers facteurs d’épuise-
ment et de désintérêt des soignants, qui ont,
d'ailleurs, d’autres motifs d’épuisement, da-
vantage en lien avec la présentation de l’ivresse
et du sujet ivre.
Même si ce n'est pas significatif, ces grands
récidivistes des IEA sont surtout des femmes
(1 sur 3), quadragénaires ou quinquagénaires.
La part des plus âgés ne peut être négligée
avec plus de 1 fois sur 10 des sexagénaires ou
plus (7). Ces patients, tous alcoolodépendants,
ont rencontré au moins un des membres de
l’équipe d’alcoologie au cours de leurs divers
séjours hospitaliers. Ceux qui ont des dosages
d’alcoolémie plus élevés montrent une tolé-
rance accrue à l’alcool et une progression dans
l’alcoolodépendance.
Pour ce groupe aussi, les comorbidités psy-
chiatriques patentes, requérant des soins spé-
cifiques non addictologiques, sont fréquentes
(1 fois sur 2), tout autant que la mortalité à dis-
tance apparaît élevée pour un groupe d’adulte
de cet âge. On ne doit pas considérer simple-
ment la répétition comme une mise en échec
des soins, mais comme un marqueur de risque
d’évolution défavorable ou de comorbidité (8).
Plutôt qu’épuiser les soignants qui se détour-
nent parfois de ces patients trop connus des
services d’urgences, notamment les nuits et les
week-ends (2), il reste à les convaincre que la
répétition justifie encore plus d’attention, de
présence, de soins qu’un rejet désabusé.
Si l’ivresse pose problème à l’hôpital, sa répéti-
tion est un obstacle supplémentaire à sa prise
en considération (9, 10), alors qu’elle devrait
au contraire favoriser la prise en charge des
soins. Ni triviale, ni vulgaire, elle est une ma-
nifestation clinique du mésusage d’alcool, et
lorsqu’elle arrive jusque devant des soignants
rien ne prouve que ce soit seulement fortuit.
Une demande d’aide informelle peut être en-
visagée dans un mode de communication ar-
chaïque, comportemental, dans le sens où il
peut être envisagé l’existence d’ivresses d’ap-
pel au même titre qu’il existe des tentatives
de suicide (2). Ce rapprochement entre IEA
et intoxication médicamenteuse volontaire
(IMV) a déjà été fait depuis des décennies
(9), d’autant plus qu’elles ont des prévalences
similaires dans le service des urgences (1, 9).
Le tout est alors de pouvoir parler d’alcool
avec une personne qui ne demande pas forcé-
ment d’aide mais qui, par son comportement,
montre la place que prend l’alcool dans sa vie
(11). Une des bases de cette considération est
d’intégrer le fait qu’une alcoolémie élevée à
l’entrée à l’hôpital est un indicateur pertinent
de mésusage d’alcool (3, 12), et que ce temps
hospitalier, souvent bref et même répété, est
un moment propice pour aborder la relation
à l’alcool (2, 13).
Leur difficile prise
en charge à l’hôpital
Si elles sont communes, les intoxications éthy-
liques aiguës ne sont pas (toujours) bienvenues
à l’hôpital. C’est surtout leurs manifestations
cliniques sous la forme d’ivresse alcoolique qui
confrontent les soignants de première ligne,
essentiellement les services d’urgences, à un
exercice atypique, où les repères du soin sont
parfois difficiles à maintenir. L’accueil de l’IEA
à l’hôpital justifie d’abord un diagnostic positif
assuré, même si la clinique est connue de tous.
Les faux positifs de la seule évaluation clinique
exposent à des risques majeurs d’évolution
de pathologies sévères pouvant prendre un
masque comportemental pris à tort pour une
ivresse (2, 3). Ensuite une phase toxicologique
est requise, parfois qualifiée de dégrisement,
qui ne devrait pas se limiter à attendre sans
surveillance la disparition des troubles so-
mato-psychiques pour obtenir la récupération
(parfois relative) d’un statut mental satisfaisant
(14, 15).
Puis vient le temps essentiel de la rencontre
clinique d’après ivresse (2, 4) afin de proposer
une médicalisation (16). Celle-ci ne veut pas
renforcer la désapprobation sociale des per-
sonnes dans des situations de vulnérabilité et
de conduite à risque, mais leur offrir un mini-
mum de soins adaptés. Pour cela, il convient
de mettre en application les recommandations
existantes (17) et promouvoir l’addictologie de
liaison déclinée dans le cas particulier des IEA
hospitalisées (18).
Pour autant, rester des professionnels du soin
avec des patients qui arrivent agités, ou som-
nolents, désinhibés et parfois opposants, n’est
pas simple. Certains facteurs de réassurance
des soignants sont parfois mis en avant, à tort,
comme un faible taux d’alcoolémie, qui ne
présage pas d’une simple coïncidence, mais
qui concerne, pour des valeurs inférieures à
0,5g/l, des sujets en difficulté avec l’alcool dans
au moins 70 % des cas (19).
À l’opposé, des valeurs élevées d’alcoolémies
sont associées à une réduction non explicable
des durées de séjours hospitalières en orthopé-
die/traumatologie (20). Les plus fortes valeurs
d’alcoolémie amènent certes à un regard plus
médicalisé, mais aussi à une incompréhension
face à de telles absorptions ou devant la tolé-
rance physiologique induisant une certaine
admiration narquoise de la part des soignants,
qui est une autre forme d’évitement.
Ces situations extrêmes – dosage élevée d’al-
coolémie ou nombreuse répétition des épi-
sodes – mettent les soignants en difficulté, car
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