Le Courrier des addictions (10) – n ° 4 – octobre-novembre-décembre 2008 28
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fait). Cela nous permet de verbaliser et de
nommer la présence de l’alcool, d’échan-
ger dans un moment particulier et d’évaluer
la relation du sujet à l’alcool dans la me-
sure du possible. Parfois, cette intervention,
même brève, amène le patient à s’interroger
sur sa consommation et ses conséquences
possibles, cela nous permet de proposer
d’éventuelles modifications du compor-
tement, ou une orientation vers d’autres
structures de soins.
Les objectifs auprès de l’entourage : ac-
cueillir, informer, accompagner, orienter…
En effet, la souffrance familiale émerge au
moment de l’hospitalisation et se manifeste
par des prises de contact pas toujours faciles
à gérer, notamment dans le souci de mainte-
nir un espace de confiance et de confidentia-
lité avec la personne concernée. Les person-
nes sont reçues par un membre de l’équipe
(médecin ou psychologue), avec lequel elles
peuvent aborder leur détresse.
Autre objectif important : accompagner
les équipes soignantes des différents ser-
vices de l’hôpital dans l’approche de ces
patients en difficulté, les aider à les “repé-
rer”, à percevoir leur souffrance et valoriser
les compétences et ressources de chacun (en
complément des offres de formations conti-
nues institutionnelles en addictologie). Nous
avons ainsi mené un travail particulier d’aide
à ce repérage avec l’équipe de l’unité d’ob-
servation de moins de 24 heures du service
des urgences, par le passage quotidien d’un
membre de l’équipe d’addictologie. Ce pro-
tocole permet de rencontrer des personnes
en difficulté avec l’alcool qui ne sont pas
hospitalisées dans une unité spécifique, mais
qui peuvent l’être pour une complication liée
à l’alcool (somatique, psychiatrique).
Nous rencontrons également des consom-
mateurs à risque, “abuseurs” occasion-
nels ou, beaucoup plus rarement, simples
usagers (2).
Le cadre de l’entretien à l’hôpital
Il faut aller voir rapidement les patients
dans les différents services, car la plupart
ressortent très vite de l’hôpital (6), mais,
auparavant, il faut rencontrer un membre
de l’équipe soignante. Un temps préalable
qui facilite déjà l’organisation matérielle de
l’entretien, puisqu’à chaque fois se pose la
question de la recherche d’un lieu ad hoc :
salle de jour quand elle existe, bureau plus
rarement, chambre du patient (mais souvent
ce sont des chambres à deux lits et le res-
pect de la confidentialité oblige à des amé-
nagements, un placard ou une pièce qui sert
d’entrepôt aux matelas !)… Bien sûr, nous sa-
vons que les interférences, comme des entrées
intempestives des soignants dans les cham-
bres, peuvent en bousculer le déroulement :
elles font partie des aléas. Les conditions
minimales pour mener à bien un entretien
clinique ne sont, en effet, pas souvent réunies
à l’hôpital, sans doute parce que les priorités
sont “ailleurs” : dans la valorisation des soins
d’une technicité de plus en plus “pointue” et
non dans la prise en compte du psychisme. Il
est essentiel, en fonction des disponibilités
des soignants, d’assurer un retour de certains
éléments de l’entretien à l’équipe du service,
de laisser une trace écrite dans le dossier mé-
dical. Cela permet une meilleure cohésion
de la prise en charge et l’accompagnement
du patient. Poser et situer le cadre de l’entre-
tien et de l’intervention permet un espace de
parole (qui, pourquoi et comment assurer la
confidentialité ?).
La rupture de l’hospitalisation
Quand tout cela est posé, la question de
l’alcool est fréquemment abordée par le
patient. Toutefois, ce n’est pas forcément
le sujet essentiel. L’entretien, même s’il
comporte des objectifs, ne consiste pas en
un questionnaire avec attente de réponses,
ni en un interrogatoire, et encore moins
une “leçon de morale”. Il est davantage
un échange pendant lequel une parole peut
émerger, une réflexion peut s’amorcer sur
l’hospitalisation en elle-même, puis sur la
relation avec l’alcool.
L’activité transversale à l’hôpital devient ha-
bituelle, mais ne va pas de soi : les services
conservent des fonctionnements hiérarchisés
avec chefs, responsables, cadres… Le méde-
cin peut garder une certaine idée d’emprise
ou de possession sur ses patients, décidant de
ce qui est bon pour eux. Ainsi, notre passage
systématique peut déranger et bousculer ses
habitudes.
Autres obstacles classiques : les tabous et
représentations des soignants, leurs attitudes
contre-transférentielles ou contre-attitudes.
On constate fréquemment chez eux de l’iro-
nie, la mise en avant de la notion de plaisir,
de la complaisance, des attitudes permissives
ou de rejet. Il faut dire que derrière l’image
qu’il renvoie d’un sujet à l’existence sou-
vent compliquée, les équipes soignantes ont
beaucoup de mal à percevoir la souffrance.
Côté patient, être à l’hôpital n’est pas ano-
din. On ne s’alcoolise pas et on n’y arrive
encore moins par hasard. L’ivresse peut
être entendue comme ivresse d’appel (2),
tout comme l’alcoolémie basse peut signi-
fier une reprise d’alcool, un sevrage tenté,
l’occasion de reprendre contact avec les
soins (7). Parfois, les personnes n’arrivent
pas pour un motif d’ivresse aiguë, mais par-
ce qu’elles ont fait un malaise (8), ont eu un
accident sur la voie publique, une fracture,
une chute, une baisse de l’état général, une
crise comitiale…
L’arrivée à l’hôpital se fait dans une si-
tuation de crise, et constitue une situation
traumatique entraînant une position régres-
sive. Ce moment d’hospitalisation est im-
portant, il laisse une trace dans la vie d’un
sujet. C’est un moment privilégié, propice
à l’offre de soins, que le sujet ne peut, par-
fois, entendre qu’à ce moment-là. Certains
éléments ne pourront être abordés qu’à cet-
te occasion de l’hospitalisation, du fait de la
contenance et de l’étayage proposé.
L’ivresse ne passe pas inaperçue à l’hôpi-
tal : on la prend en compte, on sait, on a
vu, et on n’y est pas indifférent. Et même si
elle est banalisée par le sujet, l’idée est de
reprendre ce qui se passe dans un contexte
de vie, dans un parcours dont l’ivresse fait
partie et ne survient pas à n’importe quel
moment. Nommer ce qui se passe est indis-
pensable à une reconstruction possible.
L’hospitalisation en elle-même fait effrac-
tion et rupture dans le parcours de vie, dans
l’histoire. L’entretien proposé tente de met-
tre du sens, des mots, de créer un lien. C’est
l’occasion de “recoller les morceaux”,
de tenter d’organiser et d’instaurer une
confiance, restaurer le sujet. Nier la souf-
france présentée, l’ignorer, et donc ne pas
en parler, apparaîtrait à l’opposé comme
d’une grande violence dans un lieu de soins
comme l’hôpital.
Le déni est une défense
à respecter
Le déni du patient est souvent considéré
comme un obstacle et mis en avant. Pour-
tant, il ne fait pas barrage à la rencontre.
Les patients sont loin de tout nier en bloc
et finalement assez peu l’alcool. En revan-
che, nous repérons davantage le déni des
difficultés et des conséquences de l’alcoo-
lisation. Nous rencontrerions peut-être da-
vantage ce problème si nous étions plus in-
trusifs, en cherchant des aveux, une réalité,
une “vérité”... Mais, on peut parler d’autre
chose que de l’alcool, surtout lors d’un pre-
mier contact, et ne pas s’enfermer dans l’at-